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La mise en oeuvre de la gestion intégrée de la ressource-eau apparaît particulièrement problématique, au Québec comme dans d’autres provinces et pays, en raison de plusieurs facteurs. On peut citer, à titre d’illustration, la juxtaposition des logiques administratives, la variété des points de vue des acteurs, notamment sur la définition de la gestion intégrée, la multiplicité des buts poursuivis par les organisations, ou la difficulté d’établir des liens entre les secteurs concernés par la gestion de l’eau. La gestion intégrée a fait l’objet de nombreux travaux qui tentent de la circonscrire et de rendre compte de la complexité qui l’entoure. Mais ces travaux se sont surtout concentrés sur la question de la gestion intégrée comme mode opératoire; celle de la cohérence des institutions choisies pour assurer sa mise en oeuvre n’a pas été considérée comme une priorité, tant du point de vue de la recherche que de la politique. Plus particulièrement, peu de travaux se sont penchés sur les effets du redécoupage et de l’agrandissement du territoire à gérer sur la cohérence et la fonctionnalité d’institutions prévues pour gérer la ressource-eau à partir du bassin versant (gestion intégrée de la ressource-eau par bassin versant, GIEBV).

De surcroît, en dépit de l’adoption de nouveaux dispositifs institutionnels et de modifications apportées à la législation en place, la protection de la ressource-eau au Québec semble régresser depuis quelques années, au profit principalement de l’exploitation des ressources naturelles (forage de puits de pétrole, mines) et de grands projets de développement énergétique (gaz de schiste). Ce constat illustre parfaitement les difficultés que rencontre la province pour « […] gérer l’eau de façon intégrée dans une perspective de développement durable » (Gouvernement du Québec, 2002, p. 9). En effet,

« [l]a gestion intégrée de l’eau est […] un mode de gestion qui [doit tenir] compte de l’ensemble des usages qui ont un impact sur la ressource eau. […] Lorsque l’on considère les utilisations et les activités qui touchent l’eau de façon isolée, ces usages peuvent sembler avoir un effet négligeable sur la ressource, mais lorsqu’on les considère globalement, l’impact peut être majeur ».

Une gestion durable présuppose donc une bonne coordination au sein de chaque politique sectorielle, mais surtout entre les politiques d’exploitation et de protection de la ressource. Comme le souligne Alexandre Brun, « [l]’efficacité des politiques de l’eau mérite d’être débattue. […] De deux choses l’une : ou bien les objectifs que les gouvernements s’assignent sont hors d’atteinte, auquel cas il faut les redéfinir, ou les principes directeurs des politiques de l’eau sont inadéquats ou encore inappliqués » (Brun, 2006, p. 1).

À cet égard, il nous apparaissait pertinent de dresser un état de la situation « institutionnelle » au Québec en matière de gestion intégrée. Comme c’est principalement dans le cadre de la Politique nationale de l’eau (PNE) que le Québec s’est donné les moyens d’accroître la protection de la ressource, nous avons tenté de mesurer l’adéquation entre les objectifs visés par la PNE et les dispositifs institutionnels mis en place pour mettre en oeuvre la gestion intégrée, plus d’une décennie après son adoption. Enfin, une attention particulière a été accordée aux mécanismes d’adaptation émergents. Nous posons comme hypothèse que les efforts continus des acteurs contraints par – et opposés à – l’ordre institutionnel en place peuvent « […] engendrer l’érosion de certaines normes ou institutions informelles ou formelles, remettre en question la logique dominante de l’ordre institutionnel en place, contribuer à augmenter la probabilité que des institutions déviantes soient adoptées, et même contribuer à ce qu’une logique dominante de rechange s’installe » (Paquet, 1996, p. 398).

La gestion intégrée de l’eau par bassin versant

Depuis le début des années 2000, les questions politiques et institutionnelles ayant trait à la gestion de l’eau, qu’on appelle de plus en plus « gouvernance de l’eau », ont été intégrées à des approches globales, telles que la gestion intégrée des ressources en eau (Luzi, 2006, p. 39). Dans l’introduction de la Politique nationale de l’eau, le premier ministre du Québec, de même que le ministre d’État aux Affaires municipales et à la Métropole, à l’Environnement et à l’Eau, soulignaient qu’il était impératif de réformer la gouvernance de l’eau. Plusieurs raisons étaient invoquées : la gestion sectorielle s’avérait inefficace pour préserver la qualité de l’eau; les limites administratives des territoires apparaissaient inappropriées pour gérer l’eau puisqu’elles ne tenaient pas compte de l’ensemble du territoire naturel d’écoulement des eaux; et la prise de décision sans concertation entre les acteurs entraînait des conflits stériles.

Cette réforme de la gouvernance devait se traduire par le développement et l’expression d’une vision globale, commune de l’eau, qui serait également cohérente dans sa mise en oeuvre. Cette réforme devait aussi concourir à l’évolution du système actuel de gouvernance, notamment en instaurant une plus grande participation des différents usagers à la prise de décision et aux diverses actions qui en découlent. Afin de mettre en oeuvre cette réforme, le gouvernement québécois a formulé cinq axes d’intervention. Parmi ceux-ci, la gestion intégrée par bassin versant constitue un élément clé de la nouvelle gouvernance de l’eau. Cet axe d’intervention a été institutionnalisé par l’adoption de la « Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection » (Loi n° 27 de 2009). En effet, cette loi définit les règles de gouvernance de l’eau, fondées sur une gestion intégrée et concertée, à l’échelle de l’unité hydrographique – en l’occurrence, le bassin versant[1] – désignée par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP), ainsi que sur la prise en compte des principes du développement durable.

Dans une perspective institutionnelle, la gestion intégrée par bassin versant peut se définir comme

« un ensemble coordonné de décisions et d’actions collectives et privées qui, dans le choix des projets de mise en valeur, de restauration et de protection de l’eau […] et des écosystèmes aquatiques, prend en compte les différents usages et facteurs (environnementaux, sociaux, économiques, politiques, culturels) impliqués sur la base du bassin versant ».

MDDEP, 2007, p. 4

L’intérêt sociologique de la GIEBV réside principalement dans la concertation qu’elle suppose :

« Le référentiel de la gestion concertée repose sur la reconnaissance d’une pluralité de valeurs, de légitimités, d’intérêts et de représentations d’un même environnement par des acteurs différents. […] La gestion concertée relève d’un mode de coordination non défini a priori mais dont on sait qu’il exprime l’idée d’action collective (« agir de concert ») visant la définition, la détermination et la mise en oeuvre de règles régissant les relations entre l’homme et la nature dans un environnement donné ».

Méral, Castellanet et Lapeyre, 2008, p. 7-8

L’idée de gestion intégrée et concertée ne fait cependant pas l’unanimité dans la littérature. Comme le rappellent les auteurs précédemment cités, deux principales approches se distinguent. D’une part, certains auteurs voient dans ce mode de gestion une « […] stratégie des pouvoirs publics pour désamorcer les contestations sans remettre en cause des choix pré-établis, alors que d’autres y associent un progrès démocratique permettant la recherche de solutions « gagnant-gagnant », ou du moins d’un optimum en terme d’intérêt public » (Méral, Castellanet et Lapeyre, 2008, p. 9). Dans le cas spécifique de la gestion de l’eau, Rey-Valette et Roussel (2006) observent que la concertation est surtout présente dans la phase d’établissement du portrait de la ressource. Le Regroupement des organismes de bassin versant du Québec (ROBVQ) abonde dans le même sens : la prochaine étape, celle du partage des responsabilités, marquera le commencement de l’ère des conflits.

