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Il me semble que le petit livre, French as the Common Language in Quebec, devrait tranquillement frayer son chemin, surtout si l’éditeur sait efficacement en faire la promotion. Cette synthèse critique de l’histoire du développement de la langue française au Québec depuis la Révolution tranquille est certainement une très agréable addition aux oeuvres linguistiques québécoises pour tous ceux qui lisent en anglais. La publication regroupe quatre articles déjà parus en français dans la revue Globe, mais le livre représente beaucoup plus qu’un assemblage d’articles. Ensemble, ils offrent une vision du rôle que les enjeux linguistiques ont joué au Québec pendant le dernier demi-siècle. Je suis d’accord avec la présentation de Daniel Chartier qui avance que, « l’identité collective du Québec est définie par la langue » parce que la langue sert d’instrument de changement social, de lieu commun au milieu de la diversité, de terrain de jeu littéraire, de laboratoire urbain, ou encore d’outil d’intérêt politique. Qui veut comprendre le Québec doit nécessairement comprendre la question linguistique ! Ce petit ouvrage reflète lui-même les changements dans les attitudes envers le Québec et ses batailles linguistiques : trois des quatre spécialistes qui signent les articles sont des professeurs enseignant dans les universités britanniques !
« The debate on l’aménagement du français in Québec » de Ian Lockerbie raconte la querelle entre deux écoles de linguistes sur la question de la qualité de la langue. Les conservateurs traditionalistes souhaitent que les normes importées de la France prédominent tandis que les aménagistes croient que le français de l’Amérique du Nord a tout naturellement des traits distincts. Les uns refusaient le joual, les autres affirmaient que l’expérience historique, le conditionnement du milieu géographique et l’influence de la culture sociale avaient créé un besoin de normes linguistiques distinctes et tout à fait légitimes. Cependant, même les puristes admettent que quelque 20 % du lexique total du Québec est composé de mots légitimes québécois d’utilisation quotidienne. D’après Lockerbie, non seulement le français au Québec a-t-il été réhabilité de sa longue période de domination par l’anglais, mais la norme du français québécois est maintenant reconnue. La description fascinante et nuancée que fait Lockerbie de la polémique parmi les intellectuels et le rôle significatif joué par la controverse sur les dictionnaires dans la reconnaissance internationale du « standard québécois » ont rendu son article non pas « arcane » mais tout à fait vibrant pour un non-spécialiste. J’aurais souhaité seulement qu’il ait fait un plus grand effort non pas pour traduire « l’aménagement du français » mais pour mieux définir son utilisation de l’expression.
Le corps du livre est composé des articles historiques de Karim Larose de l’Université Laval et de Leigh Oakes, de l’Université de London, qui offrent des interprétations du développement du français au Québec sous deux angles différents mais complémentaires. Larose trace l’émergence de l’idée d’unilinguisme (qui n’est même pas dans le dictionnaire de mon ordinateur) au Québec. Considérée comme trop radicale, cette notion s’est graduellement transformée en concept de français prioritaire que l’on retrouve dans la Charte de la langue française. L’auteur lui-même fait la synthèse : « Le français n’aurait pas pu se développer si l’anglais, la langue dominante en Amérique du Nord, avait continué de l’avaler par l’entremise de son prestige socioéconomique. En ramassant les idées du projet ”unilingue“ tout en rejetant son approche exclusiviste, la Charte de la langue française a évité ce sous-développement. Au nom de la dignité de ceux qui parlent une langue, la Charte a réaffirmé que, pour rester une langue vivante, le français doit être la langue commune, la première langue, la langue officielle dans tous les domaines principaux de la vie sociale » (p. 152, ma traduction).
Appuyé par la Charte, le français a pu lentement compléter sa transformation comme langue commune au Québec. Donc officiellement le français n’est plus la propriété des Canadiens français. Quelque 87 % de la population prétend que le français est leur principale langue d’usage public. Mais Leigh Oakes se demande si en principe ou en réalité une langue peut se départir de ses racines ethniques et, si non, comment on peut motiver les immigrants à adopter le français comme langue de communication publique. Vu que la chose est déjà un fait accompli, je trouve l’argumentation d’Oakes un peu forcée. Néanmoins, il nous rend grand service en suivant le cheminement du français vers son statut indéniable de langue publique commune, de la Commission Gendron en 1972, aux activités du Comité interministériel sur la situation de la langue française et au rapport des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec de 2001. Oakes conclut que la langue est plus qu’un mode de communication et qu’on ne peut pas lui enlever ses bases ethniques. À l’aide d’exemples comparatifs, Oakes démontre que même les États dits civiques ne sont pas très neutres envers leurs groupes ethniques et qu’en fin de compte, c’est l’ethnicité elle-même qui offre la motivation pour le maintien de la langue nationale. Dans de telles circonstances, il souligne la nécessité d’une citoyenneté fondée sur des politiques intégrationnistes favorisant l’accueil et l’inclusivité pour attirer les Néo-Québécois vers le français.
L’article de Ines Molinaro (Oxford) approfondit la relation entre les communautés allophones et les questions linguistiques au Québec. L’auteur offre une très intéressante comparaison entre les politiques intégrationnistes des gouvernements du Canada et du Québec dans leur désir de tolérer la diversité culturelle. Cependant, sa démonstration analytique est quelque peu gâtée par des expressions exagérées (langues et cultures hégémoniques), des affirmations gratuites et contestables (le civisme et les principes et valeurs politiques ne peuvent pas générer un sens d’appartenance, d’allégeances ou de communauté, p. 72) et des contradictions telles que : « Les enfants d’immigrants sont confortables avec leur pluralité d’identités culturelles » (p. 110) et « La majorité québécoise doit vouloir ouvrir “le centre” à une culture hétérogène pluriethnique » (p. 114). En dépit de sa volonté de créer des arguments là où il n’y en a pas, Molinaro termine avec une excellente analyse d’un tout nouveau phénomène présent au Québec, à savoir que « la diversification et l’hybridation des styles de vie manifestes dans les environnements urbains offrent aux individus des options culturelles complexes » (p. 111, ma traduction).
Au-delà de quelques critiques mineures, French as the Common Language in Québec est une excellente oeuvre collective, pleine d’analyses astucieuses et bien étoffées. C’est une étude approfondie utile pour les spécialistes mais à la portée des non-spécialistes et des étudiants, accessible en anglais.