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La migration des jeunes aux frontières de l’espace et dutemps présente des résultats d’enquêtes réalisées par le Groupe de recherche sur la migration des jeunes (GRMJ) dont il couronne dix ans d’activités. Des cadres théoriques nuancés, des concepts éclairants, des méthodologies appropriées et des analyses approfondies charpentent cet ouvrage et en font une référence incontournable de la sociologie de la jeunesse au Québec.
On peut situer cet ouvrage dans une démarche sociologique plus lointaine de réflexion sur la jeunesse au Québec. Au début des années 1960 certains sociologues, comme Jacques Lazure, voyaient déjà les jeunes comme étant les principaux acteurs des changements sociaux. Sous la direction de Fernand Dumont (1986), un premier ouvrage collectif renfermait quelques questions sur les itinéraires, les appartenances et l’insertion sociale et professionnelle des jeunes. Ces questions sont remises à jour par le GRMJ. On remarque cet héritage intellectuel, dès l’introduction, signée par Madeleine Gauthier, véritable personnification du lien entre l’approche dumontienne de la sociologie québécoise et l’avant-garde de la sociologie de la jeunesse au Québec. Par ailleurs, les échanges entre collaborateurs ainsi que l’ensemble cohérent de l’ouvrage montrent une synergie entre deux générations de chercheurs.
L’ouvrage comprend huit textes dont la plupart sont signés par deux, trois ou quatre auteurs. Dans une formule à suivre, l’expérience savante et la rigueur analytique des chercheurs seniors font bon ménage avec la diversité des sujets et des hypothèses hétérodoxes apportées, en général, par les réflexions des juniors d’après leurs recherches réalisées dans le cadre d’un doctorat. Les quatre annexes donnent quelques renseignements sur l’équipe du GRMJ et ses partenaires, sur les procédures méthodologiques quantitative et qualitative de la recherche et sur le profil de migration des répondants.
À l’exception du chapitre 5, l’approche commune des auteurs évite de parler d’exode à propos des jeunes. La migration de ces derniers apparaît plutôt comme un parcours non linéaire aux visages multiples et qui s’inscrit dans le passage à la vie adulte. Par ailleurs, il faut ajouter que le mot exode renferme une connotation religieuse qui renvoie à un déplacement forcé dans le but d’accomplir une mission. Cela n’aide pas non plus les experts à comprendre la migration des jeunes dans une société individualiste de plus en plus laïque et où les jeunes se déplacent souvent à leur gré.
Serge Côté et Dominique Potvin analysent la migration interrégionale des jeunes au Québec. Dans les régions « intermédiaires » et « métropolitaines », la migration ne se passe pas de la même manière quant au moment, aux conditions de sa trajectoire et aux motifs qui la déclenchent.
Lucie Fréchette, Danielle Desmarais, Yao Assogba et Jean-Louis Paré étudient l’intégration des jeunes migrants à la vie urbaine. Tributaire de la sociologie compréhensive de Weber et Simmel, l’analyse montre que les jeunes migrants sont les acteurs de leur intégration sociale. Sans pour autant minimiser les contraintes structurelles, les auteurs se penchent sur quelques outils pratiques d’intégration des jeunes migrants comme « la carte cognitive de la ville » et le tissage d’un réseau de sociabilité. Le propos souligne l’importance de quelques microterritoires propices à l’intégration des jeunes migrants en ville comme le collège ou le campus.
Camil Girard, Stéphanie Garneau et Lucie Fréchette s’intéressent à la construction identitaire. L’analyse dégage deux groupes de jeunes migrants : celui des « nostalgiques » et celui des « citadins d’adoption ». Chez les premiers, la nostalgie et leur « bagage sentimental » leur collent à la peau. À leur façon ils bricolent leur identité en tant que migrants dont le lieu d’origine demeure un ancrage symbolique. Le deuxième groupe présente un remarquable sentiment d’appartenance avec le lieu d’accueil. Cela ne suppose pas forcément une rupture avec le lieu d’origine. La distinction entre le sentiment d’appartenance et l’attachement au territoire permet de repérer la recomposition identitaire des jeunes à partir des représentations des lieux d’origine et d’accueil.
