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Cet ouvrage est issu d’une collaboration amorcée par la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs créée en 1996. Au fil des ans, la Commission a organisé des colloques qui, à leur tour, ont favorisé la formation de divers réseaux dont celui, créé en 2003, qui avait pour objectif de dresser l’inventaire de ces lieux de mémoire de la Nouvelle-France (http://inventairenf.cieq.ulaval.ca/inventaire/). Pour souligner le 400e anniversaire de la ville de Québec, cette équipe a choisi de nous offrir une publication universitaire destinée non pas aux chercheurs, mais à des gens qui s’intéressent au lien entre l’Ancien et le Nouveau Continent.
Outre l’introduction et la conclusion, Les traces de la Nouvelle-France compte plus d’une centaine de courtes synthèses, regroupées par thèmes et écrites par 45 auteurs qui viennent des deux côtés de l’Atlantique. Or, vouloir une certaine parité, ou du moins une certaine similitude, de part et d’autre est dès le départ un projet voué à l’échec : les rapports à l’espace et au temps y sont totalement différents et parler de « partage d’une histoire commune » devient bien relatif. La Nouvelle-France est prise en compte dans toute son étendue – Canada, Acadie, Terre-Neuve et Louisiane – quoique le Québec, et je dirais même la région de la ville de Québec, occupe la place centrale. Cet immense espace est jumelé au Poitou-Charentes d’où ne sont venus qu’environ « 20 % des migrants établis par mariage au Canada » entre 1608 et 1760 (p. 53). Cette disproportion spatiale se constate aussi dans le déséquilibre quant au nombre et à l’importance des lieux de mémoire recensés. La référence à l’espace dans ce « petit » picto-charantais est aussi déstabilisante, surtout lorsque les auteurs choisissent d’utiliser les toponymes des provinces d’alors : l’Angoumois, l’Aunis, le Poitou et le Saintonge ; ou encore, ceux des départements de la fin du XVIIIe siècle : la Charente, la Charente-Maritime, les Deux-Sèvres et la Vienne. Par ailleurs, dans ce « pays » le passé s’étend sur plusieurs millénaires et, parmi les héros d’antan, se trouvent Vercingétorix, Clovis, Charles Martel et Calvin – Champlain comptant pour peu dans ce palmarès, et cela se comprend –, tandis qu’ici, dans cet espace qui s’étend à l’échelle du continent, pour bon nombre d’Acadiens et de Canadiens, le passé se lit encore aujourd’hui au quotidien.
Si cet ouvrage vise à accroître les connaissances, il cherche avant tout à émouvoir et il est facile de se laisser aller à la nostalgie et de faire nôtres ces lieux de mémoire français. On imagine facilement les riches marchands de La Rochelle s’embarquant dans des navires qui s’arrêteront au large des Grands Bancs de Terre-Neuve ou dans les Maritimes avant qu’ils ne puissent s’aventurer jusqu’à Québec et y fonder un poste commercial permanent. La pêche était alors une activité saisonnière qui, dans les bonnes années, rapportait beaucoup plus que tout autre commerce (p. 136) ; il n’est donc pas étonnant que, en 1763, les Français aient tenu à garder un pied à terre à Saint-Pierre-et-Miquelon pour continuer à avoir accès à cette denrée bon marché et riche en protéines.
La ville de La Rochelle et son port nous sont quelque peu familiers, mais le lien avec la ville de Rochefort me semble particulièrement intéressant. Fondée en 1666, cette ville est donc « contemporaine » des villes de la Laurentie. Sis à une vingtaine de kilomètres de la côte, dans une région riche en bois et en sel, le site fut choisi par Louis XIV pour y établir un arsenal et refaire la flotte française. Du Canada, on faisait venir du pin et du sapin pour les mâts des bateaux, du chêne pour les coques et du fer des Forges du Saint-Maurice (p. 156), et le chanvre canadien était aussi utilisé dans la corderie. La ville se développa rapidement sous François de Beauharnois – intendant en Nouvelle-France de 1702 à 1705 – et Michel Bégon – intendant de la marine à Rochefort, mais aussi intendant en Nouvelle-France de 1710 à 1720. Comme il est coutumier d’offrir des cadeaux aux Amérindiens pour établir ou maintenir les alliances, Rochefort deviendra la « plaque tournante de la politique du cadeau ». Selon les archives, on y entrepose des textiles, lainages et toiles, des justaucorps rouges galonnés de faux or, des armes à feu, des plombs et de la poudre, des objets métalliques et des chaudières en cuivre, des perles de verre, quelques cannes, ceintures et épées d’apparat, des médailles à l’effigie du roy, des épices dont le poivre noir, la muscade et la cannelle, et un peu d’alcool (p. 216).
