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À bien des égards, l’accès aux soins peut sembler être un objectif difficilement atteignable, au regard des différences que l’on peut trouver au sein d’un même territoire. Les déplacements croissants des populations conduisent à s’interroger sur l’effectivité de l’accès aux soins principalement sur le territoire de l’Union européenne (UE).

La santé est définie comme « un état complet de bien-être physique, mental et social »[1]. Elle ne se réduit pas simplement à lutter contre la maladie, c’est avant tout un état général. L’accès aux soins permet aux individus d’accéder aux outils, pratiques et traitements sanitaires nécessaires pour préserver leur santé. Toutefois, les enjeux sanitaires peuvent trouver une certaine résonnance entre les États dans un monde globalisé. Le développement de maladies, mais aussi le déplacement des populations, oblige à instaurer une forme de solidarité étatique tournée vers une approche collective et solidaire[2]. Une action coordonnée est donc nécessaire pour arriver à une réponse adaptée[3]. Néanmoins, la question de l’accès aux soins suscite encore de nombreuses inquiétudes au regard des nombreuses disparités existantes entre et au sein des différents blocs régionaux, notamment pour les individus, plus ou moins exposés aux risques sanitaires[4].

L’UE, dont l’établissement d’un espace d’échange économique constitue la réalisation première, a progressivement amorcé un changement de paradigme en consacrant l’effet direct du droit de l’UE, mettant l’individu au coeur du processus d’intégration[5]. A fortiori, l’intégration des questions sanitaires ne pouvait qu’occuper une place prédominante dans un système tel que celui-ci, où les individus peuvent revendiquer une prise en charge de leurs soins[6]. Bien que le recours à des soins transfrontaliers dans l’UE reste, en pratique, encore limité[7], il constitue un enjeu capital, notamment pour les zones territoriales susceptibles de connaître d’importants flux d’individus, à l’instar des zones touristiques ou frontalières. L’accès aux soins sur le territoire européen permet ainsi à chaque ressortissant d’être assuré qu’il bénéficiera de soins de qualité, quel que soit l’État membre dans lequel il se situe[8].

Au regard de l’avancement du processus d’intégration européenne, la perception du malade par le droit de l’UE, a connu une évolution notable. D’abord appréhendé de manière indirecte par la voie du marché intérieur, le malade apparaissait comme le bénéficiaire potentiel de la libre prestation de services (LPS) dont jouissent les professionnels de santé en tant qu’agent économique[9]. Puis, l’individu devient un citoyen de l’UE[10], s’émancipant du prisme économique à l’aune duquel les soins de santé sont traditionnellement perçus par le droit de l’Union. La montée en puissance des préoccupations liées à l’accès aux soins contribue à faire émerger un statut de « patient ». Dans le contexte européen, le patient relève d’une réalité particulièrement large. Au-delà des cas de figure où le travailleur européen bénéficie de soins sur le territoire duquel il exerce son emploi, le patient peut aussi bien être l’individu en déplacement ponctuel et qui a besoin d’une prise en charge, l’habitant d’une zone frontalière nécessitant des soins situés dans un État voisin, ou encore le patient envoyé à l’étranger pour bénéficier de soins spécifiques[11]. La diversité des situations permettant de qualifier un individu de patient démontre l’étendue des cas pouvant conduire à la prise en charge d’un ressortissant européen par un autre État membre que celui auquel il est affilié[12]. Ainsi, l’UE doit garantir à tous ses citoyens l’accès potentiel aux soins et cela malgré les différences existantes entre les systèmes de santé[13], les États restant encore attachés à l’organisation de leur système de santé[14]. L’article 129 du Traité instituant la Communauté européenne introduit le principe d’intégration selon lequel un niveau élevé de protection doit être garanti dans toutes les politiques de l’Union. En tant que clause d’intégration[15], la protection de la santé constitue donc un objectif transversal et commun à toutes les politiques de l’Union[16]. Certains aspects sanitaires relèvent donc de la compétence partagée de l’UE et de ses États membres. C’est notamment le cas pour les enjeux communs de la sécurité en matière de santé publique[17]. D’autres domaines relèvent de la compétence d’appui de l’Union[18]. En ce sens, l’article 168 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) prévoit que la santé est une compétence d’appui sauf pour une liste limitative prévue à l’article 168§4 du TFUE tels que les produits du corps humain, les mesures phytosanitaires et les médicaments. De plus l’article 168§7 du même traité quadrille cette compétence en précisant que l’UE respecte pleinement la responsabilité des États dans la définition de leur politique de santé ainsi que l’organisation et la fourniture des services de santé et des soins médicaux[19]. En parallèle, l’article 114 du TFUE relatif aux mesures d’harmonisation dans le domaine du marché intérieur ne s’applique que lorsqu’une des libertés de circulation est remise en cause. Incidemment, il permet donc le développement des compétences de l’UE, en mettant en place des règles concernant les marchandises, afin d’éviter que les États adoptent des règles restreignant cette libre circulation des marchandises et harmonise le domaine des services.

