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Ce recueil d’entretiens illustre l’art de la conversation, art que maîtrise élégamment Jacques Godbout et qui aurait inspiré à Mathieu Bock-Côté l’idée de ce livre. Et il est vrai que l’ouvrage répond à certaines règles régissant la conversation, laquelle est faite d’échanges, d’avancées, de replis, de moments de silence et est entrecoupée de temps de réflexion. Ici, les temps de réflexion sont longs, puisque les dialogues, d’abord entrepris verbalement, de façon conviviale, prennent la forme d’un échange épistolaire, par courriels. Ce qu’on perd en spontanéité, on le gagne en profondeur et en nuances.
La conversation, comme pratique langagière, s’articule autour de thèmes, parfois avec des ruptures thématiques et des reprises. Celle qu’entretiennent Godbout et Bock-Côté va directement au coeur de sujets comme l’histoire, la tradition et la modernité, la culture et le culte du divertissement, la langue, la démocratie, la liberté intellectuelle.
Enfin, la conversation doit savoir distinguer entre la vie privée et l’espace public. Dans ce tour du jardin, les auteurs réussissent cet exercice, livrant de la vie personnelle de Godbout uniquement ce qui sert à illustrer une époque qu’a connue le Québec en même temps que le reste du monde, soit l’effervescente seconde partie du 20e siècle avec ses révolutions d’idées et de pratiques. De sa fréquentation des hommes ayant marqué l’histoire récente du Québec, Godbout a retiré une vision des changements présents et à venir, qu’il mesure à l’aune d’une tradition vivante et qu’il transmet dans Le tour du jardin. Bock-Côté prend avec fierté le rôle de passeur d’idées.
Le tour du jardin ne se veut pas autobiographique. Mais l’écriture porte en soi la trace de l’auteur, de son époque, de son environnement. Godbout le sait, comme il sait que son parcours de création est révélateur de l’évolution sociale du Québec. Tout en étant témoin et acteur d’une époque, Jacques Godbout se veut aussi libre penseur. Son interlocuteur le compare (imprudemment?) à des personnages contemporains controversés, allant à l’encontre de la pensée dominante, et parfois malmenés par les médias, notamment Raymond Aron, Jean d’Ormesson et Jean-François Revel, « ceux qui ne se sont pas laissé bluffer par l’utopisme ». Mais il semble que ce refus d’épouser à tout prix l’idée du jour relève plutôt, chez Jacques Godbout, du besoin d’éviter les étiquettes, qui servent le plus souvent à masquer le vide et le refus de liberté. Enfin, pour l’homme de lettres, c’est sur les idées et non sur les outils qui servent à les formuler et à les transmettre que le débat devrait porter. Et c’est à cet écrivain, penseur libre et maître de la conversation, que ce texte laisse le mot de la fin. « On ne sait penser le monde qu’en écrivant, que ce soit dans le cyberespace ou sur du papier. Les outils changent, mais Voltaire serait demeuré Voltaire, même avec Internet. La place de l’intellectuel dans cet environnement? Il peut se nicher dans une maison de presse ou d’enseignement, utiliser les tremplins disponibles, réfléchir, étudier, publier, enseigner : semer le doute » (p. 151-152).