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Celui qu’on a connu au titre de doyen Garigue, dont les travaux sur le Canada français ont marqué la conjoncture du tournant de 1960, s’est éteint à Toronto le 25 mars 2008, après une longue carrière dans l’administration universitaire, d’abord à l’Université de Montréal puis à l’Université York de Toronto.
Né en 1917 à Manchester (Angleterre) d’une famille anglo-française, Philippe Garigue a grandi à Paris. Entré dans les forces armées britanniques en 1939, il a pris part aux campagnes d’Afrique et d’Europe et fut démobilisé en 1947. Une bourse d’études le dirige alors vers le London School of Economics où il passe cinq ans, au terme desquels l’Université de Londres lui décerne un doctorat en anthropologie pour une thèse intitulée An Anthropological Interpretation of Changing Political Leadership in West Africa. « Profondément influencé par l’enseignement de Karl Popper », écrit-il dans son « Itinéraire sociologique » (La sociologie au Québec, Recherches sociographiques., XV, 2-3, 1974), ce sociologue à vocation tardive a développé une conception « scientifique » des sciences sociales, qui l’amène à rejeter le cadre de référence marxiste. Converti à cette époque au catholicisme, il décide parallèlement d’« utiliser sa connaissance en chrétien » (ibid.).
À l’invitation de l’Université McGill, Philippe Garigue vient enseigner la sociologie au Québec à l’automne 1954 et poursuit par quelques travaux de terrain son étude du Canada français, amorcée dès 1953. Ces recherches, qui ont fait l’objet d’une communication à l’ACFAS en 1955 puis d’une publication en 1958, ont déclenché un débat dans la cité savante, qui marque l’entrée en scène de leur auteur dans l’histoire de la sociologie québécoise. Garigue s’en prenait aux sociologues de Chicago (Redfield, Miner et Hughes), auxquels il imputait une méconnaissance de l’histoire du Canada français, une vision idéologique et une conception archaïque de la culture canadienne-française, ainsi qu’une méthode scientifique défectueuse. « Grâce aux nouvelles méthodes de recherche et à l’élaboration de nouveaux instruments d’analyse, nous pouvons avancer que nous avons dépassé les pionniers », soutenait-il dans son « avant-propos ». En appuyant son interprétation sur les travaux de l’historien Guy Frégault et en ignorant la sociologie d’origine locale, Garigue s’est attiré l’adversité des sociologues de l’Université Laval, qui lui ont reproché son ton polémique et sa connaissance limitée de la société québécoise, mais aussi la réfutation de Marcel Rioux et une réplique vigoureuse de Hubert Guindon. C’est ce qu’on a appelé « la querelle de l’École de Chicago ».
Philippe Garigue est tout aussi connu pour ses travaux en sociologie de la famille, notamment La vie familiale des Canadiens-français, paru en 1962 (prix du Concours littéraire du Québec), suivi de Analyse du comportement familial en 1967 et de Famille, sciences et politiques en 1973. Il a également oeuvré dans les champs de la sociologie politique (L’option politique du Canada français, 1963) et de la Sociologie de la science (1967). Surtout vers la fin de sa vie, il écrivait de la poésie, dont il a publié quatre recueils : Le temps vivant, L’humaine demeure (1975), De la condition humaine (1995) et Le temps de l’intelligence (prix du Consulat général de France à Toronto 1999), couronnés par Les lieux de ma mémoire : une introduction à la poésie de la société monde, en 2002.
En 1957, Garigue est nommé doyen de la Faculté des sciences sociales de l’Université de Montréal, où il enseignait déjà en même temps qu’à McGill. Il a occupé le poste pendant quinze ans. Parallèlement et à titre d’expert des questions familiales, il a rempli plusieurs fonctions de service à la société à différents niveaux : président du Conseil consultatif du ministère des Affaires sociales et de la Famille du Québec en 1964, président de l’Union internationale des organismes familiaux, pour l’ONU, en 1969, conseiller du ministère fédéral de la Santé et du Bien-être, directeur-fondateur de l’Institut Vanier de la famille. De 1980 à 1987, on le retrouve à la direction du collège bilingue Glendon de l’Université York à Toronto, où il a développé notamment le programme d’études internationales.
La carrière de Philippe Garigue a été couronnée de plusieurs honneurs et distinctions. Il était notamment membre de la Société royale du Canada et officier de l’Ordre du Canada, ainsi que Grand-Croix de l’Ordre de Cisneros (Espagne), Grand-Officier de l’Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes et de Malte et Officier de la Légion d’Honneur.