Le texte de Peter Gagné (p. 226-277) attire l’attention puisqu’il concerne le célèbre Régiment de Carignan-Salières. L’envoi en 1665 de ces « 1 200 soldats dans une colonie qui ne comptait qu’environ 3 000 âmes est un fait qui n’a pas seulement marqué l’histoire de la colonie, mais aussi la mémoire et le patrimoine du Québec actuel ». Le seul lien avec le Poitou-Charentes semble être le fait que, avant de partir, le régiment ait été cantonné dans les citadelles de l’île de Ré et de l’île d’Oléron. Ces citadelles existent encore et l’une d’elles abrite le Mémorial des soldats de la Nouvelle-France. Un lien bien ténu en somme, on se serait attendu à plus. Gagné déplore que, tout comme ce fut le cas avec Dollard des Ormeaux ou Madeleine de Verchères, les faits aient subi des transformations « dans le passage de l’histoire à la mémoire et de la mémoire au patrimoine » : il souhaite que le régiment retrouve sa juste place dans l’histoire et qu’on lui attribue le rôle militaire qu’il a bien joué, c’est-à-dire un rôle assez mineur à ses yeux. Curieusement, il ne laisse aucune place aux mythes ; or les mythes servent à inculquer des valeurs morales et patriotiques et, en tant que tels, ils font partie intégrante de l’histoire.
Paul-André Dubois parle explicitement de mythe et de mémoire partagée entre la Nouvelle-France et le Poitou-Charentes dans son article qui porte sur l’histoire missionnaire de la Nouvelle-France. L’histoire concerne Marie-Thérèse Aulneau, membre des Filles de l’Union chrétienne de Fontenay, et son frère jésuite parti au Canada en 1734. Accompagnant un groupe de Français à la recherche de la route de l’Ouest, Jean-Pierre Aulneau a comme mission de découvrir de nouveaux « sauvages » et de les intégrer dans l’alliance franco-amérindienne. L’expédition tourne mal, ils seront tous tués et décapités par des Sioux. Les corps seront finalement ramenés et inhumés au fort Saint-Charles situé sur ce qui est aujourd’hui connu sous le nom de Péninsule Aulneau (Ontario). La calotte de Jean-Pierre est rapportée dans la colonie et un confrère jésuite poitevin la fera parvenir à sa mère retirée dans le couvent de sa fille. De là, des deux côtés de l’Atlantique la légende s’échafaude et le couvent de Fontenay sera mis à contribution pour fournir en ornements liturgiques et objets de piété une clientèle jésuite et iroquoise en Nouvelle-France, le couvent devenant même un plaque tournante pour plusieurs jésuites ayant séjourné dans la région (p. 259-260). Commémoration oblige.
Malgré le fait que l’ensemble des textes soient essentiellement descriptifs et ne concernent qu’une région de la France qui a été en lien avec la Nouvelle-France, ils touchent à de nombreuses facettes de la vie au quotidien, commémorent non seulement les personnages connus, mais aussi les illustres oubliés qui, de part et d’autre de l’Atlantique, ont participé à ce que nous sommes devenus. Dans cet ouvrage, d’une facture visuelle des plus soignées, les textes sont accompagnés d’illustrations tout à fait extraordinaires et bien choisies ; ils mettent en scène un certain monde atlantique francophone et, pour les plus nostalgiques, incitent au voyage au pays de l’ancêtre.