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L’Organisation mondiale du commerce (OMC) constitue l’organisation internationale régissant le commerce entre États. Forte de ses 164 Membres et de ses 23 États observateurs, l’OMC couvre la quasi-totalité du commerce transfrontière. Si une telle organisation apparaît aujourd’hui nécessaire, il a fallu attendre près d’un demisiècle pour qu’elle soit effectivement instituée. En effet, à l’inverse de ses deux organisations soeurs créées à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, l’OMC n’a été créée qu’en 1995. C’est un accord en forme simplifiée, le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade ou, en français, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce)[1], qui a régi les relations internationales économiques au siècle dernier.
Depuis sa création en 1995, elle a affronté de nombreux défis et a été fortement critiquée. On l’a accusée d’être hermétique, d’être une enceinte de négociation menées derrière des portes closes, de ne pas prendre en compte les besoins des pays en développement ou encore de mettre trop facilement de côté les valeurs non marchandes comme les normes du travail et la protection de l’environnement. Elle a parfois su s’adapter, par exemple en permettant un accès – très restreint – aux représentants de la société civile. L’Organe de règlement des différends s’est quant à lui ouvert progressivement à une meilleure prise en compte des préoccupations non commerciales États et a même permis que certaines séances soient publiques.
Néanmoins, l’OMC fait plus que jamais face à des défis importants. Après quelques minces victoires au cours de la dernière décennie, sa « branche législative » peine toujours à produire les résultats initialement prévus pour janvier 2005. Un changement – de plus – au niveau de la méthode de négociation laisse entrevoir la possibilité que les choses débloquent dans un avenir proche. Aussi, la « branche judiciaire », considérée depuis 1995 comme un standard à atteindre au sein de l’ordre juridique international, est soudainement paralysée depuis décembre 2019 et nécessitera une réforme majeure pour que les États-Unis acceptent d’y conférer à nouveau leur confiance. Enfin, on peut se réjouir que la « branche exécutive » ait été rétablie en février 2021 après que l’administration Biden fraichement en poste ait accepté de se joindre au consensus pour nommer la Nigériane Ngosi OkonjoIweala au poste de directrice générale de l’Organisation. Cela faisait en effet plusieurs mois que l’Organisation fonctionnait sans directeur général à la suite du refus de l’administration Trump de se joindre au consensus.
I. Le GATT : d’accord temporaire à organisation internationale de facto
Le GATT est souvent qualifié d’accident historique. En effet, si ses rédacteurs l’ont d’abord conçu pour régir leurs relations de manière temporaire, en attendant la création en bonne et due forme de l’Organisation internationale du commerce, il est plutôt devenu la norme de référence en matière de commerce entre 1947 et 1994, voire une organisation internationale de facto, qui a permis de faire évoluer considérablement la libéralisation des échanges.
A. Le GATT comme accord temporaire
À la suite de la Deuxième Guerre mondiale, trois organisations internationales devaient être créées pour assurer la gouvernance internationale économique. L’une devait avoir compétence sur les aspects monétaires, une autre sur ceux du financement, et une troisième devait gérer les aspects commerciaux. Dès 1944, les Accords de Bretton Woods ont créé le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Entre 1946 et 1948, des négociations ont eu lieu à New York, Londres, Genève et La Havane, pour discuter d’encadrement du commerce international. Le 24 mars 1948, 53 pays ont adopté la Charte de La Havane[2], créant l’Organisation internationale du commerce et fixant les règles en matière de libéralisation des échanges, mais aussi d’emploi, de développement économique, d’accords de produits, de pratiques commerciales restrictives, d’investissements et de services. Or, bien qu’ils aient été les promoteurs de la Charte de La Havane et qu’ils l’aient signée, le États-Unis ont refusé de la ratifier. En fait, à travers les rencontres de négociation, de nombreuses exceptions avaient été ajoutées afin de prendre en considération les disparités de développement, et de système politique et économique de l’époque, ainsi que pour permettre aux États de limiter l’impact de la libéralisation sur leur territoire. Dès lors, les associations patronales et les milieux d’affaires l’ont considérée d’inspiration trop keynésienne, trop protectionniste et trop peu libérale. La majorité républicaine au Congrès ne l’a donc pas ratifiée. Bien que les démocrates aient repris le contrôle des deux chambres dès 1949, le président Truman ne demanda pas au Congrès de la ratifier, jugeant qu’elle contenait trop d’exceptions inacceptables pour les Américains et que, par ailleurs, elle pouvait nuire à certains de ses objectifs en matière de politique intérieure et extérieure[3].
Compte tenu de l’expérience d’une Société des Nations dépourvue de la présence américaine et du rôle prédominant que jouaient les États-Unis au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, les États, à l’exception du Libéria, se sont abstenus de ratifier la Charte de La Havane et l’Organisation internationale du commerce n’a jamais vu le jour.
B. Une organisation internationale de facto
On présente souvent le GATT comme une conséquence de l’échec de l’Organisation internationale du commerce (OIC). Or, si cet échec a effectivement fait jouer au GATT un rôle qui ne lui était pas destiné, il n’a eu aucun impact sur son existence. En effet, dès 1945, quinze pays avaient décidé d’entamer des négociations commerciales afin de s’octroyer réciproquement des baisses de droits de douane. Au cours des années suivantes, d’autres pays se sont joints à ces négociations. Ces dernières se déroulaient en parallèle à celles de la Charte de La Havane, puisque les pays profitaient d’être tous réunis pour poursuivre leurs discussions. Le 30 octobre 1947, l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, connu sous l’acronyme GATT en anglais, était adopté par vingt-trois pays. Les concessions tarifaires consenties dans le cadre du GATT représentaient alors environ 20 % du commerce mondial.
L’adoption en forme simplifiée (donc ne requérant pas de ratification) indique bien la volonté des pays d’adopter un accord avant tout temporaire, le temps qu’une réelle organisation soit créée. D’ailleurs, en 1955, même après l’échec de l’OIC, les États ont tenté de créer l’Organisation de coopération commerciale. Celle-ci n’a toutefois jamais vu le jour, aussi en raison du refus des États-Unis d’en ratifier la charte constitutive. Considérant ce nouvel échec, les États ont orienté leurs efforts à faire fonctionner le GATT en créant, entre autres, une structure institutionnelle de fait.