La répartition des compétences en matière de santé couplée à la problématique de la pertinence des soins prodigués conduit à s’interroger sur la toile tissée par l’UE pour garantir l’accessibilité des soins sur l’ensemble de son territoire. En d’autres termes, comment l’UE parvient-elle à garantir cet accès aux soins?

La gestion des patients sur le territoire de l’UE suppose une coordination des États à défaut d’une harmonisation totale des systèmes sanitaires. Néanmoins, cette coordination ne constitue qu’une première étape appelant à la mise en place de règles plus abouties. C’est en ce sens que les entités infraétatiques, et plus particulièrement les régions peuvent avoir un rôle à jouer pour garantir la mise en oeuvre des politiques sanitaires européennes. Les traités européens ne comportent pas de disposition imposant aux régions une obligation de respecter ou d’exécuter le droit de l’UE. Néanmoins, par le truchement de différentes dispositions, les entités infraétatiques ne sont pas exclues du champ d’application du droit de l’UE[20]. De surcroît, le principe de l’effet direct et le principe de primauté du droit de l’Union, déploient leurs effets sur l’ensemble des sujets de droit, dont les collectivités territoriales, qui sont par conséquent, destinataires des droits et obligations garantis par l’ordre juridique de l’Union[21]. L’action transfrontalière constitue ainsi un outil pertinent pour permettre le développement d’une coopération sur un territoire donné[22].

Dans cette optique, l’accessibilité aux soins nécessite une action à deux niveaux : d’une part, il s’agit d’assurer pour l’UE une coordination nécessaire des États afin de garantir une certaine cohérence des règles en la matière (I). D’autre part, l’objectif d’accès aux soins suppose une prise en compte des réalités locales nécessitant la mise en oeuvre d’une coopération transfrontalière ambitieuse pour répondre à cet objectif (II).

I. Une coordination nécessaire des États pour garantir l’accès aux soins

L’UE s’est construite avant tout sur le modèle d’un marché intérieur. L’accès aux soins de santé ne constituait pas, prima facie, une des priorités dans la construction de l’Union. La dynamique expansionniste du marché intérieur lui a permis d’appréhender de manière diverse les activités économiques ayant trait à la santé. Plus précisément, c’est par la voie des règles relatives à la LPS que l’accès aux soins a intégré le champ du marché intérieur. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) veille ainsi à ce que les politiques nationales en la matière ne s’affranchissent pas des exigences propres au marché intérieur européen. Le contrôle des entraves à la LPS permet au juge de censurer des mesures nationales qui apporteraient des restrictions disproportionnées à l’accès aux soins dans le marché intérieur, réalisant, de façon détournée, une certaine coordination entre les politiques des États membres en la matière (A). Toutefois, cette première forme d’appréhension de l’accès aux soins par les règles du marché – caractéristique de l’intégration négative – n’est pas exclusive d’une intégration positive, qui passerait par l’harmonisation des droits nationaux. À cet égard, le législateur de l’UE a entrepris un rapprochement des législations des États membres relatives à l’accès aux soins, montrant que l’intégration positive se heurte à d’importantes complexités. La coordination des actions nationales reste, néanmoins, relativement limitée (B).

