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Le titre de cet ouvrage peut induire en erreur. Florian Péloquin ne propose pas d’abord un plaidoyer mais bien une enquête ou un état des lieux sur l’enseignement de la culture générale au cégep. Certes, l’auteur annonce d’entrée de jeu que son « essai vise à promouvoir le développement de la culture générale des jeunes » (p.1), mais cette visée s’ajoute, comme par surcroît, au « but » du livre, qui est « de présenter une synthèse de la littérature » sur le sujet et « de faire l’écho des professeures et professeurs du réseau collégial » (p.4). Là réside le mérite du travail de Péloquin. Je suppose que tous les professeurs de cégep ont une opinion sur la qualité de la culture générale de leurs étudiants, mais cette opinion est toute subjective et anecdotique. Péloquin est lui aussi professeur de cégep, et n’échappe sans doute pas à cette règle. Il a par contre rédigé une thèse universitaire sur le sujet – « dont les extraits constituent la base du texte de ce livre » (p.137) – et son entrée dans le milieu collégial a été l’occasion de poursuivre son travail de recherche. Péloquin a donc voulu élargir sa perception personnelle afin d’avoir une opinion plus informée sur la situation. On ne peut que le féliciter pour son entreprise. Voyons maintenant sa méthode, puis ses résultats.
Les constats et conclusions présentés reposent sur trois sources : premièrement, une séries d’entrevues menées auprès d’un groupe de 21 professeurs de cégep. Ces professeurs ne sont pas identifiés, ce qui est compréhensible, mais il n’est rien dit non plus sur leurs années d’expérience, la matière qu’ils enseignent et le cégep où ils enseignent. De plus, 21 individus, cela demeure un échantillon plutôt mince du réseau collégial québécois. La deuxième source est le recours à la littérature savante. Pour chaque sujet abordé, l’auteur présente d’abord un court survol de la littérature puis l’opinion des professeurs interrogés; c’est la méthode suivie dans la première section, dédiée à l’épineuse question de la définition de la culture générale, et dans la troisième section, traitant du problème du développement de la culture générale chez les étudiants. De ces deux sources, l’auteur dégage ensuite un certain nombre de constats dont il discute. Enfin, la troisième source est un test de connaissances auquel ont été soumis, à l’automne 2001 – cela fera bientôt 20 ans… –, 1 331 étudiants provenant de huit cégeps différents. Le test est reproduit en annexe, ce qui permet de s’en faire une idée juste. Les résultats du test servent de base pour la deuxième section de l’ouvrage sur les « attentes et jugements sur la culture générale des jeunes ».
Au terme de l’ouvrage, 13 constats ont été présentés et discutés. Dans l’ensemble, rien de surprenant. « Une conception plurielle de la culture générale se dégage » (constat 2), « Le niveau de culture générale à la fin des études au collégial s’est amélioré, mais il ne satisfait pas totalement les attentes » (constat 7), « L’environnement dans lequel vit le jeune est un facteur important pour le développement de sa culture générale » (constat 8) et « La grande importance accordée au contenu des programmes laisse peu de place à des pratiques pédagogiques pouvant développer une culture générale en dehors de ce contenu » (constat 11). Un portrait assez prévisible en somme : les professeurs ne s’entendent pas entre eux sur les connaissances et habiletés qui composent la culture générale, le passage au cégep ne peut donc pas améliorer significativement la situation, d’autant plus que les programmes sont gouvernés par un impératif de spécialisation qui ne valorise que le contenu exigé, de sorte que seuls les élèves les plus choyés par leur milieu familial s’en tirent un peu mieux.
Je dois dire que je vois mal comment l’auteur peut être optimiste à partir de tels constats. Ses espoirs dans la personne de Sébastien Proulx, ancien ministre de l’Éducation, qu’il estimait, en 2018, capable d’effectuer « un tournant » (p. 95) sont, je suppose, aujourd’hui déçus. Il propose aussi, dans la sous-section la plus longue de son ouvrage, une série de trucs et d’astuces pédagogiques pour mieux enseigner la culture générale (p. 68 à 92), mais ces conseils à la pièce ne sont d’aucune utilité pour solutionner un problème d’une telle ampleur sociale. À cet égard, le constat le plus important, et le plus décourageant, est le 12e : « Les initiatives pédagogiques personnelles et sporadiques ne permettent pas de développer d’une manière suffisante et structurée la culture générale » (p. 99).
À mon avis, la plus grande utilité du livre est de révéler, malgré les intentions de l’auteur, un grave problème de fond qui mine l’éducation au Québec et qui me semble, pour tout dire, à peu près insurmontable. Le fait est qu’il n’existe aucune définition commune et partagée de ce que doit contenir la culture générale, aucune image commune et partagée de ce à quoi ressemble une personne cultivée – l’enquête de Péloquin le révèle de mille et une façons. L’absence de repères nous laisse tous devant un éclatement qui force une seule attitude, une seule vertu : l’ouverture. Comme l’exprime un des professeurs interrogés : « Il y a plusieurs années, je les voyais [les étudiants] sans culture. Maintenant, j’accepte qu’ils soient différents de moi » (p. 54). Quand il s’agit de transmission d’une culture générale, comment ne pas voir dans ce commentaire une abnégation doublée d’un déni?