Abstracts
Résumé
Le Tribunal des droits de la personne du Québec et la Cour européenne des droits de l’homme ont ceci en commun qu’ils sont appelés, dans l’exercice de leur compétence respective, à disposer de litiges dont les arguments reposent sur des dispositions comprises dans des textes ayant valeur fondamentale, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales des droits de l’homme. Le discours de ces deux instances décisionnelles, qui interprètent et appliquent des dispositions formulées dans des termes larges et abstraits, implique nécessairement, au-delà de la simple application de dispositions législatives ou supra législatives, une véritable production de normes. Outre les similitudes et les différences qui existent entre la Cour européenne et le Tribunal, le présent texte s’intéresse au lien qui unit ces deux instances décisionnelles dans une perspective d’internationalisation du droit. Le dialogue entre diverses instances, sur le plan international ou régional, s’est élargi en tenant compte non plus seulement des obligations contractées, mais des valeurs communes cristallisées par des instruments semblables. C’est dans ce contexte que le Tribunal a développé sa jurisprudence relative à la Charte, s’inspirant parfois des normes européennes et de la jurisprudence de la Cour européenne. S’il est possible pour le Tribunal de renforcer la légitimité de sa décision en intégrant l’interprétation ou la solution retenue par la Cour européenne, il pourra aussi examiner la jurisprudence de la Cour afin de mieux s’en distancier, plus particulièrement dans les cas où la marge nationale d’appréciation fait en sorte de constituer un obstacle au renforcement de la garantie des droits consacrés à la Charte.
Abstract
The Human Rights Tribunal of Quebec and the European Court of Human Rights are both called upon, in the practice of their respective jurisdictions, to rule on disputes whose arguments rest upon provisions included in the texts of fundamental value, the Quebec Charter of Human Rights and Freedoms and the Convention for the Protection of Human Rights and Fundamental Freedoms. The rhetoric of these two decision-making bodies, who interpret and enforce the provisions articulated in broad and abstract terms, necessarily involves, beyond the simple enforcement of legislative or supra-legislative provisions, a genuine production of norms. Besides the similarities and differences that exist between the European Court and the Tribunal, the present text focuses on the binding relationship between these two decision-making bodies from the perspective of the internationalization of the law. The dialogue between different bodies, on an international or regional scale, has widened by taking into account not only contracted obligations, but also common values crystallized by similar instruments. It is in this context that the Tribunal developed its jurisprudence relative to the Charter, sometimes taking inspiration from European norms and the European Court’s jurisprudence. If it is possible for the Tribunal to strengthen the legitimacy of its decision by integrating the interpretation or solution selected by the European Court, it will also be able to examine the jurisprudence of the Court in order to better distance itself, more specifically in cases where the national margin of appreciation is an obstacle to the strengthening of the guaranteed rights enshrined in the Charter.
Resumen
El Tribunal de Derechos Humanos de Quebec y la Corte Europea de Derechos Humanos tienen en común el hecho que están llamados, en el ejercicio de su competencia respectiva, a disponer de litigios cuyos argumentos están basados en disposiciones incluidas en textos que tiene un valor fundamental, la Carta de derechos y libertades humanas en Quebec y la Convención para la protección de los derechos humanos y de las libertades fundamentales. El discurso de estos dos órganos decisionales, que interpretan y aplican disposiciones formuladas en términos amplios y abstractos, implica necesariamente una verdadera producción de normas, además de la simple aplicación de disposiciones legislativas o supra legislativas. Además de las similitudes y de las diferencias que existen entre la Corte europea y el Tribunal, el presente texto se interesa a los lazos que unen las dos instituciones, en una perspectiva de internalización del derecho. El dialogo entre las diferentes instancias, en el plan internacional o regional, ha sido expandido y toma ahora en cuenta no solo las obligaciones contratadas, pero también los valores comunes cristalizados por instrumentos similares. Es en ese contexto que el Tribunal desarrollo su jurisprudencia en relación con la Carta, a veces inspirándose de normas europeas y de la jurisprudencia de la Corte europea. Si es posible para el Tribunal de reforzar la legitimidad de sus decisiones, integrando la interpretación o la solución retenida por la Corte europea, puede también examinar la jurisprudencia de la Corte para alejarse de ella, en particular en los casos donde el margen de apreciación se convierte en un obstáculo al refuerzo de la garantía de los derechos consagrados en la Carta.
Article body
Le Tribunal des droits de la personne[1] (ci-après, le Tribunal) et la Cour européenne des droits de l’homme[2] (ci-après, la Cour européenne) ont ceci en commun qu’ils sont appelés, dans l'exercice de leurs compétences respectives, à trancher des litiges dont les arguments reposent sur des dispositions comprises dans des textes ayant valeur fondamentale, la Charte des droits et libertés de la personne[3] (ci-après, la Charte) et la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales des droits de l’homme[4] (ci-après, la Convention).