A. Une coordination détournée par la voie de la libre prestation de services

Bien que la question de l’accès aux soins constitue une question relativement récente au sein de l’UE, les prémisses d’un tel droit ont émergé très rapidement. Les traités fondateurs ne font pas mention d’une politique sanitaire commune[23]. Du traité de Rome jusqu’à l’Acte unique européen, la santé se manifeste principalement par la liberté de circulation pour les travailleurs[24]. En effet, à l’origine le Traité de la Communauté économique de charbon et de l'acier (CECA) facilite la mobilité des travailleurs, sans pour autant envisager le développement d’une politique de sécurité sociale[25]. C’est néanmoins l’instauration d’une règlementation des régimes de sécurité sociale qui permettra de garantir la libre circulation des travailleurs[26]. Dans le cadre d’une simplification des textes, les règlements de coordination seront étendus aux travailleurs salariés, mais aussi à leurs familles en déplacement au sein de l’UE[27]. Le droit de l’UE s’est donc progressivement étoffé pour arriver aujourd’hui à une reconnaissance de l’action de l’UE[28]. C’est néanmoins la notion « patient européen[29] » qui tend à se développer au travers de l’action de la CJUE qui a notamment qualifié l’accès aux soins de prestation de services[30].

Le patient se voit délivrer des soins, au titre d’une prestation de service, et cela dans n’importe quel État membre. La Cour avait qualifié dans les affaires Kohll et Decker que « la nature particulière de certaines prestations de services [en l’espèce la santé] ne saurait faire échapper ces activités au principe fondamental de libre circulation[31] ». Le patient a droit au remboursement des soins de santé selon la tarification en vigueur dans son État d’affiliation. La qualification de prestation de service renvoie vers la qualification de prestation passive, tel qu’elle fut consacrée par la CJUE dans son arrêt Luisi et Carbone[32]. La Cour a procédé par analogie en comparant le patient au touriste dans le sens où il est possible qu’un patient en qualité de destinataire d’une prestation de soins invoque la LPS, afin de bénéficier de soins au sein des différents États de l’Union[33]. Les prestations de santé font leur entrée dans le marché intérieur, au même titre que certains éléments du corps[34] ou les médicaments[35] qui sont perçus comme des marchandises, susceptibles de bénéficier des règles de libre-échange. Ainsi, l’État est contraint de respecter les règles du marché intérieur pour les prestations sanitaires. La jurisprudence de la Cour met clairement en évidence la nécessité d’une coordination des actions nationales. L’ouverture de l’accès aux soins transfrontaliers constitue le corolaire des libertés économiques qui sont garanties par l’ordre juridique de l’UE. L’objectif est donc de prévenir et d’empêcher toute politique discriminatoire, et d’éviter l’apparition d’obstacles limitants en droit, ou en fait, le traitement du patient européen.

Cependant, en ouvrant la LPS au bénéficiaire de soins de santé, le droit de l’UE n’assure qu’indirectement la coordination des politiques étatiques de santé. En effet, la variation des soins opérés, la diversité des régimes d’assurance santé sont autant d’éléments qui maintiennent des inégalités entre les États[36].

Il semble néanmoins que cette coordination puisse se réaliser au travers de mécanismes d’intégration positifs dont dispose l’UE. Ainsi, le recours à l’harmonisation des droits pourrait être un instrument garantissant une articulation harmonieuse entre les actions nationales au profit du patient européen.

B. Une coordination limitée par la voie de l’harmonisation des législations

La garantie de l’accès aux soins de santé passe par la possibilité pour le patient de se déplacer au sein de l’Union, ce qui suppose une coordination entre les différents systèmes de santé. La directive 2011/24/UE du 9 mars 2011[37], a permis de consacrer des droits généraux du patient en cristallisant les différentes évolutions jurisprudentielles et textuelles[38]. La directive telle qu’elle fut proposée résulte avant tout d’un consensus à la suite du rejet de la proposition de la directive dite « services[39] », qui intégrait dans son champ d’application le secteur sanitaire, au détriment de la jurisprudence de la Cour qui prône à l’inverse leur encadrement[40]. La directive de 2011 permet donc d’offrir un outil de coordination européenne pour les soins sanitaires tout en respectant la compétence des États. Elle consacre, entre autres, le droit à l’accès aux soins de manière égalitaire entre ressortissants ou non de l’État de traitement[41], ce qui constitue une déclinaison du principe de non-discrimination[42].

