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Introduction et problématique

Au cours des dernières années, la collaboration, l’apprentissage collaboratif, la co-construction des connaissances (Kleinetal., 2015) et le croisement des savoirs (Fontan, Klein et Bussières, 2014) ont suscité de plus en plus d’intérêt, tant dans les entreprises que dans les milieux d’enseignement. Ce mouvement s’inscrit dans un contexte où nombre de théories mettent en avant l’idée que les solutions les meilleures et les plus innovantes prennent leur source dans la diversité (des personnes et de leurs apports), dans la collaboration, l’échange, la co-construction des connaissances. C’est le cas notamment des théories sur les grappes industrielles (clusters) et de celles concernant les communautés de pratique (Tremblay, 2005, Tremblay et Psyché, 2014). Notre article interroge la montée de la recherche partenariale ou collaborative (RPC) aux côtés de la recherche universitaire « classique ». Nous nous demandons dans quelle mesure la pratique de la recherche partenariale contribue à l’émergence de processus de collaboration, de médiation, de partage de connaissances, voire de « co-construction » de connaissances, et quels en sont les dynamiques particulières, les freins et les éléments facilitateurs. Notre recherche se distingue en ce qu’elle intègre des cas relevant des sciences dites pures alors que la littérature sur le sujet se concentre presque uniquement sur les sciences sociales. Nous proposons aussi d’étudier la RPC en nous inspirant du modèle et de la théorie des communautés de pratique (CdP), ce qui constitue un autre aspect original de notre démarche. Comme les communautés de pratique, la recherche partenariale vise à favoriser une collaboration continue et engagée de personnes provenant de divers milieux, en l’occurrence ceux de la recherche et de la pratique ou du terrain, cette diversité étant posée comme source de co-construction de connaissances et d’innovation (Tremblay, 2005, Tremblay et Psyché, 2014).

L’étude du processus de construction et du déroulement du partenariat dans le cadre de divers programmes de recherche partenariale fondés sur la participation d’acteurs de milieux divers (la pratique en développement local notamment, cf. Kleinet al, 2015; Fontan, 2010) nous a amenées à nous intéresser aux freins et éléments facilitateurs associés aux contextes différents dans lesquels travaillent les participants, ainsi qu’aux rôles différents qui sont les leurs dans le cadre de la recherche partenariale-collaborative (RPC). Nous montrerons que ces différences de rôles, de contextes, de temporalités, d’identité peuvent expliquer les difficultés de mise en place d’échanges entre les divers milieux (universitaire, communautaire, syndical, ou autres), mais qu’elles sont également à l’origine des principales dynamiques de co-construction de nouvelles connaissances et du passage du couple « description-compréhension » au triptyque « description-analyse-prescription/recommandation ». La problématique théorique qui nous paraît la plus pertinente pour analyser ce phénomène de la recherche partenariale et de la co-construction des connaissances est celle des communautés de pratique (CdP), que nous exposons donc dans les paragraphes qui suivent, avant de passer aux origines de la RPC, à la méthodologie de la recherche et, enfin, aux résultats.

Les communautés de pratique comme cadre théorique

Depuis que nous avons commencé à étudier la RPC, il nous est apparu pertinent d’utiliser le concept de communautés de pratique pour ancrer théoriquement nos analyses, et situer la RPC dans une problématique de développement de la collaboration et de l’apprentissage collaboratif en milieu de travail de manière générale. Ce faisant notre article contribue à la littérature existante, qui est souvent de nature plus descriptive.

Le concept de communauté de pratique (CdP) se définit comme « un groupe de personnes ayant en commun un domaine d’expertise ou une pratique professionnelle, et qui se rencontrent pour échanger, partager et apprendre les uns des autres, face à face ou virtuellement » (Lave et Wenger, 1990). Habituellement, les membres d’une communauté sont reliés par un « intérêt commun dans un champ de savoir et […] un désir et un besoin de partager des problèmes, des expériences, des modèles, des outils et les meilleures pratiques » (APQC, 2001, p. 8). C’est en échangeant et en partageant des informations que les membres apprennent les uns des autres (Lave et Wenger, 1991). Pour nous, ils réalisent alors un processus de « co-construction » des connaissances similaire à celui que l’on l’observe dans un processus de RPC, et nous avons donc étudié le processus de RPC à partir du cadre des CdP. Notons également que la CdP, comme la RPC, est influencée par son environnement, tout comme elle peut aussi être influencée par le contexte culturel, économique et politique dans lequel elle baigne, environnement qui peut être plus ou moins favorable au développement ou à la co-construction des connaissances (Wenger, McDermott et Snyder, 2002a, b).

Les origines de la recherche partenariale-collaborative (RPC)

Qu’on les nomme « recherches appliquées », « recherches collaboratives » ou « recherches partenariales », les fondements des recherches dont les partenaires proviennent de milieux différents (universitaire, communautaire, syndical, ou autres) remontent à la naissance des facultés d’enseignement supérieur au 19e siècle (Fontan, 2010). Bien que ce type de recherche implique, en principe du moins, « un niveau important de coopération entre partenaires dans le processus même de production des connaissances » (Audoux et Gillet, 2011), on constate toutefois que le degré de coopération est variable (Gagné, 2008). Nous avons observé, en effet, différents degrés de coopération entre chercheurs et acteurs des milieux sociaux dans la création et la réalisation de projets de recherche partenariale (Tremblay et Psyché, 2014). Dans certains cas, notamment dans les domaines des sciences et technologies, le partenariat peut prendre des formes s’approchant de la commandite.

En effet, la recherche partenariale-collaborative (RPC) prend des formes diverses : recherche universitaire avec des partenaires-collaborateurs, recherche-action, recherche-intervention, recherche collaborative, recherche participative, recherche partenariale (incluant si possible co-apprentissage et co-construction des connaissances), et d’autres encore (Gillet et Tremblay, 2017; 2011a, b).