Loin d’être figées dans le temps, les dispositions que doivent interpréter et appliquer le Tribunal et la Cour européenne sont formulées dans des termes larges et parfois abstraits favorisant ainsi l’arrimage de ces protections à la réalité de la société dans laquelle elles doivent s’incarner, à un certain moment de son histoire. S’agissant de textes assimilés de façon métaphorique à « un arbre vivant », pour reprendre une locution bien connue[5], ceux-ci permettent de reconsidérer les protections à l’aune de situations qui n’étaient pas prévisibles lors de leur adoption. Dès lors, puisque ces protections sont susceptibles d’évolution et d’adaptation, le discours de ces deux instances décisionnelles implique nécessairement, au-delà de la simple application de dispositions législatives ou supra législatives, une véritable production de normes.
Bien que le Tribunal et la Cour européenne tirent leur compétence de deux textes similaires qui s’inscrivent dans le droit fil de la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948, le lien qui unit ces deux instances se définit bien plus encore par la relation qu’elles peuvent avoir, à partir de ces textes fondamentaux, dans la façon de dire le droit et de le fabriquer. En ce sens, le lien qui peut s’établir entre elles porte moins sur leur rôle de « bouche qui prononce la loi »[6] que sur la manière de rendre effectives les protections contenues au texte, en assurant leur juridicité dans le monde vécu des valeurs communes. Évidemment, puisqu’il n’existe pas de lien hiérarchique entre le Tribunal et la Cour européenne, ce lien s’inscrit dans une perspective d'internationalisation du droit. Le droit comparé doit ainsi se comprendre en tant « qu'autorité persuasive et vecteur de légitimité dans l'interprétation du droit national »[7] ou régional. Il s’agit donc d’un espace de dialogue, ou parfois même de monologue parallèle, qui se joue entre des instances appartenant à des ordres juridiques différents.
Les propos contenus dans ce texte s’inscrivent dans le cadre d’une conférence présentée lors de la tenue de l’École d’automne 2013 sur l’Union européenne de la Chaire Jean Monnet[8], pour laquelle il nous été demandé d’aborder le thème suivant : « La jurisprudence de la Cour européenne et le Tribunal des droits de la personne ». En début de présentation, nous avions alors mentionné qu’il y aurait beaucoup plus à dire sur « Le Tribunal des droits de la personne et la jurisprudence de la Cour européenne ». En réalité, si le Tribunal cite et applique la jurisprudence de la Cour européenne, et ce, depuis son tout premier arrêt[9] en 1991, on ne peut pas dire qu’il y a réciprocité en cette matière. Contrairement au dialogue qui peut avoir lieu entre la Cour suprême du Canada[10] et la Cour européenne, cette dernière ayant cité à quelques reprises certaines décisions[11] de la Cour suprême (et vice-versa), la Cour européenne n’a jamais, à ce jour, cité dans sa jurisprudence celle du Tribunal. Cette constatation s’explique évidemment par la différence de statut entre la Cour suprême du Canada, plus haute cour au pays ayant compétence en toute matière, et le Tribunal des droits de la personne, tribunal de première instance n’ayant compétence qu’en matière de droit à l’égalité. Le discours à sens unique que tient le Tribunal en regard de la jurisprudence de la Cour européenne se rapproche donc beaucoup plus du monologue que du dialogue puisqu’il n’y a pas réciprocité de réaction aux arguments de l’autre.
Cela dit, un certain dialogue peut exister par la voie de la doctrine ou par des échanges moins formels que celui de la jurisprudence. Ainsi, la Cour européenne acceptait de participer, en 2008, par la voie de son président en fonction, Jean-Paul Costa[12], à un recueil de textes dont la codirection était assurée par le Tribunal des droits de la personne et le Barreau du Québec. Dans ce texte[13], le président Costa avait abordé la question de l’accessibilité du citoyen à un recours utile devant un tribunal afin de faire sanctionner les atteintes aux droits et libertés. Le président Luzius Wildhaber[14] est aussi venu au Tribunal, quelques années auparavant, afin de discuter de certaines décisions importantes en matière de droit à l’égalité avec la juge Michèle Rivet[15], alors présidente du Tribunal.
Mais revenons au coeur du sujet, à savoir comment et de quelle façon (II) la jurisprudence de la Cour européenne a pu se manifester dans le droit interne, notamment à travers la jurisprudence du Tribunal des droits de la personne, sans que la première n’ait juridiquement de force contraignante en droit canadien. Avant d’examiner cette question, il convient d’abord de définir les compétences respectives de la Cour européenne et du Tribunal afin de mettre en perspective leurs similitudes et leurs différences (I).
I. Compétences respectives de la Cour européenne et du Tribunal
Bien que le Tribunal et la Cour européenne aient en commun de disposer de litiges en matière de discrimination, la compétence de la Cour européenne s’étend sur un spectre beaucoup plus large puisqu’elle peut disposer de violations alléguées aux droits et libertés, et ce, indépendamment du caractère discriminatoire de ces violations. Par ailleurs, en matière de discrimination même, cette distinction a été accentuée depuis l’adoption du Protocole n° 12, lequel est venu élargir substantivement le champ d’application de l’article 14 de la Convention, consacrant ainsi le caractère indépendant du droit à la non-discrimination (A).
La compétence du Tribunal, qui est circonscrite par la lecture combinée des articles 71, 80, 111 et 111.1 de la Charte et qui est ainsi tributaire de la compétence d'enquête et de la saisine de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, est pour sa part moins imposante en ce qu'elle porte essentiellement sur les cas de discrimination, de harcèlement, d’exploitation et d’accès à l’égalité en emploi (B).