Néanmoins, l’accessibilité des soins rencontre également certaines limites, notamment parce que les prestataires de soins peuvent refuser certains patients pour un traitement programmé ou si cela entraîne un risque d’allongement des délais d’attente dans la prise en charge de traitement. De plus, cette égalité d’accès peut être limitée pour des raisons impérieuses d’intérêt général notamment pour garantir à l’État prestataire un accès suffisant et permanent aux soins qu’il propose. Dès lors, l’État a la possibilité de mettre en place une autorisation préalable pour garantir, mais aussi limiter le remboursement des soins prodigués en dehors de son territoire. Sur ce point, la directive clarifie la règle de l’autorisation préalable[43].

Plusieurs règlements ont pu être adoptés et ont contribué à mettre en place une coordination des systèmes de sécurité sociale étendue à tous les ressortissants européens des États membres couverts par un régime de protection sociale[44]. Ces règlements ont pu être qualifiés de « fiction juridique », dans le sens où le patient est considéré comme étant un assuré de l’État de séjour[45]. Le patient ne perd donc pas son droit acquis au remboursement lorsqu’il bénéficie de soins dans un autre État. Il est donc possible, selon si les soins prodigués sont inopinés ou programmés, que l’État d’affiliation soumette le remboursement à une demande d’autorisation préalable, afin de conserver une maîtrise sur les dépenses réalisées. Perçue comme une atteinte à la liberté de prestation de services, la Cour opère une clarification des règles d’autorisation préalable en favorisant la liberté de circulation. Dans l’arrêt Smits et Peerbooms, elle précise que pour des raisons impérieuses liées à l’équilibre des systèmes de sécurité sociale et au maintien de l’accessibilité des services hospitaliers, l’État d’affiliation peut soumettre l’accès aux soins à une autorisation médicale préalable pour obtenir les remboursements de soins réalisés à l’étranger[46]. La liberté de circulation prime ainsi sur l’autorisation préalable. Dans cette optique, la directive confirme le droit au remboursement et prévoit la possibilité de bénéficier de soins en étant pris en charge à hauteur du remboursement prévu pour un traitement similaire au sein de l’État d’affiliation[47]. Les tarifs appliqués seront ceux de l’État de séjour, sans pour autant que le patient ne fasse d’avance si la législation de l’État de séjour le permet. À défaut, il sera possible de demander le remboursement auprès de l’État d’affiliation à son retour. En d’autres termes, il n’est pas nécessaire de disposer d’une autorisation préalable pour bénéficier de soins en urgence[48], quand bien même ces soins relèvent de la médecine ambulatoire[49] ou d’une hospitalisation[50]. Toutefois, en cas d’intervention programmée, le patient doit faire une demande d’autorisation préalable à l’organisme d’affiliation, afin d’éviter un avancement des frais ou pour être remboursé par l’État d’affiliation. La directive prévoit toutefois deux cas de figure là encore. Dans le cadre d’une intervention programmée en médecine ambulatoire, une demande d’autorisation préalable doit être fournie[51]. Toutefois, pour une hospitalisation programmée, l’article 8 de la directive et l’article 20 du règlement obligent le patient à faire une demande d’autorisation préalable. La directive permet donc d’éviter de recourir aux autorisations préalables, ce qui présente l’avantage pour l’État d’affiliation et le patient de se dispenser d’une certaine charge administrative[52].

