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La sécurité et la santé (SS) sont au coeur du mandat constitutionnel de l’Organisation internationale du travail (OIT)[1]. L’obligation de promouvoir des conditions de travail sûres a été réaffirmée en 1944 dans la Déclaration de Philadelphie[2] et, en 2008, dans la Déclaration sur la justice sociale pour une mondialisation équitable, l’OIT a souligné que des conditions de travail qui préservent la SS des travailleurs[3] sont un élément clé de l’agenda du travail décent[4].

Dans le Pacte mondial pour l’emploi modifié en 2022, l’OIT a réitéré ce souci sécuritaire et sanitaire au travail en vue d’une reprise économique créatrice d’emplois décents[5]. Devenu la pierre angulaire de la politique sociale de l’OIT, le travail décent résume les aspirations des êtres humains au travail et regroupe, notamment, la sécurité[6] et la dignité sur le lieu de travail[7].

Au cours des années, l’OIT a élaboré un ensemble conséquent d’instruments internationaux visant à protéger les travailleurs contre toute atteinte à leur santé et sécurité au travail (SST)[8]. Il s’agit, notamment, de la Convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs et de la Convention n° 187 sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé des travailleurs. Ces deux instruments juridiques sont d’ordre général, car ils formulent des principes généraux applicables à toutes les branches d’activités économiques[9], y compris le secteur minier. Cette application large donne à ces conventions une caractéristique on ne peut plus novatrice compte tenu de leur portée étendue et inclusive[10].

Si tous les travailleurs sont concernés par les questions de SST, il n’en reste pas moins que certains d’entre eux sont plus exposés que d’autres. Il s’agit notamment des travailleurs des mines[11]. Partant, ils sont doublement protégés. En effet, au-delà de la protection générale découlant des conventions sus référées sur la SST dont ils bénéficient, ils sont aussi protégés par la Convention n° 176 sur la sécurité et la santé dans les mines. L’une des principales raisons d’adoption de cet instrument juridique a été la reconnaissance que « le travail dans les mines est l’un des plus dangereux compte tenu des effets néfastes pour la santé et des risques courus dans les mines »[12].

Malgré les efforts mondiaux déployés pour traiter ces préoccupations, l’OIT estime que « chaque année, dans le monde, 2,78 millions de travailleurs meurent d’accidents du travail et de maladies professionnelles et 374 millions sont victimes d’accidents du travail non mortels »[13]. Bien plus, des millions d’autres travailleurs sont blessés ou souffrent de maladies de longue durée liées à leur travail[14] et, en même temps, nombre de travailleurs demeurent exposés à des risques professionnels persistants qui menacent leur SST[15].

En République démocratique du Congo (RD Congo), l’OIT souligne que les atteintes au droit à la SST sont courantes et touchent tous les travailleurs (formels et informels) de tous les secteurs économiques[16]. Dans la province du Sud-Kivu en particulier, la situation est dramatique surtout en ce qui concerne les travailleurs miniers artisanaux qui font face à des atteintes redoutables à leur SST. Les cas les plus fréquents sont l’effondrement des mines d’or causant la mort des travailleurs[17], le manque ou l’insuffisance d’équipements de protection les plus élémentaires[18], l’atteinte des maladies professionnelles diverses[19], l’exposition à des substances toxiques et à d’autres risques inhérents au secteur minier. Plus récemment, le 24 mars 2023, après avoir passé plus de 18 heures sous terre, des travailleurs miniers artisanaux ont survécu à un éboulement dans la mine artisanale de Nyange à Fizi (Sud-Kivu, RD Congo), grâce à une action de sauvetage[20]. Outre ces risques et atteintes matérielles, nombre des travailleurs miniers artisanaux ne sont pas ou sont insuffisamment informés des risques sanitaires et sécuritaires auxquels ils sont exposés[21].

Ces cas d’atteinte à la SST ont un impact sur les travailleurs et leurs familles en termes de bien-être physique et émotionnel à court et long termes. Du côté des employeurs, la violation du droit à la SST peut impacter négativement la productivité, nuire à la compétitivité[22] et à la réputation des entreprises tout au long des chaînes d’approvisionnement et affecter même l’ensemble de l’économie[23].

Ainsi, « consciente de l’importance vitale de la sécurité et de la santé au travail, indéniablement mise en évidence par la pandémie de COVID-19 et les bouleversements profonds qui en résultent pour le monde du travail »[24], la Conférence internationale du Travail (CIT) a, en juin 2022, décidé « d’inclure un milieu de travail sûr et salubre dans le cadre des principes et droits fondamentaux au travail de l’OIT afin d’accroître la visibilité et l’impact des valeurs fondamentales de l’OIT et de son Agenda du travail décent »[25]. En tant que droit fondamental au travail et pierre angulaire du nouveau contrat social[26], le droit à un milieu de travail sûr et salubre s’applique à l’ensemble des travailleurs et des employeurs[27].

Ce droit découle des Conventions n° 155 et n° 187 sus évoquées. Ces deux conventions ne lient que les États dont la ratification aura été enregistrée par le Directeur général[28]. La RD Congo ne les a jamais ratifiées. Elles ne lui sont donc pas, en principe, opposables. Toutefois, étant donné que le droit qu’elles reconnaissent est devenu fondamental, tous les États membres de l’OIT, même lorsqu’ils n’ont pas ratifié les deux conventions, ont l’obligation, du seul fait de leur appartenance à l’organisation, de les respecter, de les promouvoir et de les réaliser de bonne foi, et ce, conformément à la Constitution de l’OIT[29]. Ainsi, la RD Congo est tenue, en tant que membre de l’OIT, de respecter et de mettre en oeuvre ces deux conventions. Il appert tout de même que le caractère fondamental de ce droit est proclamé par une déclaration de l’OIT (Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi) qui, tout en étant un instrument de soft law, oblige les États. À ce sujet, il convient de noter que la Déclaration n’impose pas de nouvelles obligations aux membres de l’OIT. En effet, elle ne vise qu’à rappeler les obligations qu’ont les États en vertu de la Constitution et à établir que certains droits doivent être considérés comme fondamentaux.[30] Ces droits sont ceux dont leur mise en oeuvre conditionne le bien-être des travailleurs[31] et constituent des objectifs stratégiques du travail décent[32]. Ainsi, ils sont considérés comme essentiels[33] et prioritaires en vue d’un progrès social[34], de la justice sociale[35], du dialogue social et d’institutions du marché du travail efficaces[36].

