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Cet ouvrage comprend plusieurs articles portant sur le fonctionnement des institutions et mécanismes propres à la fédération canadienne, incluant les transformations des relations fédérales-provinciales, la péréquation ou le Conseil de la fédération. Mais des trois grandes parties qui le constituent, seule la deuxième (« Les points d'ancrage du programme conservateur et le Québec ») rend justice au sous-titre en traitant de thèmes qui touchent plus ou moins directement la place du Québec dans le Canada conservateur de Stephen Harper.

En réfléchissant sur l’identité canadienne depuis 1995, Frédéric Boily montre que le centre de gravité politique, aussi bien qu’économique, de la société canadienne s’est déporté vers l’Ouest, notamment vers l’Alberta : sur le plan du marché du travail, de son dynamisme, cette province devance largement l’Ontario; en outre, sa population augmente rapidement et elle attire aussi la plus grande proportion de Canadiens des autres provinces. Sur le plan idéologique et politique, l’école de Calgary – les politologues Tom Flanagan, Barry Cooper, Rainer Knopff, Ian Brodie, Ted Morton et l’historien David Bercuson – a bataillé ferme pour élaborer un discours concurrent du discours classique des (soi-disant) élites libérales qui agace tant les Conservateurs. C’est ainsi que les thèmes de l’engagement canadien dans le maintien de la paix, du régime d’assurance-maladie comme trait identitaire et de la menace que pose à l’unité nationale le « séparatisme » du Québec se sont effacés devant la célébration du recours aux « Forces armées » comme instrument de politique internationale, du caractère nordique comme signe distinctif du pays, et de l’héritage monarchique britannique. L’élément original de cette analyse n’est cependant pas développé, seulement lancé à titre d’hypothèse : la principale source d’inspiration idéologique de Harper se trouverait non chez les Républicains américains, mais chez l’ancien premier ministre conservateur John Diefenbaker (1957-1963). Comme celui-ci en appelait volontiers à une identité canadienne « sans trait d’union » (unhyphenated), on peut craindre le pire concernant la place du Québec dans ce patriotisme héritier du passé.

Réjean Pelletier confronte l’idéologie et les discours des gouvernements Harper avec leurs actions et faits concrets en matière de relations fédérales-provinciales. Il ressort de son analyse que dans les premières années de son mandat, Stephen Harper se révèle sensible aux réclamations des provinces en général, et aux revendications du Québec en particulier : sa promesse d’instaurer un fédéralisme d’ouverture est alors crédible. Elle est cependant très tôt suivie de décisions prises unilatéralement par le gouvernement fédéral (plafond imposé à la péréquation, réduction des transferts en santé, etc.). Et depuis l’obtention d’un gouvernement conservateur majoritaire (2011), le premier ministre Harper évite soigneusement les rencontres avec les provinces. Une situation que confirment André Lecours et Daniel Béland dans leur chapitre sur la péréquation (p. 143-158) : il n’y a pas d’approche distinctement conservatrice à l’égard de ce mécanisme de redistribution, si ce n’est la ferme volonté d’éviter de consulter les provinces pour le réformer.

D’autres articles parlent indirectement de la place du Québec dans l’ensemble canadien. Trevor W. Harrison (p. 11-32) s’intéresse à l’histoire du conservatisme en Alberta et montre que l’opposition au statut de société distincte revendiqué par le Québec a été une impulsion majeure dans la création puis le succès du Reform Party, la première source, avec l’école de Calgary, du conservatisme de Harper selon Chedly Belkhodja (p. 171-197). Si par le passé les deux provinces ont pu faire front commun dans certains dossiers, leur éloignement respectif s’est ainsi exacerbé depuis 2006 (p. 30).

Dans sa conclusion de l’ouvrage, Boily traite (enfin) explicitement la question de la place du Québec dans le Canada conservateur, mais seulement pour conclure que le dialogue entre les « deux solitudes » semble être encore reporté! La perte de poids relatif du Québec dans les institutions fédérales, combinée avec la montée de l’influence de l’Ouest dans les préoccupations politiques et économiques nationales amène le lecteur à conclure in petto que la situation n’est pas près de changer.