Pour les raisons que nous avons expliquées, le GATT de 1947 ne présentait pas les caractéristiques habituelles d’une charte constitutive d’une organisation internationale. Certes, le GATT référait à un secrétariat exécutif et prévoyait un mécanisme de règlement des différends. Le texte appelait aussi à des réunions périodiques. Le lecteur attentif remarquera même que les États avaient prévu une action collective nécessaire lorsque l’expression « PARTIES CONTRACTANTES » était écrite en majuscule. Il n’en demeure pas moins que le GATT nécessitait une structure propre, qui aurait dû être créée au fil du temps par les États parties. Pour cette raison, plusieurs considèrent le GATT non seulement comme un traité, mais aussi comme une organisation internationale de facto ayant existé jusqu’à la fin de l’année 1994.
C. Une libéralisation continue et considérable
Entre 1947 et 1994, à travers huit cycles de négociation, les États parties ont créé une structure capable de faire fonctionner le GATT telle une organisation internationale, mais ont aussi accéléré la libéralisation des échanges par le biais d’engagements supplémentaires. Les premiers cycles ont surtout été consacrés à la diminution des droits de douane. On estime que ceux-ci ont en effet diminué d’environ 8 % par année au cours des six premiers cycles de négociation. Le cycle de Kennedy (1964 à 1967) a donné lieu à l’ajout de la partie IV du GATT relative au développement et à l’adoption d’un code antidumping. Compte tenu des baisses marquées des droits de douane, le cycle de Tokyo (1973-1979) a permis l’adoption de neuf nouveaux accords relatifs aux questions non tarifaires, devenus nécessaires pour contrer les nouveaux prétextes protectionnistes. C’est le cas du Code sur la normalisation, le Code sur les subventions ou encore le Code sur les marchés publics.
À travers les années, le système a toutefois connu un effritement qu’il devenait impératif de corriger. Entre autres choses, la pratique du GATT à la carte – qui permettait aux États d’adhérer ou non aux différents accords – générait des frustrations et des traitements discriminatoires, en plus de créer un système peu prévisible. Aussi, le système de règlement des différends, mené par la règle du consensus positif, ne fonctionnait que si aucun État ne s’opposait à la prise de décision. Ainsi, pour créer un groupe spécial, pour adopter un rapport ou pour autoriser sa mise en oeuvre, aucune des Parties au GATT ne devait s’y opposer, incluant la Partie visée par la plainte. À partir du début des années 1980, au moment même où les États-Unis et les Communautés européennes s’opposaient sur divers thèmes dont l’épineuse question agricole, une proportion grandissante de rapports n’a pu être adoptée, ce qui a miné considérablement le système de règlement des différends. En outre, le système du GATT ne concernait que le commerce des marchandises et il devenait urgent, surtout pour les pays développés, d’y inclure des règles relatives, entre autres, au commerce des services et à la propriété intellectuelle.
Finalement, à la suite d’une demande des États-Unis en 1982, les Parties contractantes ont ouvert le cycle d’Uruguay en 1986, dont la création d’une organisation en bonne et due forme s’affichait comme l’objectif ultime. Ce dernier s’est conclu par l’adoption de l’Accord de Marrakech[4] créant l’Organisation mondiale du commerce le 15 avril 1994 par les 128 Parties contractantes.
II. L’OMC : l’Organisation orchestrant le commerce international
Le 1er janvier 1995, à l’issue de près de huit ans de négociation, l’OMC était créée. Organisation internationale en bonne et due forme, elle possède sa propre charte constitutive. Suivant cette dernière, l’OMC doit remplir cinq fonctions : 1) faciliter la mise en oeuvre, l’administration et le fonctionnement de l’Accord instituant l’OMC et des Accords commerciaux tout en favorisant la réalisation de leurs objectifs ; 2) servir d’enceinte de négociation ; 3) administrer le Mécanisme de règlement des différends ; 4) administrer le Mécanisme d’examen des politiques commerciales, et 5) coopérer avec le FMI et la Banque mondiale. Globalement, malgré une lenteur extrême en matière de négociation et un Organe de règlement des différends récemment amputé, l’OMC arrive à remplir ses fonctions. Il n’en demeure pas moins qu’une réforme du système est maintenant ouvertement discutée.
A. Une organisation internationale en bonne et due forme conduite par ses Membres
Le 15 avril 1994, l’Acte final reprenant les résultats des négociations commerciales multilatérales du cycle d’Uruguay a été adopté. Une soixantaine de textes juridiques y étaient annexés. L’Accord instituant l’OMC se trouve parmi cet ensemble de décisions, de déclarations et de traités, appelé Accord de Marrakech.
Étant une organisation internationale en bonne et due forme, l’OMC possède la personnalité juridique[5]. Cela signifie qu’elle est titulaire de droit et d’obligations dans l’ordre juridique international. Sa personnalité juridique demeure évidemment fonctionnelle, c’est-à-dire qu’elle est limitée à l’accomplissement des fonctions énumérées dans sa charte constitutive. Son siège se situe à Genève, dans l’ancien bâtiment du Bureau international du travail.
Si les 128 États parties au GATT de 1947 sont considérés comme les Membres originels de l’OMC[6], plusieurs autres se sont joints au club sélect depuis. En effet, l’OMC compte aujourd’hui 164 Membres, représentant 98 % du commerce mondial. Ceux-ci sont soit des États, soit des territoires douaniers, comme Hong Kong, Macao et le Taipei chinois. L’Union européenne est considérée comme étant un Membre à part entière puisque ses États lui ont délégué le pouvoir de négociation commerciale. Dans le cas de décision prise au vote, elle possède le même nombre de voix que le nombre de ses membres[7].
Contrairement à la plupart des autres organisations internationales, ne devient pas membre de l’OMC qui le veut. Le processus peut être long puisque les États désireux de s’y joindre doivent négocier avec les Membres les conditions de leur entrée[8]. Cela signifie qu’ils doivent offrir des concessions acceptables aux Membres et procéder à la mise en conformité de leur droit interne. Qui plus est, aucun Membre de l’OMC ne doit s’opposer à l’accession pour que le processus aboutisse. Des joueurs majeurs du commerce international ont ainsi accédé à l’OMC depuis 1995. C’est le cas, par exemple, de la Chine en 2001, de l’Arabie Saoudite en 2005, du Vietnam en 2007 et de la Fédération de Russie en 2012. En attendant que la Conférence ministérielle ne leur accorde le statut de Membre, ces États obtiennent un statut d’observateur et sont associés aux travaux de l’OMC.
