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Faisant suite à l’ouvrage Histoire de l’accouchement dans un Québec moderne publié en 2014, ce livre de la chercheuse Andrée Rivard s’attarde à la façon dont le rôle du père était représenté dans les ouvrages spécialisés, mais également à la mise en place des conditions de son absence ou de sa présence lors de l’accouchement, qui ont grandement varié au cours du 20e siècle. Le thème de la naissance est traité de façon large, Andrée Rivard ne se limitant pas à ce seul moment, mais également à la grossesse de la conjointe, ce qui est précieux, car « […] l’historiographie québécoise reste peu loquace concernant la question particulière de l’implication des pères au cours de la période périnatale et, comme ailleurs, le sujet est surtout abordé par la bande » (p. 12).
Si la période visée par cette étude s’étend de 1950 à 1980, le premier chapitre fait une bonne mise en contexte de la situation du père au début du 20e siècle, alors que l’urbanisation croissante change les rapports de genre et l’organisation de la famille. Les couples vivant en campagne s’organisaient autour d’une économie familiale, où le travail de la terre encourageait la venue de nombreux enfants et les sphères domestiques et de travail étaient moins clairement définies, toute la famille prêtant main-forte pour la moisson par exemple. L’accouchement se déroulant majoritairement à la maison, le père était « aux alentours », parfois dans la chambre même, selon les circonstances (p. 47).
Au cours du 20e siècle, la population migre dans les villes. L’Église réaffirme l’importance de la famille et les hygiénistes se joignent à ce discours de « […] l’inéluctable quatuor : mariage chrétien – amour entre les époux – joie de donner la vie – existence heureuse » (p. 30). Pour en arriver à former une famille saine, la préparation des futurs parents s’amorce dès le mariage, certains allant jusqu’à recommander des examens médicaux préalables à la conception… Dans la famille nucléaire moderne, les rôles « naturels » sont alors plus fortement cloisonnés selon les genres.
L’importance accordée à la santé publique s’accroît entre les deux guerres mondiales. Au début des années 1950, cela se traduit par une plus large proportion d’enfants nés à l’hôpital. L’accès universel gratuit à ce service fait qu’à partir de 1961, plus de 90 % des femmes accouchent à l’hôpital (p. 52). Or, cet établissement suit des protocoles précis qui impliquent une forte médicalisation de l’accouchement et excluent la présence du père au côté de sa conjointe. Citant des médecins qui se plaignaient de la présence familiale lors des accouchements à domicile, Andrée Rivard en conclut qu’« avoir les coudées franches en se soustrayant à la surveillance de la famille et, au premier chef, du mari est l’une des raisons qui a motivé les médecins à encourager les futures mères à se rendre à l’hôpital pour y accoucher » (p. 53). La chercheuse ne s’attarde toutefois pas aux autres raisons ayant pu motiver les médecins à préférer l’hôpital, dont celle de contrer les taux catastrophiques de mortalité des enfants canadiens-français des années 1920 et 1930.
La surmédicalisation de l’accouchement dans les années 1950, qui semble surréaliste aujourd’hui, et ces nouvelles normes d’exclusion des pères sont peu contestées à ce moment-là. Le futur père patiente dans la salle d’attente, fumant cigarette sur cigarette. Les couples ont intériorisé le fait que les pères ne serviraient à rien pendant l’accouchement, du fait de leur incompétence et de leur nuisance (p. 65).