La RPC est de moins en moins « marginale ». Au Québec, les projets de recherche partenariale à finalité sociale ont émergé dans le cadre d’une forme de militantisme universitaire. L’Université du Québec, qui lors de sa création en 1969 se voulait une université favorisant l’accessibilité et la démocratisation du savoir, avait créé le Service aux collectivités (SAC) visant à travailler avec la communauté en général, ou la société. Dans la foulée, d’autres bureaux de liaison universitaire ont commencé à répondre aux demandes provenant notamment de syndicats, d’organismes communautaires et de développement local. Puis, en 1984, le ministère de l’Éducation du Québec a instauré le Fonds des services aux collectivités visant à subventionner des projets de recherche partenariale ou collaborative (Gillet et Tremblay, 2017; 2011a, b).

Par la suite, le programme des Alliances de recherche universités-communautés (ARUC) du CRSH a posé l’hypothèse que les établissements postsecondaires et les organismes communautaires, syndicaux ou associatifs, en collaborant à la recherche en tant que partenaires égaux, peuvent susciter ensemble la production de nouvelles connaissances et améliorer la satisfaction des besoins des communautés (Gillet et Tremblay, 2017; 2011a, b). La RPC s’inscrit dans une problématique de recherche visant à développer la collaboration, le travail en commun, comme dans les communautés de pratique (Tremblay, 2005). On peut s’interroger sur les motifs pour lesquels on cherche à favoriser la RPC. D’une part, certains considèrent que c’est à l’échelle locale ou régionale qu’on peut le mieux aborder les problèmes sociaux (Kleinet al, 2015; Fontan, 2010), car les acteurs du milieu ont souvent une excellente compréhension des besoins de leur communauté. Les organismes communautaires et les organismes bénévoles représentent ainsi une importante source de compétences et d’innovations fondées sur l’expérience pratique. Ainsi, même si les programmes ARUC et d’autres programmes réunissent des acteurs et chercheurs nationaux, voire internationaux, chacun des chercheurs travaille généralement avec des acteurs locaux (syndicats, associations socio-économiques ou autres). Dans le domaine des sciences et technologies, par exemple, c’est aussi l’accès aux terrains naturels (la forêt dans un des cas étudiés) qui conduit au rapprochement des chercheurs et des partenaires d’entreprises.

Le but des alliances entre des organismes communautaires ou des entreprises et des établissements postsecondaires est donc explicite : il s’agit de permettre la production de nouvelles connaissances, de nouveaux outils et de nouvelles méthodes visant à élaborer les meilleures connaissances ou stratégies possibles concernant divers aspects de l’intervention, de l’action, de la prestation des programmes et de l’élaboration des politiques (Gillet et Tremblay, 2017; 2011a, b).

La RPC est toujours minoritaire au sein des universités québécoises, canadiennes et internationales, mais elle s’est tout de même institutionnalisée dans plusieurs universités et, dans une certaine mesure, dans la société, grâce à la multiplication de programmes de recherche partenariale (ARUC, Cifre, Services aux collectivités de l’université du Québec, etc.) (Gillet et Tremblay, 2017; 2011a, b).

Méthodologie

Sur le plan méthodologique, comme nous souhaitions décrire et comprendre le processus de RPC, nous avons retenu l’idée d’une étude de cas portant sur un établissement universitaire regroupant diverses disciplines afin de ne pas nous limiter aux sciences sociales, qui font l’objet de la plupart des travaux concernant la recherche partenariale. Notre étude couvre donc plusieurs disciplines, à l’exclusion toutefois de disciplines comme le droit ou la médecine, qui apparemment sont moins concernées par ce type de recherche (Gillet et Tremblay, 2011a, b). Pour cibler les candidats et tracer un portrait général de la recherche partenariale dans l’établissement retenu, nous avons d’abord consulté les sites Internet personnels des professeurs ainsi que ceux de l’établissement étudié. Puis, nous avons eu recours aux bases de données de l’établissement sur les projets de recherche financés, afin de relever plusieurs informations concernant les recherches, dont le nom du chercheur, le titre, le montant alloué, la durée du projet, les partenaires, le nombre de chercheurs ainsi que les types de financement accordés. Ces informations ont pu être validées par les professeurs qui ont participé à notre recherche, et nous ont permis d’identifier certaines recherches menées en partenariat. Ensuite, nous avons procédé à l’envoi d’énoncés à compléter par courriel afin de recueillir des informations de base sur la recherche partenariale telle que pratiquée dans cet établissement (voir le tableau 1).

Tableau 1

Sommaire des énoncés envoyés par courriel aux participants

Sommaire des énoncés envoyés par courriel aux participants

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Les répondants ont répondu aux questions envoyées par courriel entre octobre 2014 et janvier 2015. Au total, nous avons obtenu quatorze répondants au questionnaire sur les 60 personnes contactées par courriel, soit un taux de réponse de 25 % environ. Dans ce groupe de répondants, trois provenaient du domaine de l’éducation, quatre des sciences et technologies, deux des sciences humaines et cinq des études urbaines et administration. Cette méthode nous a permis d’obtenir de manière plus précise des données quantitatives et quelques informations qualitatives, et de tracer ainsi un portrait général de la RPC au sein de l’établissement étudié.

Dans un deuxième temps, afin de mieux comprendre la nature de la recherche partenariale ainsi que la manière dont elle est pratiquée, nous avons recueilli des données qualitatives. Pour ce faire, nous avons réalisé des entrevues auprès de professeurs menant des recherches partenariales dans les quatre champs disciplinaires évoqués plus haut. Aux fins de traitement et d’analyse, les entrevues furent enregistrées et retranscrites. Nous avons ainsi obtenu huit transcriptions que nous avons soumises à une analyse thématique. Ces dernières nous ont permis de compléter l’analyse fondée sur les 14 ensembles de données quantitatives et ainsi de répondre aux questions concernant les liens entre pratique et recherche, les effets des acteurs sur la recherche menée, la réflexivité, la possibilité et les méthodes de co-construction des connaissances, etc. Soulignons que pour fins d’anonymat, nous avons nommé les chercheurs ADM1, ADM2..., ÉDU 1, ÉDU2..., ST1, ST2..., et SLC1, SLC2..., désignations dont les lettres correspondent au secteur d’appartenance (ADM pour Administration, ÉDU pour Éducation, ST pour Science et Technologie et SLC pour Sciences humaines, Lettres et Communications), et dont les chiffres servent à distinguer les chercheurs entre eux, notamment aux fins de l’analyse transversale. Le masculin a été employé pour tous les chercheurs dans le même but d’assurer l’anonymat de chacun.