En 2002, la PNE accordait la priorité à 33 bassins versants (sur 430 majeurs) jugés prioritaires en fonction des problèmes rencontrés (problèmes environnementaux, conflits d’usage, etc.). En 2009, la province décidait de procéder à une modification du territoire en effectuant un redécoupage permettant d’englober l’ensemble du Québec méridional dans 40 zones de gestion intégrée de la ressource-eau (ZGIRE). Ce redécoupage a permis la création de nouveaux espaces qui n’étaient pas couverts par un organisme de bassin versant (OBV) officiellement reconnu, ainsi que l’ajout de portions de territoire à gérer pour certains OBV existants. Quelques mois plus tard, l’État est venu consolider l’approche de la GIEBV avec l’adoption de la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection. Cette loi vient également marquer la reconnaissance légale des OBV, principaux acteurs de la mise en oeuvre de la GIEBV, mais aussi de la mobilisation et de la concertation de l’ensemble des acteurs de la gestion de l’eau.

Selon le cadre de référence gouvernemental (Environnement Québec, 2004), les organismes de bassin versant sont des tables de concertation ayant pour mission d’organiser, dans une perspective de développement durable, la gestion intégrée de l’eau à l’échelle du bassin versant. Ils ne doivent pas se substituer aux acteurs déjà en place.

Il faut toutefois apporter une nuance concernant le rôle des OBV. D’une part, ce rôle a été en partie modifié dans le temps, pour marquer un certain retour en arrière. En effet, plutôt que d’être des tables de concertation, en vertu de l’article 14.3.1 de la Loi n°27, les OBV ont davantage pour mission « d’élaborer et de mettre à jour un plan directeur de l’eau et d’en promouvoir et suivre la mise en oeuvre […] ». Il en découle une certaine confusion, à notre avis, sur le rôle des OBV. À titre d’exemple, on peut observer un fort degré de variation dans la manière qu’ont les OBV de se définir, accentuant leur rôle soit comme acteur soit comme outil de gestion de la ressource. Lorsque nous avons demandé[2] aux organismes à l’étude dans le cadre de notre projet, quel était le rôle des OBV, une majorité de répondants affirme que les OBV sont un outil de gestion intégrée et non pas des acteurs un lieu de citoyenneté et encore moins un espace de revendications.

Le rôle de l’acteur est fondamental lorsqu’on aborde la question de l’espace institutionnel. En effet, l’institutionnalisation est le moyen par lequel les processus sociaux et les obligations sociales acquièrent un statut de règles dans la pensée et l’action sociale.

L’analyse institutionnelle

La compréhension des mécanismes institutionnels est essentielle pour analyser les dynamiques sociales et les mutations contemporaines.

Dans notre étude, nous avons choisi de porter notre attention sur le développement des institutions visant la mise en place de la gestion intégrée de la ressource-eau. Le développement est ici appréhendé en termes à la fois de changement et de fixité, dans le temps et dans l’espace. Notre démarche sociologique inclut une double approche historique et comparative. L’institutionnalisme historique rejette le « […] postulat traditionnel selon lequel les mêmes forces actives produisent partout les mêmes résultats, au profit d’une conception en vertu de laquelle ces forces sont modifiées par les propriétés de chaque contexte local, propriétés héritées du passé » (Hall et Taylor,1996, p. 475). Ce qui nous amène à considérer l’ordre social et politique comme étant

« constitué d’institutions qui sont les produits d’époques et de contextes différents, ce qui implique qu’elles ne forment pas nécessairement un tout cohérent (Thelen, 1999, p. 382). Ce qui signifie, d’une part, que cela peut donner lieu à des contradictions institutionnelles qui peuvent occasionner des crises et donc du changement et, d’autre part, que des changements survenus dans la société ou dans le contexte international peuvent poser des problèmes institutionnels exigeant des réformes [ou favorisant l’émergence de mécanismes d’adaptation chez les acteurs] ».

Freymond, 2003, p. 31

Plus précisément, nous entendons par institution : toute structure cognitive, normative et réglementaire, formelle ou informelle, apportant de la stabilité et du sens aux comportements sociaux (Scott, 1995, p. 33), et jouant à la fois le rôle de contraintes et de ressources (Giddens, 1987) pour les acteurs dont elles visent à réguler et à encadrer l’action. Enfin, les institutions constituent des référents communs pour les acteurs leur permettant d’interagir d’une manière ordonnée et de coordonner leurs actions, et leur conférant en outre une identité (Paquet, 1996).

L’adoption de cette définition élargie de l’institution nous amène donc à nous pencher également sur l’impact des structures institutionnelles mises en place sur la définition et la reconnaissance des acteurs institutionnels.

Espace institutionnel intégré : des échelles au territoire

Les thèses sociologiques portant sur la gouvernance multiscalaire nous apparaissent utiles pour aborder la question de la reterritorialisation en ce qui a trait aux impacts de l’agrandissement d’un territoire à gérer sur la capacité des acteurs à jouer les rôles qui leur ont été dévolu et à poursuivre l’objectif ultime d’une meilleure protection de la ressource. Leloup, Moyart et Pecqueur (2005) résument bien la situation quant aux changements qu’entraîne la gouvernance multiscalaire, situation qui s’applique, à notre avis, parfaitement au mode de gestion intégrée par bassin versant.

« Dès lors, l’emboîtement des diverses échelles de décision, la nécessaire coordination locale/globale et l’hybridation des règles qui en résulte entraînent des décalages voire des contradictions entre les normes et les prescrits; des modes d’articulation et de régulation particuliers sont alors à inventer pour assurer la stabilité mais aussi le développement du territoire. La coordination, la négociation rendues nécessaires pour faire évoluer le territoire vers les objectifs souhaités amènent à créer de nouveaux lieux de concertation, de nouvelles techniques d’action et de décision, de nouveaux processus ».

Leloup, Moyart et Pecqueur, 2005, p. 327

C’est dans cet esprit que les OBV semblent avoir été créés au départ. Cependant, un problème demeure. À la gouvernance multiscalaire associée à la GIEBV, se superpose une gouvernance locale (territoriale) très forte. La gouvernance locale désigne le processus de coordination des actions et décisions entre des acteurs défendant des intérêts variés mais qui ne coopèrent entre eux qu’à l’intérieur d’un seul espace, qui devrait être le bassin versant ou, plus récemment, la zone de gestion intégrée, mais qui s’avère être en vérité la municipalité. En somme, lorsque la gouvernance locale est forte, le risque apparaît de voir se développer des espaces institutionnels parallèles ou se chevauchant et qui réduisent la compréhension des structures à l’intérieur desquelles les acteurs doivent se mouvoir, affectant du même coup l’efficacité du système de gestion de la ressource dans son ensemble.

Aux difficultés engendrées par la multiplication des échelles impliquées dans la gouvernance, s’ajoutent les difficultés entourant la complexification croissante de ces échelles et l’extension successive de l’unité de gestion correspondant aux frontières du système. Englober 430 bassins versants majeurs dans 40 zones de gestion intégrée constitue certes une tentative de réduction de cette complexité, mais cette réduction est en partie contrecarrée par l’accroissement de la complexité socio-institutionnelle (le nombre d’espaces institutionnels). Pourtant, les deux commissions d’enquête sur la protection de la ressource (Commission Legendre, 1975; Commission Beauchamp, 2000) recommandaient au contraire dans leurs rapports de réduire le nombre de ces espaces, considéré comme l’un des principaux problèmes de gestion depuis le 19e siècle.

