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D’après Jocelyn Maclure, l’imaginaire québécois serait « absorbé, assiégé par deux représentations identitaires dominantes, qui comptent évidemment plusieurs variations : (1) le discours nationaliste mélancolique, parfois triste et résigné, souvent véhément et séditieux ; (2) le discours antinationaliste, rationaliste et cosmopolitique » (p. 31). Selon l’auteur, ces deux visions, qui s’apparentent selon nous bien plus à des idéologies ou à certaines cultures politiques, s’entrechoquent, s’interpellent, se bousculent aux portes du politique. Mais, selon lui encore, ces deux types d’analyse formeraient le noyau dur d’un monde illusoire, un mythe de la caverne, qui rendraient les protagonistes aveugles de la nouvelle réalité québécoise. Son objectif : offrir une nouvelle figure de nous-mêmes, un modèle davantage pluraliste, mieux ancré sur notre nouvelle réalité nationale et continentale.
Si son diagnostic est exact, il faudrait blâmer les intellectuels de ces deux écoles qui de par leurs analyses étroites et duales de la société québécoise ont fini par élaborer un monde imaginaire. Le premier objectif de J. Maclure, à travers son style acéré, est d’offrir une critique personnelle des idées défendues par ces deux écoles. Elles véhiculeraient une image de la société québécoise qui serait restrictive, limitative et un tant soit peu narcissique, celui des baby-boomers. Il interpelle, et c’est ce qui est le plus réconfortant dans cet ouvrage, ces chantres qui placent la critique permanente de la société québécoise au centre de leurs actions comme si tout était meilleur ailleurs. En fait, en plaçant constamment le Québec sur le respirateur artificiel, ils veulent tout simplement se justifier eux-mêmes.
Le projet de J. Maclure est ambitieux car il veut, selon ses termes, « oxygéner » la réflexion intellectuelle de ses aînés afin d’amener une réflexion sur un nouveau sentier qui saura mieux refléter des aspirations légitimes de sa génération. D’ailleurs, l’auteur s’appuie largement tout au long de l’ouvrage sur les travaux de ses collègues de la rue McTavish. Le chemin que J. Maclure nous invite à suivre, à travers ses Récits identitaires, relève bien plus de la sociologie des idées que de la philosophie politique. Le travail d’un Fernand Dumont, par exemple, semble ainsi avoir été une source d’inspiration constante.
Prenons, comme point de départ le mot « identitaire ». Il signifie pour Maclure « l’ensemble des formes et figures que prend l’identité québécoise dans ses multiples narrations et interprétations » (note 20, p. 31). Cette définition demeure à notre avis un concept s’apparentant davantage à l’univers sociologique que philosophique. Selon lui, il y aurait au Québec, comme ailleurs dans le monde, un engouement récent pour les questions identitaires. Nous croyons au contraire que ce débat n’est pas nouveau puisqu’il a habité toutes les époques de notre histoire. Les références de Maclure le confirment d’ailleurs. Si le débat identitaire actuel est en bonne partie tributaire de la non-décision référendaire de 1995, il peut aussi être perçu comme un pis-aller vers une autre étape historique. Le grand mérite du travail de Maclure est justement d’offrir une lecture perspicace de la spécificité du discours identitaire québécois quel que soit son mode de conjugaison (nation, genre, classe, etc.). L’objet central de son étude, il faut bien le noter, demeure « la nation comme narration » ou en d’autres termes comment divers auteurs perçoivent ce que fut (surtout), ce qu’est (un peu moins) ou ce que sera la nation québécoise (encore moins).
Pour ce faire, il affirme que sa démarche relève de l’ontologie critique qu’il définit comme une « attitude philosophique et pratique de soi » (p. 204). Cette méthode, selon l’auteur, « peut servir à historiciser des fragments d’identités sacralisés, à situer et relativiser nos récits identitaires et à problématiser les représentations de nous-mêmes qui se sont cristallisées avec le temps » (p. 204). De plus, il établit au fil des pages certains principes qui le guident : éviter la polémique (p. 37) et éviter d’ordonner les fidélités, les allégeances et les horizons de sens des individus (p. 179). En fait, il est difficile selon lui de classifier les appartenances partisanes car il n’appartient pas à la philosophie politique de « hiérarchiser les communautés d’appartenance du sujet contemporain » (p. 192).
