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Cet ouvrage rassemble des contributions sur les réformes judiciaires et sanitaires menées ou envisagées en France et au Québec. Le sous-titre met en évidence l’hypothèse centrale qui sert de fil directeur et en constitue l’originalité : le droit reste un élément structurant des nouveaux modes de gouvernance des démocraties, même si des modalités de formalisation juridiques plus souples semblent mises en avant.
Certaines contributions témoignent d’un réel effort pour définir et caractériser les réformes. Pour G. Rocher, cette composante du changement social s’oppose à la révolution par le respect de la légitimité de l’ordre existant et sa non-radicalité. La grille d’analyse qu’il propose s’articule autour de six dimensions : localisation du palier de la société concerné ; dynamique des rapports État-société civile ; verticalité du processus ; typologie des acteurs impliqués (concepteurs, promoteurs, modélistes, passeurs, réalisateurs, opposants) ; rapports de pouvoir ; analyse du rôle et de la place du droit. Les réformes sont appréhendées comme un mode d’action caractéristique des démocraties contemporaines et révélateur des transformations de la gouvernance des États (Contandriopoulos). Trois fonctions – orientation, gestion des actions, promotion et maintien du sens et des valeurs collectives – peuvent être dégagées, qui contribuent à la légitimité de l’action publique. Enfin, la formalisation juridique des principes et dispositifs apparaît au coeur des réformes.
Le lecteur peut progressivement reconstituer les principales composantes d’une sociologie politique des réformes comme un travail politique de construction de discours, idéologies, catégories, pratiques et instruments portés par des acteurs aux intérêts divers. Selon les articles, l’accent porte davantage sur les orientations idéologiques et les principes organisateurs (Denis, Noreau, mais aussi Jaccoud), sur les réseaux d’acteurs réformateurs impliqués au niveau national (Rocher, Vauchez et Willemez) ou international (Pierru, qui étudie les mécanismes de transferts de politique et les modalités de réappropriation différenciées selon les configurations d’acteurs nationales), sur les instruments d’action mobilisés – qu’il s’agisse de statistiques, de comparaisons internationales, de benchmarking ou encore de dispositifs juridiques. Une attention particulière est portée à la formation et aux modes de structuration des champs réformateurs (ressources, trajectoires des acteurs, lieux privilégiés : commissions, organisations internationales, …), au sens commun réformateur que certains acteurs s’efforcent d’élaborer et de diffuser (dans le sillage notamment des analyses de Christian Topalov (dir.), Laboratoires du Nouveau Siècle. La nébuleuse réformatrice et ses réseaux en France, Paris, Éditions de l'EHESS, 1999). Les articles québécois mettent en exergue les dynamiques des processus de formalisation juridique (l’influence du pluralisme juridique est manifeste), tandis que les auteurs français soulignent le caractère fondamentalement politique des processus réformateurs, en déconstruisant les discours sur la « crise ». Tous insistent sur « la mise en idées » des réformes et l’importance des représentations cognitives et normatives qui guident les pratiques et qu’il convient d’étudier de manière longitudinale.
Ces contributions permettent d’identifier plusieurs tendances de transformations de l’action publique en France et au Québec en santé et justice. D’une part, le primat d’une logiquemanagériale s’affirme clairement dans les projets récents, bien que ce registre d’action soit hybridé avec d’autres rationalités et qu’il ne soit pas juste d’y réduire l’ensemble des réformes. D’autre part, on ne peut manquer d’être frappé par le maintien de la centralité de l’État français ou québécois (hauts fonctionnaires, acteurs politiques), en dépit du recours plus fréquent aux contrats ou à des formes hybrides comme les conventions (Noreau) et de la pluralité des acteurs impliqués (Rioux, Buton). M. Rioux montre que la mise en forme par le droit a lieu tant en amont de l’action publique (lors de l’émergence de l’élaboration et de l’explicitation des normes à la base de la règle juridique) qu’en aval (lors de l’application et de l’appropriation sociale de cette norme par les destinataires). Cette contribution ainsi que celles de F. Buton et de P. Noreau mettent en évidence les limites de la concertation dans les productions juridiques : même quand les réformes s’appuient sur des innovations émanant du terrain, la formalisation devient progressivement plus contraignante à mesure que les expériences se généralisent et que les acteurs centraux réaffirment leur volonté de cadrage et de standardisation des normes. L’État semble ainsi avoir des difficultés à « s’affranchir des stratégies normatives unificatrices » (Noreau, p. 233). V. Lemay souligne le risque de dévoiement non intentionnel des réformes en l’absence d’implication et de formation des acteurs chargés de leur mise en oeuvre. En outre, les enjeux politiques apparaissent centraux – que la politisation des débats soit explicite ou cachée par des argumentations et dispositifs en apparence « techniques ».
Au-delà du caractère inégal des contributions et de leur ordonnancement parfois surprenant, le lecteur regrettera surtout l’absence de revue de la littérature sur l’analyse sociologique des réformes – ne serait-ce que sur la France et le Québec –, ainsi que la non-mise à jour des références depuis 2005, problématique compte tenu du développement de la littérature sur cette question. C’est là une limite importante pour un ouvrage qui se veut un ouvrage de référence. Par ailleurs, plus que par une pluralité des niveaux de comparaison – entre pays et secteurs d’action publique, et dans le temps –, cet ouvrage se caractérise par la juxtaposition de monographies (exceptée la très brève introduction, dont l’essentiel aurait plutôt mérité de figurer en conclusion). Notons enfin qu’une seule contribution mentionne le rôle des médias dans le processus réformateur.