Certes, le redécoupage de 2009 n’opère pas un changement institutionnel radical, dans la mesure où les règles et le modèle de gestion demeurent les mêmes. Il n’en demeure pas moins qu’à l’origine, l’espace à gérer délimité par les frontières des bassins versants était un espace naturellement cohérent : l’écosystème. L’avantage de l’approche écosystémique est qu’elle accorde une attention prioritaire aux interrelations des divers éléments d’un écosystème, favorisant ainsi la gestion intégrée de ces éléments. Avec le redécoupage de 2009, les zones de gestion intégrée amalgament à la fois l’espace administratif « artificiel » et l’espace naturel dans un territoire dont le sens semble échapper aux acteurs et participants. Ce qui peut créer un cafouillage institutionnel, voire pire, un manque de correspondance entre les nouveaux territoires constitués et les cadres institutionnels existants dont aucun n’apparaît concerné directement par eux.

Méthodologie

Afin d’identifier les institutions créées pour assurer la mise en oeuvre de la GIEBV, une grille d’évaluation a été soumise à la direction de 4 OBV[3]. L’objectif n’était pas d’obtenir des réponses de tout le personnel des organismes (restreint et dont le taux de roulement est élevé), mais des personnes détenant une grande connaissance de ces institutions. La démarche consistait simplement à intégrer dans une grille l’ensemble des éléments qui, selon la littérature grise et scientifique, devraient faire partie de la programmation de la GIEBV, puis de valider, par le biais d’entretiens auprès de nos 4 OBV, quels éléments étaient déjà effectifs (ou non), en cours d’application ou de planification sur leur territoire, et quels étaient les facteurs expliquant ces états de faits.

La grille d’évaluation couvre les éléments clés de la GIEBV, à savoir les institutions ayant trait au fonctionnement de la GIEBV, au financement, au partage d’information, au développement d’un sentiment d’appartenance, au respect des principes du développement durable, et à la conciliation des intérêts. Chaque élément a été évalué en fonction des niveaux de mise en oeuvre suivants, et un score leur a été attribué : pas appliqué (score = 0), commence à être planifié (score = 1), commence à être appliqué (score = 2), effectif (score = 3). Un total de 53 paramètres ont fait l’objet de l’évaluation. Les paramètres ont été identifiés à partir de la PNE et de la Loi n° 27, ainsi que de la littérature scientifique à visée théorique (Thomas, 1999; Webler et Tuler, 1999; Woolley et Mcginnis, 1999; Reynard, 2000; FormigaJohnsson, 2001; Mermet et Treyer, 2001; Affeltranger et Lasserre, 2003; Blot et Milian, 2004; Lozachmeur, 2004; Prévil, St-Onge et Waaub, 2004; Barde, 2005; Rey-Valette et Roussel, 2006; Morel, Korfer et Deboudt, 2008; Rey-Valette et Antona, 2009), ou empirique, portant sur des expériences d’autres provinces et pays (Scoullos et al., 2002; Environnement Nouvelle-Écosse, 2010; Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2iE), 2010; Laurent et Hellier, 2011), voire de modèles suggérés par la communauté internationale (GWP, 2009; Burton, 2001; GWP et RIOB, 2009).

L’évaluation de la mise en oeuvre de ces éléments dans la PNE avait pour objectif d’observer l’écart entre les intentions et la pratique. Le processus d’évaluation concernant des éléments non prévus dans la PNE, mais existant dans d’autres régimes, visait à identifier des propriétés émergentes et donc un certain niveau de créativité, voire de liberté, de la part des OBV. Enfin, l’appréciation des résultats s’est faite, pour certains aspects, à la lumière des résultats obtenus dans le cadre d’un sondage mené auprès des OBV en 2014[4], d’entretiens auprès de divers acteurs de la gestion de l’eau[5], et d’analyses de contenu des sites web des organismes étudiés.

Cas à l’étude

Cette étude porte sur quatre OBV québécois : l’Organisme des bassins versants de la Capitale, l’Organisme de bassin versant de la baie Missisquoi, l’Organisme de bassin versant Lac St-Jean, et le Groupe de concertation des bassins versants de la zone Bécancour. Leur sélection a été principalement motivée par la diversité des années de création de ces organismes (antérieures à l’adoption de la PNE, consécutives à l’adoption de la PNE, ou postérieures au redécoupage en zones de gestion intégrée en 2009). Cette diversité reflète une variation dans les niveaux de mise en oeuvre de la GIEBV en fonction du cycle de gestion. Ce cycle comprend six étapes : 1) Analyse du bassin versant (portrait/diagnostic); 2) Détermination des enjeux et des orientations; 3) Détermination des objectifs et choix des indicateurs; 4) Élaboration d’un plan d’action; 5) Mise en oeuvre du plan d’action; 6) Suivi et évaluation du plan d’action. Nous postulons que cette variation dans le niveau de développement des organismes devrait permettre de faire ressortir le caractère nécessairement progressif de la mise en place des institutions.

La sélection des organismes se voulait également représentative des types de territoire (rural, urbain) et des usages affiliés, de la taille du territoire à gérer (incluant la densité de population), et des difficultés rencontrées au niveau de la qualité, de la quantité ou encore de la gestion de la ressource. Ces variables doivent être considérées comme des facteurs pouvant influencer le rythme de mise en place des institutions, de même que la nature de celles-ci. Neuf organismes (sur 40) ont été ciblés. Six organismes ont accepté de participer à cette étude. Les données de deux organismes étaient en cours de compilation au moment de la rédaction de cet article et ne sont donc pas présentées.

Organisme de bassin versant de la baie Missisquoi (OBVBM)

L’OBVBM (anciennement Corporation Bassin Versant de la baie Missisquoi) a été fondé en 1999. Sa création est le résultat d’une prise de conscience des problèmes de gestion de l’eau dès les années 1970 et d’une mobilisation d’acteurs oeuvrant à différentes échelles : municipalités riveraines, associations de citoyens, représentants gouvernementaux responsables de l’environnement, de l’agriculture, des municipalités, du tourisme et de la région de la Montérégie. L’organisme gère un territoire d’une superficie de 3 105 km2 dont la population était estimée à 22 000 habitants en 2009. La zone de gestion intégrée est incluse dans les limites de 4 MRC, 29 municipalités et 1 territoire non organisé (TNO). La zone se trouve à cheval sur la frontière entre le Québec (42 %) et le Vermont, États-Unis (58 %). La portion québécoise couvre les régions administratives de l’Estrie et de la Montérégie. L’utilisation du territoire de la zone est partagée entre la foresterie (59 %), l’agriculture (33 %), le milieu bâti (1 %) et les ressources hydriques (7 %). Les principales difficultés de la zone de gestion sont : les contaminations, la présence de cyanobactéries, de phosphore et d’eutrophisation, l’accumulation de sédiments, la prolifération de plantes aquatiques, l’érosion et l’artificialisation des berges. L’organisme en est à la 4e étape du cycle de gestion : l’élaboration de son plan d’action.

Organisme des bassins versants de la Capitale (OBV-Capitale)

L’OBV-Capitale (anciennement Conseil de bassin de la rivière St-Charles) a été fondé en 2002 par le Conseil régional en environnement de la Capitale. L’organisme se concentrait à l’origine sur le bassin versant de la rivière St-Charles, qui constituait l’un des 33 bassins versants jugés prioritaires par la PNE. En 2009, l’organisme a vu son territoire s’agrandir pour inclure les bassins versants des rivières du Cap Rouge et de Beauport, du lac Saint-Augustin, du ruisseau du Moulin, et la bordure du fleuve. La zone est d’une superficie de 711 km2. La population de ce territoire était de 517 921 habitants en 2006. La zone de la Capitale se situe sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent et elle est entièrement incluse dans la région administrative de la Capitale. Elle englobe une MRC, 11 municipalités et une réserve autochtone. Les données sur l’utilisation du territoire pour l’ensemble de la zone n’ont pas été calculées par l’organisme. Toutefois, nous savons que les activités industrielles s’étendent sur 5,8 % du territoire, et les activités commerciales sur 2 %. Les activités forestières sont surtout concentrées dans le bassin de la rivière St-Charles (58 % de son territoire), alors que les activités agricoles se concentrent dans le bassin de la rivière du Cap Rouge (52 % de son territoire). Enfin, les principaux problèmes de cette zone découlent de l’étalement urbain, de l’imperméabilisation des sols, des rejets sanitaires et de la forte consommation d’eau. L’organisme se situe à la 6e étape du cycle de gestion : l’élaboration d’un programme de suivi et d’évaluation. Il importe de noter que l’organisme en est à ce qu’il nomme la « seconde génération des plans directeurs de l’eau depuis 2010 ». Il ne s’agit donc pas du premier plan d’action élaboré par l’organisme.