La définition de la recherche partenariale-collaborative : des terminologies et des définitions différenciées

Douze des quatorze répondants nous ont précisé le type de recherche réalisé dans le cadre de recherches que nous avions qualifiées de partenariales ou collaboratives. On constate une diversité de termes employés dans chaque domaine (on trouve notamment le Design based research, la recherche-développement, la recherche participation-action, etc.), mais plusieurs participants font aussi référence à des recherches de type appliqué, puis partenarial et collaboratif (voir le tableau 2).

Tableau 2

Types de recherche partenariale effectués par les participants selon le domaine de recherche

Types de recherche partenariale effectués par les participants selon le domaine de recherche

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L’analyse nous a permis d’identifier les caractéristiques principales de la RPC selon les répondants. D’abord, on évoque la présence à la fois de chercheurs universitaires et de partenaires provenant de différents milieux de pratique autres qu’universitaires. Un professeur en EUA (Études urbaines et administration) souligne notamment la participation de partenaires provenant de syndicats, PME, milieux associatifs et autres organismes. Un professeur du secteur de l’éducation mentionne que la recherche partenariale est une recherche menée « avec des partenaires d’ailleurs que de la recherche (des organismes communautaires, des organismes publics), mais qui ne sont pas a priori des chercheurs, qui ne sont pas du réseau universitaire ». D’autres mettent en évidence la participation et l’interaction avec les partenaires non universitaires à différents moments du projet (construction du projet, analyse des données, diffusion, etc.) comme étant la caractéristique fondamentale de la recherche partenariale. D’ailleurs, à ce sujet, un professeur souligne qu’il existe divers niveaux d’intensité de partenariat, certains partenaires travaillant étroitement avec les chercheurs tout au long de la recherche alors que d’autres sont surtout présents au début du processus pour en définir les objectifs et les méthodes et en identifier les répondants ou participants. Ils sont moins présents par la suite, et se contentant d’attendre les résultats ou le rapport. Un autre professeur du secteur EUA affirme pour sa part que les partenaires sont « considérés par les chercheurs comme des personnes qui peuvent collaborer à développer les connaissances, donc pas simplement comme des objets de recherche ». Il semble donc que le rôle des partenaires varie selon le sujet de recherche et selon la familiarité des partenaires avec les méthodes de la recherche universitaire et leur degré de connaissance du sujet. Certains sont davantage praticiens, ou acteurs de terrain, alors que d’autres ont aussi une formation universitaire et ont déjà fait de la recherche, de sorte qu’ils sont plus actifs et s’intègrent davantage à l’équipe de recherche.

L’origine du thème de recherche varie d’ailleurs selon les cas. Alors que certains chercheurs soulignent que ce sont eux qui vont vers les partenaires pour leur proposer une collaboration, d’autres mentionnent que ce type de recherche peut partir d’un besoin provenant « des utilisateurs, des praticiens [et] des personnes qui vivent au quotidien des questions auxquelles ils souhaiteraient répondre pour améliorer des pratiques ». Il arrive donc que certains acteurs de terrain contactent les chercheurs universitaires, bien que l’inverse soit plus fréquent.

En ce qui concerne les aspects financiers, si certains évoquent des programmes de recherche prévus pour la recherche partenariale, voire l’obligation d’avoir des partenaires dans certains programmes de financement canadiens, d’autres soulignent qu’il peut arriver que les partenaires non universitaires partagent les coûts de la recherche. Il semble qu’il y ait plus souvent contribution financière externe en sciences et technologies qu’en sciences sociales ou EUA, quoique certains travaux en EU soient parfois financés par une municipalité, un organisme de développement local (mais peu de financement est apparemment disponible, du moins pour les sujets traités par ces chercheurs EU). Selon un professeur en sciences et technologies, il semble que les financements externes s’ajoutent assez souvent aux financements des organismes subventionnaires du domaine : « Ce sont des recherches où un organisme externe (entreprise, association, institution d’enseignement) finance en tout ou en partie la recherche et fournit de son personnel pour interagir avec l’équipe de recherche. »

Nous avons consigné les définitions des chercheurs concernant la RPC dans le tableau 3, qui illustre cette diversité des modalités de recherche évoquée plus haut.

Tableau 3

Définitions de la recherche partenariale par les chercheurs

Définitions de la recherche partenariale par les chercheurs

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Le rôle des partenaires

Dans leur définition du partenariat, nombre de chercheurs font ressortir l’importance de l’implication du partenaire ainsi que des interactions entre chercheurs et partenaires universitaires à diverses étapes de la recherche (voir le tableau 3). Toutefois, cette participation est généralement forte à l’étape de la définition du projet, parfois moins par la suite :

En principe effectivement, ils devaient participer vraiment à partir du début jusqu’à la fin de la recherche : au début pour fixer les objectifs, pour préciser des lieux où on pourrait éventuellement mener la recherche, des lieux de terrain. La méthodologie, ils ont un petit peu collaboré, mais ça je pense que de manière générale, selon mon expérience, les partenaires ont plutôt tendance à laisser aller les chercheurs, […]. Donc, on fait du qualitatif, on fait du quantitatif selon les cas. D’ailleurs, je dirais que la plupart des partenaires sont plus à l’aise avec du qualitatif. Le quantitatif, ils laissent vraiment aller les chercheurs parce qu’ils ne sont pas nécessairement toujours très à l’aise avec ça. La rédaction de la demande, je pense que ça revient généralement plus au chercheur. On présente aux partenaires et les partenaires réagissent, mais c’est assez rare qu’ils vont rédiger comme telle une demande, ou alors ils vont peut-être nous proposer un petit paragraphe, genre « On aimerait bien travailler là-dessus ». […] Là où les partenaires sont très présents, c’est généralement dans la sélection des cas, la sélection des terrains, où est-ce qu’on va regarder? Qu’est-ce qu’on va étudier? Bien évidemment, dans les milieux syndicaux ou communautaires, par exemple, ils connaissent des milieux de travail qui sont peut-être plus propices pour une recherche sur un sujet ou un autre.

