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Cet ouvrage présente des pistes de réflexion dans la discussion actuelle sur le vivre ensemble au Québec. Les auteurs mettent de l’avant la citoyenneté et l’ethnicité comme approches prometteuses pour redéfinir la position québécoise vis-à-vis des nouveaux arrivants.
La publication, issue du colloque annuel de la Chaire de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté (CRIEC) de l’Université du Québec à Montréal, rassemble 19 contributions organisées en six sections. Toutes analysent, sous un angle pluridisciplinaire, différentes formes de nationalisme au Québec et proposent des résultats allant au-delà du discours trop souvent centré sur la seule recherche de définition de l’identité nationale.
Les contributions doivent être lues dans le contexte de la Charte de la laïcité[1], un projet de loi du Parti québécois. Daniel Turp, par exemple, en présente le texte législatif (p. 179-212). L’ouvrage tente de sortir de l’opposition binaire entre « nous » et « les autres ».
Rachad Antonius montre, grâce à une analyse empirique des médias, que le nationalisme conservateur se sert de la tribune offerte par les débats publics. En invoquant l’islam intégriste, les nationalistes de droite provoquent ainsi une attitude hostile à l’immigration en général (p. 105-123). De même, Daniel Baril avance que la droite nationaliste instrumentalise la laïcité à des fins discriminatoires envers les minorités religieuses (p. 145-156). Anne Légaré détecte de son côté la position ambiguë du nationalisme conservateur, qui « intériorise le langage de l’autre » tout en revendiquant une position de « majorité historique » (p. 139-141). Son analyse révèle de manière convaincante comment une majorité, ici de caractère francophone, construit la minorité, associée à la diversité ethnoculturelle.
La thèse de l’ouvrage est que l’enjeu du pluralisme au Québec est moins le fait du nationalisme conservateur que celui du fait minoritaire du peuple québécois, lui-même diversifié. Christian Rioux le dit clairement : « la question posée par l’immigration au Québec n’est pas seulement celle de la cohésion ou du manque de cohésion nationale, mais celle de la survie même du Québec et d’une civilisation française en Amérique du Nord » (p. 292). D’où « l’énigme québécoise » (p. 291) d’une relation parfois paradoxale à l’égard des « autres ». « Les Québécois » se veulent inclusifs tout en protégeant leur culture française. Pour échapper à cette dichotomie, Micheline Labelle suggère de penser la diversité et la différence des cultures dans une nouvelle perspective. Elle souligne le problème de l’hétérogénéité des positions non seulement au sein des minorités, mais aussi dans la majorité (p. 229-242). En adoptant l’idée de Mouloud Idir d’une citoyenneté active pour tous les habitants du Québec (p. 215-228), Labelle propose une reconnaissance de toutes les différences afin de créer un récit de la nation québécoise qui soit, comme il l’a toujours été, de caractère pluriel. Selon Pierre Toussaint, le rétablissement d’un dialogue entre nouveaux arrivants et « Québécois de toutes tendances » s’impose comme enjeu central pour réaliser le projet d’une société inclusive (p. 69-288).
Malgré cette ouverture conceptuelle indéniable, le débat reste enfermé dans l’espace québécois. Le lecteur familier de l’herméneutique croisée (Lehmkuhl) aurait apprécié les réflexions d’auteurs non québécois. Ancré dans le contexte politico-historique de la question nationale au Québec, le livre oscille entre l’essai politique et l’analyse scientifique en matière de pluralisme, de nationalisme, de laïcité et d’intégration. Au bout du compte, les textes démontrent la complexité des enjeux entourant l’immigration et l’aménagement politique de la diversité ethnoculturelle, tout en projetant sur eux un regard nouveau.
Appendices
Note
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[1]
Le projet de loi 60 du Parti québécois, intitulé « Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement », avait pour but de garantir la neutralité de l’État en réglant, entre autres, le port des signes religieux du personnel de l’État. Suite à l’échec électoral du parti au pouvoir, le projet n’a pas été adopté.