La Conférence ministérielle est l’organe suprême de l’Organisation. Composée des représentants de tous les Membres, elle se réunit quelques jours, habituellement aux deux ans, pour exercer les fonctions de l’OMC[9]. À l’issue de ces réunions, une déclaration est adoptée à laquelle sont annexés les décisions et autres résultats. Certaines conférences se sont tenues à Genève, mais la pratique veut qu’un Membre agisse comme hôte, à la suite d’un vote du Conseil général.
Certaines des Conférences ministérielles sont restées célèbres pour l’agitation provoquée par la société civile. La Conférence ministérielle de Seattle de 1999 a marqué les esprits par une présence importante d’ONG et d’individus préoccupés par le mouvement de libéralisation des échanges considéré, entre autres, comme dénuant les populations de tout pouvoir décisionnel au niveau national. Les Ministérielles de 2003 et de 2005, respectivement tenue à Cancun et Hong Kong, ont aussi connu une présence importante de la société civile. Quelques 800 ONG et près de 1600 individus ont été accrédités. Ces derniers ne participent certes pas directement aux négociations, mais peuvent exercer une pression non négligeable. Depuis, la participation des ONG aux Conférences ministérielles a fondu. Non seulement celles-ci ont-elles délaissé, par dépit ou manque de ressources, les négociations commerciales multilatérales, mais les conditions d’accès des ONG n’ont cessé de se détériorer. Lors de la Ministérielle de Nairobi en 2015, les OGN n’avaient accès qu’au terrain du centre des congrès sur lequel des tentes leur avaient été érigées alors que lors de la Ministérielle de Buenos Aires en 2017, le centre abritant les activités des ONG se situait à plus d’un kilomètre du périmètre de l’hôtel où se déroulaient les négociations[10].
Le Conseil général, composé des représentants de tous les Membres, exerce les fonctions de la Conférence ministérielle entre les réunions de celle-ci, au siège de Genève. C’est aussi le Conseil général qui agit en tant qu’Organe de règlement des différends ainsi que comme Organe d’examen des politiques commerciales. Le Conseil général doit faire rapport à la Conférence ministérielle.
Des conseils des marchandises, des services et des aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce sont aussi institués et agissent sous la conduite du Conseil général. Ceux-ci supervisent le fonctionnement des accords. De nombreux autres comités sont créés afin d’exercer les fonctions prévues dans divers accords de l’OMC. L’ensemble des Membres de l’OMC sont représentés au sein de ces conseils et comités. Des organes subsidiaires sont créés en vertu des accords plurilatéraux. Seuls les Membres ayant accepté d’être liés par ces accords en font partie.
Finalement, la Conférence ministérielle nomme un Directeur général ou une directrice générale, et lui attribue des fonctions. Cette personne établit un Secrétariat et le dirige. Avec le temps et de manière variable, elle a pu exercer une influence importante sur l’Organisation. Agissant parfois comme médiateur ou comme catalyseur, la quête du consensus entre les Membres de l’OMC lui revient. Le Secrétariat agit en appui à l’ensemble des activités de l’OMC.
B. Les cinq fonctions de l’OMC
L’Accord instituant l’OMC attribue cinq fonctions à l’Organisation. Premièrement, elle doit faciliter la mise en oeuvre, l’administration et le fonctionnement de l’Accord instituant l’OMC et des Accords commerciaux tout en favorisant la réalisation de leurs objectifs. Deuxièmement, elle doit servir d’enceinte de négociation. Troisièmement, elle doit administrer le Mécanisme de règlement des différends. Quatrièmement, elle doit administrer le Mécanisme d’examen des politiques commerciales. Cinquièmement, elle doit coopérer avec le FMI et la Banque mondiale.
Administration, mise en oeuvre et fonctionnement des accords commerciaux de l’OMC – L’OMC veille à l’administration des accords commerciaux[11]. Cela signifie que par le biais de divers comité et conseils, les Membres de l’OMC analysent les notifications des Membres afin d’assurer le respect des accords ainsi que leur bonne mise en oeuvre. De plus, à partir des rapports soumis périodiquement par les Membres, le Secrétariat de l’OMC prépare un rapport étudié ensuite par l’ensemble des Membres dans le cadre de l’Organe d’examen des politiques commerciales.
Dans ce cadre, le Secrétariat de l’OMC octroie une aide considérable aux pays en développement qui représentent les trois quarts de Membres de l’OMC. Par le biais de missions de coopération technique, de cours et de stages offerts au siège à Genève ou en ligne à l’intention des fonctionnaires de divers pays, de chaires de l’OMC offertes dans les universités des pays en développement ou encore de l’aide pour le commerce visant à permettre de développer les infrastructures en matière de libre-échange, le Secrétariat participe à assurer une mise en oeuvre plus effective des Accords.
Cadre pour les négociations commerciales – L’OMC sert de cadre pour les négociations commerciales multilatérales[12]. Cela signifie que les Membres entretiennent l’ambition de faire évoluer de manière multilatérale et constante les règles. Durant les années du GATT, les négociations se déroulaient, la plupart du temps, dans le cadre d’un agenda négocié et accepté par l’ensemble des États parties. L’OMC a emprunté à cette tradition.
L’OMC offre un cadre de négociation multilatérale utile et permanent, assurant une certaine sécurité juridique. Il n’en demeure pas moins que les avancées sont loin d’être à la hauteur des espérances. Les Conférences ministérielles permettent de faire considérablement avancer les négociations, même si ces dernières se déroulent de manière permanente, tout au long de l’année. Elles ont évidemment lieu dans des cadres plus ou moins formels, mais elles se déroulent surtout au siège de l’OMC, au sein des différents comités et groupes de travail auxquels l’ensemble des Membres sont invités à participer.