ADM1

On note donc un degré de collaboration variable, aux diverses étapes de la demande, selon l’expertise des partenaires du terrain et l’intensité de leur engagement. Les professeurs responsables de la recherche sont souvent les principaux responsables, surtout pendant la phase de collecte de données, comme l’indique cette citation :

Et après ça, c’est ponctuel, à l’occasion. Il y a parfois justement des rapports ou des données qui sortent, puis ils les ont communiqués. Autrement, le projet était entre mes mains et il s’agissait de le faire avancer en même temps... c’est une marque de confiance...

ST1

La collaboration est toutefois importante pour l’établissement des contacts dans le milieu qui fait l’objet de la recherche :

Nous on n’aura pas accès à des listes pour les rejoindre, mais l’objectif c’est que les personnes aient accès à notre questionnaire en ligne à partir des sites web, des infolettres des principales instances syndicales; donc c’est un peu ça notre façon de collaborer à ce niveau-là. Et après une fois que la collecte sera faite, ça va être notre travail de chercheurs de travailler sur les données, tout ça, puis de présenter les résultats au comité de suivi.

ADM2

Si les partenaires semblent généralement peu enclins à participer à l’élaboration des outils, à la réalisation de la recherche comme telle, voire même à l’analyse, ils tiennent généralement un rôle actif dans le suivi de la réalisation de la recherche (modalités de gouvernance, suivi du projet par un comité par exemple), pour valider les résultats, affiner l’analyse, participer à la discussion, à l’interprétation des données, ainsi que pour valoriser les produits de la recherche.

Le partenaire ne participe pas à l’analyse, ce n’est pas lui qui va faire l’analyse statistique, c’est clair. Mais quand on va arriver avec nos résultats, nous par exemple, on va dire : telle variable… Ils vont nous alimenter en termes d’explications. […] Alors c’est en termes d’interprétation qu’ils vont contribuer à donner ou à préciser le sens, à l’interpréter plus qu’à l’analyser.

ADM2

Le partenariat revient à l’avant-scène et des ateliers […] sont prévus [pour la] présentation et [la] discussion des résultats. Puis on l’a conçu à la base comme étant non pas comme une étape finale, mais pré-finale, dans le sens où on va soumettre les résultats pour discussion et, le cas échéant, revoir donc les résultats à la lumière de ce que les acteurs invités à discuter auront à soumettre, leurs réactions.

ÉDU1

Comme nous l’avons noté précédemment, la participation varie selon les projets, les partenaires étant moins présents parfois au moment de l’analyse, mais davantage au moment de la diffusion des résultats, comme l’indiquent ces citations :

Les partenaires sont rarement très, très présents, même à l’analyse, […]. Je pense qu’ils attentent plutôt un rapport préliminaire et là ils vont commenter, valider, etc. Et là où ils sont très présents en général, c’est à la phase de transfert, c’est-à-dire [qu’] ils vont souhaiter avoir des produits lisibles, compréhensibles par leur milieu, donc qu’il y ait vraiment un transfert vers le public, que ce soit un syndicat, un organisme communautaire, une entreprise, une association professionnelle.

ADM1

Puis, aussi, toute la question de la diffusion des résultats de recherche […] On va les solliciter parce qu’une fois que la recherche est terminée, on veut faire connaître les résultats, et de la même façon, on va leur demander […] ce qu’ils nous proposent pour relayer ces informations. Ça peut aussi être […] qu’on développe des outils de transfert accessibles via leurs sites web, etc.

ADM2

Dans deux des cas étudiés, la participation des partenaires ne s’est pas limitée aux étapes initiales et finales de la recherche, mais a pris la forme d’une participation à l’analyse des données et à la construction des connaissances, et notamment à l’interprétation des résultats. Dans ces deux cas, ce partenariat plus intense s’explique notamment par la présence de professionnels-chercheurs au sein de l’organisme partenaire. Il s’agit ici de diplômés universitaires qui ont l’expérience de la recherche et peuvent plus facilement intervenir aux différentes étapes de la recherche. D’ailleurs, les chercheurs soulignent que bien souvent la participation des praticiens qui n’ont pas ce type de formation est moins forte, faute d’expertise ou même d’une bonne compréhension de leur rôle en tant que partenaire :

Ils nous font assez confiance. C’est pour ça qu’ils cherchent à développer des partenariats avec nous, parce qu’ils savent que nous avons l’expertise et pas eux. Sinon ils feraient le travail eux-mêmes.

ST1

Il faut mentionner que certains acteurs de terrain souhaitent participer à toutes les étapes de la recherche, et que les chercheurs souhaitent qu’ils participent le plus possible afin d’apporter leur expertise aux diverses étapes.

Pour moi la recherche partenariale, ça serait vraiment la recherche où il y a participation des partenaires de recherche ou des praticiens avec les chercheurs. Idéalement, à toutes les étapes de la recherche. En fait, je me rends compte que c’est bien idéaliste; si je regarde la plupart des gens qui font de la recherche dite partenariale, je vois bien que c’est assez rare que les praticiens ou les partenaires participent vraiment à toutes les étapes, mais disons qu’idéalement ils participent le plus possible. Ils sont en tout cas considérés par les chercheurs comme des personnes qui peuvent collaborer à développer les connaissances, donc pas simplement comme des objets de recherche.

ADM1

Il y a d’ailleurs parfois des maillages très serrés entre l’industrie et l’université, comme cela peut aussi se produire avec d’autres acteurs de terrain.