A. La Cour européenne
La Cour européenne, créée en 1959 et instituée en vertu de l’article 19[16] de la Convention, décide principalement de litiges concernant de possibles violations aux droits et libertés protégés par la Convention. Tous les « États parties »[17], c’est-à-dire ceux membres du Conseil de l’Europe et ayant ratifié la Convention, se doivent de reconnaître et de garantir ces droits et libertés[18]. La Cour européenne a donc pour mission de veiller au respect de la Convention[19] par les États parties, lorsqu’elle se voit saisie d’un litige.
1. La compétence matérielle
La compétence matérielle de la Cour européenne se rapporte à tous litiges portant sur les droits et libertés reconnus à la Convention. Sa compétence couvre donc un spectre beaucoup plus large que celle du Tribunal, lequel n’a compétence qu’en matière de discrimination[20] et d’exploitation de personnes âgées ou handicapées.
Évidemment, la juridiction de la Cour s’étend à la protection du droit à l’égalité puisque l’article 14 de la Convention prévoit l’interdiction de distinction fondée sur une liste non exhaustive de motifs de discrimination, et ce, dans la jouissance des droits et libertés prévus à la Convention. Cet article prévoit ce qui suit :
La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation[21]. [Nos italiques.]
La lecture de cette disposition nous indique qu’il ne s’agit pas d’un droit indépendant à l’égalité. Par conséquent, l’article 14 doit donc être interprété en combinaison avec un des droits et libertés prévus à la Convention. À ce titre, l’article 14 « complète toutes les autres dispositions normatives [de la Convention] en y ajoutant l’exigence qu’elles soient appliquées et mises en oeuvre sans discrimination »[22]. Il découle de cette particularité que, à moins qu’une mesure discriminatoire ne soit alléguée dans le cadre de la jouissance d’un droit ou d’une liberté prévu à la Convention, l’article 14 ne pourra trouver application.
Compte tenu de ce champ d’application limité, l’adoption du Protocole n° 12 à la Convention[23] est venue ajouter à la protection déjà offerte par l’article 14 dans la mesure où le libellé du premier article de ce Protocole prescrit une interdiction générale de discrimination. Cet article se lit comme suit :
1. La jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans discrimination aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. [Nos italiques.]
2. Nul ne peut faire l’objet d’une discrimination de la part d’une autorité publique quelle qu’elle soit fondée notamment sur les motifs mentionnés au paragraphe 1[24].
Le rapport explicatif sur le Protocole n° 12 indique quelles sont les préoccupations ayant mené à l’adoption du Protocole. L’essentiel de celles-ci se résume comme suit :
1. […] la protection offerte par l'article 14 concernant l'égalité et la non-discrimination est limitée, comparée à celle prévue aux dispositions d'autres instruments internationaux. Ce fait tient principalement à ce que l'article 14, à la différence des dispositions contenues dans d'autres instruments [internationaux], n'énonce pas une interdiction indépendante relative à la discrimination, puisqu'il ne la proscrit qu'en ce qui concerne « la jouissance des droits et libertés » définis dans la Convention.
[…]
3. […] Quant à l’élargissement, par la voie du développement de la jurisprudence de Strasbourg, de la protection offerte par l'article 14 de la Convention au-delà de la limite susmentionnée [il a été reconnu] qu'il y avait peu de possibilités d'expansion jurisprudentielle sur ce point, du fait que l'interdiction édictée par l'article 14 a un caractère nettement accessoire par rapport aux autres garanties de fond de la Convention[25].
Le Protocole n° 12 adopté en 2000 et entré en vigueur en 2005 est donc venu assurer au sein de la Convention une plus grande protection à l’encontre de la discrimination en « élargissant d'une façon générale le champ d'application de son article 14 »[26].
2. Les pouvoirs de la Cour et l’effet de ses arrêts
La Cour européenne est investie du pouvoir de constater, le cas échéant, les violations aux droits et libertés prévus dans la Convention dans un arrêt déclaratoire[27], obligatoire[28], exécutoire[29] et définitif, sous réserve d’un appel à la Grande Chambre[30]. Les arrêts de la Cour n’ont pas de valeur exécutoire en droit interne au sens proprement juridique, l’exécution étant plutôt contrôlée par le Comité des ministres.
S’agissant plus particulièrement du principe de satisfaction équitable[31], l’indemnité pouvant être octroyée par la Cour, à la charge de l'État reconnu responsable d'une violation à la Convention, comprend le préjudice matériel et moral subi par la victime, en plus des frais et dépens. Le pouvoir de réparation ne consacre toutefois pas le droit au dommage punitif[32].
3. La saisine – compétence ratione personae
La Cour européenne possède une double juridiction sur le plan de sa saisine. Elle peut, d’une part, entendre les requêtes qui lui sont présentées par un État contre un autre État, auquel il serait reproché d’avoir pris des mesures contraires à la Convention ou qui omettrait de réagir à des violations de celle-ci. Il s’agit ici de recours interétatiques[33]. D’autre part, elle peut aussi être saisie des requêtes qui lui sont présentées par un individu, un groupe d’individus ou une organisation non gouvernementale. Il s’agit dans ce cas de requêtes individuelles[34]. Ces dernières sont toutefois conditionnées à l’épuisement des voies de recours internes.