Le droit à la SST étant dorénavant hissé au rang de droit fondamental, prenant en considération les conditions sécuritaires et sanitaires épouvantables auxquelles sont soumis les travailleurs miniers artisanaux congolais (I), il nous paraît judicieux de nous interroger sur la préoccupation suivante : quelles sont les mesures pouvant contribuer à la mise en oeuvre du droit à un milieu de travail sûr et salubre dans le secteur minier congolais ? En effet, si l’affirmation du caractère fondamental de ce droit a, certes, des implications sur les obligations juridiques internationales de l’État congolais (II), il n’en reste que ce droit ne peut être effectif que si cette affirmation est accompagnée, sur le plan national, des mesures d’exécution, de nature diverse et à des divers niveaux, impliquant les efforts de l’État, des organisations d’employeurs et celles d’employés (III).

Pour répondre à la question sus référée, cette contribution s’appuie sur les données secondaires en rapport avec les conditions de SST de travailleurs miniers artisanaux congolais ainsi que sur l’analyse des instruments juridiques pertinents de droit interne et international.

I. Les conditions de santé et de sécurité des travailleurs miniers artisanaux en RD Congo

En RD Congo, l’exploitation minière artisanale (EMA) est réservée exclusivement aux personnes physiques majeures de nationalité congolaise, membres d’une coopérative agréée[37]. Deux éléments ressortent de ce qui précède. D’une part, les exploitants miniers artisanaux doivent être de nationalité congolaise (d’origine ou d’acquisition) et doivent, pour l’exercice de ce métier, adhérer à une coopérative minière de leur choix, d’autre part. Cette imposition de coopérer s’inscrit dans le souci d’améliorer la gouvernance dans ce secteur[38]. Bien plus, étant donné que l’exportation de métaux et de ressources minérales issues des petites exploitations minières peut grandement contribuer aux recettes de l’État et à la création d’emplois[39], l’imposition de coopérer s’est présentée comme l’un de moyens pour y arriver. Qui plus est, pour les exploitants, il s’agit d’un moyen de s’organiser en vue d’assurer une gestion optimale des ressources communes[40].

Ces effets indéniables doivent cependant être conciliés avec le respect des droits humains fondamentaux au travail, notamment le droit à un milieu de travail sûr et salubre entendu comme un des éléments clés de la justice sociale[41]. Cette problématique s’avère indispensable à analyser, car, d’une part, si le travail demeure d’un impact sociétal évident[42], cela ne doit aucunement occulter l’importante diversité existante du point de vue de conditions de travail auxquelles sont soumis les travailleurs[43]. D’autre part, il est admis qu’en matière de conditions de travail, l’une des obligations ardues est celle de veiller au maintien de la capacité à occuper un emploi[44]. Les conditions de travail se doivent donc d’être un gage du maintien de la SST des travailleurs pendant et après la fin du contrat de travail.

En dépit de ce qui précède, nombre des travailleurs miniers artisanaux congolais sont exposés à des conditions épouvantables de travail[45]. En effet, comme le montrent les résultats d’une recherche empirique sur la santé et l’environnement dans les mines de la province du Sud-Kivu menée par le Centre d’Expertise en Gestion Minière (CEGEMI) de l’Université Catholique de Bukavu (UCB), ces travailleurs sont confrontés à nombre des risques (A) et sont atteints de maladies professionnelles d’ordre divers (B).

A. Les risques

Le travail peut avoir des effets nocifs sur la santé du travailleur à la suite des risques auxquels ce dernier est exposé[46]. Ce risque est la probabilité, pour un salarié exposé à une situation dangereuse lors de son activité professionnelle, de subir des effets nocifs pour sa santé physique et mentale[47].

Pour le cas des mines du Sud-Kivu, les risques recensés sont ceux d’asphyxie et d’exposition aux particules gazeuses. Ces risquent sont plus redoutables dans les puits souterrains, notamment pour les foreurs et les pelleteurs, s’accompagnent d’une exposition aiguë ou chronique aux différentes particules toxiques au cours des activités de l’EMA en souterrain et croissent avec l’usage des motopompes (souvent deux par puits) en souterrain[48].

Les travailleurs sont aussi exposés au risque d’éboulement qui survient quand la mine est mal construite. Ce risque est encore inquiétant si le sous-sol est fragilisé par des centaines de puits et tunnels qui percent les couches souterraines[49]. En plus d’être exposés au risque, certains travailleurs miniers artisanaux sont et continuent d’être victimes d’éboulement. Le cas documenté et relativement récent est l’effondrement, en 2020, d’une mine d’or causant la mort de 50 mineurs travaillant dans la ville minière de Kamituga, au Sud-Kivu[50].

Les risques d’explosifs sont aussi courants. En effet, ces mineurs utilisent des explosifs pour fragiliser les roches difficiles à retirer manuellement afin d’atteindre les roches minéralisées. Les travailleurs qui mettent ces explosifs sont appelés les bouts de feu. Ils descendent dans les puits, creusent là où il faut casser des roches, et placent la poudre et la mèche, appelées lutambi. Si cette mèche n’est pas bien placée, ou le bout de feu commet l’erreur d’aller vérifier alors que l’explosion ne s’est pas encore produite, cela entraîne des accidents graves[51].

À ces risques, s’ajoutent ceux liés à l’atteinte des maladies traumatiques liés à l’usage de concasseurs, le risque d’atteinte des maladies non traumatiques dues à l’exposition aiguë et chronique à la pollution de l’air et sonore, les risques de pneumopathies chroniques liés à l’inhalation fréquente de la fumée découlant du mélange des substances minérales avec de l’acide nitrique[52].

Les travailleurs miniers artisanaux sont aussi exposés au risque de harcèlement au travail et de violences conjugales. Ce risque concerne en particulier les femmes travaillant dans les mines, car elles sont fréquemment exposées et/ou victimes des formes de discrimination, qui reflètent la faible considération sociale des femmes dans la société[53].

Enfin, ces travailleurs courent les risques élevés d’inhalation de la poussière[54], et autres risques et accidents professionnels inhérents à l’exploitation minière artisanale[55]. Au-delà de cette exposition à une situation dangereuse au travail, nombre de travailleurs miniers artisanaux sont atteints de diverses maladies.

B. Les maladies

Les travailleurs miniers artisanaux sont victimes de nombre de maladies. Parmi ces dernières, l’on note notamment les maladies traumatiques. Ces dernières sont dues au fait que le travail dans les mines demande des efforts physiques extraordinaires dans des conditions dramatiques. En effet, « [l]es transporteurs souffrent [… des douleurs musculosquelettiques, mais aussi de la fatigue, et des maux de tête à cause de la corde qu’ils mettent au front pour porter le sac sur le dos »[56].

