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Pour qui veut comprendre et vivre au Québec et au Canada, ce livre tombe à point, au moment où le Parti libéral du Québec et le Parti québécois ont décroché de leur histoire et où une nouvelle dynastie Trudeau fait face à Ottawa au défi du maintien du « plus meilleur pays au monde ».

Le lecteur se demandera comment deux sociétés non fondées peuvent être refondées : le Canada, voulu en 1867 par quelques hommes politiques sous l’influence de l’Empire, et le Québec qui se cherche toujours un texte constitutionnel ou culturel fondateur. Ce même lecteur apprendra aussi que de grands penseurs ont fait évoluer la notion de nation, qu’un Québécois comprenait traditionnellement de façon substantialiste. Or, voici que Benedict Anderson a parlé de « nation imaginée » (1983), Eric Hobsbawm de « tradition inventée » (1990), Fernand Dumont de « référence construite » et Charles Taylor de la nécessité aujourd’hui de refonder des nations. Pourquoi, comment refonder, au Canada et au Québec?

Au Canada et au Québec, les perles du wampum constitutionnel se sont défilées : l’histoire ne peut plus se conter. Il faut d’autres perles, un autre wampum, avec une autre histoire. De binational qu’il se disait ou refusait de se dire, le Canada a accepté de se dire bilingue en certains lieux hors Québec, multiculturel et non pas biculturel, comptant sur la diversité pour en faire la preuve et s’en faire une réputation peut-être éphémère. Trudeau père, élu en 1968, a eu raison de Laurendeau et de sa Commission qui remettait son rapport à ce moment. Toujours au même moment, les États généraux du Canada français sciaient la branche sur laquelle celui-ci reposait. Au même moment le PQ était fondé, un parti pour qui l’histoire allait changer. Le Québec des Québécois, bientôt unilingue français, faisait place aux Amérindiens du territoire et aux immigrants d’un nouveau type, autre que celui des îles britanniques ou de la Méditerranée.

L’histoire allait pouvoir changer en 1980 avec un premier référendum à 40 % de Oui et 60 % de Non. Trudeau allait changer l’histoire canadienne à sa façon en 1982 en rapatriant unilatéralement la Constitution de 1967 et en y ajoutant une Charte libérale, élaborée pour faire valoir les droits individuels et ceux des minorités, la culture des ayants droit plutôt que la culture commune. Cette Charte allait devoir être souvent interprétée par les juges, à propos, par exemple, de la laïcité, ou des Premières Nations comme communautés dont le Canada promeut les droits collectifs, sans que la même logique puisse s’appliquer à la société québécoise.

Le premier ministre Mulroney a cru en 1987 que le verrou constitutionnel pouvait être levé. L’échec de Meech a refermé le verrou en 1990, celui de Charlottetown a donné un second tour de clé en 1992. Nouveau référendum au Québec en 1995 : 49,4 % de Oui, 51,6 % de Non, et deux gros mots de Jacques Parizeau.

Septembre 1997, la « Déclaration de Calgary », manifeste des provinces anglophones du Canada. Toutes les provinces sont égales, le Québec n’a rien de spécifique ou de distinct. D’éventuelles, mais peu probables négociations commenceraient là.

Entretemps, 8 millions d’immigrants sont arrivés au Canada de 1951 à 1998. Il faut imaginer la Suisse ou l’Autriche déménageant ici, dans un pays qui compte 37 millions d’habitants aujourd’hui.

Le défi de refondation concerne certainement le Canada, « l’autrui significatif » par excellence, mais il place implacablement le Québec dans un autre face à face historique avec lui-même. Les chapitres 10 et 11 sur le sens donné à la nation depuis les années 1990 font voir l’ancienneté et la répétitivité du défi. Lorsque réfléchissant au sens de la nation, Fernand Dumont mise sur une « culture de convergence autour du noyau mémoriel », de préférence à une culture civique commune qui lui paraît abstraite – même si la culture est toujours là avec les principes civiques qui l’éclairent politiquement –, le lecteur comprend bien qu’il n’y a pas de projet politique sans projet culturel. Lorsque Charles Taylor distingue entre une nation politique et une nation culturelle, identifiant le Québec à cette dernière, un historien des idées comprend qu’on rejoue une pièce de 1840 qui est toujours au répertoire politique du Québec : l’hésitation entre un nationalisme politique émancipateur et un nationalisme culturel conservateur de valeurs. C’est depuis un siècle et demi la hauteur de la barre à franchir : concilier culture ou mémoire et politique, concilier nationalisme à composante ethnique et nationalisme civique. Il n’y a pas que la mémoire qui flanche, la volonté aussi.

S’il y a bien une ambivalence séculaire dans le projet national des Québécois, Simon Langlois établit que l’indépendance a été depuis cinquante ans le projet d’une génération, celle des baby-boomers. L’analyse de 44 sondages entre 1995 et 2005 fait voir – c’est significatif pour la refondation – que l’appui à la souveraineté est plus fort qu’au seul Parti québécois et que la souveraineté-association est plus attirante qu’une souveraineté complète. Où mènerait cette « co-souveraineté »? Nous avons le don des formules alambiquées, porteuses de paradoxes, qui évitent d’être claires. Qu’on se souvienne de « Révolution tranquille ».

Comment les jeunes vont-ils refonder, eux qui se demandent : l’indépendance pour faire quoi? Eux qui ne sont plus marqués par l’infériorité économique des années 1960, qui tiennent la pérennité du français pour acquis. Pendant ce temps, leurs aînés ont misé sur « l’indépendance psychologique », tour de passe-passe qui consiste à ignorer la réalité canadienne.

Soucieux de refondation à amorcer, Simon Langlois met son lecteur à jour en ramenant à sa mémoire l’échec de Meech, en rappelant le livre bleu de Philippe Couillard Québécois, notre façon d’être Canadiens (2017) que Trudeau fils a rejeté sans l’avoir lu en descendant un escalier du Parlement canadien. Le blocage de la formule d’amendement dans un Canada multiculturaliste, c’est aussi cette image cavalière. Certes, la vie continue, comme l’écrit l’auteur. Mais quelle pourrait être cette fameuse politique de la reconnaissance dans laquelle on a mis beaucoup d’espoir pour sortir d’une histoire du pessimisme québécois qui va de Léon Dion critiquant l’École historique de Montréal à Pierre Vadeboncoeur, en passant par Fernand Dumont et d’autres? L’impasse est remarquablement cadastrée.