Le rapport entre mobilité géographique et insertion professionnelle des jeunes est scruté par Claude Laflamme et Fréderik Deschenaux. La nouvelle réalité du marché de l’emploi est le point de départ pour analyser l’insertion professionnelle de quatre groupes de jeunes (non-migrants, migrants intrarégionaux, migrants interrégionaux sortants et de retour). Bien que de nombreuses études montrent que « les jeunes s’adaptent à la nouvelle réalité du marché de l’emploi », les auteurs aboutissent à des résultats qui relient parfois la mobilité spatiale des jeunes à une « nécessité », mais aussi à un choix rationnel des acteurs. Pour les auteurs, l’évaluation que les jeunes font du marché local de l’emploi et le rapport qu’ils entretiennent avec l’emploi fournissent quelques assises à la question toujours complexe des motivations de leur migration.
Jules Desrosiers et Denis Lebel présentent une évaluation du programme Place aux jeunes. Ce programme est un catalyseur dans le processus de retour de quelques jeunes adultes qualifiés, une composante des enjeux pour le développement régional. Pourtant, un véritable changement dans le lieu d’origine apporté par les actions innovatrices et par le dynamisme des jeunes qualifiés de retour reste un point aveugle de l’analyse.
Patrice LeBlanc mesure l’accès à la vie adulte des jeunes ruraux et urbains au travers de trois processus (autonomie face aux parents, indépendance financière et prise progressive d’engagements). Il rejoint ici l’approche de la sociologie de la jeunesse d’Olivier Galland. L’auteur montre que le passage à la vie adulte des jeunes Québécois se déroule comme dans toutes sociétés occidentales, tout en étant doté de quelques particularités, milieu rural et milieu urbain. Selon LeBlanc, même si l’expérience juvénile est plus individualisée dans la modernité avancée (et cela vaut également pour la ruralité québécoise définitivement moderne), certaines conditions objectives jouent fortement dans le passage à la vie adulte.
Juno Tremblay et Jacques Hamel proposent un bref survol sur la migration des jeunes Montréalais au dehors de la métropole et ils mettent en lumière leurs motivations de départ. Malgré les atouts de la métropole, où se concentrent la plupart des jeunes venus d’ailleurs, certains la quittent aussi. Certes, ils ne vont pas trop loin, mais la métropole les attire de moins en moins, notamment dans le cas des jeunes adultes.
Marc Molgat et Nathalie Saint-Laurent revisitent la typologie des jeunes migrants de Pierre Noreau. L’approche « actionnaliste » des auteurs souligne les avatars (temporel et spatial) du parcours migratoire des jeunes. En prenant en compte le discours réflexif des jeunes migrants sur leurs expériences en ville et leurs projets d’avenir, les auteurs montrent que les parcours migratoires ne se laissent pas enfermer dans des catégories figées, notamment dans un cadre mécanique de push and pull factors.
Les deux responsables de la direction de cet ouvrage collectif signent le texte de conclusion. En soulignant les rapports qu’entretiennent les jeunes avec le temps et l’espace durant leur parcours migratoire, ils proposent un bilan basé sur les contributions de leurs collaborateurs.
Les analyses éclairent un grand nombre de questions sur la migration des jeunes au Québec. Pourtant, un point aveugle de la sociologie y persiste, pour reprendre une remarque de Guy Bajoit lors de son discours de clôture du dernier congrès de l’association internationale de sociologues de langue française. Selon lui, s’intéresser à nouveau à cette question permettrait de relier la migration des jeunes aux bouleversements des rapports sociaux sans pour autant retomber dans une vision réductrice puisque les jeunes ne sont pas des simples individus ballottés au gré des conjonctures. Même si les clivages selon les régions d’origine et d’accueil, le genre et le niveau de scolarisation et de formation ont préséance dans la plupart des analyses, l’origine et l’appartenance sociale des jeunes migrants ne sont pas relevées. Ce point aveugle peut paraître paradoxal à l’égard des sociologues étrangers interpellés constamment par les « problèmes sociaux » des jeunes défavorisés des banlieues françaises, des ghettos américains, des favelas brésiliennes ou d’autres territoires où les jeunes venus d’ailleurs s’entassent.
Cet ouvrage offre au lecteur un nouveau regard sur la migration des jeunes. Reste à savoir si les théories de l’individualisation peuvent rendre compte de la migration d’autres jeunes québécois – peut-être peu nombreux pour la grille analytique du GRMJ – ou si l’approche « actionnaliste » risque de faire de la migration un apanage des jeunes favorisés.