Dès la création de l’OMC, les Membres ont commencé à discuter de l’agenda sur lequel ils souhaitaient entamer des négociations. C’est au terme de six années de discussion, lors de la Conférence ministérielle de Doha en novembre 2001, qu’ils ont enfin réussi à s’entendre en adoptant le Programme de Doha pour le développement. Ce dernier contient une liste de vingt sujets complexes, parmi lesquels on retrouve des thèmes historiquement insolubles et clivant, tels que l’agriculture, l’encadrement de l’investissement direct étranger, et les liens entre le commerce et l’environnement[13]. Ce Programme évidemment trop ambitieux devait en sus être complété dans un horizon relativement court, soit janvier 2005. Sans surprise, les Membres ne sont pas arrivés à s’entendre sur l’ensemble des sujets à l’intérieur de cette échéance.
Certes, depuis les années du GATT, la multiplication des États participant à ces négociations et la montée en puissance de certaines économies appartenant au bloc des pays en développement ont complexifié le processus de négociation. Dans ce contexte, les négociations sont devenues plus lentes, voire difficiles. Toutefois, pour bien saisir les raisons de cette extrême lenteur, que plusieurs qualifient exagérément de blocage, un retour sur les caractéristiques propres à la négociation et à la prise de décision à l’OMC s’impose. En effet, les principes entourant la négociation et la prise de décision à l’OMC semblent uniques dans le paysage des organisations internationales.
D’abord, on dit souvent que l’OMC est conduite par ses Membres. Cela signifie que les Membres prennent les décisions en tout et pour tout. À l’inverse de ce qui se fait dans une majorité d’organisations internationales, les décisions ne peuvent être prises par un organe restreint (par exemple le Conseil de la FAO, le Conseil d’administration de l’OIT, le Conseil des gouverneurs au FMI et à la Banque mondiale, le Conseil exécutif de l’Organisation météorologique mondiale ou le Conseil de sécurité pour l’ONU). Les ordres du jour, les agendas, les rapports, les décisions, les recommandations, les dérogations, les nouvelles règles et disciplines adoptées sont le fruit d’une négociation conduite par les Membres et lors desquelles chaque Membre est représenté. À cet égard, ni le Directeur général ni le Secrétariat n’ont le pouvoir de prendre des initiatives. Même les rapports issus des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel, pour pouvoir produire un effet, doivent être adoptés par consensus négatif par l’ensemble des Membre représentés au sein de l’Organe de règlement des différends.
Ensuite, les négociations se déroulent suivant l’adage « rien n’est conclu tant que tout n’est pas conclu ». Autrement dit, des résultats doivent être atteints quant à tous les points à l’agenda afin de conclure à des avancées. Il s’agit du principe du résultat unique ou du résultat indivisible. Ayant porté fruit dans le cadre du cycle de l’Uruguay, les Membres ont souhaité y recourir à nouveau dans le cadre du Programme de Doha. Cela permet de mettre en oeuvre un autre principe cher aux Membres de l’OMC, soit celui des concessions réciproques. Suivant ce dernier, un État doit pouvoir accepter de se lier à une entente lui étant défavorable à certains égards, si celle-ci lui offre des avantages à d’autres égards. Par un jeu de « give and take », les États arrivent ainsi à trouver un terrain d’entente sur un ensemble de concessions en abandonnant certaines positions à la faveur de l’acquisition d’avantages. Si cette méthode a pu donner lieu à l’adoption des Accords de Marrakech, sous forme d’un engagement quasi généralisé (4 accords seulement ne liaient pas obligatoirement tous les Membres de l’OMC), le contexte actuel privilégiant souvent une approche défensive laisse croire que le principe de l’engagement unique apparaît aujourd’hui inapproprié[14]. Depuis quelques années, le principe de l’engagement unique semble donc avoir connu des inflexions importantes. En effet, lors de la Ministérielle de Bali en 2013, les Membres se sont entendus pour négocier uniquement certains sujets de l’Agenda de Doha sur lesquels ils avaient fait des avancées substantielles (par exemple : facilitation des échanges, détention de stock public à des fins de sécurité alimentaire et accès aux marchés en franchise de droits et sans contingents pour les pays les moins avancés). Cette stratégie s’est avérée gagnante puisque pour une première fois depuis 2001, un ensemble de mesures contraignantes, incluant le premier accord multilatéral conclu depuis 1994, a été adopté à l’issue d’une Conférence ministérielle. Surnommés le Paquet de Bali, ces résultats représentent environ 10 % des objectifs de Doha. Il n’est donc pas question de rejeter le principe de l’engagement unique car le paquet de Bali devait être adopté en un engagement et il n’était pas question de laisser tomber un des sujets identifiés. Néanmoins, les Membres ont convenu d’adapter le principe de l’engagement unique afin de conclure des ententes dans une gamme restreinte de domaines sur lesquels les Membres sont mûrs pour s’entendre.
Finalement, on ne peut passer sous silence le fait qu’à l’inverse de plusieurs organisations internationales, l’OMC adopte ses décisions par consensus. S’il est théoriquement possible de passer au vote, cette alternative a toujours été rejetée en bloc par les États. Cela signifie donc que les 164 Membres de l’OMC doivent s’entendre pour que des résultats soient acquis. Autrement dit, un seul État peut refuser une avancée. L’Inde a bien compris ce pouvoir lors de la Conférence ministérielle de Bali en 2013, lorsqu’elle a forcé l’adoption de la Décision sur la sécurité alimentaire en contrepartie de son accord à l’adoption de l’Accord sur la facilitation des échanges[15]. Cette particularité mène parfois à des résultats inusités. Par exemple, la Déclaration ministérielle de Nairobi expose l’absence d’entente entre les Membres sur la suite des négociations, faisant état de nombreux Membres souhaitant continuer à négocier dans le cadre de l’Agenda entendu en 2001, et d’un nombre d’États estimant que de nouvelles approches sont nécessaires[16]. Dans ce contexte, la situation apparaît paralysée. C’est toutefois ignorer la capacité des Membres d’aller de l’avant. En effet, lors de la Conférence ministérielle de 2017, tenue à Buenos Aires, plusieurs Membres ont initié des discussions plurilatérales, ouvertes à tous, sur des thématiques nouvelles comme le commerce numérique et les micros, petites et moyennes entreprises (MPME). Plusieurs craignent que ces initiatives donnent lieu à une multiplication d’accords plurilatéraux (ne liant que les Membres le souhaitant).