Groupe de concertation des bassins versants de la zone Bécancour (GROBEC)

Le GROBEC a vu le jour en 2003 dans la foulée de la mise en place de la GIEBV dans les 33 bassins versants jugés prioritaires. À l’origine, le bassin couvrait uniquement le bassin versant de la rivière Bécancour. En 2009, l’organisme a vu son territoire s’agrandir pour englober la bordure du Saint-Laurent. Le territoire de cette zone est d’une superficie de 2 620 km2 et la population se chiffrait à 64 354 habitants en 2008. Le territoire chevauche les régions administratives du Centre-du-Québec et de Chaudière-Appalaches. Six MRC font partie de cette zone, ainsi que 45 municipalités et une réserve autochtone. 58 % du territoire est dédié à la foresterie, 39 % à l’agriculture et 3 % au milieu bâti. Les principaux problèmes auxquels fait face cette zone sont : la mauvaise qualité de l’eau, les étiages sévères, l’absence de réseaux d’égout municipaux, le débordement des ouvrages de surverse, la non-conformité des installations septiques des résidences isolées, la pollution diffuse agricole, l’absence de bandes végétales riveraines, l’érosion des berges, la perte et la dégradation d’habitats, les rejets miniers et l’utilisation récréotouristique intensive des lacs. L’organisme en est à la 4e étape du cycle de gestion : l’élaboration d’un plan d’action.

Organisme de bassin versant Lac St-Jean (OBVLSJ)

Cet organisme a été créé en 2009, à la suite du redécoupage. Au départ, deux comités de bassin (Ticouapé et Ouiatchouan) étaient déjà en place dans la zone, mais sans reconnaissance officielle. Ces comités ont collaboré à la création du nouvel organisme « intégré ». La zone gérée par l’organisme s’étend sur 72 500 km2 et comprenait 69 084 habitants en 2010. Le bassin versant du Lac St-Jean est principalement localisé dans la région administrative du Saguenay-Lac-St-Jean, mais s’étend également sur trois autres régions : Capitale, Mauricie et Nord-du-Québec. Le lac St-Jean est un réservoir : un réseau de centrales localisées produit de l’énergie principalement destinée à l’industrie de l’aluminium, dont les activités sont localisées en dehors du bassin versant. Le niveau du lac St-Jean est géré par l’industrie Rio Tinto Alcan. Le bassin versant du lac St-Jean est aussi le territoire ancestral des Innus qui l’utilisent toujours. La zone englobe 8 MRC, 38 municipalités, une réserve autochtone et 11 TNO. 90 % du territoire est utilisé pour la foresterie, 5,5 % pour l’agriculture et 4,5 % pour des usages mixtes (conservation, industrie, récréatif, résidentiel, urbanisation). Les principaux problèmes de la zone sont : la contamination des eaux de surface et souterraines, la dégradation des habitats, l’érosion des berges, la menace pesant sur certaines espèces, l’eutrophisation et la présence d’algues bleues, la présence de zones à risque pour la population, des problèmes de conflits d’usage, de cohabitation et d’approvisionnement en eau potable. L’organisme se situe à la 5e étape du cycle de gestion : la mise en oeuvre de son plan d’action.

Présentation des résultats

Structures socio-institutionnelles

Plusieurs éléments ont servi à identifier les bases socio-institutionnelles qui ont été mises en place pour donner corps à la GIEBV :

  • mécanismes d’intégration des acteurs au sein de la zone de gestion intégrée, mais également entre les différents ministères concernés et les acteurs oeuvrant à différentes échelles;

  • structures permettant d’accroître la participation citoyenne, autochtone, municipale et régionale;

  • stratégies de gestion ascendantes;

  • mandat fort pour les OBV (rôle-conseil auprès de l’État, interventions conjointes);

  • reconnaissance de l’expertise locale;

  • élaboration du schéma d’aménagement et de développement (SAD) sous la maîtrise d’ouvrage des OBV;

  • transfert de pouvoirs vers le palier local (principe de subsidiarité);

  • élimination ou remplacement des structures de gestion parallèles;

  • mécanismes d’évaluation continue de la GIEBV;

  • définitions claires des responsabilités;

  • structures permettant une responsabilisation accrue des acteurs;

  • mécanismes assurant un arrimage des politiques sectorielles à la politique de l’eau et inversement;

  • intégration de toutes les dimensions de la ressource (qualité/quantité, surface/souterraine, etc.) dans la prise de décision;

  • décisions fondées sur des preuves scientifiques et soumises à examen public;

  • possibilité d’obtenir réparation en cas de dommages;

  • clarté des objectifs nationaux visés par la GIEBV.

Le degré de mise en oeuvre des structures socio-institutionnelles est très variable parmi les organismes étudiés. Les structures suivantes sont considérées comme inexistantes (ou quasi inexistantes) par la majorité des organismes : l’arrimage entre les politiques sectorielles et la politique de l’eau et inversement, l’élimination de structures de gestion parallèles, le transfert de pouvoirs vers le palier local, et la présence de mécanismes d’intégration entre les différentes échelles. Notons que ces éléments font pourtant partie des lignes directrices de la PNE. En contrepartie, les éléments les plus appliqués (au moins 3 OBV sur 4 ayant obtenu un score de 3) sont : une définition claire des objectifs nationaux de la GIEBV, et la présence de mécanismes d’évaluation continue. Dans une moindre mesure (au moins un score de 3 et maximum 2 scores de 2) : la mise en place de mécanismes d’intégration des acteurs au sein des ZGIRE (les OBV) et de participation citoyenne (via les OBV également et les consultations publiques), une définition claire des responsabilités et des mesures de réparation en cas de dommages.

D’un point de vue organisationnel, nous pouvons constater que ce sont les organismes de la Baie Missisquoi et du Lac St-Jean, et donc le plus ancien et le plus récent, ou les plus anciens si l’on considère que des comités de bassin (non officiellement reconnus) existaient déjà sur le territoire du Lac St-Jean avant 2009, qui comptent le plus grand nombre d’éléments effectifs ou en cours d’application. La majorité des éléments pour le GROBEC en sont au stade soit de la planification ou en voie d’application. Pour ce qui est de l’OBV-Capitale, plus de la moitié des paramètres ont été identifiés comme tout simplement absents (15/22).

Soutien financier

Dans la plupart des études québécoises menées sur la GIEBV, le soutien financier est le principal obstacle invoqué à la mise en oeuvre de la GIEBV. Le financement se décompose en deux branches : le financement statutaire, et celui destiné aux actions priorisées dans les plans directeurs de l’eau[6] (PDE). Le financement statutaire provient du gouvernement provincial, alors que celui destiné aux actions peut provenir de sources gouvernementales diversifiées, telles que le Fonds vert, le Programme d’aide à la prévention des algues bleu-vert, etc., ou encore de la contribution volontaire des acteurs locaux.

