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Cet ouvrage collectif est une production de l’équipe de recherche METISS (Migrations et ethnicité dans les interventions de santé et de service social), qui analyse les effets de la pluriethnicité et des relations interethniques dans le domaine de la santé et des services sociaux au Québec. Le titre est accrocheur. Contenant un recueil de réflexions et d’analyses des pratiques de l’intervention clinique et sociale en situation interethnique, l’ouvrage présente des interventions « menées sur le terrain par des organismes de santé et de travail social […] ; des éclairages historiques sur le 'traitement’ des populations amérindiennes, et des éclairages politiques sur les différentes modalités d’accueil des réfugiés au Canada […] ». Ce livre s’adresse principalement aux intervenants des divers groupes professionnels, aux administrateurs et aux chercheurs qui sont liés au domaine de la santé et des services sociaux au Québec.
De façon globale, si l’éthique désigne un questionnement philosophique portant sur tout ce qui relève d’une préoccupation morale (Christophe Verselle, Le dico de la philo, Librio, 2006, p. 42) et mène à une réflexion à propos des valeurs et des normes qui fondent les conduites humaines, une éthique de l’altérité pourrait porter sur le sens de l’être, sur la façon d’être-au-monde. Rappelons notamment que, pour Heidegger, la signification d’être-au-monde est caractérisée par trois types de relation : l’être-auprès, l’être-soi-même et l’être-avec. En outre, et en fonction des courants philosophiques, épistémologiques, anthropologiques, praxéologiques et cliniques se dégageant de l’ouvrage recensé, nous retenons que réfléchir à l’altérité en contexte de relations interethniques dans le domaine de la santé et des services sociaux, suppose de : s’engager dans le sentier de la connaissance et de la reconnaissance de l’Autre ; chercher à situer les différentes formes possibles de relations entre soi et l’Autre ; s’appliquer à désigner ce qui est soi et ce qui ne l’est pas ; s’inscrire dans une recherche du même, de ce qui peut être de l’ordre de la symétrie ou de l’asymétrie fondamentale entre soi et l’Autre ; comprendre la complexité des processus de construction identitaire et par là, envisager la possibilité que nous puissions être interhumainement ou intersubjectivement constitué ; sonder cette façon qu’a l’autre d’influencer la compréhension que j’ai de moi-même et la façon dont je peux influencer la compréhension qu’a l’autre de lui-même ; demeurer disposé à « penser autrement pour penser l’autrement » selon les mots de Cognet et Montgomery ; et enfin, rester mobilisé relativement à la question du « comment (bien) vivre ensemble ».
Même si on sait que l’être humain demeure toujours « en rapport avec les autres aussi longtemps qu’il est en vie, où qu’il soit et à tout moment » (Shutz et Gordon, 1977, cité par G. Bilodeau, Paradigme du travail social, 1999, p. 6), la sympathie ou l’empathie ne sont pas toujours les modes perceptifs qui fondent le rapport à l’Autre. Au-delà des intentions, des discours et des actions visant l’intégration et la participation des immigrants, la tension est permanente entre la part de nous-même qui rejette l’autre et l’autre part qui cultive le goût de l’altérité, la curiosité pour celui qui vient d’ailleurs, l’hospitalité pour l’étranger (préface). Cette tension entre la part de nous-même qui rejette et accueille l’Autre, qui hésite entre un repli identitaire et un désir d’ouverture à l’Autre est bien réelle et vécue par les intervenants des divers groupes qui sont liés au domaine de la santé et des services sociaux au Québec. Dans le cadre d’une réflexion éthique axée sur l’altérité, il importe de savoir qu’il y a différentes façons de s’adapter à ladite tension « ambivalente ». Comme il peut y avoir différentes façons de se positionner face à cette même tension et d’y répondre au niveau des objectifs visés dans les interventions et les conditions du rapport qui peut être instauré avec l’Autre.
Les manifestations de racisme et de discrimination demeurent encore nombreuses, protéiformes et le plus souvent camouflées sous des stéréotypes, des jugements de valeur de toutes sortes. Ainsi que Platon le souligne dans La République, l’opinion est quelque chose d’intermédiaire entre la connaissance et l’ignorance ; il appert que l’exercice du jugement analytique (et critique) doit être privilégié pour examiner les opinions et les arguments qui les sous-tendent en matière d’intolérance et de racisme. Cela permettrait notamment d’éviter que l’Autre qu’on accompagne en contexte interethnique soit « figé dans la culture qu’on lui prête, l’identité qu’on lui assigne » (introduction). En ce sens, les personnes visées par l’ouvrage du METISS sont conviées à se déprendre d’elles-mêmes, de leurs valeurs et de leurs croyances pour accéder à elles-mêmes et à l’Autre d’une nouvelle façon. Voilà un objectif global qui transcende l’ouvrage recensé.
En conclusion, l’interculturalité invite chacun d’entre nous à réfléchir ou re-penser son rapport à l’altérité, la dimension subjective du lien social, les fondements normatifs d’une société juste, bref, le « comment » bien vivre ensemble. Pour tous ceux et celles qui pensent qu’un monde meilleur est possible, qui s’interrogent sur la figure de l’Autre et, par là, qui cherchent à redécouvrir leur rôle professionnel, bref, leur rôle d’acteurs sociaux en interaction avec l’Autre, la lecture de l’ouvrage du METISS, ancré dans l’étude des pratiques de l’intervention clinique et sociale en situation interethnique, demeure un puissant levier pour l’avancement de la pensée éthique dans les pratiques et la recherche dans le domaine de la santé et des services sociaux au Québec.