En définitive, on doit reconnaître que les Membres de l’OMC ont failli dans la mesure où ils n’ont pas réussi à s’entendre. Néanmoins, ils continuent à jouer le jeu, à négocier à Genève et lors des conférences ministérielles, et déployer temps et énergie dans ce processus. Si on peut considérer les résultats insatisfaisants, parcellaires et tardifs, on doit se demander si une autre organisation, dotée des mêmes règles de représentativité et de gouvernance, arriverait nécessairement à de meilleurs résultats. La lenteur extrême et les blocages que connaissent les négociations sont peut-être tout compte fait le résultat d’un mode de gouvernance dont les vertus atteignent les limites d’une société internationale fragmentée au sein de laquelle les intérêts souverains prennent souvent le dessus sur l’intérêt collectif.
Règlement des différends commerciaux – L’OMC administre le Mémorandum d’accord sur le règlement des différends[17]. Si le « tribunal » de l’OMC a été considéré comme l’un des plus efficaces dans la sphère internationale (le golden standard), depuis décembre 2019, son fonctionnement est en grande partie affecté. Il convient d’abord de présenter ses caractéristiques avant d’aborder ce qui est connu aujourd’hui comme la crise de nomination des membres de l’Organe d’appel.
Le règlement des différends est obligatoire pour tous les Membres de l’OMC. En effet, en devenant membres de l’OMC, les États acceptent de régler leurs différends commerciaux découlant des Accords de l’OMC sous l’égide de l’Organe de règlement des différends (ORD), à l’exclusion de tout autre mode de règlement.
À noter que le mécanisme ne s’adresse qu’aux États. Les opérateurs privés ne peuvent donc pas faire valoir leurs droits devant le « juge » de l’OMC. Ils doivent s’en remettre à la protection diplomatique de leur État, avec les conséquences que cela comporte.
Le mécanisme de règlement des différends laisse aux Membres une liberté quant aux modes de règlement des différends à privilégier. Ils peuvent en effet recourir aux bons offices, à la médiation, à la conciliation, à l’arbitrage et à la procédure quasi juridictionnelle (procédure des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel).
La procédure quasi juridictionnelle a connu une popularité certaine. En effet, depuis 1995, plus de 600 affaires ont été soumises à l’Organe de règlement des différends et près de 400 rapports ont été rendus dans un délai moyen de 10 mois. Cela témoigne probablement d’un signe de confiance évident de la part des États et de leur satisfaction quant à la célérité des procédures et à leur accessibilité, et quant aux résultats obtenus.
La procédure se divise en quatre phases. Un Membre doit d’abord déposer une demande de consultation. S’ensuit alors une période minimale de soixante jours (sauf exception) pendant laquelle on espère que les Membres « échangent des renseignements, évaluent les points forts et les points faibles de leurs thèses respectives, réduisent la portée des divergences qui les séparent et, bien souvent, trouvent une situation mutuellement acceptable »[18]. Cette phase peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années.
Lorsque les États ne s’entendent pas au stade des consultations, un Membre peut demander l’établissement d’un groupe spécial, en précisant la mesure précise en cause et le fondement juridique de sa plainte. Ce dernier, institué par l’ORD, mène une analyse tant en fait qu’en droit, au terme de laquelle il rend un rapport contenant des constatations et des recommandations. Ce rapport n’a aucune valeur d’autorité de la chose jugée et n’est pas exécutable tant qu’il n’a pas été adopté par l’Organe de règlement des différends.
Les Membres peuvent décider de porter l’affaire devant l’Organe d’appel. En réalité, la majorité des affaires ayant fait l’objet d’un rapport d’un groupe spécial font l’objet d’un appel (durant les dix premières années, tous les rapports ont fait l’objet d’un appel. On considère aujourd’hui que c’est plutôt 60 % des rapports qui sont amenés devant l’Organe d’appel). L’Organe d’appel a compétence pour revoir les questions de droit et les interprétations juridiques abordées par le groupe spécial. L’Organe d’appel présente aussi un rapport contenant des constatations et des recommandations.
Afin de mettre en oeuvre les recommandations des groupes spéciaux et de l’Organe d’appel, l’ORD doit adopter les rapports. Pour cette raison, on dénie souvent à la procédure OMC un caractère juridictionnel, lui préférant la qualité quasi juridictionnelle. Il n’en demeure pas moins que l’ensemble des rapports est adopté. En effet, la règle du consensus inversé prévaut. Autrement dit, à moins que l’ensemble des Membres soit d’accord pour ne pas adopter le rapport, ce dernier est adopté.
Dans le cas où le rapport aurait constaté des incompatibilités avec les règles de l’OMC, que des recommandations aient été formulées et que l’ORD ait adopté le rapport, il est attendu du Membre qu’il prenne des mesures afin de rendre ses politiques et pratiques compatibles dans un délai déterminé. À défaut, le Membre plaignant pourra imposer des contre-mesures.
On remarquera que le système de règlement des différends de l’OMC comporte plusieurs particularités. D’une part, il s’appuie sur un organe politique (l’ORD) à plusieurs stades de la procédure. D’autre part, il n’offre pas de compensation aux membres dont les droits auraient été bafoués. En effet, une fois le rapport adopté par l’ORD, le Membre défendeur doit simplement modifier ses façons de faire afin qu’à l’avenir, les Membres puissent bénéficier des avantages et des concessions qui leur sont dues. Autrement dit, le système n'est pas conçu pour compenser les pertes, mais pour assurer une mise en conformité avec les règles.
Si le système de règlement des différends de l’OMC constitue certainement un des points forts du système commercial multilatéral, il continue de faire l’objet de négociation en vue de son amélioration, et ce, depuis 1995. En effet, une meilleure accessibilité pour les pays en développement, une transparence accrue, une prise en compte réelle des amicus curiaes, une professionnalisation ou du moins une mise à niveau des membres des groupes spéciaux, et un encadrement des pouvoirs de l’Organe d’appel pourraient certainement rendre ce mécanisme encore plus pertinent.