Dix éléments servaient à mesurer le degré d’effectivité du soutien financier :

  • un financement stable pour la réalisation de chaque phase du cycle de gestion;

  • un regroupement des ressources financières au sein de la ZGIRE;

  • un système de redevances;

  • un accroissement des investissements dans le domaine hydrologique;

  • un partage des coûts de gestion entre les acteurs de la gestion de l’eau;

  • une réduction du monopole de certains acteurs (usages) sur la ressource;

  • une diminution de la compétition entre les acteurs pour l’accès au financement;

  • un plan de financement;

  • un système local de circulation du financement;

  • une réduction de la dépendance des organismes envers les fonds publics.

Nonobstant la stabilité du financement public, tous les mécanismes associés à cette ressource ont été évalués comme inexistants chez les quatre organismes étudiés.

Système d’information

L’information est l’un des éléments les plus fondamentaux de la GIEBV. « La gestion intégrée de l’eau par bassin versant est basée sur la coordination des éléments d’information qui permettent aux acteurs de l’eau d’agir en tenant compte de l’ensemble des usages et des activités qui ont un impact sur l’eau » (ROBVQ, 2015). Cinq paramètres ont servi à mesurer la présence d’un tel système :

  • le réseautage avec la communauté scientifique;

  • des actions de sensibilisation et d’information pour les citoyens;

  • une large diffusion des connaissances, l’accessibilité d’une synthèse des connaissances, la possibilité de bonifier ses connaissances;

  • des mécanismes de communication et d’échanges transversaux;

  • des investissements publics en recherche et développement.

Le réseautage avec la communauté scientifique s’avère variable géographiquement. Il est effectif à Missisquoi, en voie d’implantation dans la Capitale et à Bécancour, et commence à être planifié au Lac St-Jean. Les actions de sensibilisation-information et la diffusion des connaissances sont effectives dans la Capitale et Missisquoi et en voie de l’être pour les deux autres organismes. L’accès à une synthèse des connaissances était effectif uniquement pour l’OBV-Capitale. Des mécanismes d’échanges transversaux commençaient à être appliqués dans la Capitale et à être planifiés dans Missisquoi et Bécancour[7]. Enfin, les investissements en recherche et développement étaient effectifs dans Missisquoi, en cours d’implantation dans la Capitale et en phase de planification dans les deux autres organismes. À l’aune de ces résultats, il apparaît que la variable temporelle joue un rôle important quant au degré de mise en oeuvre puisque c’est l’organisme le plus ancien qui a le niveau de développement le plus avancé. Toutefois, le lien entre le moment de la création de l’organisme et le degré de mise en oeuvre n’a pu être observé que pour l’OBVBM. Le contexte local, et donc, la variable spatiale, pourrait davantage expliquer les différences observées. Enfin, la phase du cycle de gestion ne semble pas influencer le niveau de développement.

Identification (sentiment d’appartenance à un plan d’eau)

Selon le ROBVQ[8], la prise en compte du contexte socioculturel et des représentations du milieu permettrait d’agir directement sur les comportements des acteurs et des usagers de la ressource. L’OBV-Capitale a mené un travail révélateur à cet effet. L’organisme a effectué un sondage auprès de ses membres visant à évaluer le degré d’importance accordé à chaque enjeu relié à l’eau. L’accessibilité et l’identification arrivaient au dernier rang derrière la sécurité, la santé des écosystèmes, la quantité et la qualité de l’eau disponible. Par ailleurs, comme l’observe l’OBV-Capitale, le lien culturel au plan d’eau peut dépendre de plusieurs facteurs : accès au plan d’eau, évolution des usages et des fréquences de visite, etc.

« Pour une majorité de répondants, l’accès ou l’utilisation d’un plan d’eau fait partie de leur patrimoine ou de leur culture collective (tradition familiale ou communautaire de pêche ou de fréquentation d’un plan d’eau). Cet aspect constitue notamment un très bon indicateur du sentiment d’appartenance de la population aux plans d’eau. »

OBV-Capitale, 2014

Un autre moyen faisant foi d’une tentative de susciter un sentiment d’appartenance, est l’utilisation de slogans par les organismes. L’OBVLSJ a un slogan identitaire très fort : « L’eau : nos racines, notre fierté ». Le GROBEC met quant à lui l’accent sur l’utilité inhérente à la ressource : « L’eau, une ressource essentielle à la vie! ». Le slogan de la baie Missisquoi se détache de la ressource et met en exergue le rôle d’outil de gestion intégrée que jouent les OBV : « Une source de solutions, un réseau d’actions ». Enfin, l’OBV-Capitale n’affiche aucun slogan.

Dans le cadre de notre étude, le sentiment d’appartenance a été mesuré par le biais de trois éléments : la reconnaissance des OBV comme acteur principal, la proximité organisationnelle (présence de dispositifs favorisant la collaboration organisationnelle), et la solidarité locale (population). La reconnaissance commençait à être effective ou était effective pour l’ensemble des organismes étudiés. La proximité organisationnelle n’est associée à aucun objet de réponse, ce qui peut s’expliquer par la complexité inhérente au concept. La solidarité locale variait pour les organismes les plus récemment créés (commence à être planifiée pour l’OBVLSJ, commence à être appliquée pour le GROBEC). Elle était effective pour les deux autres organismes. La variable temporelle semble jouer ici un rôle essentiel.

Principes du développement durable

Le développement durable n’a plus vraiment besoin de présentation. Ce concept semble omniprésent dans les discours entourant la GIEBV. Toutefois, qu’en est-il de la pratique? Cette dimension a été mesurée par la prise en compte de l’environnement, de l’économie, des aspects sociaux, de l’approche écosystémique et du principe de précaution dans les actions/décisions. Les trois principales dimensions (sociale, économique et environnementale) étaient intégrées dans les actions/décisions des OBV de la Capitale et de la baie Missisquoi. Les dimensions sociale et environnementale commençaient à être appliquées au Lac St-Jean, et à être planifiées par le GROBEC. La dimension économique était intégrée dans le premier cas et en voie d’être mise en oeuvre pour le second. L’approche écosystémique et le principe de précaution étaient effectifs à Missisquoi, alors qu’ils étaient en phase de planification pour le GROBEC, et, pour l’OBV-Capitale, en ce qui a trait au principe de précaution seulement[9]. Le niveau de prise en compte des principes de développement durable apparaît donc fortement associé aux contextes locaux.

Conciliation des intérêts

La conciliation des intérêts relève surtout de la capacité à accepter comme naturelle et utile une certaine part de conflit ou plutôt de confrontation des intérêts. C’est ce que Benz (2007) nomme la « méthode ouverte de coordination », conciliant délibération et compétition. La délibération servirait à atteindre un consensus dans la définition des objectifs, tandis que la compétition stimulerait les acteurs à adopter de meilleures pratiques que les autres acteurs ou juridictions. Par conséquent, cela permettrait d’atteindre l’objectif d’une plus grande efficacité pratique. La conciliation des intérêts a été mesurée à partir des paramètres suivants :

  • présence d’un cadre de gestion des intérêts divergents;

  • présence d’un médiateur en cas de conflit;

  • présence de mécanismes permettant de connaître tous les acteurs qui opèrent sur un territoire ainsi que leurs intérêts;

  • processus décisionnel conciliant les divers intérêts en jeu;

  • prise en compte des effets cumulatifs des différents usages.