Le défi de Maclure est donc de demeurer sur le terrain des idées, d’éviter de transposer ces dernières dans l’arène politique. C’est selon nous la plus grande faiblesse de la démarche de l’auteur car comment peut-on mettre côte à côte un Paul-Émile Borduas et un Pierre Vallières, comme s’ils appartenaient à la même famille idéologique ? Leurs analyses, même si elles convergent sur certains points, ne signifient nullement que tous deux appartiennent à la même école. Leurs productions intellectuelles, surtout le Refus global et Nègres blancs d’Amérique, s’inscrivent dans un contexte social et politique bien précis. Nous pourrions parler pendant des heures de l’impossible reconnaissance nationale du Québec par le Canada, du rejet du dualisme canadien, tôt ou tard il faudra bien reconnaître que ces idées ne sont pas indépendantes du contexte dans lequel elles ont germé.
Mais en voulant éviter à tout prix d’élaborer sur les conséquences politiques de certaines vues de l’esprit, et en particulier de ceux et celles dont il conteste l’analyse – comme les partisans de l’école antinationaliste représentés par des intellectuels organiques comme les Angenot, Derriennic et Robin – Maclure veut en quelque sorte baliser le débat en refusant d’aborder de front les modèles d’organisation politique défendus par ces auteurs. Certains diront que cette décision fut heureuse, d’autres y verront peut-être une limite de sa démarche. Car si Maclure veut vraiment prendre un « tournant pratique » (p. 40), il aurait pu aussi élaborer sur la vision sociétale proposée par chaque auteur. Si Maclure rejette par exemple l’analyse d’Angenot concernant un certain nationalisme du ressentiment, celle d’un Derriennic en faveur d’un État anational pour les Québécois ou celle de Robin affirmant que la Pensée unique règne au Québec, il faudrait à tout le moins qu’il démontre le caractère irrévérencieux de ces hypothèses. Malgré tout, l’analyse de Maclure est cinglante et comme ces polémistes ont tendance à ne pas répondre aux critiques sérieuses (p. 164), il n’a certes pas besoin de se cacher derrière une certaine neutralité pour mieux défendre son point de vue.
Mais ce qui est révélateur, c’est le nombre de protagonistes dans les deux camps. La lecture de l’ouvrage de J. Maclure montre clairement que le paradigme antinationaliste est nettement minoritaire et que le courant identitaire-nationaliste, avec toutes ses variantes, anime davantage la vie intellectuelle québécoise. La tendance identitaire-nationaliste partage d’ailleurs deux idées développées par Will Kymlicka (je ne suis pas certain de qui précède qui) à savoir que la nation demeure une source et un horizon fondamental pour le développement de l’identité et que l’absolue neutralité de l’État met en péril l’existence même des nations minoritaires (p. 160). De ce point de vue, les antinationalistes sont bien plus des libertaires pour qui les libertés individuelles sont davantage un refuge, une position de repli, afin de nier l’existence des peuples. Sur le marché des idées, il faut bien l’admettre, il n’y a jamais ni vainqueur ni vaincu et c’est tant mieux. C’est l’opérationnalisation politique de ces dernières qui à notre avis détermine leur valeur. Peut-on, par exemple, véritablement créer un État anational ? En existe-t-il ? De plus, lorsque Maclure critique l’idéal républicain d’un Chevrier par exemple, pourquoi ne nous explique-t-il pas pourquoi ce modèle ne pourrait pas répondre aux défis posés à une société multiculturelle, multinationale et métissée (p. 126) ? Si on veut faire de la philosophie sociale, il faudrait au moins savoir si ces visions ne sont que chimères, pures constructions de l’esprit.
