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L’étude de Jocelyn Saint-Pierre se penche sur l’histoire d’une institution journalistique et parlementaire de premier plan : la Tribune de la presse à Québec entre 1871 et 1959. En s’intéressant à la pratique du métier de courriériste parlementaire, l’auteur se situe à contre-courant d’une historiographie de la presse axée sur le contenu des journaux. Il répond ainsi au souhait des historiens Fernande Roy et Jean de Bonville qui plaidaient au début de ce siècle pour une histoire de la presse qui placerait les acteurs sociaux au coeur de l’analyse. L’ouvrage, tiré de la thèse de doctorat de l’auteur, bénéficie également des recherches documentaires réalisées par cet historien attaché à l’Assemblée nationale du Québec depuis 1974, et notamment du travail de reconstitution des débats parlementaires qu’il a dirigé. C’est à la lutte pour la liberté de presse en Grande-Bretagne à partir du XVIIe siècle que l’on doit l’apparition de cet « instrument de la démocratie » qu’est la Tribune de la presse. À une époque où le Parlement ne représente pas encore le peuple, les débats des grands du royaume se font dans le secret afin de protéger les députés de l’arbitraire royal. Les journalistes britanniques gagneront le droit d’assister aux débats et d’en faire le compte rendu pendant le dernier tiers du XVIIIe siècle. Au Canada, les journalistes sont présents dès la convocation des premières assemblées élues, dont celle de 1792 dans le Bas-Canada. La reconnaissance officielle de la Tribune de la presse survient en 1871 au Québec, soit quelques années plus tôt qu’en Grande-Bretagne et qu’aux États-Unis, mais 20 ans plus tard qu’en France. L’exiguïté des lieux et la présence de simples citoyens dans les espaces accueillant les courriéristes exige alors l’instauration d’un système d’accréditation dont s’occupera désormais un bureau de direction. Une vingtaine de journalistes sont alors reconnus officiellement comme correspondants parlementaires (il y en aura en tout 381 jusqu’en 1959, représentant surtout des quotidiens). La Tribune demeure peu réglementée au cours de la période à l’étude. Et il faudra attendre 1958 pour que l’association des courriéristes s’incorpore à la suite de mesures cavalières (dont l’expulsion de journalistes) prises par le premier ministre Duplessis lors du scandale du gaz naturel.
Les conditions professionnelles sont difficiles pour les courriéristes, dont le séjour au Parlement dure en moyenne trois ans. Le travail astreignant que représentent l’attention soutenue et la prise de notes pendant les séances interminables où se succèdent souvent de piètres orateurs aurait incité les courriéristes à adopter, sans doute dès la fin du XIXe siècle, la pratique du pool qui leur permet de se relayer dans la saisie de l’information. Cette pratique, ainsi que les risques de poursuites en diffamation par des députés bénéficiant pour leur part de l’immunité parlementaire, aurait eu une influence certaine sur le contenu des reportages. Ainsi, malgré les allégeances politiques bien connues de la plupart des journaux, les courriéristes produisent généralement un compte rendu exact et fidèle des débats. On favorise parfois un parti en accordant à ses propos un meilleur ou plus grand espace rédactionnel, mais les commentaires et les déformations sont exceptionnels. Cette impartialité aurait également été nourrie par les liens sociaux unissant les journalistes et les députés (membres majoritairement francophones d’une élite socioéconomique urbaine très scolarisée habitant les mêmes quartiers de Québec et partageant fumoir et buvette au Parlement) qui auraient accentué chez les correspondants un sentiment d’appartenance à l’institution parlementaire. Saint-Pierre avance par ailleurs que les rédacteurs parlementaires, dont il présente quelques fleurons, étaient conscients de la portée démocratique de leur mission.
Cet ouvrage intéressant présente néanmoins quelques lacunes. Si l’influence britannique sur le Québec y est clairement démontrée, la description de l’impact des pratiques états-uniennes et françaises est moins convaincante, surtout en ce qui a trait à la pratique du journalisme engagé à la française. On aurait aimé en savoir plus long sur la méthode utilisée par l’auteur pour établir l’impartialité des reportages parlementaires. Il aurait été souhaitable de revoir la structure de l’ouvrage afin d’intégrer de façon plus efficace les sections décrivant le contexte et celles présentant l’analyse de la Tribune et de ses membres. Cela aurait permis d’éviter une partie des répétitions qui alourdissent le texte. Les courtes biographies présentées dans le dernier chapitre auraient dû mettre l’accent sur l’expérience de courriériste parlementaire, surtout dans le cas d’Hector Fabre qui aurait, selon l’auteur, parlé abondamment de son métier. L’ajout d’un index aurait par ailleurs facilité le repérage des nombreux exemples de courriéristes et de journaux. Cet ouvrage doit cependant surtout être reconnu comme une contribution importante à la connaissance de l’histoire de la presse au Québec. Il constitue également un bel hommage à ces hommes, gardiens du patrimoine parlementaire malgré eux, qui ont rendu possible la reconstitution des débats qui ont animé la vie démocratique du Québec avant la création du Journal des débats en 1964.