La majorité des organismes se prononçaient pour une absence de cadre de gestion des intérêts divergents, à l’exception de l’OBVBM qui mentionnait qu’un tel outil commençait à être planifié. L’absence de médiateur prévalait également chez tous les organismes. La présence de mécanismes de reconnaissance des acteurs est demeurée principalement sans objet, sauf pour l’OBVBM. Dans le cas de cet organisme, elle a été mise en oeuvre avec le plan directeur de l’eau (PDE). Nous pouvons penser que cette observation peut s’appliquer aux autres organismes. En effet, tous les OBV sont tenus d’élaborer un PDE qui doit contenir, en vertu du Cadre de référence gouvernemental (2004), un portrait des préoccupations et des intérêts de la population, ainsi que des acteurs de la gestion de l’eau du bassin. La nature conciliatrice du processus décisionnel varie pour l’ensemble des organismes (commence à être planifiée pour le GROBEC, commence à être appliquée pour l’OBVLSJ, effective pour l’OBVBM[10]). Enfin, la prise en compte des effets cumulatifs commence à être planifiée pour l’OBV-Capitale et le GROBEC, à être appliquée au Lac St-Jean, et était effective dans Missisquoi. La mise en place des institutions relatives à la conciliation des intérêts apparaît associée à la fois aux variables temporelle et spatiale, mais surtout à l’absence de mécanismes pensés pour assurer la concertation, alors que la prise en compte des effets des différents usages semble davantage liée à la phase du cycle de gestion. En effet, ce sont les organismes les plus avancés dans le cycle qui considèrent actuellement ces effets dans leurs actions/décisions.

Discussion des résultats

Sur les structures socio-institutionnelles

« [T]oute institution, pour subsister, doit obtenir de la part de ses membres leur participation. Celle-ci exige que les répertoires de symboles soient reconnus et utilisés par l’ensemble des membres selon les rôles et les positions de chacun » (Akoun et Ansart, 1999, p. 287). L’évaluation effectuée par l’OBVBM permet de souligner un point important concernant la participation, à savoir la difficulté que représente la définition (les inclusions) de la participation citoyenne. « [Il est] toujours difficile de faire la différence entre citoyens et groupes communautaires et associations de lacs. L’OBV Missisquoi a toujours travaillé en étroite collaboration et soutien aux associations de lac. La participation citoyenne passe donc par eux » (entrevues, OBVBM, 2014). Il existe donc dans ce cas des mécanismes de participation antérieurs au nouveau système et qui continuent d’être utilisés.

Pour leur part, les répondants du GROBEC et de l’OBV-Capitale mentionnent que la participation des autochtones s’est traduite par leur intégration au PDE. « La nation huronne fait partie de notre conseil d’administration, mais sans plus » (OBV-Capitale, 2014). On peut donc parler d’intégration « institutionnalisée » plutôt que d’une réelle participation découlant de la volonté des acteurs de s’impliquer. Le cas des autochtones est cependant particulier. En effet, selon notre interlocuteur au sein du ROBVQ, pour les autochtones, les organismes de bassin versant sont de compétence provinciale alors qu'eux-mêmes considèrent leur pouvoir équivalent au gouvernement fédéral. Par conséquent, ils ne sont pas intéressés à participer à une instance de niveau inférieure et qui symbolise selon eux un certain « dénigrement » de leur importance. Par ailleurs, les revendications territoriales des autochtones, qui dépassent dans certains cas les limites d’un bassin versant, n’encourageraient pas leur participation dans la mesure où ils devraient siéger sur plus d’un comité. Enfin, les autochtones seraient submergés de demandes de participation et de consultation.

Parallèlement, les répondants du GROBEC affirment que la participation des municipalités et MRC au PDE est variable et rappellent que la présence dans les comités ne signifie pas une réelle implication. Nos interlocuteurs à l’OBVBM mentionnent que « [c]’est plutôt le contraire, l’OBV participe activement à l’élaboration de plan d’action pour les municipalités et collabore à celui de la MRC » (entrevues, OBVBM, 2014). Nos correspondants à l’OBVLSJ apportent ici un contre-exemple, la taille du territoire à gérer apparaissant comme une variable structurante.

« Les aménagistes des MRC qui siègent à notre table de concertation ont participé à la rédaction du PDE. Presque tous les conseils municipaux ont été rencontrés ainsi que les conseils de MRC. L’OBV fait également des présentations régulières lors des rencontres entre directeurs généraux des MRC. Les municipalités ont toujours été très impliquées dans la réalisation des PDE quand celui-ci visait un petit territoire (4 ou 5 municipalités maximum) ».

entrevues, OBVLSJ, 2014

Enfin, concernant la participation des OBV à l’élaboration des schémas d’aménagement et de développement (SAD), celle-ci n’est pas encore effective. Les répondants des organismes participants mentionnent une prise en compte des PDE dans certains SAD (par exemple, 2/5 pour la zone Bécancour). Nos interlocuteurs à l’OBVBM mentionnent que l’arrimage PDE/SAD est en cours dans l’une des MRC de son territoire.

Considérant le difficile arrimage entre les politiques sectorielles et les politiques de l’eau, il importe que les effets des premières sur la ressource soient au moins évalués et révisés de manière continue afin de s’assurer de leur intégration progressive. Toutefois, les répondants du GROBEC apportent une nuance très importante à notre avis, en mentionnant que ce mécanisme est inutile car il n’y a pas de véritable mise en oeuvre de la GIEBV. Les répondants de l’OBV-Capitale et l’OBVBM précisent pour leur part que cette évaluation passe actuellement par le suivi du plan d’action. En corollaire, les décisions sont soumises à évaluation publique par l’entremise des consultations publiques sans passer par un mécanisme d’évaluation formel, telle l’évaluation d’impact.

L’asymétrie de la participation et de l’intégration nous ramène au rôle des OBV. Nos interlocuteurs du GROBEC précisent que leur organisme n’a jamais reçu de demande pour conseiller le gouvernement dans la mise en oeuvre de la GIEBV. Selon une explication avancée par les répondants de l’OBVLSJ, ce rôle est joué en fait par le ROBVQ. Nos correspondants à l’OBVBM mentionnent pour leur part qu’il se traduit par le plan d’action concerté, lequel semble un outil très important puisqu’il permet également l’intégration des acteurs oeuvrant au sein des divers ministères. Les répondants de l’OBV-Capitale observent plutôt l’inexistence de mécanismes d’intégration. « Il n’y a pas de mécanisme. Quand ils [les ministères] sont concernés par un sujet, ils sont invités. Le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MDDELCC) participe régulièrement, parce qu’il le veut bien » (OBV-Capitale, 2014). Le principal outil d’intégration des acteurs oeuvrant au sein de la zone intégrée, nous y reviendrons, est le conseil d’administration (CA) de l’OBV. Les répondants de l’OBVLSJ apportent une précision intéressante en affirmant que les OBV ne doivent pas être considérés comme les principaux responsables de la GIEBV, mais plutôt comme des facilitateurs et des accompagnateurs des acteurs de la gestion de l’eau. Ce changement dans la définition de leur statut aurait consolidé du même coup la reconnaissance formelle de l’expertise développée par les communautés locales. A contrario, les répondants de l’OBV-Capitale soulignent le caractère informel de cette reconnaissance. « Pas de règle stricte, quand un bon coup est fait, on le souligne ».

L’institutionnalisation de la prise en compte de l’expertise locale est cependant essentielle. Le Partenariat mondial pour l’eau (2000) affirme que la gestion intégrée doit s’appuyer sur un axiome clé : en matière de gestion, les stratégies descendantes classiques doivent être complétées, voire remplacées par des stratégies ascendantes, afin de garantir que la gestion du secteur soit axée sur la demande locale et contribue d’abord et avant tout au bien-être de la population. À cet égard, nos interlocuteurs de l’OBVLSJ expliquent :

« Nous distribuons un financement intitulé le Fonds Bleu aux acteurs de l’eau qui souhaitent réaliser des projets de sensibilisation, d’information et de concertation. Notre OBV redistribue également aux acteurs de l’eau les revenus d’Opération Bleu Vert pour la réalisation de projets en lien avec la lutte aux algues bleu-vert. L’objectif est de ne pas défavoriser les associations de riverains qui n’ont pas de moyens financiers. Les projets sont donc issus des acteurs locaux. Par contre ils doivent participer à l’atteinte des objectifs du PDE. »

entrevues, OBVLSJ, 2014

La PNE fait de la responsabilisation de tous les acteurs concernant leur propre gestion de la ressource et les impacts de leurs décisions l’un de ses principaux objectifs. Pourtant la responsabilisation des acteurs de la gestion de l’eau semble progresser lentement. À titre d’exemple, certains répondants soulignent que les acteurs du secteur municipal commencent à démontrer davantage de volonté, alors que ceux du secteur agricole maintiennent le statu quo. Il « [f]aut généralement un problème pour avancer (cyanobactéries, pénurie d’eau, etc.) » (GROBEC, 2014).