Des fois il y a des plénières [auxquelles] ils vont participer. Ils sont invités à la plénière comme participants, comme conférenciers. Absolument. […] Même moi, j’ai déjà fait une présentation conjointe avec mon partenaire de l’entreprise. On fait ça vraiment. C’est un maillage très, très serré entre l’industrie et le chercheur. Donc, les besoins sont les mêmes. Donc, absolument, oui. Puis il y a des gens, comme je disais, il y a des chercheurs au ministère ou encore des décideurs qui vont venir présenter ou assister aux conférences.

ST1

En bref, la présence des collaborateurs des milieux sociaux est généralement plus forte à la fois au départ, dans la définition de l’étude et du devis, et à la fin, à la dernière phase de validation des résultats, de réalisation du produit et du transfert, et ce, tant en sciences et technologies qu’en sciences sociales et d’autres domaines.

Nous avons pu constater que la recherche en études urbaines est influencée par les problématiques posées et rencontrées par les acteurs des territoires, comme elle l’est par d’autres problématiques et d’autres acteurs dans les autres domaines. Les acteurs des territoires attendent de la recherche qu’elle éclaire l’action, et parfois qu’elle permette de déconstruire la vision dominante de l’action publique territoriale et de remettre en question les pratiques et les décisions des gouvernements, comme c’est le cas récemment du fait de la profonde réorganisation des acteurs territoriaux réalisée par le gouvernement du Québec. Bien que celle-ci soit récente (2015), les chercheurs en études urbaines et développement local voient leurs travaux comme une manière de répondre à ces évolutions, ou parfois de les critiquer.

La nature des connaissances produites en recherche partenariale

Bien que les partenaires non universitaires ne participent pas toujours à l’analyse des données et à la rédaction des rapports, ils participent généralement à l’interprétation et à la discussion des résultats, et de ce fait, tous les chercheurs affirment que la nature des connaissances est différente des recherches classiques et que le processus de la recherche partenariale s’apparente à de la co-construction de connaissances, de savoirs et parfois même de pistes d’action. Les acteurs de terrain considèrent ainsi que la RPC répond mieux à leurs besoins, qu’elle permet de mieux contextualiser les connaissances produites, en raison de l’engagement direct des acteurs de terrain aux diverses étapes. Elle permet aussi aux acteurs de terrain de participer à l’interprétation des résultats et d’enrichir ainsi les connaissances, tout en participant à la diffusion des résultats et aux transferts des connaissances vers les milieux de travail ou de pratique.

Pour faciliter le processus de transfert et de diffusion des connaissances, comme un chercheur l’a mentionné, les milieux communautaires ont créé des supports de communication (par exemple, pièces de théâtre, colloques, conférences). Il est en effet reconnu en recherche partenariale que la participation à la diffusion et au transfert des connaissances implique une réécriture des documents de présentation des résultats ou du mode de présentation orale, et ce, « afin de rendre la connaissance utile et utilisable par les clientèles visées » (Sutton, 2007, p. 7).

En lien avec la dernière raison évoquée, un chercheur a souligné que « [s] i les apports de chacun peuvent être différents, ils n’en participent pas moins à l’oeuvre d’ensemble. Au regard de notre expérience, ce respect et cet appel à la contribution de chacun ont rendu possible un certain détachement individuel au profit d’une construction collective » (Gagné, 2008).

Les citations qui suivent résument la perception des chercheurs participant à notre recherche quant à la spécificité des connaissances produites en situation de recherche partenariale. Nous avons constaté que la plupart y voient des possibilités de produire des connaissances qui sont plus près des besoins des partenaires, du monde social ou de l’entreprise, mais que l’intervention des partenaires dans cette production de connaissances varie selon les cas.

Il faut reconnaître que ce sont plutôt les chercheurs et les étudiants qui produisent les connaissances sauf lorsque les partenaires sont des personnes très scolarisées ou que ce sont presque des chercheurs eux-mêmes, ou qu’ils ont un doctorat. Alors c’est vrai que dans certains milieux, ça peut arriver. Ça arrive parfois dans les milieux syndicaux, ou municipaux, si quelqu’un est au service de la recherche, effectivement, cette personne-là a une bonne formation. Dans certains cas ces personnes font de la recherche elles-mêmes. Donc, ces personnes-là, on peut dire qu’elles coproduisent, oui elles interviennent davantage. Alors je pense que ça dépend beaucoup du type de partenaire.

ADM1

Certains mettent en avant l’importance de la co-construction des connaissances :

Le partenariat revient à l’avant-scène et des ateliers qui sont prévus de présentation et de discussion des résultats. [...] Puis ça, j’y tenais. Je voyais ça comme une occasion de co-construction [...], de partenariat. De soumettre les résultats puis de recueillir des points de vue puis nuancer peut-être certaines choses. Pas nécessairement cacher des choses parce qu’on sort les résultats. Mais ensuite on peut en avoir une compréhension partielle de certains éléments que les partenaires puis d’autres acteurs informateurs clés peuvent nuancer. Donc, il y a une phase qui est prévue d’ateliers qu’on va tenir à la fin du projet, pourvu qu’ils veuillent participer aussi [...]

ÉDU1

D’autres soulignent le fait que la RPC permet de se rapprocher des besoins des acteurs du milieu partenaire de la recherche :

Alors la nature des connaissances produites est-elle différente? Je dirais oui à certains égards elle va être différente parce que pour moi elle est très ciblée sur des besoins des partenaires. Donc, on s’assure aussi d’une certaine façon de répondre à des objectifs plus de partenaires que de développement scientifique. Bien que le développement scientifique il est là, parce qu’il est là, mais je dirais nous, notre recherche, on est parti de ce que la science, la littérature dit, mais, peut-être que l’attention qu’on va accorder à certaines variables sont plus de l’ordre du terrain et du contexte… Oui je dirais pour terminer que […] les connaissances qui sont produites sont davantage contextualisées et répondent plus aux objectifs du terrain.