Depuis sa création, la Cour a été l’objet de plusieurs réformes, dont la plus importante a eu pour principal objet de donner la possibilité à un individu ou un groupe d’individus, d’accéder directement[35] à la Cour européenne. Ainsi, depuis l’entrée en vigueur du Protocole n° 11 à la Convention[36] en 1998, le passage obligé que constituait le mécanisme de filtrage de l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme se trouve dès lors évacué du mécanisme de protection de la Convention. Rappelons qu’il s’agissait d’un mécanisme aux termes duquel la Commission avait le pouvoir de soit rejeter ou d’accepter la requête. Dans le premier cas, le processus s’arrêtait là. Dans le dernier cas, la Commission devait tenter de favoriser le règlement du litige ou bien déférer la requête devant la Cour.
Victime de son succès, la Cour européenne croule maintenant sous le nombre effarant[37] de requêtes. Malgré l’adoption du Protocole n° 14[38], lequel instaure, notamment, un nouveau critère de recevabilité visant à accélérer[39] le traitement des requêtes, le mouvement de réformes visant à repenser certains aspects structurels et processuels du fonctionnement de la Cour ont mené, après un long processus de réflexion[40], à l’adoption du Protocole n° 16[41], lequel a pour objectif de favoriser le dialogue entre les hautes instances judiciaires nationales et la Cour européenne, et ce, par la possibilité, pour les premières, de solliciter un avis consultatif à la Cour, lequel demeure de nature non contraignante. L’adoption de ce Protocole vise ainsi à renforcer le principe de subsidiarité prévu à la Convention, participant du même coup à favoriser le recours interne tout en favorisant l’intégration des principes contenus à la Convention par les États parties.
Par ailleurs, bien qu’un individu puisse déposer une requête à l’encontre d’un acte de l’État ou de sa législation, la Cour européenne n’a pas juridiction pour traiter des rapports entre individus. Cependant, l’effet horizontal[42] de la Convention pourrait faire en sorte que la Cour puisse obliger un État partie à prendre des mesures destinées à interdire la violation des droits prévus à la Convention entre des parties privées. Par exemple, en matière d’interdiction de discrimination, même si le Protocole n° 12 à la Convention ne s’impose qu’aux pouvoirs publics, un État pourrait être tenu d’adopter des mesures positives afin d’interdire la discrimination dans les rapports privés. À ce titre, le professeur De Schutter indiquait ce qui suit :
Une obligation positive peut être imposée aux États parties en vue d’adopter des mesures destinées à interdire la pratique de discrimination par les parties privées, dans des situations où le fait de ne pas adopter de telles mesures serait manifestement déraisonnable et aurait pour effet de priver des personnes de la jouissance des droits prévus par la loi. Le [R]apport explicatif du Protocole n° 12 mentionne que « [en ce qui concerne plus particulièrement les rapports entre les particuliers], l’absence de protection contre la discrimination dans ces relations pourrait être tellement nette et grave qu’elle entraînerait clairement la responsabilité de l’État et relèverait alors de l’article 1 du [P]rotocole »[43].
B. Le Tribunal
L’ensemble des dispositions créant le Tribunal des droits de la personne[44] est entré en vigueur le 10 décembre 1990[45], une date phare, comme nous le rappelait si bien la première présidente de ce Tribunal, la juge Michèle Rivet, à l’occasion d’un colloque visant à souligner les 15 ans du Tribunal et les 30 ans de la Charte. Soulignant les grandes lignes du chemin parcouru depuis 15 ans, la juge Rivet exprimait ce qui suit :
Le 10 décembre…date phare, celle de l’adoption par l’assemblée générale des Nations Unies de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Le Tribunal était ainsi arrimé à la pensée internationale, se situant, à l’instar de la Charte des droits et libertés de la personne qui elle-même s’est inscrite dans la foulée des deux Pactes internationaux, dans l’axe des textes internationaux en matière de droits de l’homme…. Le chemin était tracé[46].
C’est tout dire de la place qu’a représentée la création du Tribunal en matière de protection des droits de la personne au Québec alors que le législateur décidait de faire coïncider l’entrée en vigueur des dispositions créant le Tribunal, avec la date anniversaire, de l’adoption, par l’Assemblée générale des Nations unies de la Déclaration universelle des droits de l’homme, le 10 décembre 1948.
Établi en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne, c’est aussi dans cet instrument, qualifié par la Cour suprême du Canada de quasi constitutionnel[47], que le Tribunal puise sa compétence juridictionnelle, laquelle est prévue aux articles 111 et 111.1. Dans sa composition, le Tribunal a ceci de particulier qu’il est « la seule institution judiciaire du Québec à laquelle le législateur impose la présence d’assesseurs […] pour l’audition d’une demande »[48].
