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Comparer deux littératures qui participent de deux mondes – le Québec et l’Italie, si distants géographiquement, historiquement, socialement, culturellement, linguistiquement – et qui ont subi des influences si diverses et connu si peu d’échanges au cours des siècles qu’ils sont, à l’évidence, incomparables : telle est la gageure proposée par Gilles Dupuis et Dominique Garand dans leur ouvrage. Les auteurs qui ont participé à cette entreprise périlleuse semblent effectivement vouloir s’excuser d’avoir osé chercher, et trouver au hasard de ces recherches, des affinités entre deux univers littéraires si éloignés. Ils soulignent le plus souvent les différences entre les auteurs qu’ils comparent et leurs ancrages respectifs dans des traditions non partagées ou leur spécificité à l’intérieur de ces traditions, quitte à noter « l’absurdité critique » à laquelle pourrait porter leur comparaison (Dominique Garand, p. 23).
Les contributions de la première partie de l’ouvrage, rassemblées sous le titre « Filiations parallèles : langue et histoire », sont à nos yeux celles qui ont le mieux évité cette « absurdité critique » en ne cherchant pas la « coïncidence » à tout prix pour opérer de véritables « parallèles productifs » comme nous le laissait espérer l’avant-propos du recueil (Gilles Dupuis et Dominique Garand, p. 8). La majorité des articles qui s’intègrent dans cette partie illustrent bien le fait que la comparaison passe par la mise en valeur de différences, et que « la confrontation entre les littératures italienne et québécoise, si contrastée, [permet] dans cette perspective de mieux voir ce qui, de part et d’autre, les caractérise ou leur fait défaut » (Dominique Garand, p. 14). On découvre en effet dans les contributions de Gerardo Acerenza et Gilles Dupuis comment l’affirmation identitaire a pu s’exprimer d’une même façon dans le choix d’une langue à défendre et illustrer au Québec et dans certaines régions d’Italie (la Sardaigne ou la Sicile, en particulier), à une même époque – les dernières décennies du XXe siècle – et combien les analyses du rapport à la langue de leurs peuples – celles de Jacques Ferron et de Leonardo Sciascia – se recoupent et se complètent, tout comme les stratégies linguistiques mises en place dans les romans de Sergio Atzeni et de Francine Noël. Pensons à leur utilisation de lexies appartenant à des variétés régionales/nationales « non standards », par exemple. Cette même coïncidence « productive » apparaît dans d’autres contributions, en particulier dans le sens donné au choix d’un genre pour le roman, roman historique ou « encyclopédique », dans des périodes clés vécues des deux côtés de l’Atlantique, comme celle, par exemple, du début du siècle dernier, lors du passage d’un monde rural à une société industrielle et urbaine.
L’hétérogénéité des points de vue critiques et des objets mis en parallèle saute cependant aux yeux pour s’amplifier dans la suite de l’ouvrage. En effet, dans la partie « Espaces identitaires : clôture et ouverture », les auteurs se concentrent principalement sur des comparaisons thématiques entre des espaces fictionnels (l’île, la chambre) ou sur des personnages (la mère, l’immigrant) de romans québécois et italiens, seul lien s’il en est entre les romans comparés. La troisième partie, « Poétiques d’auteurs : influences et confluences », cherche à relever des influences effectives d’une des traditions littéraires objet de cette comparaison sur l’autre tradition. Cette influence n’est cependant pas toujours aussi évidente que le laissaient espérer les auteurs de la préface, qui semblaient voir dans l’ensemble des articles composant cette partie la démonstration d’une « ascendance certaine et pérenne de la culture italienne sur les lettres québécoises » (p. 9). Certes, on peut considérer que l’influence de Dante, effectivement lu et cité par Marie-Claire Blais (article de Anne de Vaucher Gravili), est indéniable, de même que l’utilisation que fait Jacques Brault de la traduction d’un poème d’Ungaretti en français (« Agonie ») pour constituer un poème du même nom (article de Robert Melançon). Moins indéniable est cependant l’influence de Gadda sur Hubert Aquin, justifiée par un même rapport au Baroque, ou celle de Dario Fo sur Marc Favreau. Peut-on dans tous ces cas parler réellement d’un héritage italien dans les « lettres québécoises » ? Et même si c’était effectivement le cas, des influences aussi marginales et subtiles peuvent-elles être assimilées à une véritable « ascendance » italienne de la littérature québécoise ?
Le lecteur peut apprécier l’exercice ludique (comme l’entendent les auteurs qui l’ont dirigé) ou découvrir des bribes de deux cultures littéraires vues par un regard critique étranger (des spécialistes québécois et italiens qui comparent les littératures de leur pays d’origine à celles de l’autre). Nous regrettons cependant que la quantité d’oeuvres, de genres et d’époques décrits et comparés et la disparité des points de vue proposés nous aient laissé une impression de confusion qui nous empêche certainement d’apprécier à leur juste valeur nombre d’analyses de qualité qui composent l’ouvrage.