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Statisticien et expert des politiques linguistiques, Castonguay se penche de nouveau dans cet ouvrage sur une question qui déchire et traverse la société québécoise, la question linguistique. En particulier, il se concentre sur la relation asymétrique entre l’anglais et le français au Québec. Sur un ton combatif, l’auteur remet en question les analyses euphorisantes des organismes gouvernementaux canadiens et québécois qui font croire que le français gagne du terrain au Québec. Il cible ses attaques sur Statistique Canada et Radio-Canada, sans toutefois épargner l’Office québécois de la langue française (OQLF) et la Commission Bouchard-Taylor. L’auteur n’a certainement pas la langue dans sa poche lorsqu’il s’agit de dénoncer l’interprétation faussée que font ces organismes des données statistiques sur la place du français au Québec et le fait que ces derniers cachent certains rapports montrant clairement que le français affiche un recul au Québec.
Chiffres et explications à l’appui, Castonguay nous apprend que l’unilinguisme anglais rapporte plus que l’unilinguisme français sur le marché du travail actuel au Québec (p. 42) et que l’avantage de l’unilinguisme anglais s’est intensifié au Québec durant la dernière décennie (p. 40). L’auteur rapporte également que l’anglais est indéniablement la langue d’intégration économique à Montréal et, par conséquent, la langue d’assimilation des allophones dans cette ville, constat qui, soit dit en passant, différerait sans doute si l’auteur avait pris en compte l’ensemble du Québec. Il nous apprend qu’en matière d’assimilation, le français domine largement sur l’anglais parmi les immigrés à faible revenu et l’anglais parmi les immigrés à revenu élevé (p. 61). Castonguay explique également que si la Loi 101 comporte des résultats positifs auprès des immigrés non francophones de moins de 15 ans, il en va autrement pour les plus âgés, qui représentent par ailleurs trois immigrants sur quatre. Pour ceux-ci, la francisation ne constitue en rien un acquis de la Loi 101, mais est plutôt le fruit d’une politique de sélection des immigrés au Québec favorisant les immigrés francophones. Autrement dit, la francisation de ces immigrés a lieu avant même leur arrivée au Québec. Devant ce recul du français, Castonguay soutient qu’il faut relancer la francisation de la langue de travail. Il pense également qu’il faudrait étendre la Loi 101 au cégep, car il existe un lien très étroit entre, d’une part, la langue des études postsecondaires et la langue de travail, et, d’autre part, la langue de travail et la langue d’usage à la maison.
Le ton parfois excessivement combatif, le martelage des mêmes arguments au fil de l’ouvrage et sa nature peu structurée s’expliquent peut-être du fait qu’il ne s’agit pas d’un essai universitaire, mais d’un recueil de chroniques parues entre 2007 et 2008 dans les pages de L’Autr’Journal, un journal « indépendant, indépendantiste et progressiste ». De même, la nature combative plutôt que démonstrative de ce livre explique d’une certaine manière l’absence de définitions rigoureuses de certains concepts clés : pour ne donner qu’un exemple, l’auteur n’explique nulle part ce qu’il entend par un terme aussi polysémique que celui de « bilinguisme ».
On peut également regretter la visée limitée, voire « domestique » de ce livre. En effet, contrairement à ce que le sous-titre Dynamique actuelle des langues au Québec nous porte à croire, l’ouvrage est loin de se pencher sur « les » langues au Québec. Il se borne à l’anglais et au français, alors que 12,2 % de la population québécoise allophone au Québec et 21,8 % de celle de la région métropolitaine de Montréal ont comme langue maternelle une langue autre que le français et l’anglais (OQLF, 2008). De même, Castonguay ne consacre aucune ligne à la question de la place hyper-centrale de l’anglais à l’échelle internationale et au fait qu’il s’agit de la première langue seconde en importance dans le monde. Or, ce sont là des facteurs importants pour expliquer la force d’attraction de l’anglais au Québec parmi les allophones. La question qui se pose est dès lors la suivante : peut-on réellement faire abstraction des facteurs liés à la mondialisation et n’examiner que le contexte canado-québécois ?