Ces travailleurs souffrent également de maladies infectieuses dues à l’exposition continue à la poussière de silice et causant la tuberculose et autres maladies pulmonaires. Dans la ville minière de Kamituga, la tuberculose atteint surtout les travailleurs qui pilent les pierres dans les mines. Cela s’explique par le fait que ces travailleurs respirent la poussière. Ils sont nombreux dans un petit espace dans les puits de sorte que si l’un d’eux tousse, il contamine directement les autres[57]. De surcroît, nombre des travailleurs miniers artisanaux sont, du fait de la promiscuité sexuelle dans les sites miniers, atteints du VIH/SIDA et d’autres maladies sexuellement transmissibles comme la syphilis et la blennorragie. Ces travailleurs sont aussi atteints des maladies diarrhéiques par suite du manque d’eau potable dans les sites miniers. Cet état de fait est à la base des maladies comme la diarrhée (dysenteries bacillaire et amibienne, épidémie de choléra) et autres pathologies d’origine hydrique (comme la fièvre typhoïde, la schistosomiase et la malaria qui sont endémiques dans la zone de santé de Kamituga)[58].

Il est important de noter enfin que les causes principales de ces risques et maladies résident dans le non-respect, par les employeurs miniers, des droits matériels et procéduraux qu’implique le droit à un milieu de travail sûr et salubre (point II ci-dessous). Ces causes consistent également en l’absence des textes juridiques spécifiques relatifs à la SST dans le secteur minier, et en la faiblesse et/ou non opérationnalisation des organisations syndicales et des institutions de contrôle et de sanction du cadre juridique d’ordre général existant (point III ci-dessous).

Outre ces risques et maladies, les travailleurs miniers artisanaux ne bénéficient pas de prise en charge patronale des soins médicaux, qui pèsent à leur charge[59]. Partant et en l’absence du salaire décent, nombre de travailleurs des mines demeurent dans leur état de maladie, conduisant à la mort de certains[60], et ce, nonobstant leur droit fondamental à un milieu de travail sûr et salubre dont ils doivent jouir.

II. Le caractère fondamental du droit à un milieu de travail sûr et salubre

On ne le dira jamais assez, le droit à un milieu de travail sûr et salubre fait dorénavant partie des principes et droits humains fondamentaux au travail (B). L’analyse des implications juridiques de ce caractère fondamental requiert, d’emblée, la compréhension de la portée de ce droit (A).

A. Le droit à un milieu de travail sûr et salubre

La Convention n° 155 sur la SST et la Convention n° 187 sur le cadre promotionnel pour la SST mettent en évidence les principes et les droits visant à garantir un milieu de travail sûr et salubre[61]. Elles ne définissent toutefois pas, expressis verbis, ce qu’il sied d’entendre par milieu de travail sûr et salubre. Néanmoins, la lecture combinée de ces deux conventions met en évidence des droits d’ordre substantiel et procédural.

Sous l’angle matériel, le droit à un milieu de travail sûr et salubre sous-tend que les lieux de travail, les machines, les matériels et les procédés de travail ne doivent aucunement présenter de risque pour la sécurité et la santé des travailleurs[62]. Il en est de même des substances et des agents chimiques, physiques et biologiques placés sous le contrôle des employeurs[63]. Ce versant substantiel postule aussi que les employeurs sont tenus de fournir des vêtements de protection et un équipement de protection appropriés afin de prévenir[64] les risques d’accidents ou d’effets préjudiciables à la santé[65]. À cet égard, les employeurs sont obligés de prévoir des mesures permettant de faire face aux situations d’urgence et aux accidents, y compris des moyens suffisants pour l’administration des premiers secours[66]. Toutes ces mesures doivent être prises dans les mines[67] où travaillent les travailleurs miniers artisanaux.

De ce volet matériel, découlent nombre des prérogatives reconnues aux travailleurs. En effet, ces derniers ainsi que leurs représentants sont protégés contre toutes mesures disciplinaires consécutives à des actions effectuées par eux aux fins de prévenir les accidents et les atteintes à la SST ou les risques inhérents au milieu de travail[68]. De surcroît, le droit à un milieu de travail sûr et salubre implique que chaque travailleur dispose d’un droit de retrait lorsqu’il est en face d’une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un péril imminent et grave pour sa vie ou sa santé. Ce droit est protégé en ce que lorsque les conditions de sa jouissance sont réunies, le travailleur ne peut subir aucune conséquence injustifiée[69]. Il a ainsi le droit de refuser un travail l’exposant à un danger imminent et grave[70]. Enfin, le travailleur a aussi le droit de ne pas supporter le coût financier lié aux mesures sécuritaires et sanitaires au travail[71], car il s’agit d’une obligation patronale[72].

Toutefois, il est important de noter que les salariés sont aussi soumis à certaines obligations. Parmi ces dernières, il y a, inter alia, l’obligation de se conformer au respect des instructions patronales en matière d’hygiène et de sécurité au travail. Le non-respect de cette obligation est susceptible des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave[73]. Bien entendu, le respect de cette obligation suppose en amont le respect, par l’employeur, du volet procédural du droit à un milieu de travail sûr et salubre.

Ce versant procédural sous-tend le droit pour les travailleurs à la consultation en cas d’application des clauses de flexibilité[74] et en cas de mise en application et réexamen périodique d’une politique nationale cohérente en matière de SST[75]. Il sous-tend en plus que les travailleurs ont le droit d’être impliqués dans le processus visant à identifier les grands problèmes sanitaires et sécuritaires au travail, à dégager les moyens efficaces de les résoudre, à définir l’ordre de priorité des mesures à prendre, et à évaluer les résultats[76]. Ce droit à la consultation[77] couvre également toutes les questions relatives à l’accomplissement des obligations incombant à l’employeur en rapport avec la SST[78].

En vertu de ce volet procédural, il est aussi reconnu aux travailleurs le droit à une information suffisante concernant les mesures prises par l’employeur pour garantir la SST ainsi que le droit de recevoir une formation appropriée dans ce domaine[79].

De ce qui précède, il découle que le volet procédural vise surtout la prévention des atteintes à la SST via 3 volets de la culture de prévention à savoir : l’information, la consultation et la formation[80]. Cette culture attache plus d’intérêt, non pas au traitement des accidents et des maladies professionnelles et leurs conséquences[81], mais plutôt à leur prévention[82]. Cela est d’autant plus crucial étant donné que l’industrie minière occupe le premier rang des industries qui exposent les travailleurs à des risques redoutables[83] qu’il convient de prévenir. De même, le caractère fondamental du droit à un milieu de travail sûr et salubre devrait justifier les mesures visant à prévenir des atteintes au dit droit.

