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La parution des trois tomes de l’Histoire de Québec et de sa région représente presque l’apogée de la collection « Les régions du Québec » de l’Institut national de la recherche scientifique (auparavant de l’Institut québécois de recherche sur la culture). On attend encore d’autres travaux, par exemple la synthèse de l’histoire de la région montréalaise, mais avec ces trois volumes on a l’impression qu’un sommet a été atteint, comme d’ailleurs le signale aussi l’attribution du Prix Clio/Québec 2009. Il est très difficile de rédiger un compte rendu critique d’un livre si important pour l’historiographie québécoise et on aurait tendance à reparcourir tout le chemin qui de 1981 (Jules Bélanger, Marc Desjardins, Yves Frenette, avec la collaboration de Pierre Dansereau, Histoire de la Gaspésie) nous a menés jusqu’à aujourd’hui. Toutefois, je ne sais pas s’il vaut vraiment la peine de reprendre soit l’histoire de la collection, qui a été déjà faite plusieurs fois, soit la genèse de la discussion sur l'importance historique des régions déclenchée par Fernand Harvey (« La question régionale au Québec », Revue d’études canadiennes (15, 2, [(été 1980)] : 74-87). J’ai plutôt l’impression qu’il vaut mieux affronter ce magnum opus dans autre perspective, c’est-à-dire en évaluant sa contribution à notre connaissance de l’histoire du Québec.
En prenant le temps de lire ces trois briques, j’ai avant tout découvert que leur vraie limite est de ne pas être vraiment simples à consulter : essayez de vous balader avec un de ces tomes dans votre cartable et, surtout, de le lire dans un bus ou dans le métro ! Cela dit, j’ai été frappé par leur capacité de se présenter comme une synthèse non seulement de l’histoire de la région, mais aussi du débat historiographique sur l’évolution de la vallée du Saint-Laurent. De ce point de vue, j’ai trouvé fort intéressante la réflexion sur la période « coloniale ». C’est un sujet qui était très à la mode il y 25 ans : pensez au débat entre Fernand Ouellet, d’un côté, et le duo Pâquet-Wallot, de l’autre, tandis que Serge Courville posait les premières pierres de sa recherche on the edge en histoire et géographie coloniales. Mais c’est aussi un thème de recherche qui aujourd’hui a presque disparu. Toutefois, le premier tome, ainsi que la première partie du deuxième tome de cette Histoire de Québec parviennent à renouer avec le passé historiographique tout en maintenant une perspective contemporaine. Les (rares) nouvelles avancées en histoire de la vallée du Saint-Laurent, ainsi qu’en histoire européenne, ont été utilisées pour relire soit la documentation, soit le débat historiographique. L’histoire d’une capitale coloniale est devenue ainsi la loupe pour réinterpréter l’histoire de la Nouvelle-France, mais aussi celle du Canada britannique, en soulignant les continuités (le premier volume montre comment et combien la période après 1763 est liée à celle qui la précède) ainsi que les transformations.
Dans ces volumes, on pourra relire le passé disparu en utilisant des catégories qui le relient au présent. Il n’y a pas seulement une nouvelle capacité à penser les liens entre géographie-économie-société, mais aussi à montrer comment ceux-ci nous offrent des richesses et des possibilités imprévues : l’occupation et l’organisation du territoire en tant que construction mentale, par exemple. De même, la relecture en presque 150 pages (un livre dans le livre) du contexte seigneurial (tome I), et sa reprise dans le chapitre sur l’espace agricole (tome II) permettent de repenser le rôle des institutions seigneuriales et des seigneurs, autre thème qui est presque disparu de notre horizon, exception faite des efforts d’Alain Laberge et de ses étudiants. La reprise d’une perspective ancienne est en fait liée à la lecture de l’histoire coloniale en tant qu’histoire de migrations. On se trouve ainsi face à l’histoire de seigneuries, autrement dit, l’histoire de migrants, c’est-à-dire presque le contraire de ce qu’on a toujours enseigné au sujet de la féodalité d’ancien régime.
Je ne voudrais pas donner l’impression que ces volumes sont importants seulement pour ce qui concerne l’histoire coloniale, mais je trouve qu’un des mérites de cette Histoire de Québec et de sa région est la capacité de nous proposer une synthèse nouvelle capable de relancer plusieurs champs de recherche. Ce mérite est encore plus important si on prend en considération un secteur, tel celui de l’histoire coloniale, qui avait été presque abandonné dans les derniers vingt ans. Je n’imagine pas que la parution de cet ouvrage peut changer la tendance à ne pas s’occuper de la période pré-Confédération. Toutefois, cet ouvrage ouvre de nouvelles perspectives pour écrire aujourd’hui une nouvelle histoire de la vallée du Saint-Laurent, du XVIe au XXIe siècle.