Pourtant, les guides de préparation à la naissance de l’époque présentent le père idéal comme plus qu’un pourvoyeur : il doit soutenir la mère, malgré son inexpérience et ses maladresses en période postnatale (p. 39). Cette vision du père protecteur et généreux change graduellement au courant des années 1950, les pères ressentant le besoin de s’impliquer davantage, dès la grossesse de leur conjointe, et le féminisme naissant leur donnera de plus en plus de place. Les approches d’accouchement naturel développées par le Dr Read en Angleterre et le Dr Lamaze en France apparaissent au Québec, prônant « la joie partagée par la mère et le père […], l’importance accordée à la préparation à l’accouchement […] et des techniques corporelles de relaxation […] dans le but d’éviter les médicaments; et l’implication du mari justifiée par le besoin de soutenir physiquement et psychologiquement sa femme qui accouche » (p. 69). La diffusion de ces nouvelles idées se fait grâce à deux éducatrices prénatales : Trude Sekeley et Yvette Pratte-Marchessault qui ont publié plusieurs ouvrages sur la préparation à la naissance, dont un s’adressait directement au père, lui reconnaissant une place pendant la grossesse et l’accouchement. Ces livres mettent en exergue des pères exprimant des sentiments nouveaux : altruisme, estime réciproque entre parents, complicité, extase commune qui bouscule l’image de la masculinité virile (p. 78).
La promotion de ces idées et le désir grandissant des futurs parents d’être ensemble à la naissance font face à des résistances colossales dans le milieu hospitalier (p. 83). La chercheuse raconte quelques histoires rocambolesques où la police est venue déloger un père aux côtés de sa conjointe, et elle fait sourire lorsqu’elle cite une source affirmant que « […] les avocats auraient été particulièrement convaincants pour se faire admettre en salle d’accouchement » (p. 86). L’attitude du médecin est donc une « condition » pour que les pères puissent être présents, et les études du Dr Bradley aux États-Unis ont grandement contribué à faire évoluer les théories des Drs Read et Lamaze en donnant au père un rôle actif pendant l’accouchement et en les enjoignant de résister aux autorités. Il énumère plusieurs conséquences positives d’un père présent : réduction du temps de travail, liens conjugaux renforcés et relation familiale positive.
Dans les années 1970, les autorités sont de plus en plus ouvertes à la présence du père auprès de la mère, cet homme « […] naturellement capable de garder sa présence d’esprit en tout temps et de contrôler ses émotions » (p. 101). Le futur père devient alors un moniteur, responsable du calme de sa conjointe en douleur. Ce grand ballet natal sous la gouverne du médecin chef d’orchestre place la pression de la docilité sur les épaules des femmes, et empêche le père d’exprimer toute la nuance de ses émotions (répulsion, fatigue, conflits).
Cet encadrement étroit des rôles explique la popularité de la publication du Dr Leboyer en 1974 qui met beaucoup l’accent sur des conditions paisibles pour une naissance sans violence, confirmant aux parents que « la naissance est bien plus qu’un acte médical, il s’agit d’un événement humain méritant que chaque protagoniste soit pleinement considéré et respecté : mère, père et enfant » (p. 139). Toutefois, les praticiens restent réfractaires à l’idée de changer les protocoles et les espaces d’accouchement. À la fin des années 1970, deux hôpitaux créent, avec difficultés, des chambres de naissance. Malgré la popularité de ces nouveaux lieux, ils seront fermés peu après. Mais les idées des médecins Read, Lamaze, Bradley et Leboyer ne s’effaceront pas et le désir des parents mènera, dix ans plus tard, à l’arrivée des premières maisons de naissance; puis, au début des années 2000, aux possibilités d’être accompagnés par une sage-femme lors d’un accouchement à domicile, multipliant les types d’accouchement.
Ainsi, l’ouvrage s’attarde principalement aux pères des années 1950 à 1980. Étant donné qu’il inclut aussi une mise en contexte depuis le début du 20e siècle, il aurait été intéressant d’avoir quelques paragraphes sur les quarante années qui ont suivi, menant aux pères d’aujourd’hui. Les extraits d’entrevues sont rares, la méthodologie de la recherche se basant davantage sur une recherche documentaire fouillée. Les notes sont placées à la fin de l’ouvrage, ce qui n’en facilite pas la lecture, mais étant donné leur pertinence (elles vont au-delà d’un enrichissement de la bibliographie), elles sont essentielles au propos soutenu par l’auteure. Pour conclure, ce livre d’Andrée Rivard comble un manque au Québec en étant l’un des rares à se pencher sur les pères du 20e siècle. De plus, il est d’une écriture accessible et agréable, présentant plusieurs images et photographies qui illustrent bien le sujet.