1. La compétence matérielle
a) Aux termes de l’article 111 de la Charte
Le Tribunal a compétence pour disposer de litiges concernant l’interdiction de discrimination et de harcèlement discriminatoire (art. 10 à 19) fondés sur un des motifs de discrimination interdits (prévus à l’art. 10) ainsi qu’en matière de programmes d’accès à l’égalité en emploi (art. 86). Le Tribunal peut aussi disposer de litiges en matière d’exploitations de personnes âgées ou handicapées (art. 48). Enfin, le législateur a prévu conférer une protection aux personnes concernées par le traitement d’un cas de discrimination ou d’exploitation en conférant au Tribunal le pouvoir de disposer de plaintes en matière de représailles[49]. Comme nous le verrons plus bas, puisque le Tribunal est tributaire de la compétence d’enquête et de la saisine de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, c’est à la lecture combinée des articles 71, 80, 111 et 111.1 de la Charte que l’on peut comprendre sur quelles matières le Tribunal peut rendre jugement. De plus, il convient de préciser que, bien que le Tribunal soit considéré comme un « tribunal administratif spécialisé »[50] ayant une expertise[51] en droits de la personne, le Tribunal ne possède pas de compétence exclusive en matière de discrimination, toute autre instance pouvant disposer de cas de discrimination au sens de la Charte.
b) Aux termes de l’article 111.1 de la Charte
Le Tribunal possède aussi une compétence relativement aux programmes d’accès à l’égalité en vertu de la Charte et en vertu de l’application de la Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics[52] relativement à un programme d'accès à l'égalité en emploi. Cette compétence est exclusive au Tribunal.
On le voit, la compétence matérielle du Tribunal n’est pas aussi imposante que celle de la Cour européenne puisqu’elle porte essentiellement sur les cas de discrimination[53]. De plus, le nombre de causes entendues par le Tribunal chaque année n’est pas imposant[54], compte tenu du filtre qu’exerce la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, rôle sur lequel nous reviendrons au chapitre de la saisine du Tribunal. Cela dit, toute chose étant relative, le pourcentage d’affaires relevant de la protection contre la discrimination portée devant la Cour européenne demeure quand même minime par rapport aux autres matières traitées par cette Cour.
Quant à la portée réelle de la protection contre la discrimination, elle repose sur l’article 10 de la Charte, une disposition générale énonçant le principe de non-discrimination, dans l’exercice et la jouissance des droits et libertés prévus à la Charte. L’article 10 se lit comme suit :
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, l’identité ou l’expression de genre, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit[55]. [Nos italiques.]
Contrairement à la protection contre la discrimination prévue au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés[56], la protection de l’article 10 de la Charte québécoise, tout comme l’article 14 de la Convention, n’a pas d’existence indépendante. En fait, le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne serait une disposition similaire dans sa portée à celle de l’article premier du Protocole n° 12 à la Convention.
Bien que l’article 10 de la Charte doive être combiné à une autre disposition protectrice pour que l’on puisse alléguer une atteinte discriminatoire, le chapitre de la Charte dédié au droit à l’égalité prévoit certaines modalités spécifiques d’exercice du droit à l’égalité par des normes antidiscriminatoires précises[57] qui s’imposent impérativement dans certaines sphères d’activités ciblées. Il s’agit donc d’un mini-code antidiscriminatoire dans la Charte elle-même.
2. Les pouvoirs et les effets des décisions du Tribunal
C’est l’article 49 de la Charte qui établit quelles sont les réparations qu’une victime d’une atteinte illicite aux droits prévus à la Charte est en droit d’obtenir. Cet article prévoit ce qui suit :
49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.
En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs[58].
Disons d’emblée, puisque cet aspect revêt une importance significative sur la portée[59] de l’effet réparateur de cette disposition, que le choix des termes « atteinte illicite », afin de caractériser l’ouverture à la réparation, a causé beaucoup de maux de tête[60] à la magistrature québécoise. En fait, l’utilisation du terme « illicite » dans la législation québécoise est quasi absente, cette notion n’ayant d’ailleurs fait l’objet que de quelques études[61] approfondies au Québec. Ainsi, ce n’est qu’une vingtaine d’années après l’adoption de la Charte que la Cour suprême du Canada, en 1996[62], indiquait, et réitérait[63] dans ses arrêts subséquents, que la preuve d’un comportement « illicite » au sens de la Charte impliquait nécessairement le recours à la notion de faute. Or, en droit québécois, le comportement fautif ne peut être conçu en tant que critère objectif – contrairement au droit français[64], dans le sens où la violation d’une norme législative ne peut constituer, en soi, une faute. La Cour suprême a plutôt opté pour la caractérisation suivante de la faute soit, « l’écart séparant le comportement de l’agent de celui du type abstrait et objectif de la personne raisonnable, prudente et diligente »[65]. La Cour suprême écarte donc la solution française en ajoutant qu’il s’agira plutôt, en droit québécois, « de déterminer si une négligence ou imprudence est survenue, eu égard aux circonstances particulières de chaque geste ou conduite faisant l’objet d’un litige. Cette règle s’applique à l’évaluation de la nature et des conséquences d’une violation d’une norme législative »[66].
Cela dit, une fois établie une conclusion de discrimination, le Tribunal sera en mesure d’ordonner, aux termes de l’article 49 de la Charte, toute mesure appropriée afin de faire cesser l’atteinte. Il pourra de plus ordonner le paiement d’une somme d’argent (dommages-intérêts), à la charge de la personne imputable[67] de l’atteinte, afin de réparer le préjudice matériel (pécuniaire) ou moral qui résulte de l’atteinte illicite. L’article 49 prévoit de plus que le Tribunal pourra condamner l’auteur de l’atteinte illicite à des dommages-intérêts punitifs en cas d’atteinte intentionnelle. Sur ce point, la jurisprudence a établi la barre assez haute en matière de fardeau de preuve[68]. De plus, seul « l’auteur » de l’atteinte illicite peut être condamné, les principes de responsabilité pour autrui ou de responsabilité solidaire ne jouant que dans des circonstances exceptionnelles[69].