B. Le droit à un milieu de travail sûr et salubre comme principe et droit fondamental au travail : quelles implications juridiques pour la RD Congo ?

En qualifiant de fondamental le droit à un milieu de travail sûr et salubre, la CIT reconnaît que ce droit est primordial, car étant en lien direct avec la sauvegarde de la dignité humaine. De surcroît, cela sous-entend que son effectivité est indispensable aux fins de concourir aux efforts visant le développement, la paix universelle et la justice sociale[84]. D’ailleurs, selon la doctrine, étant donné que le droit à la SST conditionne le bien-être des travailleurs, il aurait pu être ajouté à la liste des droits fondamentaux dès 1998, année de l’adoption de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail[85].

En tant que principe et droit fondamental au travail, tous les États parties à la Constitution de l’OIT ont l’obligation de le mettre en oeuvre[86]. En ce sens, la RD Congo est tenue, en tant que membre de l’OIT, de respecter, de protéger et de réaliser ce droit. Cela implique qu’elle doit adopter nombre des mesures de mise en oeuvre de ces conventions sur son territoire national dans toutes les branches de l’activité économique, y compris dans le secteur minier.

Certes, les travailleurs des mines sont, du point de vue de droit international du travail, protégés de façon spécifique par la Convention n° 176 sur la sécurité et la santé dans les mines. Cette convention ne fait pas partie de conventions fondamentales de l’OIT et n’a jamais été ratifiée par la RD Congo. À ce titre, et conformément à son article 18 alinéa 1er, elle ne peut, juridiquement parlant, lier le gouvernement congolais. Toutefois, le Bureau international du travail (BIT) a affirmé qu’aux fins de mettre en oeuvre les textes sur la SST dans les mines, l’État et les organisations d’employeurs et d’employés doivent tenir compte des principes et droits fondamentaux au travail qui s’appliquent à l’ensemble des travailleurs et des employeurs[87]. À cet égard, indépendamment de la non-ratification par la RD Congo de cette Convention sur la sécurité et la santé dans les mines, elle demeure tout de même tenue d’assurer aux travailleurs miniers artisanaux des conditions de travail décentes. Cela, car, les deux conventions fondamentales sur la SST et liant dorénavant la RD Congo sont des instruments juridiques d’ordre général qui s’appliquent à toutes les branches d’activités économiques[88]. Elles s’appliquent aussi à tous les travailleurs, quel que soit le type de danger, et servent de base aux mesures de sécurité et de santé énoncées dans d’autres instruments spécifiques relatifs à la SST[89].

Si une telle affirmation est d’un intérêt indéniable pour les travailleurs miniers artisanaux en particulier, des actions complémentaires se doivent encore d’être définies et mises en oeuvre en vue de parvenir effectivement au travail décent dans le secteur minier congolais.

III. Esquisse des mesures susceptibles de garantir le travail décent dans le secteur minier artisanal congolais

En RD Congo, le cadre juridique de protection de la SST dans le secteur minier est déficitaire (A). Même si un cadre juridique approprié était mis en place, il souffrirait d’ineffectivité si les organisations de travailleurs demeurent fragmentées et dépourvues d’informations et formations suffisantes pour veiller au respect de leurs droits. (B). Cette ineffectivité atteindrait son paroxysme si les institutions de contrôle du respect du droit du travail et les tribunaux du travail demeurent faibles, voire non opérationnels dans certaines zones minières en particulier (C). Néanmoins, plusieurs mesures sont susceptibles de renverser la tendance et contribuer à l’effectivité du droit à un milieu de travail sûr et salubre en faveur des travailleurs miniers artisanaux.

A. Surmonter le déficit législatif

L’absence de textes juridiques et de mesures spécifiques visant à garantir la SST dans le secteur minier congolais (1), la carence d’un texte juridique spécifique devant guider la conduite des entreprises (2) ainsi que l’insuffisance et, dans certains cas, la carence accrue des conventions collectives de travail (3) figurent dans la liste des défis qu’il conviendrait de relever afin de garantir le travail décent dans le secteur minier.

1. S’approprier les deux conventions fondamentales de l’OIT sur la SST

Bien qu’étant déjà liée par les deux conventions fondamentales sur la SST, la RD Congo devrait en plus ratifier ces deux conventions afin de réaffirmer son engagement à garantir aux travailleurs congolais un milieu de travail sûr et salubre. Des mesures de mise en oeuvre de ces conventions devraient également être adoptées, en attendant même la ratification sus suggérée. Cela passerait par l’adoption, par la RD Congo, d’une politique nationale cohérente et effective en matière de SST[90], en particulier dans l’industrie minière[91], et dont l’objet devra être de prévenir[92] les accidents et les atteintes inhérents au travail[93]. Au titre des mesures destinées à donner effet à cette politique, les autorités congolaises devront déterminer, là où la nature et le degré des risques l’exigent, des conditions régissant la conception, la construction, l’exploitation ainsi que les normes relatives à la sécurité des matériels techniques utilisés au travail et l’application de procédures définies à cet effet. Elles devront également déterminer des procédés de travail qui doivent être interdits, limités ou soumis à l’autorisation ou au contrôle ainsi que des substances et des agents auxquels toute exposition doit être interdite, limitée ou soumise à l’autorisation ou au contrôle. Un système de déclaration des accidents du travail et maladies professionnelles par les employeurs devra également être mis en place aux fins de l’établissement de statistiques annuelles sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Cette politique devra aussi prévoir l’organisation d’enquêtes lorsqu’un accident du travail, un cas de maladie professionnelle ou toute autre atteinte à la santé survient au cours du travail. En cette occurrence, elle pourra organiser la publication annuelle d’informations sur les mesures prises par les employeurs, pour donner effet à la politique nationale. Enfin, cette politique nationale devra, compte tenu des conditions et des possibilités nationales congolaises, organiser l’introduction ou le développement, de systèmes d’investigation des agents chimiques, physiques ou biologiques, du point de vue de leur risque pour la santé des travailleurs[94]. Cette politique nationale devra ainsi être formulée (planifier), mise en oeuvre (faire) et réexaminée périodiquement (vérifier)[95].

La carence, en RD Congo, de cette politique, en particulier dans le secteur minier, est criante. Son adoption est pourtant indispensable, non seulement au vu de son rôle préventif, mais aussi parce que le secteur minier constitue le principal secteur dont dépend l’économie congolaise et qui emploie un nombre important des Congolais soumis à l’exposition journalière aux risques, accidents et maladies professionnels. Ainsi, ce secteur gagnerait à être réglementé davantage dans le sens de la protection des droits humains fondamentaux au travail.