À ce titre, depuis 2017, les Membres de l’OMC sont en quelque sorte forcés d’accélérer les discussions sur le fonctionnement de l’Organe d’appel. En effet, si depuis le début des années 2000, les administrations américaines n’ont pas caché leur mécontentement à l’égard du comportement des membres de l’Organe d’appel et ont constamment demandé l’adoption de modifications majeures, l’administration Trump a bloqué depuis 2017 toute nomination de membres à l’Organe d’appel tant et aussi longtemps que les préoccupations américaines n’auront pas été sérieusement prises en compte.
Les États-Unis avancent officiellement six motifs de récrimination à l’égard de l’Organe d’appel : 1) Le service prolongé de membre de l’Organe d’appel dont le mandat est terminé, le temps qu’une affaire se termine, 2) le dépassement de la limite de 90 jours pour déposer un rapport, 3) la capacité de l’Organe d’appel de revoir des faits, 4) la prise en compte du droit national comme élément de fait, 5) la formulation par l’Organe d’appel d’avis consultatifs, et 6) la prise en compte des rapports comme constituant des précédents. Il semble aussi que les Américains soient irrités du fait que les rapports de l’Organe d’appel vont souvent à l’encontre des intérêts américains[19].
Lors du Conseil général de décembre 2019, afin de dénouer la situation, les Membres ont proposé un projet de décision visant à réformer l’Organe d’appel. Les ÉtatsUnis l’ont rejeté, considérant que ce projet ne s’attaquait pas aux problèmes systémiques. Pourtant, cette réunion du Conseil général revêtait une importance considérable dans la mesure où le blocage répété des nominations avait porté le nombre de membre à sa limite minimale et que le mandat de deux membres venait à échéance le 11 décembre. À défaut d’avoir trouvé une solution consensuelle – en raison de l’opposition isolée des États-Unis – aucune procédure de nomination n’a pu être entamée. Depuis le 12 décembre 2019, l’Organe d’appel ne compte donc plus suffisamment de membres pour qu'un différend soit entendu par un groupe de trois membres. Dans ce contexte, c’est tout le mécanisme de règlement des différends de l’Organisation qui est être paralysé puisque lorsqu’un Membre porte un différend en appel, la procédure est suspendue indéfiniment. En effet, l’appel empêche l’ORD d’adopter le rapport du Groupe spécial pour une éventuelle mise en oeuvre. Au départ, certains Membre de l’OMC se sont entendus au cas par cas afin de ne pas porter un rapport devant l’Organe d’appel alors que d’autres dont le Canada et l’Union européenne ont conclu des accords préalables suivant lesquels en cas de différends, la procédure d’arbitrage prévue à l’article 25 du Mémorandum d’accord remplace celle de l’Organe d’appel. En avril 2020, plusieurs Membres de l’OMC ont trouvé une solution temporaire à cette situation en adopter l'Arrangement multilatéral d’appel arbitrage (AMPA). Cela permet à ces Membres de contourner le blocage de l’Organe d’appel en utilisant la procédure d’arbitrage déjà prévue dans le Mémorandum d’accord[20].
Cette crise de l’Organe d’appel constitue probablement l’une des pires que l’OMC a connue depuis sa création. Elle attaque une des fonctions centrales de l’OMC et a le potentiel de mettre en péril la mise en oeuvre effective et efficace des règles. L'ancien Directeur général Roberto Azevedo avait mené des consultations importantes auprès des Membres afin qu’une solution soit trouvée à ce blocage, sans succès. La nouvelle directrice générale, Ngosi Okonjo-Iwaela en fait une de ses priorités. On doit néanmoins noter que les Membres de l’OMC ont unanimement dénoncé l’attitude américaine lors du Conseil général de décembre 2019 et que plusieurs ont réitéré leur confiance dans le système de règlement des différends en trouvant des solutions temporaires[21].
Suivi des politiques commerciales nationales – Déjà à l’époque du GATT, en 1988, un mécanisme d’examen des politiques commerciales des États avait été instauré. Un mécanisme similaire a été préservé dans le nouveau système. L’OMC administre ce mécanisme institué par l’Annexe 3 de l’Accord instituant l’OMC[22].
En vertu de ce dernier, chaque Membre de l’OMC doit rendre compte de ses politiques et pratiques commerciales. Sur cette base, le Secrétariat de l’OMC prépare un rapport plus approfondi. Les rapports ainsi fournis sont ensuite examinés par l’ensemble des Membres, réunis dans le cadre de l’Organe d’examen des politiques commerciales.
Un tel mécanisme participe évidemment à la transparence, principe clé de l’OMC. Chaque Membre doit faire face, de manière périodique, à l’évaluation de ses pairs et doit expliquer, au besoin, l’adéquation de ses politiques et pratiques avec les règles multilatérales du commerce. La périodicité des rapports dépend du niveau de développement des Membres : si en moyenne, les rapports doivent être fournis aux six ans, les pays les plus développés doivent faire rapport aux deux ans alors que les pays les moins avancés bénéficient d’un délai plus généreux.
La Conférence ministérielle reçoit ensuite le rapport et en prend note. Ce pouvoir apparait certes limité, voire inefficace, mais le mécanisme doit tout de même être considéré comme ayant un impact politique majeur du fait même de la production du rapport par le Membre et son analyse par les Membres. Il accentue la transparence, permet aux Membres d’être informés des politiques et pratiques commerciales de chacun et, en cas de désaccord, de permettre l’amorce de discussion.
Coopération avec d’autres organisations internationales dans un souci de cohérence – À notre époque, le commerce international englobe de nombreux domaines. Dès lors, bien que l’OMC s’en tienne aux activités entrant dans son champ de compétence, elle ne peut ignorer le travail fait au sein des autres organisations internationales. À cet égard, elle se doit d’être ouverte et de coopérer efficacement dans une optique de cohérence et d’efficacité.
Afin de remplir ce mandat, le Directeur général de l’OMC participe au Conseil des chefs de secrétariat des organismes des Nations Unies pour la coordination (CCS). Trente et un chefs de secrétariat se rencontrent deux fois par année afin de discuter de thèmes transversaux et de cohérence. En sus, d’autres initiatives ont été mises sur pieds. Par exemple, le Centre du commerce international, créé en collaboration avec la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), fournit de l’assistance aux pays en développement dans le domaine du commerce.