Par ailleurs, les tribunaux canadiens ont jugé que la Commission avait compétence pour se saisir d’une plainte de discrimination alléguant qu’une loi du Québec est contraire à la Charte, et ce, en vertu de l’article 52 de la Charte, lequel prévoit qu’« [a]ucune disposition d'une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles, à moins que cette loi n'énonce expressément que cette disposition s'applique malgré la Charte ». Partant, comme nous le verrons au chapitre de la saisine, le Tribunal étant tributaire de celle de la Commission, celui-ci possède le pouvoir de déclarer inopérante à l’égard du plaignant[70] toute disposition d’une loi contraire à la Charte. Les règles d’immunité rattachées à l’action législative ou réglementaire feront toutefois obstacle à ce que le Tribunal puisse octroyer des réparations sous forme de dommages-intérêts de nature compensatoire[71] ou punitive.
Les décisions du Tribunal sont définitives, à moins d’une demande en révision ou rétraction (interne) de jugement (art. 128 de la Charte), d’une révision judiciaire à la Cour supérieure ou d’un appel à la Cour d’appel du Québec, avec la permission de cette dernière dans ce dernier cas (art. 132 de la Charte). Les jugements qui découlent d’une révision interne ou judiciaire ou d’une décision de la Cour d’appel peuvent cheminer par la suite jusqu’à la Cour suprême du Canada, avec permission de cette cour, dernière instance au pays. Depuis la création du Tribunal, huit décisions[72] en provenance du Tribunal ont fait l’objet d’une décision au mérite à la Cour suprême du Canada. Un dossier pendant est présentement en attente d’un jugement sur demande d’autorisation d’appel de cette cour[73].
3. La saisine – compétence ratione personae
Aucune demande ne peut être déposée au Tribunal sans que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse n’ait exercé son rôle de traitement de gestion et de traitement des plaintes. C’est le deuxième paragraphe de l’article 111 de la Charte qui prévoit la compétence du Tribunal :
111. [...] Seule la Commission peut initialement saisir le Tribunal de l'un ou l'autre des recours prévus à ces articles [80, 81, 82, 88, 90, 91 (ou tout ce qui relève de sa compétence d’enquête)], sous réserve de la substitution prévue à l'article 84 en faveur d'un plaignant et de l'exercice du recours prévu à l'article 91 par la personne à qui le Tribunal a déjà imposé un programme d'accès à l'égalité[74].
Seules deux exceptions[75] font en sorte qu’un recours individuel peut être intenté au Tribunal. Nous reviendrons sur celle prévue à l’article 84 de la Charte, compte tenu l’importance que l’interprétation de cette disposition aura eu sur la compétence du Tribunal en matière de recours individuel.
De façon générale, la saisine du Tribunal est essentiellement tributaire de l’action judiciaire de la Commission. Il convient donc de résumer brièvement le rôle d’enquête de celle-ci. Dans l’exercice de son mandat, la Commission est investie d'un rôle qui se déploie en trois étapes successives et obligatoires. Outre, le filtrage opéré au stade de la recevabilité matérielle de la plainte, la première étape constitue (1) l'enquête, laquelle détermine s'il y a matière à intervention; (2) la négociation, lorsque la Commission estime qu'un redressement s'impose et; (3) le recours en justice du contrevenant devant un tribunal compétent si le règlement s’avère impossible (art. 71, 77 et 78, 79 et 80 de la Charte). Il est important de préciser que la Commission a le choix du forum lorsqu’il s’agit de représenter la victime d’une violation alléguée à la Charte devant un tribunal (l’article 80 prévoit « un tribunal »). Toutefois, dans les faits, la Commission a, jusqu’à ce jour, presque toujours choisi[76] de saisir le Tribunal, instance spécialisée en matière de discrimination, et ce, bien qu’elle puisse en théorie décider de saisir tout autre forum compétent. Il convient de préciser qu’en ce qui concerne la saisine des tribunaux de droit commun par un individu ou groupe d’individu, le mécanisme de filtrage exercé par la Commission ne constitue pas un passage obligé. En d’autres mots, une victime qui prétend être victime de discrimination peut toujours saisir seule une autre instance compétente afin de faire valoir ses droits. Elle devra cependant assumer tous les frais afférents à ce litige alors que la victime représentée par la Commission n’encourt aucuns frais.
Il est très important de préciser que depuis la création du Tribunal, et ce, jusqu’en 1997, il était possible pour un individu de saisir le Tribunal d’une plainte, même si la Commission avait décidé de cesser d’agir en sa faveur. La Cour d’appel du Québec a toutefois établi, en 1997[77], qu’un plaignant ne peut exercer de recours individuel que dans les seuls cas où la Commission, après avoir estimé une plainte fondée, décide néanmoins de ne pas saisir le Tribunal. Cet arrêt de la Cour d’appel a eu pour effet de restreindre considérablement la portée du droit de substitution prévu à l’article 84 de la Charte, lequel avait été interprété, par la Commission et le Tribunal, en faveur de la saisine individuelle. La saisine du Tribunal, par un individu ou un groupe d’individus, demeure donc exclusivement tributaire des conclusions d'enquête de la Commission, qui démontrent la présence d’éléments de preuve suffisants, au terme du mécanisme de filtrage des plaintes.