Au-delà de cette politique nationale, des mesures législatives et/ou réglementaires prises en consultation avec les organisations représentatives des employeurs et des travailleurs intéressées, s’avèrent aussi nécessaires à adopter en vue de donner effet à la politique nationale susvisée[96].

Enfin, il conviendrait d’établir, de maintenir, de développer progressivement et de réexaminer périodiquement[97] un système national[98] et un programme national de SST[99]. Cela est d’autant plus nécessaire en ce que le monde du travail est en perpétuelle mutation et les défis de la globalisation et de technologies modernes impactent au jour le jour les pratiques prévalentes dans l’industrie minière.

Bien que ces mesures destinées à s’approprier et à mettre en oeuvre les conventions fondamentales de l’OIT sur la SST en RD Congo soient nécessaires, elles mériteraient d’être renforcées par un cadre juridique capable de gouverner la conduite responsable des entreprises, quelles que soient leur nature et leur taille, opérant en RD Congo dans le secteur minier notamment.

2. Adopter une loi sur la vigilance raisonnable

Nonobstant son riche secteur minier on ne peut plus séduisant pour les investisseurs, il est curieux de constater que la RD Congo ne dispose pas encore, à ce jour, de mesures législatives décisives pour réglementer le comportement des entreprises. Pourtant, l’introduction de l’obligation de vigilance raisonnable[100] dans la législation nationale congolaise demeure un besoin criant au vu des violations des droits humains fondamentaux au travail dont sont responsables les entreprises exerçant dans le secteur minier congolais. Cela est aussi nécessaire au vu de la carence des instruments juridiques contraignants en droit international pouvant permettre de modifier substantiellement les pratiques commerciales attentatoires aux droits humains[101].

L’adoption de cette législation donnerait aux travailleurs congolais un cadre juridique approprié leur permettant de « demander réparation où que réside leur employeur et évitant que les entreprises se soustraient à leurs responsabilités à l’égard non seulement de leur main-d’oeuvre, mais également de la population et de la planète »[102]. Dans le cas de chaînes d’approvisionnement mondiales, la société principale devra ainsi s’assurer que l’imposition de ses conditions aux fournisseurs sous-traités de biens ou de services garantisse le plein respect des droits humains tout au long de la chaîne[103].

Pour les cas de coopératives minières (qui emploient les travailleurs miniers artisanaux) et leurs sous-traitants, elles devraient être tenues par la loi, avant toute vente ou exportation des substances minérales, de démontrer que ces dernières n’ont pas été produites en violation des droits humains fondamentaux au travail. La charge de la preuve serait ainsi renversée, reposant exclusivement sur les coopératives minières et leurs sous-traitants[104]. Ce faisant, la RD Congo suivrait le pas de certains pays qui se sont déjà dotés d’une telle législation[105], s’approprierait la Déclaration de l’OIT sur les principes tripartites relatifs aux entreprises multinationales et à la politique sociale[106] et garantirait aux travailleurs congolais un travail décent, et ce, conformément à ses engagements tant nationaux qu’internationaux.

Certes, le code minier congolais réprime l’exploitation et le commerce de produits miniers provenant d’un site où une contravention des lois sur la protection des droits humains a fait l’objet d’un constat par une autorité compétente[107]. Il réprime également la violation de la réglementation minière concernant l’hygiène et la sécurité publiques[108] et engage la responsabilité du titulaire d’un droit minier et/ou des carrières lorsque les activités minières ayant un impact notamment sur la santé de l’homme[109]. Il prévoit aussi la suspension des activités du titulaire d’un droit minier ou de carrières lorsque ce dernier commet une faute ayant notamment une incidence sur la santé et la sécurité publiques. Enfin, le droit minier congolais prévoit que l’administration des mines peut, d’office ou sur demande des autorités locales concernées, imposer au titulaire les travaux qu’elle juge nécessaires pour la protection de la santé des travailleurs. En cas de défaillance du titulaire, l’administration des mines peut faire exécuter lesdits travaux par des tiers aux frais du titulaire[110].

Il ressort de ce qui précède le caractère répressif des atteintes aux droits humains, y compris celui à la SST, dont sont responsables les titulaires d’un droit minier et/ou des carrières. Toutefois, ce caractère répressif ne saurait occulter, pour des raisons préventives, l’urgence d’un texte sur la vigilance raisonnable dans le chef des entreprises. Bien plus, les articles 35 à 46 du Code minier congolais définissant les conditions d’octroi des droits miniers ou de carrières ne font pas mention aux mécanismes mis en place par le demandeur pour protéger les droits humains au travail. Le droit minier congolais se limite à réprimer les atteintes aux droits humains, mais sans les prévenir. L’existence des mécanismes susvisés devrait constituer l’une des conditions d’octroi des droits miniers ou de carrières.

Cette exigence devrait également être de mise en vue de l’octroi d’agrément aux coopératives minières. Cette proposition nous paraît soutenable, car les articles 27 et 114 bis du Code minier régissant les conditions d’agrément ne font pas mention de cette obligation. Tout au plus, l’article 112 du Code minier dispose que le non-respect des normes en matière de sécurité, d’hygiène constitue un motif de retrait d’agrément. L’obligation devrait être posée de sorte qu’avant d’octroyer l’agrément, la coopérative minière, cadre à travers lequel les travailleurs miniers artisanaux opèrent, puisse démontrer l’existence de tous les dispositifs nécessaires pour garantir la SST et le respect d’autres humains au travail de manière générale. Cela, car le rôle du droit ne devrait pas être seulement répressif (retrait d’agrément). Il gagnerait davantage à être préventif.

Au-delà de ces interventions législatives, les travailleurs peuvent aussi, en étroite collaboration avec leurs employeurs[111], déterminer, au nom de leur autonomie collective, les règles visant à améliorer leurs conditions de travail.

3. Promouvoir la culture des conventions collectives de travail (CCT)

La CCT est un accord écrit conclu entre, d’une part, un ou plusieurs employeurs, une ou plusieurs organisations professionnelles d’employeurs et, d’autre part, entre une ou plusieurs organisations professionnelles des travailleurs[112]. Il s’agit d’un accord dont l’importance est capitale en vue de revitaliser le dialogue social et de définir notamment les règles visant à régir les conditions de travail[113], lesquelles règles sont de nature à accorder un niveau de protection supérieure[114] à celui fixé par le législateur. Ces règles sont aussi susceptibles de combler ou de préciser certains aspects liés aux conditions de travail qui auraient échappé à la circonspection du législateur ou qui seraient insuffisamment réglementés par ce dernier. Elles peuvent être définies dans un accord collectif de travail, qui peut être conclu à des niveaux divers : au niveau de l’entreprise, au niveau professionnel, voire interprofessionnel.