ADM2

Les avantages de la recherche partenariale

Cette analyse nous a permis de faire ressortir une diversité d’avantages de la RPC pour les acteurs du milieu comme pour les universitaires, notamment : apport de réponses à des besoins pressants, accès à des experts à faible coût, amélioration des pratiques, partage mutuel des connaissances, caractère interdisciplinaire de la recherche entrainant la possibilité de percevoir plusieurs dimensions d’une situation ou d’une recherche et donc d’atteindre une plus grande précision dans la définition des objectifs de la recherche et l’interprétation des données. Le chercheur SLC1 souligne la possibilité de « multiplier les regards sur un même objet ou sur un même sujet », ajoutant que la recherche partenariale permet d’apporter de la « sensibilité aux données ou de présenter les données de manière plus intéressante ». Le chercheur EDU1 souligne que « le partenariat aussi ça donne accès à un terrain plus riche [...] parce qu’en même temps on se plonge dans un champ de relations [...] ». Un troisième (ADM1) ajoute :

C’est facilitant dans le sens où vous avez déjà quelque chose qui est préétabli pour faire connaître vos résultats. Puis vous savez que vos résultats vont arriver à des personnes qui en ont besoin. Ça nous permet de s’enligner à chaque fois. C’est parce que le terrain c’est ça, nous on n’a pas de formation dans le domaine. Il y a pas mal de questions, […] mais c’était important pour nous aussi de comprendre certaines dynamiques internes et ça je trouve que c’est précieux.

ADM2

Parmi les autres avantages cités, on évoque le fait que la participation des acteurs locaux amène les chercheurs à remettre en question leurs concepts et théories. Pour leur part, les chercheurs incitent les praticiens à s’interroger sur leurs actions passées et à venir, à développer une certaine réflexivité dans leurs pratiques professionnelles. Ainsi, il semble bien y avoir possibilité de co-construction de savoirs théoriques et pratiques, mais cela ne se fait pas automatiquement. Un certain nombre de conditions, financières, temporelles et d’autres plus difficiles à saisir (construction de la confiance, etc.), doivent être réunies pour que la recherche partenariale puisse s’effectuer et fournir les avantages attendus.

Les difficultés rencontrées en recherche partenariale

Quant aux difficultés, les chercheurs soulignent qu’il est parfois un peu difficile de concilier les attentes des partenaires avec celles des chercheurs universitaires. À ce propos, la question du temps et des échéanciers apparaît un enjeu fondamental dans la recherche partenariale. Plusieurs chercheurs évoquent que les partenaires espèrent souvent obtenir rapidement un produit ou des connaissances alors que le rythme du travail à l’université ne le permet pas toujours, parce que l’on veut non seulement s’assurer de prendre le temps de bien valider les résultats mais que l’on doit aussi former des étudiants à la recherche :

Ce qui est difficile […] parfois, c’est qu’on n’a pas la même temporalité : les chercheurs doivent former des étudiants et les partenaires sont de manière générale très, très occupés dans leur milieu de travail et parfois peu disponibles pour les rencontres. Parfois certains partenaires veulent les résultats de la recherche, presque avant même qu’elle ait commencé. […] D’autre part, on a une fonction de formation des étudiants, ça prend plus de temps que s’ils donnaient une commandite à une organisation. Par contre, de manière générale, ils sont conscients qu’ils vont avoir de meilleurs résultats, et puis qu’il y aura effectivement un travail de collaboration plus soutenu, alors que s’ils allaient avec des consultants… Donc c’est vraiment, je pense, la dimension du temps qui est difficile.

ADM1

Des fois ils poussent un peu. Ils ont besoin de réponses puis là on dit : « Wow… Le turn-over n’est pas si rapide que ça ». Souvent ils font affaire avec des laboratoires privés. Eux ils font juste ça. Juste, juste ça. Mais là il faut qu’ils réalisent que nous on est des profs. On a une expertise que les labos n’ont pas. […] C’est pour ça donc qu’ils passent à travers le réseau universitaire, mais pour ça ils doivent comprendre qu’on donne des cours. […] Donc, moi j’essaie de concilier mon travail avec les besoins aussi de l’industrie, mais si je veux que les projets soient renouvelés, évidemment, on doit répondre le plus rapidement qu’on le peut aux grands patrons parce que c’est eux qui donnent l’aval à un projet ou pour le renouvellement.

ST1

D’autres chercheurs (ÉDU2, ÉDU3) mentionnent certaines difficultés conjoncturelles ayant des répercussions sur les projets à court ou à long terme. Par exemple, les changements de partenaires en cours de route en raison de nouvelles affectations au travail, le manque de temps des uns et des autres à des moments précis, la perte d’étudiants associés au projet, ainsi que les changements concernant les lois et programmes qui affectent certains aspects de la recherche :

On a changé de directeur et le nouveau ne voulait pas entendre parler de ça. Donc pour ça je parlais du risque, soit que le partenaire nous fausse compagnie ou […] que, tout d’un coup, il soit dans l’incapacité de tenir ses engagements pour une raison ou pour une autre, ou qu’il demande une modification qui est intenable pour nous. Enfin, bref, le risque est important.

EDU2

Par ailleurs, certains chercheurs ont indiqué que les partenaires s’impliquent parfois moins, surtout lorsque les projets sont financés ou lorsqu’ils ne connaissent pas bien la recherche partenariale :

Je dirais que certains partenaires ne comprennent pas bien ce qu’est la recherche partenariale. Ils ne s’impliquent pas autant qu’ils le pourraient, et ça, c’est dommage, même lorsqu’on les relance et qu’on leur explique. Pour beaucoup de partenaires, de personnes dans ces milieux-là, quels qu’ils soient, peut-être syndical, plus ou moins, ils ont un petit peu plus d’expérience, mais encore là, ce n’est pas nécessairement le cas de toutes les personnes. À d’autres niveaux, dans les syndicats là, par exemple, ils sont beaucoup moins familiers avec ça, et donc vont parfois s’attendre à ce que les chercheurs fassent la recherche. Ils vont moins s’impliquer finalement.