Le GATT ne référait qu’au FMI et à l’ONU. Les accords de l’OMC réfèrent, quant à eux, à de nombreuses organisations internationales avec lesquelles l’OMC doit entretenir des relations : Commission du Codex alimentarius, Organisation internationale pour la santé animale (OIE), Organisation mondiale des douanes, Convention internationale pour la protection des végétaux, Union internationale des télécommunications, Programme des Nations Unies pour l’environnement, Organisation mondiale de la santé, Organisation mondiale pour la propriété intellectuelle, etc.
Certaines organisations internationales possèdent un statut d’observatrice auprès de l’OMC. C’est le cas de la Banque mondiale, du Fonds monétaire international et de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture. À cet égard, l’OMC vit un blocage important depuis de nombreuses années. En effet, depuis que les États-Unis et d’Israël se sont opposés en 1999 à l'attribution du statut d’organisation observatrice à la Ligue des pays arabes, les pays membres de la Ligue s’opposent systématiquement à l’octroi du statut à toute nouvelle organisation. Pour cette raison, depuis plusieurs années, aucune nouvelle organisation n’a reçu le statut d’observatrice. Encore récemment, lors du Conseil général de décembre 2019, le statut a été refusé à l’Union africaine à la suite du blocage des pays membres de la Ligue des pays arabes.
Ce blocage explique que l’Organisation internationale du travail n’ait pas le statut d’organisation observatrice à l’OMC. Néanmoins, les deux Organisations demeurent nécessairement liées dans la mesure où les normes du travail ne peuvent être complètement éludées lorsqu’il est question de commerce et vice-versa. Dès les débuts de l’OMC, la question du lien entre le commerce et les normes du travail avait d’ailleurs été abordée, laissant apparaître de nouvelles difficultés liées à l’augmentation de l’importance des PED au sein de l’OMC. En effet, dès la première ministérielle de Singapour, une majorité de PED et quelques pays développés comme l’Australie et la Grande-Bretagne ont refusé d’inclure les normes du travail dans un éventuel agenda de négociation. De leur avis, les conditions de travail pouvaient être utilisées comme prétexte protectionniste. La Déclaration de Singapore précise donc simplement que les Membres s’engagent à « observer les normes fondamentales du travail internationalement reconnues »[23], sans plus. Si les Secrétariats des deux Organisations collaborent plus étroitement depuis 2005 en faisant par exemple des rapports conjoints, la question du lien entre commerce et norme du travail n’a pas évolué au sein de l’OMC depuis[24]. Enfin, fait intéressant, le siège de l’OMC est situé dans le bâtiment anciennement occupé par le Bureau international du travail (BIT) entre 1926 et 1975. Certaines fresques illustrant par exemple l’évolution des conditions de travail à travers les époques ont été découvertes lors de travaux de rénovation des salles qui servent entre autres aux auditions des groupes spéciaux.
La relation apparaît plus facile avec certaines organisations qu’avec d’autres. C’est le cas avec le FMI et la Banque mondiale. C’est précisément ce que les ministres ont reconnu en 1994 en adoptant la Déclaration sur la contribution de l’OMC à une plus grande cohérence dans l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial. Ceux-ci, conscients que l’ensemble des problèmes ne peuvent être résolus dans le domaine du commerce, considèrent « nécessaire que les institutions internationales compétentes […] suivent des politiques cohérentes qui se renforcent mutuellement »[25]. Dès lors, les ministres considèrent que l’OMC doit coopérer avec le FMI et la Banque mondiale.
À ce titre, on peut observer que seuls le FMI et la Banque mondiale se sont vu octroyer le statut d’observateurs tant au sein du Conseil général qu’au sein des divers organes de l’OMC qui l’octroient. Les autres organisations ont le statut d’observateur devant le Conseil général et au moins un organe, ou seulement devant certains organes de l’OMC[26].
L’OMC a, quant à elle, le statut d’observateur au sein de plus d’une trentaine d’organisations internationales. Ne possédant toutefois pas de représentation permanente ailleurs qu’à Genève, l’action de l’OMC dans ces forums se trouve limitée.
C. Une réforme de l’OMC ?
Très tôt après sa création, l’OMC a fait l’objet de critiques quant à son mode de fonctionnement. On lui reprochait entre autres son manque de transparence et son cloisonnement aux questions purement économiques. Aujourd’hui, l’OMC a évolué et s’affiche plus ouverte aux préoccupations citoyennes. Depuis 2001, un forum public est organisé afin de réunir des membres de la société civile à Genève. Aussi, certaines réunions de groupes spéciaux sont ouvertes au public. Ce fut le cas dans les affaires relatives à la viande aux hormones en 2008 et aux phoques en 2013. Il n’en demeure pas moins que l’OMC demeure une organisation au sein de laquelle les membres de la société civile jouent un rôle extrêmement limité. Les négociations se déroulent derrière des portes closes et les projets de conventions ou de décisions ne circulent habituellement pas parmi les membres de la société civile. Qui plus est, les représentants d’ONG ont un accès très limité lors des conférences ministérielles et sont parfois situés à l’extérieur du lieu des négociations, voire à des kilomètres de celui-ci.
L’OMC fait aussi l’objet de critiques venant des Membres. Si certains pays ou groupes de pays ont réclamé des changements depuis sa création, ce sont les attaques des États-Unis qui ont plongé l’OMC depuis peu dans une crise qui pourrait bien la mener à une réforme. Nous l’avons vu, le mécanisme de règlement des différends est d’abord visé. En outre, les États-Unis considèrent les règles comme inéquitables dans certaines situations. Le président Trump s’en est pris notamment à la Chine, considérée comme une puissance économique ne jouant pas selon les mêmes règles du jeu : dumping social et environnemental, vol de propriété intellectuelle, subventions dommageables, statut de pays en développement injustifié, etc. Les États-Unis ont d’ailleurs décidé de mettre fin à cette situation en lançant une guerre commerciale avec la Chine, faisant ainsi craindre pour le multilatéralisme et la règle de droit.