En RD Congo, le constat est tel que, au niveau interprofessionnel, les partenaires sociaux congolais ne sont pas actifs dans la conclusion desdites conventions. En effet, la dernière convention collective conclue, et qui est actuellement en vigueur, date de 2005. Au niveau professionnel, les conventions collectives de branche sont en voie de disparition[115] et quasi inexistantes au niveau de l’entreprise. Cela est en partie lié aux faiblesses de syndicats de travailleurs congolais (voir point B ci-dessous).

À cet égard et au vu de leur importance ci-haut décrite, les travailleurs et leurs syndicats devraient se sensibiliser au maximum en vue de promouvoir l’autonomie collective pouvant aboutir à la conclusion périodique et à la révision, si nécessaire, des CCT afin d’y inclure en particulier les mesures visant à améliorer leur SST[116]. Attendu que les travailleurs demeurent toujours la partie faible dans la relation de travail, il est de leur intérêt de susciter, dans le chef des employeurs, cette coutume de CCT. Dans le secteur minier, cela s’avère particulièrement nécessaire au vu de la carence des textes juridiques spécifiques organisant les règles relatives à la SST. Pour y arriver, les syndicats ont un rôle majeur à jouer.

B. Des syndicats plus forts pour des mines plus sûres

La lutte pour de meilleures conditions de travail demeure encore aujourd’hui l’un des angles morts du dialogue social, et les questions sécuritaires et sanitaires au travail demeurent peu ou mal traitées par le patronat[117] en particulier dans le secteur minier. Dans cette occurrence, les syndicats plus forts, constitués des délégués syndicaux adéquatement formés et informés, constituent l’une des voies efficaces pour des mines plus sûres[118].

En RD Congo cependant, les syndicats se caractérisent, en dépit de leur multiplicité, par un très faible taux de syndicalisation et leur incapacité à obtenir gain de cause auprès de l’employeur. Cela est dû notamment au fait que les syndicats congolais agissent en ordre dispersé et n’arrivent pas à mobiliser massivement les travailleurs[119]. Bien que l’on ne saurait mésestimer ce défi dans le contexte congolais[120], il est tout de même évident que les revendications en masse des travailleurs sont de nature à mitiger les risques d’expositions à des conditions sécuritaires et sanitaires non décentes et à pousser les employeurs à améliorer les conditions de travail[121].

À cet égard, il conviendrait, pour les travailleurs miniers artisanaux, de s’organiser massivement en des organisations syndicales afin d’exercer davantage pression sur leurs employeurs. Cela nécessite du courage, car, malgré les risques de perte d’emploi auxquels ils sont exposés dans le contexte congolais, ils devraient finalement avoir le choix, soit de demeurer dans leurs conditions actuelles qui ne leur procurent pas du travail décent, soit d’impulser l’amélioration de leurs conditions au travers des actions collectives à mener via les organisations syndicales. Ces dernières devraient constamment revendiquer la nécessité de repenser les milieux de travail en fonction des impacts redoutables qu’ils ont sur leur santé et sécurité. Les revendications devraient aussi porter sur la nécessité d’exercer une véritable action préventive au moment de la conception des espaces de travail, de la machinerie, de l’équipement et des procédés de production[122].

Ces syndicats devraient s’impliquer aussi dans la vulgarisation constante des droits des travailleurs, notamment leur droit à un milieu de travail sûr et salubre qui, par ailleurs, est devenu un droit fondamental encore ignoré de ses titulaires dans le contexte congolais. Cela est d’autant plus indispensable en ce que le travailleur, ignorant ses droits, n’ose pas porter plainte. La crainte de représailles de la part de son employeur explique aussi cet état de fait[123].

Bien plus, le cadre juridique lui-même est moins incitatif dans le chef de travailleurs congolais à mettre en oeuvre les revendications collectives au sein des organisations syndicales. En effet, l’article 326 du Code du travail prévoit une amende et une servitude pénale allant jusqu’à six mois lorsqu’un travailleur en grève enfreint les dispositions d’exercice du droit de grève. Ces sanctions pénales ne permettent pas aux travailleurs de déclencher la grève, car ils craignent toute interprétation abusive de cette dernière qu’ils peuvent déclencher aux fins de faire pression sur leurs employeurs en rapport avec leurs conditions de SST[124]. Aussi, bien que la loi reconnaisse le droit de former des syndicats et de s’y affilier, de négocier collectivement et de faire grève, il existe peu de syndicats indépendants, et les cas d’arrestations, de persécutions et de condamnations illégales de syndicalistes sont très répandus[125].

À cet égard, en plus des actions syndicales devant être enclenchées au niveau national, elles gagneraient en termes d’impact à être soutenues par les organisations syndicales internationales. Cela se justifie par le fait que, face à un monde en constante mutation, à des crises et défis globaux, la solidarité entre travailleurs doit dépasser les frontières pour plus de justice sociale partout dans le monde[126].

En dépit de ce rôle syndical combien utile, des institutions efficaces de contrôle et de sanction des atteintes à la législation constitueraient également un gage du travail décent dans le secteur minier congolais.

C. Renforcer et opérationnaliser les institutions de contrôle et de sanction des atteintes à la législation sociale et minière

Le droit congolais organise un régime de contrôle du respect de la législation sociale et minière, dont l’efficacité demeure sujette à critiques (1). Au-delà des institutions de contrôle, ce droit a également créé les juridictions de travail depuis 2002. Cependant, leur installation demeure balbutiante (2).

1. Les institutions de contrôle de la législation nationale relative à la SST

Deux types de contrôle nous paraissent particulièrement pertinentes en matière de SST. Il s’agit du contrôle étatique d’une part, et du contrôle interne (au sein de l’entreprise), d’autre part.

