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Il est difficile de rendre justice à la richesse et la diversité des dix-huit textes rassemblés au sein de cet ouvrage L’état des citoyennetés en Europe et dans les Amériques. Issu du colloque « La citoyenneté dans tous ses états » tenu en mars 2005 à l’Université libre de Bruxelles, il s’intéresse aux mutations et aux transformations qui affectent les régimes de citoyenneté en Europe et dans les Amériques. La production de ce recueil a su regrouper les contributions de chercheurs provenant de disciplines variées : de la science politique à la sociologie, en passant par le droit et la philosophie.

Puisant ses origines dans la tradition de l’institutionnalisme historique en science politique et en sociologie, la notion de « régime de citoyenneté » – développée par Jane Jenson et Susan Phillips dans une publication précédente, (« Regime shift : New citizenship practices in Canada », International Journal of Canadian Studies, vol. 14, automne 1996, p. 111-136), sert ici de ligne directrice. Elle permet de « mieux comprendre l’histoire et les enjeux contemporains de la citoyenneté » (p. 29) tout en inscrivant les contributions des différents auteurs au sein d’une perspective analytique commune. Les quatre dimensions du « régime de citoyenneté » – dimension sociale par la production de bien-être social ; statutaire par la reconnaissance formelle de droits et de devoirs ; identitaire par la définition de frontières de l’appartenance et, enfin, institutionnelle par la détermination de règles d’accès à l’État et à la vie politique – sont sans cesse rappelées et mobilisées par les collaborateurs.

La première partie regroupe les réflexions de cinq auteurs autour de l’enjeu général des citoyennetés multiples. Il y est notamment question de l’intérêt d’aborder les « lisières de la citoyenneté » à partir du concept de « régime de citoyenneté » (Jane Jenson), de la reconnaissance des différences (Paul Magnette et Thomas Berns), du processus de remarchandisation et de contractualisation des droits sociaux (Matéo Alaluf) et des questions posées à l’identité citoyenne par l’émergence d’un ordre constitutionnel européen (Justine Lacroix).

La deuxième partie de l’ouvrage porte sur différentes formes de revendications citoyennes et sur les enjeux qui s’en dégagent. Deux des textes abordent plus spécifiquement les rapports de genre : celui de Bérangère Marques-Pereira s’interroge sur les défis posés aux rapports sociaux de sexe par le régime de citoyenneté du Chili démocratique, alors que la contribution de Claudie Baudino s’intéresse à la façon dont les femmes ont été représentées dans le débat belge entourant la parité. La deuxième section de l’ouvrage se poursuit avec les textes d’Andrea Rea et de Dominique Caouette : le premier met en relief le « déni de reconnaissance » des immigrés en Belgique alors que le second s’intéresse à l’activisme transnational en Asie du Sud-Est à partir de l’étude de cinq grandes organisations.

La dernière partie de l’ouvrage, consacrée aux pratiques et aux politiques de la citoyenneté en mutation, regroupe huit contributions très diversifiées. Johanne Poirier aborde cette question en portant son regard sur l’articulation de la citoyenneté culturelle et de la citoyenneté sociale au sein des fédérations multinationales et Gérard Boismenu poursuit la réflexion en s’intéressant à l’importance de la nouvelle gestion publique dans le fédéralisme. Pascale Dufour retrace ensuite la genèse du processus de politisation du milieu communautaire québécois alors que Martin Papillon s’intéresse à la transformation des rapports entre gouvernements et peuples autochtones au Canada et plus particulièrement au Québec. La réflexion sur les pratiques et politiques de la citoyenneté en mutation se poursuit avec la contribution d’Isabelle Giraud, qui examine le paradoxe du programme québécois « À égalité pour décider », et de Sophie Stoffel, qui s’intéresse aux pratiques et aux stratégies visant « la promotion de l’accès des femmes à la cité » à partir du débat chilien sur les quotas. L’ouvrage se termine avec deux regards sur l’Europe : celui de Vaia Demertzis s’intéresse à la solidarité entre citoyens européens à partir d’une analyse de discours et de politiques, alors que celui de George Ross s’attarde aux nouveaux modèles de citoyenneté sociale en Europe.

Cet ouvrage dresse un portrait très stimulant des enjeux actuels de la citoyenneté. Comme le soulignent avec justesse les auteurs, les mutations d’ordres politique, social, culturel et politique remettent profondément en question « l’unicité et l’indivisibilité d’une citoyenneté fondée sur une logique statonationale » (p. 9). L’ouvrage répond à l’objectif de réfléchir à la « capacité des citoyens à peser sur l’espace public » (p. 16) à partir des différents espaces de citoyenneté qui se forment et se transforment au sein des sociétés contemporaines. La notion de « régime de citoyenneté » donne une cohésion et une unité aux différentes contributions, qui s’intéressent pourtant à des questions fort diversifiées. En conclusion, L’état des citoyennetés en Europe et dans les Amériques constitue un apport très pertinent à la réflexion sur les citoyennetés.