Selon le Partenariat mondial pour l’eau (2000), une mutation profonde doit s’opérer au sein des institutions pour garantir l’efficacité, l’équité et la durabilité de la gestion intégrée de l’eau. Elle doit comprendre le respect du principe de subsidiarité en vertu duquel les actions entreprises doivent l’être à un niveau le plus proche possible de la ressource. Or l’application de ce principe constitue l’un des principaux obstacles à l’achèvement de l’instauration de la GIEBV. Nos correspondants au GROBEC observent que les décisions financières (choix des projets, programmes, etc.) demeurent la plupart du temps centralisées au niveau du gouvernement provincial ou, s’il y a transfert de responsabilités, ne sont pas accompagnées du pouvoir et du soutien financier nécessaires. Plus spécifiquement, « [l]es OBV n’ont aucun pouvoir ni moyen outre l’influence. Le seul et unique mandat est de faire le PDE sans arrêt. Il n’y a pas de véritable mise en oeuvre par l’OBV. Celle-ci est très limitée » (GROBEC, 2014). À ces observations, nous pouvons ajouter également le fait qu’aucune réforme législative n’est venue modifier adéquatement le droit agricole, forestier, municipal, pour qu’il soit en cohérence avec le GIEBV.

Faire en sorte que la structure administrative ne soit jamais coupée de sa base communautaire, et éviter qu’elle ne devienne une administration parallèle aux structures centralisées déjà existantes, constituent selon Burton (2001) les principaux paramètres à respecter dans le but d’améliorer la performance du système de gestion intégrée. À ce sujet, les répondants du GROBEC mentionnent que le gouvernement semble déployer les efforts nécessaires. Toutefois, cette élimination se ferait au détriment des structures de concertation régionale, avec un retour de la gestion en silo. Pour les répondants du GROBEC, l’OBV est le principal acteur de la GIEBV. Toutefois, ce statut serait disputé par des organismes dits « cousins », telles les Tables de concertation régionale. Ce constat apparaît fortement lié au fait que les structures parallèles n’ont pas été éliminées ou intégrées (dans le sens de mises en relation) avec les nouvelles instances créées.

Enfin, divers pays ont récemment commencé à intégrer à leur législation sur l’environnement le principe de « préjudice écologique », cher aux défenseurs de la justice environnementale. L’application de ce principe permet d’entériner le droit d’obtenir réparation en cas de dommage environnemental, essentiel pour un développement socio-économique local durable. Au Québec, les participants à notre étude font observer que ce droit s’est resserré au cours des dernières années (Loi n°27, révision de la Loi sur la qualité de l’environnement, accroissement du montant des amendes et de la rapidité d’intervention, etc.) en parallèle avec l’élargissement de la prise de conscience environnementale. Néanmoins, il existe un vide juridique en ce qui a trait aux impacts de l’exploitation des ressources souterraines (les mines en particulier). Les représentants des organismes étudiés soulèvent aussi le problème du manque d’action en amont pour circonscrire les impacts des activités ayant cours sur le fleuve Saint-Laurent, tel celui des marées en cas de déversement de pétrole. Ce qui nous ramène au fait établi en introduction, à savoir que la protection de la ressource n’est pas suffisamment intégrée au cadre institutionnel entourant la gestion du territoire et des ressources naturelles.

Sur le soutien financier

Les répondants des OBV étudiés sont unanimes sur un point : le soutien financier constitue une dimension névralgique. Cette observation n’a rien de nouveau. D’autres chercheurs avaient déjà relevé cet enjeu en mettant l’accent sur le manque de volonté politique à cet égard. Toutefois, c’est le fait que ce problème soit récurrent dans le temps, bien que connu, qui compte. Ce constat est d’autant plus marquant qu’un complément au financement public existe et que tous les organismes mentionnent en bénéficier. Il apparaît alors légitime de se demander si l’investissement fait véritablement défaut ou s’il n’est pas plutôt mal réparti, auquel cas le problème serait institutionnel plutôt que politique.

Sur le système informationnel

Nous l’avons mentionné précédemment, la circulation de l’information est un processus fondamental pour le maintien et la survie de tout système et en particulier de la GIEBV. Dans le sondage mené auprès des OBV en 2014, l’échange d’information constituait le principal motif de collaboration entre les acteurs de la gestion de l’eau. Dans le cas des organismes étudiés, bien que le réseautage entre les différents acteurs de l’eau et la communauté scientifique commence à être mis en place, il reste encore du travail à accomplir. De même pour l’accroissement des activités d’information et de sensibilisation destinées aux citoyens. Pour illustrer le rythme de progression de l’instauration de ce système, nos interlocuteurs à l’OBV-Capitale citent l’exemple d’un Portail d’information sur l’eau que souhaitait mettre en place le MDDEP en 2002, et qui était encore en cours de développement plus d’une décennie plus tard. Dans la même veine, en ce qui a trait aux mécanismes d’échanges d’information à une échelle donnée et entre les différentes échelles, on mentionne entre autres la difficulté que crée la complexité du processus d’accès à l’information publique des ministères.

Enfin, en ce qui concerne la diffusion des informations, les répondants du GROBEC soulignent deux points intéressants, à savoir le peu de moyens dont disposent les organismes et l’impact de la Loi canadienne anti-pourriel qui limite le potentiel publicitaire. Pour ce qui est de l’accès à une synthèse des connaissances pouvant être enrichies dans le temps, selon les répondants de l’OBV-Capitale, la disponibilité du PDE en ligne, programmé en html et mis à jour en continu, joue ce rôle. La généralisation d’un tel accès aux autres organismes semblerait donc pertinente.

Sur le sentiment d’appartenance

Nous l’avons vu, le sentiment d’appartenance fait aussi partie des éléments les plus difficiles à instituer. En effet, il ne suffit pas que la ressource existe. Comme le soulignent nos correspondants de l’OBV-Capitale, le lien culturel s’établit principalement grâce à l’accès à cette ressource (appropriation de la ressource et des aménagements affiliés). Selon les organismes étudiés, le développement d’une solidarité locale est favorisé par le conseil d’administration des OBV. Cela signifie donc que l’OBV stimule bien une solidarité entre les membres de son organisation, mais pas nécessairement dans le reste de la population. Bien que nécessaire, ce mécanisme s’avère alors insuffisant. En fait, il s’agirait moins ici d’instaurer une solidarité locale qu’une proximité organisationnelle entre les acteurs de la gestion de l’eau. « La proximité organisationnelle se construit sur une proximité institutionnelle reposant sur l’adhésion des acteurs à des règles d’action et, dans certaines situations, à un système commun de représentations, qui orientent les comportements collectifs » (Gilly et Perrat, 2003, p. 4).

Sur l’application des principes de développement durable

Une prise en compte des principes du développement durable commence à se dessiner, mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Pour certains répondants, la prise en compte du principe de précaution est quasi-inexistante. À cet égard, notre interlocuteur au ROBVQ souligne que les organismes de bassin versant « gèrent » des usages et non des risques, ce qui expliquerait que ceux-ci soient très peu présents dans les discours des acteurs. De plus, on ajoute que ce n’est pas le rôle des acteurs locaux de s’occuper du développement durable. Les acteurs locaux réfléchissent davantage dans les termes d’une opposition amont/aval, les activités en aval ne devant pas nuire à la qualité et à la quantité des eaux en amont.