Malgré les garanties posées par la directive, l’accessibilité des soins soulève des interrogations. Les patients sont libres de choisir les soins qu’ils souhaitent recevoir et où ils souhaitent les recevoir. Toutefois, pour l’État d’affiliation, l’absence d’autorisation préalable ferait perdre la maîtrise de ses dépenses de santé, car il n’est désormais plus nécessaire de demander une autorisation pour bénéficier d’un remboursement pour certains soins. En effet, les patients se voient remboursés et couverts pour les frais avancés. Mais, l’État d’affiliation peut supporter des coûts financiers qui peuvent être particulièrement importants, le mettant potentiellement dans une situation d’endettement auprès de l’État prestataire de soins. De plus, l’accueil de patients supplémentaires suppose une réorganisation des services et un investissement plus lourd dans le matériel de soins. Il apparaît donc d’autant plus capital pour les États de mettre en place des partenariats afin de garantir entre autres l’accueil et la prise en charge des patients[53].

De plus, la directive introduit des dispositions limitant l’accès aux soins pour des raisons impérieuses d’intérêt général[54]. L’État peut mettre en place une procédure d’autorisation préalable pour le remboursement des coûts de soins de santé, à condition que cette procédure soit proportionnée à l’objet poursuivi et ne constitue pas un moyen de discrimination arbitraire ou une entrave injustifiée à la liberté de circulation des patients. Ainsi, lorsque les soins de santé nécessitent le recours à des infrastructures ou à des équipements spécialisés ou coûteux, l’État d’accueil peut remettre en place une demande d’autorisation préalable[55]. Se dessine encore une fois, une balance entre la volonté de l’UE de garantir un accès aux soins pour les patients sans pour autant remettre en question la compétence des États. L’Union incite les États à mettre en place des mécanismes de coopération des systèmes de santé, sans pour autant instaurer un régime uniforme[56].

En parallèle, l’UE cherche également à renforcer la coopération à un stade infraétatique, par la mise en place de programmes contribuant à rendre plus facile cet accès aux soins. En effet, l’encouragement à une coopération régionale transfrontalière est une des pistes envisagées pour faire face au décalage qui existe entre l’ambition élevée de l’UE et ses compétences encore limitées.

II. L’ambition d’une coopération transfrontalière en matière d’accès aux soins

Au-delà de la mise en place d’une politique de coordination des systèmes de santé, l’UE s’appuie également sur l’échelon régional pour tenter d’instaurer des zones dynamiques, capables de fournir des prestations de soins communes aux habitants des régions visées[57]. Le niveau infraétatique apparaît comme l’échelon le plus approprié pour apporter des solutions harmonieuses et rationnelles quant à l’accès aux soins. En effet, du fait d’une certaine proximité géographique et parfois culturelle, les besoins sanitaires peuvent se regrouper. Toutefois, l’utilisation des structures sanitaires transfrontalières reste encore marginale. En impulsant une dynamique coopérative, l’UE accorde ainsi une place de choix à la mise en oeuvre de zones sanitaires régionales[58]. Cette coopération transfrontalière permet donc une approche plus pragmatique de l’accès aux soins sur le territoire de l’UE (A). Toutefois, une telle approche fait apparaître de nouvelles problématiques communes. Ainsi, ce sont de nouveaux défis qui apparaissent pour les États, mais aussi pour l’UE (B). Il convient également de signaler que la crise de la Covid-19 a permis la mise en place d’une coopération transfrontalière (C).

A. Les zones transfrontalières, une approche pragmatique de l’accès aux soins

Dans la pratique, l’UE favorise les initiatives de coopération transfrontalière entre les États, principalement parce que la protection de la santé passe avant tout par une prise en considération des enjeux et besoins locaux. La mise en place de programme de partage d’informations et de données constitue, dans un premier temps, le socle nécessaire à toute coopération. Le programme européen de coopération régional (INTERREG)[59] met en place différents types de programmes de coopération territoriale européenne[60].

En complément, les États ont la possibilité de conclure des accords-cadres ou conventions de coopération sanitaire soutenus par les programmes INTERREG. Dans ce cas de figure, les conventions vont permettre de définir les établissements concernés par ces partenariats, la prise en charge des frais de santé, ou encore les modalités de remboursement. Dans le premier cas de figure, les accords-cadres permettent aux États de s’entendre sur le champ d’application de la convention, les populations visées, les conditions d’intervention, l’accueil et l’information des patients, la simplification des modalités de prise en charge, les frais de transport, etc. Les patients qui entrent dans le champ d’application de la convention sont dispensés d’autorisation préalable pour leurs soins hospitaliers[61].