S’agissant du contrôle interne, le Code du travail congolais prévoit la constitution obligatoire d’un comité de sécurité, d’hygiène et d’embellissement des lieux de travail dans toute entreprise ou tout établissement de quelque nature que ce soit occupant des travailleurs[127]. Ce comité a notamment pour rôle de veiller à l’application des dispositions légales concernant les conditions de sécurité, d’hygiène et d’embellissement sur les lieux de travail[128]. L’Arrêté de 2008 pris en exécution de cette obligation légale n’impose l’institution de ce comité qu’à des entreprises ayant 20 travailleurs au moins[129]. Une telle limitation n’a, à notre sens, de raison d’être au vu des buts de ce comité, du caractère fondamental du droit à un milieu de travail sûr et salubre et étant donné que ce droit doit être garanti par l’employeur à ses travailleurs indépendamment de leur nombre. Il s’agit en effet d’un droit propre à chaque travailleur[130].

Malgré l’importance de ce contrôle interne via le comité sus analysé, il convient de noter qu’il n’est pas constitué dans toutes les coopératives minières et, même lorsqu’il serait constitué, il est susceptible de souffrir d’ineffectivité voire d’inefficacité étant donné qu’il est placé sous la houlette de l’employeur qui en constitue même le président[131]. D’où la nécessité d’un contrôle externe effectué par l’inspection du travail et l’Administration des mines.

En effet, aux termes des articles 187 et 196 (f) du Code congolais du travail, l’inspection du travail a notamment pour mission d’assurer l’application des dispositions relatives à la sécurité, à l’hygiène et au bien-être au travail. Dans l’exercice de leurs fonctions, les inspecteurs du travail sont compétents pour ordonner ou faire ordonner que des mesures immédiatement exécutoires soient prises lorsqu’ils ont un motif raisonnable de considérer qu’il y a danger imminent et grave pour la santé ou la sécurité des travailleurs. Bien que ce pouvoir soit important, nous épousons la proposition doctrinale selon laquelle les inspecteurs devraient aussi être dotés de la compétence de prononcer des amendes à payer par les employeurs pour des faits qui ne sont punissables que de cette peine[132]. Cette sanction pécuniaire inciterait davantage les employeurs à se conformer aux normes sociales, en particulier celles relatives à la SST.

En RD Congo cependant, il est à constater que l’inspection du travail est dépourvue d’indépendance ainsi que de moyens humains, intellectuels, financiers, techniques et matériels conséquents en vue de mieux réaliser ses missions[133]. Elle n’est pas non plus opérationnelle dans toutes les zones. En effet, certaines zones comme Kamituga, ville minière du Sud-Kivu, manquent les services d’inspection du travail[134]. Pourtant, vu le rôle indéniable que l’inspection du travail est appelée à jouer[135], celle-ci devrait être opérationnelle sur l’ensemble du territoire national et être dotée d’un système approprié et suffisant et qui doit prévoir des sanctions appropriées en cas d’infraction à la législation sociale[136]. Pour y arriver, il conviendrait de couvrir tous les ressorts de l’inspection du travail et de lui doter de moyens nécessaires de divers ordres en vue d’être indépendante et efficace dans sa mission de contrôle des normes de santé et de sécurité dans le secteur minier.

Enfin, un autre contrôle étatique spécifique au secteur minier est celui qui doit être exercé par les agents de l’administration des mines, dûment habilités, et qui ont qualité d’officier de police judiciaire pour rechercher et constater toutes infractions au Code minier et à ses mesures d’exécution[137]. Plus particulièrement, ils doivent veiller au respect des mesures de sécurité prévues par le chapitre VI du règlement minier[138]. Cependant, comme c’est le cas pour les inspecteurs de travail, ces agents sont aussi dépourvus des compétences et moyens nécessaires pour accomplir leur mission.

En dépit du système approprié et efficace de contrôle que devrait mettre en place la RD Congo, les institutions judiciaires censées sanctionner les violations de la législation du travail s’avèrent aussi déterminantes en vue de garantir le droit à un milieu de travail sûr et salubre et ainsi promouvoir le travail décent dans le secteur minier congolais.

2. Installation complète des tribunaux de travail

Le 16 octobre 2002, le législateur congolais a, par le truchement de la Loi n° 016-2002, créé les tribunaux de travail en RD Congo[139]. En attendant l’installation complète de ces tribunaux, les juridictions de droit commun demeurent compétentes pour connaître des litiges de travail.

À cet égard, le législateur congolais a institué, au niveau des tribunaux de grande instance, des chambres spécialisées devant connaître des affaires relevant normalement de la compétence des juridictions de travail[140].

Cette solution provisoire, bien qu’étant en partie justifiée à l’époque[141], ne nous paraît plus souhaitable à aujourd’hui. En effet, il est curieux de constater que 21 ans après, les tribunaux de travail ne sont toujours pas installés dans chacun de leur ressort, en particulier dans les villes et territoires de la province minière du Sud-Kivu. Cela nous paraît paradoxal dans un État dit social[142] qui n’accorde pourtant qu’une faible importance aux problèmes sociaux. Ce caractère social ne devrait pas demeurer une velléité.

Le déficit d’accès aux tribunaux de droit commun demeure aussi criant dans le chef des travailleurs qui, agissant de manière isolée et sans véritable organisation syndicale, n’osent pas porter plainte contre leurs employeurs. À ce déficit s’ajoute l’insuffisance d’informations sur cette compétence provisoire reconnue à ces juridictions.

Qui plus est, les chambres spécialisées des juridictions de droit commun qui connaissent des litiges individuels et collectifs de travail sont composées des juges qui sont aussi compétents pour connaître de tous les autres litiges (civils et pénaux notamment) dévolus à la compétence de ces juridictions. En gagnant ainsi en profondeur, ces chambres perdent tout de même en efficacité. De surcroît, ces juges sont recrutés sans égard particulier à une formation spécialisée en droit social et aucune condition de spécialisation n’est exigée à cet effet. Il est vrai que, dans le contexte congolais, si cette condition était posée, la carence des juristes spécialisés en droit social peut donner lieu à un nombre très restreint des juges de travail. Tout au plus, nous pensons qu’il conviendrait pour ces juges, avant d’entrer en service, de suivre une formation intensive en droit social. Cela, car le juge spécialisé en droit social et exclusivement chargé du contentieux de travail demeure le plus apte à jouer un rôle clé dans le règlement des conflits individuels et collectifs de travail.

Néanmoins, un cas « historique » mérite d’être souligné en rapport avec le règlement des litiges de travail par les juridictions de droit commun. En effet, en 2021, la justice congolaise, via le Tribunal de grande instance de Kolwezi, a ordonné à la société Panda International Congo Engineering de payer la totalité des frais de santé et des salaires impayés à Patient Mukenge Zaluke, un mécanicien blessé dans la mine de Kisanfu, appartenant à China Molybdenum. Selon le Centre d’aide juridico-judiciaire qui a porté le dossier devant la justice, cette victoire judiciaire constitue un précédent important pour les droits des travailleurs en RD Congo, car elle est « l’issue d’un des premiers cas où un Congolais travaillant sur un site minier industriel a poursuivi avec succès son employeur pour des dommages corporels subis au travail »[143].