D’autres situations feront en sorte d’écarter la compétence du Tribunal, notamment dans le cas où la discrimination alléguée prend source dans un milieu de travail syndiqué. Dans ce cas, le Tribunal[78] n’aura compétence que si la discrimination alléguée porte sur la négociation de la convention collective[79] et sur la validité de celle-ci. En revanche, le Tribunal ne pourra disposer d’un litige portant sur l’interprétation ou l’application d’une convention collective, puisque l’arbitre de grief possède une compétence exclusive en cette matière en vertu du Code du travail, à moins toutefois que le Tribunal[80] ne soit le seul en mesure d’octroyer les réparations recherchées[81]. En outre, les situations régies par les régimes d’indemnisation étatiques publics[82] feront aussi obstacle à tout recours devant le Tribunal. De façon générale, il faut retenir que la compétence du Tribunal sera écartée lorsque le législateur a choisi de conférer une compétence exclusive à d’autres tribunaux administratifs, ceux-ci ayant généralement[83] compétence pour trancher des questions relatives au respect de la Charte.
II. Fondement du recours aux normes européennes en contexte de droit canadien et québécois
Si les instances judiciaires des États parties à la Convention ont tout intérêt à se rapprocher de la jurisprudence de la Cour européenne – notamment pour la raison toute simple qu’elles doivent rendre leurs décisions en conformité avec les normes conventionnelles telles qu’interprétées par l’instance supra nationale – et qu’en ce sens elles possèdent de nouveaux outils leur permettant d’ouvrir un dialogue inédit par la sollicitation d’avis consultatifs, en vertu du Protocole n° 16 à la Convention, tel n’est pas le cas des instances judiciaires canadiennes. Si tant est qu’il soit fréquent et normal que la jurisprudence de la Cour européenne soit citée par les instances judiciaires nationales du Conseil de l’Europe, on conviendra qu’il est beaucoup plus étonnant de constater l’influence de la Cour européenne dans la jurisprudence canadienne et québécoise, nullement tenues à un tel principe de conformité. Beaucoup plus étonnante que le recours aux normes internationales lequel peut se justifier aisément en tant que vecteur de légitimité dans l'interprétation du droit national canadien, et ce, dans la mesure où le Canada a l’obligation, à tout le moins morale, de respecter les normes contenues aux traités internationaux ratifiés en matière de droits fondamentaux (A). Plus encore, depuis l’enchâssement dans la Constitution canadienne d’une charte des libertés et droits fondamentaux, le dialogue entre diverses instances s’est élargi en tenant compte non plus seulement des obligations contractées, mais des valeurs communes cristallisées par des instruments semblables. Comme l’a écrit si bien William Schabas : « [C]omme les sociétés occidentales se ressemblent, les problèmes de droit de l’homme et de liberté fondamentale qui se posent sont également forts semblables »[84]. C’est dans ce contexte que le Tribunal a développé sa jurisprudence relative à la Charte, s’inspirant tout à la fois du droit international et du droit comparé, plus particulièrement en matière de normes européennes, nommément la jurisprudence de la Cour européenne (B).
A. Principes constitutionnels pouvant justifier le recours aux normes internationales ou au droit comparé
1. L’approche binaire ou le formalisme de la théorie du dualisme
Au Canada très peu de traités ont été incorporés formellement en droit interne. Contrairement à plusieurs constitutions européennes, la Constitution canadienne ne prévoit pas[85] la réception directe, en droit interne, des traités internationaux ou régionaux. C’est donc dire que même ratifiés ces traités ne peuvent avoir d’effet contraignant au sens purement juridique du terme en droit interne canadien. La théorie du dualisme, longtemps consacrée en tant que principe préservant la séparation des pouvoirs entre l’exécutif, – qui, au Canada, ratifie les traités internationaux – et le législatif, a constitué l’obstacle le plus important à l’intégration de la norme internationale dans l’interprétation du droit interne[86]. À ce titre, le professeur René Provost critiquait cette approche peu nuancée de la théorie du dualisme :
La jurisprudence soulève d'abord la division des pouvoirs entre l'exécutif et le législatif, et la nécessité d'empêcher le premier de s'arroger le rôle du second par le biais de la ratification de traités internationaux. En clair, les tribunaux ne peuvent reconnaître à l'exécutif la compétence de « légiférer » en droit canadien via la consécration d'un effet direct des obligations internationales conventionnelles. Si l'on ne peut qu'adhérer à cette proposition dans le contexte constitutionnel canadien, c'est cependant aller trop loin que d'affirmer que l'on se doit d'agir ainsi afin d'éviter de « conférer par inadvertance à l'exécutif le pouvoir de lier les administrés[87].
