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Il est peu commun, dans un compte rendu, que le signataire fasse état de sa situation d’énonciation : avril 2020. Mais je peux difficilement éviter de m’inscrire dans une temporalité exceptionnelle, celle de la pandémie de la COVID-19. Pourquoi cette précision ? C’est que le sujet de l’ouvrage que je m’apprête à recenser, se trouve au coeur de l’actualité, la gouvernance étant devenue centrale au point de réclamer un point de presse quotidien. Certes, dans ce livre, il s’agit de gouvernance des universités; mais bien évidemment, un type de gouvernance spécifique participe des principes généraux qui, ces deux dernières décennies, ont marqué la gestion publique.
Les essais de De l’administration… proviennent d’un colloque tenu par la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU), au mois d’avril 2016. Le livre est divisé en deux grandes parties : « L’avènement de la gouvernance des universités » et « La gouvernance dans les universités québécoises »; respectivement quatre et cinq articles traitent de ces deux axes.
La première partie voit les choses « de haut », si je puis dire : dans l’histoire des universités (Vincent Carpentier, Louis Demers) ou, encore, dans le développement de nouvelles pratiques telles la nouvelle gestion publique, qui amenuise le rôle de l’université comme « service public » au profit de l’université entrepreneuriale (Jean Bernatchez). Dans le second volet sont abordés des cas d’espèce : l’Université du Québec en Outaouais (Louise Briand et Guy Bellemare), l’Université du Québec à Montréal (Jean-Marie Lafortune et Max Roy), l’Université de Montréal (Marianne Kempeneers). Signalons deux autres textes qui posent d’excellents fondements : une typologie des universités québécoises (Catherine Larouche et Denis Savard) et une enquête sur la vision des administrateurs universitaires (Michel Umbriaco et al.).
Mais, s’agissant de gouvernance, de quoi est-il question au juste ? Exerçons notre « Je me souviens ».
Dans la préface, Jean-Marie Lafortune rappelle, avec raison, les deux grands changements au début des années 2000 : les Chaires de recherche du Canada et la Politique québécoise à l’égard des universités, dont le produit est bien connu : les contrats de performance établis par nul autre que… François Legault. L’actualité nous rattrape encore. Il s’agissait là d’un changement de paradigme, au profit de la compétitivité, qui affaiblissait la collégialité, dont les sources québécoises remontent à la Commission Parent, en 1964 (p. 1). Plusieurs auteurs du collectif font état, ensuite, du « Rapport Toulouse », qui avait fait grand bruit en son temps (2007) pour conduire au projet de loi de la ministre de l’Éducation Michelle Courchesne. Ce projet visait principalement à ce que les membres des conseils d’administration universitaires soient des membres « indépendants » ou, pour être clair, externes à l’université. Il entraîna l’une des mobilisations les plus importantes des professeurs que j’aie vue et qui a conduit au retrait du projet.
Mais, comme le relève Louis Demers, le processus est lancé (p. 54 sq.). Les rapports et mesures de contrôle se multiplient, les professeurs voient leur tâche s’alourdir, ce qui les tient à distance des instances de gouverne et de gestion; la recherche, de son côté, continue à s’institutionnaliser. Jean Bernatchez a raison : « Le paradigme de l’apprentissage succède au paradigme de l’enseignement et favorise le mouvement de professionnalisation universitaire. » (p. 69) À ce propos, je me permets de dire que nous n’avons qu’à bien écouter le langage. Le mot « scientifique » est collé à tout – article scientifique, colloque scientifique, comme pour donner une caution de sérieux à l’institutionnalisation; ou encore apprentissages, presque toujours au pluriel (évaluation, poursuite des apprentissages), subodorant la performance et la mesurabilité. De l’administration… fait d’ailleurs la part belle au langage comme porteur de ce nouveau paradigme.
L’ouvrage, dit-on au début, vise à examiner les transformations de la gouvernance universitaire « et de dégager ce qu’elle laisse entrevoir pour l’avenir des universités au Québec. » (p. 2) Ce recueil d’essais atteint cet objectif et, outre son opportunité actuelle, il s’appuie sur deux qualités notables. D’une part, évitant la tentation des pétitions de principe, il s’appuie sur une solide documentation; d’autre part, il offre une lisibilité aisée, voire agréable. Il mérite d’être lu pour les idées qu’il agite, et conservé pour les appuis historiques et théoriques auxquels il importe de constamment revenir.