Bien que nous ne disposions pas d’informations exactes sur l’exécution de cette décision judiciaire, le fait qu’elle ait été rendue est en soi intéressant et devrait inciter d’autres travailleurs à saisir constamment ces juridictions de droit commun, en attendant l’installation effective des tribunaux de travail. Des cas similaires n’ont malheureusement pas suivi, à notre connaissance. En effet, sans le soutien des organisations des droits de l’homme ou des syndicats puissants, il demeure toujours difficile pour un travailleur congolais d’agir seul en justice.

En dépit de cette décision judiciaire, le cadre juridique congolais est moins protecteur de travailleurs miniers, surtout dans le cadre de sous-traitance. En effet, dans l’affaire sus référée, la société Panda International Congo Engineering est un sous-traitant de la société China Molybdenum opérant la mine de Kisanfu. Le législateur prévoit que les entreprises sous-traitantes sont, sur le plan social, régies par le droit du travail. En dépit de l’intérêt d’être protégés par ce droit, il n’en reste pas moins que les travailleurs employés par ces entreprises exercent dans un contexte particulier qui les expose plus à une situation de précarité par rapport aux salariés par embauche directe, surtout en cas de sous-traitance en cascade. Les travailleurs les plus exposés sont ceux qui exercent dans le secteur minier. Dans ce secteur en effet, la sous-traitance utilisée par les sociétés minières multinationales est au coeur du problème d’exploitation des travailleurs par les sous-traitants[144]. Face à cet état de fait, il appert que le droit congolais de la sous-traitance n’impose aucune obligation à charge de l’entrepreneur principal ou du maître d’ouvrage visant à garantir les droits des travailleurs employés par les sous-traitants. Quant au Code du travail, l’article 83 se limite à rendre responsable l’entrepreneur principal uniquement en matière salariale. En revanche, aucune responsabilité n’est prévue à l’égard des droits humains fondamentaux au travail, en particulier le droit à un milieu de travail sûr et salubre. Or, la première obligation des entreprises multinationales est de se conformer au droit interne[145]. Ce dernier est cependant lacunaire en la matière. Cette carence est aussi constatée en droit international du travail, qui est dépourvu d’un instrument juridique contraignant en matière de sous-traitance.

Au-delà de ce qui précède, l’urgence d’installer les tribunaux de travail est accentuée par les conflits individuels et collectifs qui constituent toujours un problème sérieux et important qui n’a pas encore trouvé un traitement systématique[146]. Installer ces tribunaux dans tous les ressorts comporterait ainsi l’avantage de concentrer la juridiction du travail sur le seul contentieux de travail et d’assurer une meilleure perception de son rôle par les travailleurs. De même, aller devant ces tribunaux, c’est affirmer que le droit à la SST est un droit humain fondamental, que sa transgression doit être sanctionnée et que ses conséquences doivent être indemnisées. Cet engagement constitue un parcours on ne peut plus difficile, qui demande de l’obstination personnelle du travailleur et du courage collectif des travailleurs à dénoncer les violations dont ils sont victimes[147].

***

L’attention de cet article s’est portée sur le droit à un milieu de travail sûr et salubre dans le secteur minier congolais. En effet, ce secteur fait partie des secteurs les plus dangereux compte tenu des effets néfastes pour la SST des travailleurs et des risques que ces derniers encourent dans les mines. Conscient de la dangerosité dudit secteur, le droit de l’OIT protège doublement les travailleurs miniers qui, outre la protection issue de la convention spécifique sur la sécurité et la santé dans les mines (Convention n° 176), sont aussi protégés par les deux conventions fondamentales de l’OIT sur la SST. Il s’agit de la Convention n° 155 sur la sécurité et la santé des travailleurs et de la Convention n° 187 sur le cadre promotionnel pour la sécurité et la santé des travailleurs.

L’effectivité de ce droit à un milieu de travail sûr et salubre dans le secteur minier congolais demeure cependant non assurée au vu de conditions de travail dramatiques auxquelles sont soumis les travailleurs miniers artisanaux congolais, en particulier ceux de la province du Sud-Kivu. L’article s’est appuyé sur les données secondaires mettant en avant l’exposition de ces travailleurs aux risques divers, l’atteinte des maladies diverses, rendant incapables et conduisant à la mort de certains, ainsi que l’insuffisance et parfois l’absence d’informations sur les risques qu’ils encourent dans les mines.

Cet état de fait ne concourt pas à la promotion du travail décent dans le secteur minier congolais et s’avère inquiétant au vu du droit à un milieu de travail sûr et salubre qui, au-delà du fait qu’il soit devenu fondamental, reconnaît aux travailleurs miniers en particulier des droits substantiels et procéduraux à la SST.

À cet égard, en vue de concourir à l’effectivité de ce droit fondamental et, partant, contribuer aux efforts visant à aboutir au travail décent dans le secteur minier congolais, cet article souligne la nécessité d’adopter une triple série des mesures impliquant les efforts de toutes les parties prenantes (l’État, les organisations d’employeurs et celles d’employés).

Dans un premier temps, il se focalise sur l’importance de combler le déficit du cadre juridique de protection de la SST dans le secteur minier congolais. Ainsi, les analyses sus référées ont mis en évidence l’adoption d’un texte juridique spécifique relatif à la protection de la SST dans le secteur minier ainsi qu’un texte juridique devant guider la conduite responsable des sociétés, des coopératives minières et leurs sous-traitants. Ce cadre juridique devant émaner de l’État mériterait d’être complété par les conventions collectives de travail dont la carence est criante dans le secteur minier congolais.

Dans un deuxième temps, l’article souligne l’importance de la syndicalisation croissante des travailleurs miniers artisanaux afin qu’ils soient capables, au travers des actions collectives, de concourir eux-mêmes au respect de leur droit fondamental à un milieu de travail sûr et salubre.

Enfin, les analyses démontrent que le cadre juridique et l’action syndicale suggérés gagneraient en efficacité à être renforcés par les institutions de contrôle et de sanction des atteintes à la législation sociale et minière qui doivent être dotées de moyens suffisants et installées effectivement. Plus particulièrement, cet article insiste sur l’urgence d’installer les tribunaux de travail dans chacun de leur ressort afin de concentrer la juridiction du travail sur le seul contentieux de travail et d’assurer une meilleure perception de son rôle par les travailleurs.