ADM1

Enfin, certains chercheurs ont mentionné l’existence de tensions et de négociations entre partenaires (en raison parfois du partage de la gouvernance entre les différents acteurs et parfois de l’arrimage des objectifs), conduisant parfois à une restructuration délicate des outils et des objectifs du projet :

Les limites, c’est qu’on est « dépendant de », parce que le partenaire est intéressé à connaître quelque chose. Il nous demande d’aller voir là-dedans, mais [si] les acteurs impliqués […] n’aiment pas le partenaire […] l’équation est directe, c’est logique. Alors là c’est la subtilité de… comment est-ce qu’on présente la recherche aux participants pour montrer qu’on est de leur côté, qu’on est leur ami pour qu’ils veuillent être amis avec nous. C’est l’art de vendre notre salade... Nous on le fait de façon diplomatique et conviviale, et des fois même on marche sur des oeufs, et on met des gants blancs parce que justement on ne veut pas se mettre du monde à dos, mais en même temps, le temps passe et il faut livrer.

ÉDU1

Quand on a présenté les questionnaires, il y avait des questions qui touchaient beaucoup à la charge de travail et un des partenaires du projet, c’est des représentants du patronat. Donc cette personne-là […] avait beaucoup de réticence à notre façon de formuler les questions parce que c’est sûr que si l’on pose la question aux infirmières, à savoir « Est-ce que vous pensez [que] si votre employeur allégeait votre charge de travail, vous vous blesseriez moins? Est-ce que vous seriez plus en mesure d’appliquer les pratiques préventives, etc. », c’est sûr elles vont dire oui. Alors, ils étaient mal à l’aise avec ça, parce que pour eux c’est l’employeur après qui va gérer ça. C’est vrai, il y a une contrainte. Donc on a dû négocier la formulation [...] pour qu’on puisse atteindre notre objectif en termes des facteurs qu’on veut documenter.

ADM2

D’autres chercheurs mentionnent ce problème concernant l’arrimage des objectifs de la recherche tout en mettant en relief des stratégies permettant de contrer cette difficulté associée à la recherche partenariale :

Moi, autant que les étudiants et les étudiantes qui étaient impliqués, on savait qu’il y avait comme les deux agendas là. Bon, c’est pas articulé comme ça, mais je l’avais mentionné à tout le monde, de ne pas s’en tenir strictement uniquement à la grille d’entrevue explicite. Si les gens se mettent à parler de choses qui ne « fittent » pas, mais qui sont importantes pour répondre à la question finalement, ce n’est pas un questionnaire fermé, et il y avait autre chose qui m’est passé par la tête. C’est normal que le partenaire, comme organisation, son mandat c’est très bureaucratique, c’est de répondre à tel aspect de la problématique, ce qui est autour ne l’intéresse pas, et c’est notre rôle à nous de montrer comment ces choses-là, périphériques, ont un impact sur la question qu’ils regardent.

SLC1

On travaille avec des groupes, jusqu’où ils peuvent contrôler le message qui va ressortir? Jusqu’où on est responsable aussi? Il y a des enjeux politiques, par exemple, « action-autonomie » si on veut des politiques qui nous défendent, éthiquement on ne veut pas leur nuire. Effectivement, il faut dire « Je ne peux pas vous aider si je deviens un chercheur complaisant ». Si on s’entend sur des choses à chercher, il faut que j’aie une certaine liberté de chercheur aussi. […] C’est toujours l’équilibre, l’ouverture, pas la condescendance.

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Enfin, selon un chercheur, la question de la langue constituerait une difficulté supplémentaire lorsqu’il y a plus d’une langue parlée chez les partenaires :

[U]n partenariat c’est souvent une situation qui donne lieu au problème linguistique : alors, on va parler dans quelle langue? Est-ce qu’il suffit qu’il y ait un anglophone dans la « gang », comme on dit, pour que tout le monde se mette à parler anglais? On va écrire dans quelle langue? On va diffuser dans quelle langue? Dans beaucoup de partenariats que j’ai vus, c’était exactement ça le problème. C’est que dans un partenariat international, […] eh bien on doit parler anglais. Donc, c’est toujours les anglophones de naissance qui arrivent à s’exprimer le mieux et plus longtemps pour faire valoir leur point de vue. On doit écrire en anglais, mais souvent pour nous ça veut dire qu’on doit payer en plus la révision linguistique, donc la recherche partenariale est souvent la source de problèmes linguistiques.

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On voit ici que la langue adoptée dans un partenariat peut constituer un objet de tension pour certains partenaires. Ce problème se rencontre fréquemment au Canada, où deux langues d’usage coexistent, mais aussi en Europe où l’anglais est souvent la langue de la recherche même si les participants ne la connaissent que comme langue seconde.

Comme nous l’avons vu dans nos entretiens, ce sont surtout les questions de définition du sujet et des questions de recherche, ainsi que celles relatives aux échéanciers et à la temporalité, qui posent problème dans la recherche partenariale.

L’analyse de diverses expériences de recherche partenariale nous a permis d’observer que la recherche partenariale se présente généralement comme la rencontre de deux types d’acteurs appartenant à des mondes socialement distincts – les chercheurs appartenant à la communauté scientifique universitaire et les acteurs de terrain provenant d’une diversité de lieux de pratique (Bussièreset al., 2013) – et que ce type de recherche est pratiqué non seulement en sciences sociales, situation la plus souvent traitée dans la littérature, mais aussi en éducation, en administration, en sciences et technologies. Quelques études sur les communautés de pratique (Psyché et Tremblay, 2011; Hildreth, Wright et Kimble, 1999; Wenger, 2005; Wenger, McDermott et Snyder, 2002a, b) ont montré que la participation soutenue entre les membres de ces communautés constitue un défi important pour nombre d’entre elles. Nous avons fait le même constat pour des projets de recherche partenariale dans les divers domaines retenus, dans la mesure où « plusieurs d’entre eux ont comme objectif non seulement de réaliser des projets de recherche, mais de les réaliser dans le cadre d’un partenariat et d’une collaboration soutenus, ainsi que de soutenir les échanges entre les divers milieux représentés (universitaire, communautaire ou autre selon les cas) » (Psyché et Tremblay, 2011).