Face à cette crise, le Canada a organisé une rencontre des ministres du Commerce à Ottawa en octobre 2018. Les ministres de quarante pays se sont retrouvés afin d’identifier des moyens concrets pour améliorer l’OMC autour de trois thèmes : 1) la sauvegarde et le renforcement du Mécanisme de règlement des différends, 2) l’amélioration de la fonction de surveillance de l’OMC et 3) la modernisation des règles.
On notera que trois joueurs majeurs n’étaient pas présents lors de cette réunion : les États-Unis, la Chine et l’Inde. Pour le gouvernement du Canada, il s’agissait essentiellement de s’entendre entre pays partageant les mêmes objectifs et façons de proposer ensuite une solution réaliste aux autres.
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En définitive, depuis la création de l’OMC, les relations commerciales multilatérales bénéficient d’un encadrement institutionnel prévisible. Les États ont su éviter les écueils des années du GATT et l’Organisation fonctionne relativement bien en ce qui concerne une majorité de fonctions.
Néanmoins, de nombreux défis demeurent. Si les négociations ont connu des succès depuis la ministérielle de Bali, les avancées demeurent insatisfaisantes pour nombres de Membres. Par exemple, certaines questions importantes, comme celle des mesures de soutien interne en matière d’agriculture, semblent encore irrésolubles. Les principes de négociation ont connu des inflexions importantes afin de faire évoluer les choses : on négocie en plus petit paquet et depuis Buenos Aires, on a créé plusieurs comités de négociation plurilatéraux hors Agenda de Doha. Les Membres semblent toutefois bien attachés au principe du consensus.
Aussi, l’Organisation est plus que jamais remise en question dans sa forme actuelle depuis que le Mécanisme de règlement des différends, le « gold standard » du commerce international, est ébranlé. Cette situation a provoqué des discussions entre Membres. Celles-ci apporteront peut-être des modifications au système OMC.
Il n’en demeure pas moins que malgré des défis importants, l’OMC demeure une Organisation efficace et utile à plus d’un titre. Dans un contexte de multiplication des accords commerciaux régionaux et d’avènement généralisé de méga accords comme l’Accord économique et commercial global (AECG), l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), la Zone continentale, le Partenariat régional économique global (RCEP), etc, l’OMC apparaît comme un référentiel commun assurant une prévisibilité et une sécurité juridique certaine. Qui plus est, face à une vague de désintégration (comme le Brexit), ou de menace de désintégration, ou encore dans le contexte d’une guerre commerciale, l’OMC agit comme une figure rassurante tant pour les États que pour le marché.
En somme, si le blocage en matière de négociation a longtemps fait dire à ses détracteurs que l’OMC était dysfonctionnelle, voire inutile, et que la crise de l’Organe d’appel apparaît leur donner raison, il faut néanmoins considérer l’Organisation dans son ensemble, et conclure qu’elle fonctionne relativement bien. Du moins, elle ne connait pas de difficultés plus importantes que la majorité des autres organisations internationales, qui subissent aussi les aléas découlant des intérêts politiques des États.
Appendices
Notes
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[1]
Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, 30 octobre 1947, 58 RTNU 187 (entrée en vigueur : 1er janvier 1948) [GATT].
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[2]
Charte de la Havane instituant une organisation internationale du commerce, 24 mars 1948, Sec/41/53, en ligne : <https://docs.wto.org/gattdocs/r/GG/SEC/53-41.PDF>.
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[3]
Jean-Christophe Graz, Aux sources de l’OMC. La Charte de La Havane 1941-1950, Genève, Droz, 1999.
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[4]
Accord de Marrakech instituant l'Organisation mondiale du commerce, 15 avril 1994, 1915 RTNU 104 (entrée en vigueur : 1er janvier 1996) [Accord instituant l'OMC].
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[5]
Ibid.
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[6]
Ibid, art XI.1.
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[7]
Ibid, art IX.1.
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[8]
Ibid, art XII.2.
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[9]
Ibid, art V.1.
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[10]
L'autrice de ce texte était présente à Nairobi pour le compte d'une ONG et à Buenos Aires à titre de membre de la délégation du Bénin.
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[11]
Accord instituant l'OMC, supra note 4, art III :1.
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[12]
Ibid, art III :2.
-
[13]
OMC, Déclaration ministérielle, 20 novembre 2021, OMC Doc WT/MIN(01)/DEC/1 (2001), 4e sess, en ligne : <www.wto.org/french/thewto_f/minist_f/min01_f/mindecl_f.pdf>.
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[14]
Craig VanGrasstek, The History and the Future of the World Trade Organization, Genève, Organisation mondiale du commerce, 2013 aux pp 308-10.
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[15]
Geneviève Dufour et David Pavot, « Le Paquet de Bali et la sécurité alimentaire : l’évolution des techniques de négociation à l’OMC » (2015) 39:2 L’Observateur des Nations Unies 109 à la p 123.
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[16]
Ibid au para 30.
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[17]
Accord instituant l'OMC, supra note 4, art. III.
-
[18]
Mexique – enquête antidumping concernant le sirop de maïs à haute teneur en fructose (shtf) en provenance des États-Unis (2001), OMC Doc WT/DS132/AB/RW au para 54 (Rapport de l'Organe d'appel).
-
[19]
Robert E. Lighthizer, Report on the Appellate Body of the WTO, Washington DC, Office of the United States Trade Representative, 2020 au para 3.
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[20]
Nicolas Gervais et André-Philippe Ouellet, « L’échapper belle : AMPA ou MPIA. Quatre lettres au secours du système de règlement des différends à l’OMC », (2019) 23:2 RQDI 29 à la p 57.
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[21]
L'autrice a assisté à cette réunion du Conseil général.
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[22]
Accord instituant l'OMC, supra note 4, art III .4.
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[23]
OMC, Déclaration ministérielle de Singapour, OMC Doc WT/MIN(96)/DEC (1996), en ligne : <www.wto.org/french/thewto_f/minist_f/min96_f/singapore_declaration96_f.pdf>.
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[24]
VanGrasstek, supra note 14 aux pp 169, 380.
-
[25]
OMC, Déclaration sur la contribution de l'Organisation mondiale du commerce à une plus grande cohérence dans l'élaboration des politiques économiques au niveau mondial, 1994 à la p 423, en ligne : <https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/32-dcohr.pdf>.
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[26]
VanGrasstek, supra note 14 à la p 165.