Article body
« L’immense farce qu’est l’évaluation » (p. 31), « la comédie qu’est la réussite » (p. 124), la hausse artificielle des taux de diplomation (p. 160) : c’est le grand mensonge de l’éducation que portent sur la place publique trois enseignants de français, au primaire, au secondaire et au collégial respectivement. Adepte de la pédagogie par projet avant la norme, Luc Germain a dû revenir à un enseignement plus traditionnel, les enfants de sixième année ne maîtrisant pas suffisamment la langue pour être embarqués dans une « TRÈS motivante » aventure théâtrale. C’est que l’actuel « renouveau pédagogique » vise surtout à masquer les difficultés d’apprentissage ou à les éliminer magiquement, de deux façons complémentaires : supprimer les redoublements et regrouper les « poches » avec les « bolés » dans des classes hétérogènes, où ceux-ci seraient censés entraîner ceux-là à apprendre en s’amusant. Et ça fonctionne, en ce sens que les élèves « réussissent » de plus en plus en en sachant de moins en moins.
Luc Papineau pose un diagnostic analogue pour le secondaire, tout en ratissant beaucoup plus large. Pour dégager les multiples raisons de l’échec pédagogique, il a eu recours à un abondant dossier de presse et d’Internet, en sus de son expérience personnelle. Faisant flèche de tout bois, le vigoureux propos manque par endroit de cohérence. Papineau déplore le double processus de nivellement par le bas de l’enseignement du français au secteur régulier : l’écrémage opéré par les programmes particuliers destinés à concurrencer l’école privée et l’intégration des élèves en difficulté dans les classes régulière. (Si je comprends bien, il faudrait des classes plus homogènes pour l’élève faible et l’élève moyen, mais pas pour les « éléments performants » ?) Il dénonce aussi « le fait que la profession se meurt à petit feu » (p. 64), notamment en raison des tolérances d’engagement qui permettent à un bachelier disciplinaire d’enseigner sans aucune formation pédagogique ; pourtant, il avouera plus loin que ses études en pédagogie furent « la plus grande perte de temps de [sa] vie » (p. 97). « Einstein n’aurait pu enseigner au secondaire sans refaire quatre années d’université », ironise-t-il dans une citation au second degré (ibid.). Attrapant au passage l’idée que « des professeurs d’université […] sont les véritables artisans » de la réforme scolaire (p. 74), il n’en fait pas moins porter le blâme sur les fonctionnaires du MELS, qui « a cette fâcheuse tendance à n’écouter que les avis qui le rassurent dans ses décisions » (p. 107). Et alors que ces « pédocrates » alliés à « certains universitaires des facultés des sciences d’éducation […], depuis quarante ans, perpétuent la culture de l’échec au Québec » (p. 127), la présente réforme constitue pourtant « un changement majeur en éducation » (p. 123).
Pour le collégial, Benoît Séguin fonde sa critique sur une description précise des programmes et de l’examen ministériel dit « épreuve uniforme de français », qu’un bon élève du primaire peut déjà réussir. Il préconise par conséquent un examen beaucoup plus exigeant, « quitte à provoquer une hécatombe » (p. 186). C’est ce que j’appellerais mettre la charrue avant les boeufs, considérant qu’il serait indécent d’exiger de nos jeunes la maîtrise de ce qu’on ne leur a enseigné qu’à moitié. Au lieu de se braquer sur la question, somme toute secondaire, de l’évaluation, on serait mieux avisé de commencer par s’en prendre aux programmes – issus de la « bêtise de nos pédagogues universitaires » (p. 195) que les auteurs dénoncent en conclusion, en sandwich entre « l’inefficacité gouvernementale » et « l’hypocrisie de nos concitoyens ».
En introduction, les auteurs soutiennent que leur « pamphlet […] vaut certainement toutes les chroniques et les savantes analyses des observateurs extérieurs » (p. 13). Mettons. Restent certaines choses qui se voient mieux à distance qu’à bûcher en pleine forêt. Si Papineau a puisé abondamment dans les chroniques, il a feuilleté un peu vite Main basse sur l’éducation et ignoré mes savantes analyses d’Un dérapage didactique, qui traitait justement de son chantier. Pour se clarifier les idées sur « les pédocrates du MELS », il aurait encore intérêt à se taper l’élégante critique de Marc Chevrier sur « Le complexe pédagogo-ministériel », dans Argument de l’automne dernier. Pour finir : ça m’embête d’avoir à renoter à un professeur de français l’usage incongru de « ce dernier » là où il n’y a pas de premier ou quand il s’agit en fait de « celui-là ».