En parallèle, l’UE appuie le développement de structures d’accueil des patients reposant sur une gestion commune des établissements. L’objectif principal est de permettre un accès aux soins plus adapté et d’apporter une réponse à la problématique de l’hospitalisation de proximité[62]. L’hôpital transfrontalier de Cerdagne, mis en place en septembre 2014, reste l’un des exemples les plus probants en matière de coopération transfrontalière insufflée par l’UE. Cet hôpital résulte d’une coopération entre la France et la Catalogne, dont l’objectif est d’accueillir et de prendre en charge, au sein d’une même structure, les patients sur la Cerdagne française et espagnole[63]. La structure est portée par un Groupement européen de coopération territoriale (GECT-HC). Les statuts du GECT-HC fournissent le circuit de remboursement et la tarification des soins et garanti la présence de personnels des deux pays, ainsi que l’accueil dans les mêmes conditions pour les patients espagnols et français[64]. La structure organise donc un service de santé en coordonnant l’action des services de santé et qui se veut le plus adaptée possible aux réalités du terrain, afin d’améliorer l’accès aux soins pour les populations limitrophes. La mise en place d’une telle structure prévoit toutefois une coordination entre les différents services mis à disposition, même si certains restent sous la responsabilité d’hôpitaux nationaux[65]. L’exemple le plus poussé de cette coopération reste néanmoins les Zones Organisées d’Accès aux Soins Transfrontaliers (ZOAST). Elles permettent aux patients frontaliers de recevoir des soins sans autorisation préalable et sans avance de frais, par l’intermédiaire du tiers payant dans les hôpitaux compris dans une zone déterminée. Elles vont bien au-delà de la logique coopérative, puisqu’elles s’affranchissent des frontières étatiques afin de faciliter le déplacement des patients. Ce type de coopération territoriale donne un certain dynamisme et attractivité pour des territoires frontaliers urbains ou ruraux en mettant en place une certaine complémentarité entre les systèmes de soins des pays limitrophes, mais surtout en permettant d’optimiser des services hospitaliers.

L’UE donne une impulsion, qu’elle soit financière ou structurelle, en encourageant l’instauration de mécanismes de coopération plus ou moins avancés selon les besoins des zones frontalières. Toutefois, la volonté de s’engager dans une logique coopérative résulte avant tout des facteurs principalement culturels et sociétaux, mais aussi économiques et stratégiques. Les pays coopérants ont pour la plupart une tradition en matière de protection de la santé relativement similaire, permettant de limiter les difficultés. Les zones frontalières constituent donc une nouvelle forme de gouvernance au sein de l’UE, au profit d’une coopération pertinente.

Cependant, le passage d’une gestion unilatérale des questions sanitaires à une gestion coopérative conduit au développement de nouveaux enjeux.

B. La coopération transfrontalière, comme vecteur de nouveaux défis

Malgré les avantages indéniables, la coopération transfrontalière emporte avec elle des interrogations qui mettent en lumière de nouveaux défis auxquels les États doivent répondre.

D’un point de vue matériel, la coopération transfrontière soulève en effet des problématiques dans sa mise en oeuvre. La première est celle de la langue parlée. Il peut arriver que les patients ne parlent pas la langue de l’État d’accueil. Il est alors nécessaire de faire intervenir des personnels de santé parlant la même langue que les patients. Dans ce cas de figure, les personnels mis à disposition engendrent un coût supplémentaire pour l’hôpital d’accueil. De même qu’en matière de moyens et d’infrastructures, la situation des hôpitaux peut varier d’un versant à l’autre de la frontière. Enfin, l’un des risques au demeurant est la création de « déserts médicaux » dans le sens où les zones frontalières vont générer des pôles santé dans des endroits stratégiques et laisser certaines zones moins attractives, dépourvues d’hôpitaux de proximité[66]. Le patient se trouve obligé de parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour avoir accès à des soins sur son propre territoire. Indirectement, se pose donc la question du financement et de l’accessibilité des soins. En outre, cela peut contribuer au développement d’un tourisme médical[67]. À titre d’exemple, les soins dentaires en Roumanie font l’objet d’un véritable commerce, avec la création d’agences spécialisées dans la prise en charge de ressortissants étrangers qui souhaiteraient effectuer des soins dentaires à bas prix[68]. Se pose également la question de la réglementation des professions de santé qui varie d’un État à un autre. La reconnaissance des diplômes en la matière peut être une procédure particulièrement longue, limitant de ce fait les installations en la matière. Plus généralement, les spécificités étatiques dans la réglementation des professions sanitaires peuvent conduire à une limitation du développement de la coopération transfrontière.