Cependant, si la participation à la recherche dans le cadre d’un partenariat égalitaire est fondamentale, elle ne suffit pas en elle-même à générer des connaissances nouvelles. Nous avons constaté que les conditions du processus de co-construction des connaissances qui se déploie dans le cadre de la recherche partenariale dépendent également de dynamiques d’interaction entre le noyau des chercheurs et le noyau des praticiens ou acteurs de terrain. Autrement dit, cette co-construction résulte des interactions entre ces deux pôles ou noyaux et celles-ci peuvent parfois engendrer des tensions, tensions que nous avons voulu aborder car elles sont peu souvent mises en évidence dans la littérature sur la RPC.

Ces tensions procèdent dans une large mesure (bien que non exclusivement) de la confrontation entre les identités, les pratiques et les temporalités propres à chacun des partenaires. En effet, il faut éviter de penser qu’il se produit une fusion des identités car, y compris dans le processus de recherche lui-même, les pratiques des chercheurs et celles des praticiens de terrain sont différentes, bien que l’on puisse leur trouver des similitudes. En effet, la recherche partenariale peut se définir comme une rencontre de motivations différentes, mais d’intérêts partagés, et l’on peut établir le parallèle entre cette dernière et les communautés de pratique (CdP) de chercheurs et de praticiens, comme nous le proposons dans le schéma 1.

Schéma 1

Le processus de recherche partenariale : une communauté de pratique

Le processus de recherche partenariale : une communauté de pratique
Source : schéma inspiré de Bussièreset al. (2013) mais interprété en fonction de la théorie des communautés de pratique, avec noyau, groupe actif et groupe périphérique.

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Nos résultats de recherche permettent de constater que la rencontre entre pratique et recherche est souvent source d’apprentissages importants, du développement de connaissances nouvelles, de questions nouvelles posées par les praticiens aux chercheurs et inversement, et que ce phénomène se rapproche à nouveau de ce que l’on observe dans les communautés de pratique, qui constituent également un modèle d’apprentissage collaboratif, ou de co-construction de connaissances.

Notre analyse permet également de constater que la reconnaissance et l’acceptation des différentes origines ou identités, et les tensions qu’elles suscitent, pourraient permettre d’assurer la continuité et d’améliorer l’intensité des échanges dans un contexte de recherche partenariale.

L’analyse du fonctionnement de la RPC nous a permis de mettre en évidence comment – et à quelles phases de la RPC – se confrontent ces différentes identités au sein de « l’espace partenarial ». Les expériences de recherche partenariale semblent indiquer que les tensions issues de la confrontation des identités des différents partenaires peuvent constituer des freins, mais il semble aussi que ce soit dans la reconnaissance et la valorisation des spécificités et identités différentes des chercheurs et des praticiens qu’il faut chercher les principales pistes qui permettent d’avancer, d’agir, de trouver des solutions. Enfin, il semble bien que pour tous les partenaires, quelle que soit la discipline concernée, le processus d’apprentissage résultant de la recherche partenariale dépasse le simple espace du partenariat et tend à constituer une véritable communauté d’apprentissage, ou communauté de pratique (CdP). Il semble donc bien y avoir des similitudes importantes entre les deux modèles au point de vue de la théorie comme de l’action. Ce parallèle constitue un apport à l’état des connaissances sur la RPC, et celle-ci pourrait sans doute s’inspirer des travaux sur les communautés de pratique pour résoudre les difficultés ou tensions qu’elle rencontre.

Notre propre expérience et les résultats de la recherche nous conduisent à affirmer que la participation des acteurs locaux ou praticiens amène les chercheurs à se remettre en question, à interroger leurs concepts et théories, alors que l’expertise des chercheurs incite les praticiens à interroger leurs actions passées et à venir, à développer une certaine réflexivité dans leurs pratiques professionnelles. Nous concluons qu’il est possible de co-construire des savoirs théoriques et pratiques par le biais de la RPC, mais certaines conditions doivent être satisfaites, comme c’est le cas avec les CdP. Il faut d’abord s’entendre clairement sur les objectifs de la recherche, puis ajuster les temporalités, agendas et échéanciers de chacun. Enfin, il faut construire la confiance au fil du temps, en partageant les informations, mais en partageant aussi des moments en dehors des réunions de recherche afin de rapprocher les deux milieux que sont la recherche universitaire et les pratiques de terrain.

Nous pensons ainsi que l’on peut rapprocher recherche partenariale et communautés de pratique puisque la recherche partenariale contribue au développement de communautés de pratique en permettant le développement de l’apprentissage situé (Lave et Wenger, 1990; Tremblay et Rochman, 2013). De plus, on peut constater que certaines préoccupations de la recherche partenariale et des communautés de pratique se recoupent, notamment la question de la temporalité, la difficulté à soutenir l’engagement des membres ou même la question des agendas ou horaires de travail ou de réunions. De fait, afin de dépasser les limites entourant la recherche partenariale, il serait donc pertinent de considérer certaines pistes de solution proposées dans les écrits sur les communautés de pratique, lesquels se multiplient depuis les années 2000. Ainsi, le CEFRIO[1] propose la création de mécanismes de vigie qui permettraient d’analyser rapidement les préoccupations des membres. Tremblay et Rochman (2013) proposent la définition et l’attribution de rôles-clés afin de résoudre les tensions associées au manque de dialogue, ou même la mise en place d’un guide facilitant la démarche proactive. Enfin, la recherche dont nous rendons compte ici nous permet de proposer deux autres pistes de solution pour faire face aux problématiques reliées à la participation, à l’accessibilité ou à la compréhension d’un milieu envers l’autre, soit la présence au sein des équipes de praticiens-chercheurs (qui occupent les deux positions à la fois) et la formation des chercheurs auprès des praticiens.