Article body
Deux grandes sections, historiques et thématiques, regroupent les chapitres de ce livre : l’entreprise missionnaire québécoise de 1945 à 1968 (5 chapitres) et la pluralité des formes d’engagement entre 1968 et 1980 (3 chapitres). L’idée-force qui le traverse est que la rencontre avec l’Autre a eu un impact considérable sur les missionnaires elles-mêmes et leur pratique, sur leur vision de l’Église et de la foi catholique. Au point que l’expérience missionnaire aurait agi comme un terreau fertile pour l’accueil favorable des réformes de Vatican II (première section). Comme les Pères conciliaires, les missionnaires ont en effet révisé et bonifié leur conception de la vie religieuse et la manière dont la foi peut s’insérer dans le monde contemporain. Et parce que le mouvement est dialectique, Foisy mesure aussi les effets de Vatican II sur les missions (deuxième section).
Pour arriver à ce diagnostic, elle ausculte quatre grands instituts missionnaires : les Soeurs missionnaires du Christ-Roi (MRC), les Soeurs missionnaires de l’Immaculée-Conception (MIC), les Soeurs missionnaires de Notre-Dame des Anges (MNDA), ainsi que la Société des Missions Étrangères (SMÉ) du Québec. Ses données sont de deux ordres : des archives diverses et une cinquantaine d’entrevues avec des missionnaires actives à l’étranger entre 1945 et 1980 – l’échantillon ne contient que dix hommes, tous de la SMÉ. L’analyse documentaire fournit plusieurs informations quantitatives allant de la moyenne d’âge des soeurs missionnaires aux effectifs des quatre institutions en passant par la situation financière de celles-ci ; et d’autres, qualitatives, comme les apprentissages que reçoivent novices et postulantes, et les principales thématiques de revues missionnaires telles que le Bulletin de l’entraide missionnaire et Le dossier missionnaire. Ce sont cependant les données d’entrevue qui fournissent les informations les plus intéressantes.
La majorité des personnes interrogées ont participé aux mouvements progressistes de l’Action catholique spécialisée, où la dimension sociale de l’engagement religieux est cruciale, au sens où celui-ci prend acte des réalités vécues dans les milieux d’insertion et se laisse transformer par eux. Cette logique semble poussée à l’extrême dans l’expérience missionnaire et c’est pourquoi la conversion dont il est question dans le titre renvoie aux missionnaires bien plus qu’aux « missionnés ». En simplifiant le portrait : avant Vatican II, novices et postulantes apprennent par coeur le catéchisme des oeuvres ou des extraits de Thomas d’Aquin ; on leur inculque une conception doctrinale et hiérarchique de l’obéissance religieuse ; et implicitement la supériorité morale de l’Occident ; enfin l’Autre, quelle que soit sa religion, est un païen à convertir. Avec les réformes, la formation se professionnalise et s’imprègne de sciences humaines ; la mission quitte la posture autoritaire pour en adopter une d’accompagnement ; les missionnaires s’ouvrent à l’implication des laïcs ; enfin l’Autre, quelle que soit sa religion, est en lui-même et tel quel, un enfant de Dieu.
À la mise en place du régime communiste (1949), tous les missionnaires quittent la Chine et se tournent alors vers l’Afrique, l’Océanie, les Antilles et l’Amérique latine. Les défis auxquels ils font face sont multiples. Trois cas sont exposés comme étant emblématiques, ceux du Congo, du Pérou et du Japon : dans le premier pays, les missionnaires découvrent une Afrique « naturellement » chrétienne où l’Esprit est déjà à l’oeuvre; confrontés à la théologie de la libération dans le deuxième, ils prennent conscience du sens politique de leur engagement religieux en faveur des pauvres et des Autochtones; et dans le troisième pays, les conditions étant peu propices à l’annonce de l’Évangile, s’éprouve en contrepartie un dialogue avec les autres traditions religieuses.
La mission s’est aussi transformée en s’adaptant à la société sécularisée, elle s’est tournée vers des projets de solidarité internationale, a idéalisé un Jésus plus incarné et valorisé l’autonomie spirituelle des missionnaires. En partageant leur expérience étrangère, les missionnaires québécois ont contribué à faire connaître les situations d’oppression, d’injustice et d’inégalité dans le Sud global ; et à élaborer une théologie fortement teintée de justice sociale.
L’ouvrage s’adresse sans doute au spécialiste – les expressions latines non traduites le laissent croire –, mais il intéressera et passionnera tous ceux – et je nous crois nombreux – qui ont eu un oncle ou une tante missionnaire à l’étranger.