Enfin, c’est avant tout l’accès à l’information qui encouragera la mobilité des patients et donc contribuera au développement de l’accessibilité des soins. La directive 2011/24/UE, exige que les États informent les patients des soins proposés sur leur territoire[69]. Les États doivent mettre en place des Points de Contacts Nationaux (PCN), au sein de l’État d’affiliation et de traitement. Toutefois, ces PCN apparaissent encore très limités, puisque les patients semblent se renseigner auprès de ces agences tardivement, complexifiant les modalités de remboursement des soins. De plus, certains prestataires de soins n’ont pas toujours connaissance des procédures à suivre pour bénéficier de traitement à l’étranger[70]. Le renforcement des PNC constitue le point d’orgue dans la mise en oeuvre d’une politique de coopération efficace.

C. L’accès aux soins face à l’épreuve de la Covid-19

Lorsque l’Europe a été touchée par l’épidémie de la Covid-19, très vite, la question de l’accessibilité des soins est devenue centrale. Le système installé par l’UE pouvait-il résister à la Covid-19?

Lorsque l’Italie a été frappée en janvier 2020, le silence de l’UE, encore très sceptique quant au caractère pandémique de ce virus, n’a pas apporté de soutien direct à la situation italienne qui devenait chaque jour un peu plus catastrophique. La mise en quarantaine des Italiens et la progression de l’épidémie sur le territoire français ont commencé à susciter l’inquiétude des autorités européennes.

L’UE a mis en place une aide d’urgence dotée d’un budget de 2,7 milliards d’euros, activée le 16 avril 2020. L’objectif de cette aide étant d’apporter une certaine flexibilité aux États pour répondre à leurs besoins médicaux.

Face à l’expansion de la pandémie sur leurs territoires nationaux, les États ont progressivement décidé de restreindre la liberté de circulation sur le territoire et de fermer leurs frontières extérieures pendant 30 jours, conformément aux lignes directrices de la Commission européenne du 16 mars 2020[71]. Les États ont néanmoins pu organiser par l’intermédiaire d’accords bilatéraux le transfert de patients atteints par la Covid-19.

Ainsi, les États ont pu s’organiser entre eux, de manière bilatérale, en mettant en place le transfert de patients pour soulager les hôpitaux surchargés par l’arrivée de patients. La France et l’Allemagne ont organisé le transfert de patients français dans les hôpitaux frontaliers allemands.

Il faut néanmoins souligner que la crise de la Covid-19 a aussi été révélatrice de comportements nationalistes profonds, notamment pour la confiscation de cargaison de masques transitant sur des territoires. Le cas reste anecdotique, mais met en lumière des comportements égoïstes, notamment pour les masques transférés en Espagne.

Nombreux sont les adages faisant référence à la santé et s’accordant pour reconnaître sa valeur inestimable. La nécessité de prodiguer des soins de qualité aux ressortissants européens oblige les États à mettre en place des politiques sanitaires communes. L’UE a instauré un système de protection de la santé sur deux niveaux, dont l’objectif final est d’arriver à garantir une accessibilité aux soins la plus complète possible. Alors que l’Union joue un rôle de coordination en matière sanitaire, la coopération transfrontalière apparaît comme le pendant déterminant d’un accès aux soins équilibré et pertinent sur le territoire européen. La crise de la Covid-19 atteste la nécessité de renforcer cette coopération transfrontalière.