Maclure n’épargne pas également ceux et celles qui cherchent, dans la lignée des André Laurendeau ou Léon Dion, des pistes d’accommodement entre le Québec et le Canada. Les protagonistes de l’école de Ste-Foy (ma classification) sont nombreux et cherchent constamment à faire converger l’identité nationale des Québécois avec leur identité territoriale, soit de faire partie du Canada (G. Laforest, J. Létourneau). En fait, leur combat se résume essentiellement à faire en sorte que le Québec, au sens de communauté nationale du peuple québécois, puisse trouver un terrain d’entente avec ses partenaires canadiens. L’objectif, dans la plus pure tradition fonctionnaliste, est de diminuer les sources de tension et d’éviter les conflits. Pour y arriver, on élabore des modèles consensuels afin de trouver certains compromis qui sont, de l’avis de Maclure, toujours précaires (p. 128).
Finalement, après avoir serpenté les routes sinueuses des idées, Maclure aimerait pouvoir trouver un terreau fertile pour toutes les communautés d’appartenance. Pour lui, et nous partageons son avis, c’est dans la mesure où la liberté démocratique pourra s’exprimer sans entraves que la société québécoise finira par trouver son port. Il est d’ailleurs étonnant que Maclure ne cite pas l’ouvrage de Daniel Latouche (Plaidoyer pour le Québec) car on sent une filiation directe avec ses propos même si le professeur de l’INRS n’appartient pas à la même génération que Maclure. La conclusion de Maclure est d’ailleurs décevante puisque cette quête démocratique, cette recherche de « raisons communes » pour reprendre l’expression de Fernand Dumont, a toujours été au coeur de la réflexion et des débats au sein des formations politiques québécoises, et ce depuis plus de trente ans. Il manque peut-être à l’auteur un peu de recul historique.
Et c’est cet inconfort que j’ai ressenti en fin de lecture comme si le débat public, l’agora des idées, appartenaient uniquement à ceux et celles qui se disent philosophes et qui ne le sont pas nécessairement. La difficulté réside dans le fait que Maclure a choisi de prendre les extrémités du spectre idéologique québécois. Il a ainsi oublié qu’entre la rue McTavish et Sainte-Foy, il existe aussi une multitude d’idées qui rejoignent bon nombre de citoyens. Je pense, par exemple, aux travaux d’un Michel Seymour et d’un Kai Neilson qui auraient mérité beaucoup plus qu’une note ou un oubli. Comment évacuer les travaux du cercle des Intellectuels pour la souveraineté (IPSO) qui depuis 1995 poursuit l’objectif précis de proposer des pistes de réflexion et de solutions qui transcendent les identités ?
Mais tout compte fait, l’objectif de Maclure était peut-être précisément de mettre en évidence la filiation de deux courants idéologiques somme toute dépassés par le politique. Clairement, et Maclure doit recevoir tout le mérite de l’avoir montré, autant le nationalisme mélancolique que l’antinationalisme sont des idéologies revenchardes, l’une contre l’envahisseur britannique ou le Canada anglais et l’autre contre les nationalistes québécois de tout crin. Car comment rêver de réconciliation alors que des Québécois aux identités changeantes, et ce par pur opportunisme politique, conspirent quotidiennement contre le Québec ? Si l’idéal de Maclure est de faire naître au Québec une nouvelle société pluraliste et plurinationale, il faudra d’abord reconnaître que le « récit identitaire » de certains citoyens vivant au Québec est fort différent de celui d’une large majorité de la population québécoise. Les philosophes peuvent bien chercher à élaborer un nouveau contrat social, s’il n’y a pas de signataires, l’exercice sera vain. Quelles sont les conditions qui permettront cette convergence ?
Enfin, un dernier mot mais cette fois pour le directeur de la collection. L’ouvrage Penser la nation québécoise n’a pas été écrit par l’auteur-compositeur Stéphane Venne mais bien par le journaliste du quotidien Le Devoir, Michel Venne. De toute façon, comme le chantait le premier… demain nous appartient.