Sur la conciliation des intérêts

Les répondants du GROBEC mentionnent que les décisions conciliatrices sont rares. En même temps, rares seraient les médiateurs nommés pour assurer cette conciliation. Nos correspondants à l’OBVLSJ citent l’exemple de la gestion du niveau du lac St-Jean par Rio Tinto Alcan (RTA), qui soulève beaucoup de mécontentement chez les riverains. « RTA a organisé des consultations citoyennes. Quel en sera l’impact sur la gestion du niveau du lac? Un BAPE est prévu pour le renouvèlement du décret entre RTA et le gouvernement » (entrevues, OBVSLJ, 2014). Dans son étude portant sur les conflits sociaux dans la protection de l’environnement au sein du Comité de bassin versant de Chaudière-Appalaches, Vachon montre que

[…] malgré le peu de considération que certains acteurs du bassin peuvent entretenir envers l’environnement, ils sont néanmoins portés à participer à l’institution de gestion de l’eau dans la mesure où celle-ci leur permet d’entretenir des relations de négociation avec des acteurs qui contrôlent l’accès à des ressources sociales (reconnaissance, argent, etc.) dont ils ont besoin selon leurs intérêts propres.

Vachon, 2004, p. i

En résumé, alors que le rapport entre le nombre de paramètres institutionnels déterminés dans la PNE pour assurer l’encadrement de la GIEBV et leur degré de mise en oeuvre est positif dans l’ensemble pour tous les organismes – à l’exception de l’OBV-Capitale pour ce qui concerne le soutien financier et les structures socio-institutionnelles –, l’adéquation entre les objectifs visés et les situations vécues sur le terrain a été jugée en moyenne plutôt faible. Pour contrer cette faiblesse, aucune propriété émergente, voire aucun emprunt à d’autres modèles de GIEBV hors Québec n’a été identifié. Un seul trait particulier ressort, à savoir la persistance de la collaboration informelle, antérieure à 2002, entre les organismes locaux de protection de la ressource, du moins dans le cas du territoire se trouvant sous la gouverne de l’OBVBM.

L’analyse des différences entre les organismes nous a permis d’observer une association relativement forte (3 organismes sur 4) entre l’année de création de l’organisme et le degré de mise en oeuvre des institutions, sauf en ce qui concerne le GROBEC. Le GROBEC partage pourtant plusieurs caractéristiques avec les autres organismes : à l’instar de l’OBV-Capitale, il a été considéré comme bassin d’intervention prioritaire en 2002, et l’utilisation de son territoire est dans des proportions similaires à celle de l’OBVBM. La différence observée semble donc pouvoir s’expliquer en partie par sa structure territoriale, la zone qu’il couvre comprenant le nombre le plus élevé de municipalités (45 contre 38, 29 et 11) parmi les cas étudiés, et la quantité ainsi que la diversité des problèmes rencontrés étant plus grandes que pour les autres organismes. Par conséquent, le type d’enjeu (contexte local) ainsi que le risque énoncé plus tôt de superposition de la gouvernance locale à la gouvernance multiscalaire pourraient constituer les principaux obstacles à la mise en oeuvre de la GIEBV.

« La mise en oeuvre d’une politique réfère à ce qui se développe entre l’intention d’agir (ou de cesser d’agir) de la part d’un gouvernement et les impacts observables dans le monde de l’action. […] Dans l’analyse des processus de mise en oeuvre, on étudie la manière dont se transposent les orientations prises par une instance gouvernementale en termes de structure organisationnelle, de processus et d’outils afin de concrétiser ces orientations. »

Garon et Dufour, 2010, p. 610

Plusieurs facteurs peuvent expliquer les difficultés de mise en oeuvre d’une politique, notamment : (i) l’incompatibilité de l’objectif central avec les finalités organisationnelles internes; (ii) la préférence de certains acteurs pour d’autres objectifs; (iii) le fait qu’un certain nombre de participants ont d’autres projets auxquels ils consacrent du temps et de l’attention; (iv) des différences entre acteurs quant à l’urgence accordée au programme; (v) des divergences au sujet de l’identité des leaders du programme; (vi) des différences d’intensité dans l’investissement de ces leaders dans le programme; enfin, (vii) des contraintes juridiques et procédurales. Les facteurs v et vii apparaissent structurants au Québec. D’abord, le statut ambigu attribué aux organismes de bassin versant, qui oscille entre celui d’acteur et celui d’outil de gestion. Cette équivoque influence très fortement la mise en oeuvre et l’efficacité du système de gestion intégrée, dans la mesure où certaines responsabilités tombent dans un vide institutionnel, faute d’être formellement structurées. À cette identité organisationnelle complexe s’ajoute une faible identification territoriale. D’un côté, on retrouve une organisation contrainte institutionnellement; de l’autre, une unité de gestion à laquelle aucune institution ne semble correspondre directement. Le manque de poids juridique donné à la GIEBV, et ce, en dépit de la Loi n° 27, apparaît donc déterminant. Comme le soulignent nos répondants du GROBEC, « [u]ne politique reste une politique. Il faut une volonté voire une obligation de mise en oeuvre. Ex : la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables et la bande riveraine sont toujours déficientes même après 30 ans d’existence » (GROBEC, 2014).

La reconfiguration territoriale est un enjeu social et politique majeur, mais c’est aussi parfois une nécessité fonctionnelle. Beaucoup de politiques concrètes ne pourraient être élaborées, mises en oeuvre et avoir des résultats que si elles sont conçues, décidées et réalisées à l’échelle de territoires plus vastes, tels que les grandes agglomérations, et non plus à celle de petites collectivités locales (Ascher 1998, p. 57). Toutefois, il semble a priori difficile de trancher en faveur du bassin versant ou des zones de gestion intégrée. En effet, le sondage de 2014 montre que les acteurs ont associé autant d’avantages au bassin versant qu’à la ZGIRE. Ils ont toutefois associé un peu plus d’inconvénients à cette dernière : accroissement des coûts et insuffisance des ressources, multiplication des partenaires et difficultés de concertation, couverture incomplète (Nord québécois), incohérence du découpage, manque de clarté concernant le rôle des OBV, et perte du sentiment d’appartenance au territoire à gérer. Pour notre interlocuteur au ROBVQ, il importerait, afin d’améliorer la mobilisation des acteurs, de comprendre à quelles unités territoriales – par exemple les zones d’usage – les gens se rattachent naturellement. Le bassin versant devrait servir de repère pour la gestion et non devenir l’unité réelle d’administration.

En conclusion, ce travail comporte certes quelques limites, ayant trait au faible nombre de cas étudiés et à la difficulté de dégager une tendance générale qui pourrait s’appliquer à l’ensemble des bassins versants. Cependant, l’exercice a permis, à notre avis, de faire ressortir clairement des variations intra- et inter- dimensionnelles, voire organisationnelles, et de ce fait, d’élaborer des pistes de réflexion quant aux liens entre les éléments manquants pour assurer une mise en oeuvre intégrale de la GIEBV qui respecte la volonté politique et sociale de départ. Nous espérons que ces propositions pourront être validées par d’autres chercheurs dans le domaine de la gestion de l’eau, mais également dans d’autres secteurs employant le modèle de gestion intégrée, qu’il s’agisse de sous-secteurs de l’environnement (par exemple, la gestion intégrée des déchets urbains ou des ressources forestières), ou encore d’autres domaines de l’administration publique, tel celui de la santé.