Bien que depuis l'adoption de la Charte canadienne les tribunaux canadiens semblent peu à peu laisser place à l’ouverture[88], et ce, même en dépit des obstacles conceptuels qui persistent, il semble que beaucoup reste à faire, plusieurs critiques s’élevant encore contre la tiédeur de l’approche des tribunaux, surtout le fait que ceux-ci « ne semblent pas toujours avoir trouvé les outils conceptuels nécessaires pour débattre intelligemment de la question et dépasser la barrière formelle du dualisme[89] ».
En ce qui concerne le droit comparé, il y a longtemps que les tribunaux canadiens y recourent; la méthode n’est pas nouvelle. Toutefois, si le Canada, historiquement par son bijuridisme, a pu s’inspirer tantôt du droit britannique ou américain, ou du droit civil français, compte tenu des liens de nature historique, juridique, culturelle et géographique avec ces États, il demeure que la justification du recours à la jurisprudence issue de la Convention est moins évidente. À ce titre, l’adoption de la Charte québécoise (en 1975), et de la Charte canadienne (en 1982), a en quelque sorte « provoqué le changement de paradigme nécessaire »[90] afin que des normes semblables à celles de notre droit interne, issues de la sphère internationale, dans son acception la plus large, incluant la Convention et la jurisprudence qui en découle, cessent d'être perçues « en tant que corps étranger dont la légitimité d'application serait à tout coup remise en question »[91]. On peut dire que, petit à petit, l’internationalisation du dialogue inter judiciaire est venue transformer l’approche dualiste canadienne dans la prise en compte du droit étranger. En ce sens, le recours à la jurisprudence de la Cour européenne par le Tribunal doit se comprendre en tant que recours à une jurisprudence de valeurs, la légitimité de cette prise en compte devenant ainsi plus difficilement contestable. À ce titre, nous décrivions ainsi ce nouveau paradigme :
C'est dans cette vision internationaliste et, partant, pluraliste, que le droit interne et le droit international, par l'interpénétration de normes et de valeurs communes, sont amenés à puiser leurs sources, « autant à l'horizontale qu'à la verticale ». Les enjeux juridiques internes sont ainsi considérés dans un contexte de plus en plus large, sans pour autant que cela suppose l'acceptation inconditionnelle des sources externes. Il serait plutôt question d'une sensibilisation au pluralisme juridique « ordonné », moral et culturel, favorisant l'évolution réciproque des deux ordres juridiques[92].
2. La légitimité de la décision : la pertinence et la persuasion
Il va sans dire que l’apport de la jurisprudence du Tribunal en matière d’incorporation du droit international et européen n’aurait pu se faire sans prendre appui sur le chemin tracé par la Cour suprême du Canada. À ce titre, les motifs[93] du juge Dickson dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.)[94] sont emblématiques du coup d’envoi que la Cour suprême a donné en mettant l’emphase sur l’idée que les tribunaux canadiens pouvaient non seulement s’inspirer des instruments internationaux ratifiés par le Canada afin d’interpréter la Charte canadienne des droits et libertés, mais aussi des jugements d’autres ressorts qui pouvaient être pertinents et persuasifs, et ce, compte tenu de la similarité entre les instruments interprétés par ceux-ci et la Charte canadienne.
De façon générale, il est maintenant possible d’appréhender la construction d’un dialogue inter juridictionnel au-delà de la vision réductrice qui caractérise l’approche binaire contraignant/non contraignant. C’est plutôt en termes de légitimité qu’en termes de légalité qu’il faut penser le recours à la norme internationale ou étrangère, notamment en ce qui concerne la jurisprudence de la Cour européenne. Ainsi, nous avions constaté ce qui suit à travers la jurisprudence canadienne :
L'approche judiciaire s'est donc concentrée autour d'un exercice de légitimité dans lequel le juge justifie d'abord le recours au droit international par interprétation contextuelle du droit interne, tout en refusant de donner [d’un point de vue purement formaliste] à la norme internationale une portée juridique contraignante au plan interne. L'arrêt Baker, rendu par la Cour suprême du Canada en 1999, illustre bien comment, par la prise en compte de la valeur persuasive du droit international, les juges majoritaires réussissent à nuancer la théorie du dualisme. Les juges appliquent dans un premier temps le principe de la théorie traditionnelle pour ensuite favoriser la pénétration des valeurs véhiculées par le droit international, non pas en tant qu’élément de l'ordre juridique interne, mais en tant qu’élément à prendre en considération dans le processus d'interprétation :
[…] Les conventions et les traités internationaux ne font pas partie du droit canadien à moins d'être rendus applicables par la loi.
[…] Les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois […].
La Cour suprême fait ici référence aux valeurs exprimées dans le droit international, par opposition aux normes du droit international. De plus, en indiquant la prise en compte de ces valeurs dans « l'approche contextuelle de l'interprétation des lois », les juges majoritaires semblent vouloir mettre l'emphase sur la force persuasive de la norme internationale dans l'argumentaire décisionnel plutôt que sur la détermination de sa force contraignante en droit interne[95].
B. L’ouverture et l’approche adoptée par le Tribunal quant à la prise en compte de la norme européenne
Dès la création du Tribunal, celui-ci s’est démarqué d’entrée de jeu afin d’ancrer sa jurisprudence dans le droit international[96] et le droit comparé. Le Tribunal a réitéré à maintes reprises[97] que, compte tenu de l’ampleur des droits contenus à la Charte, celle-ci rappelle un lien de parenté étroit non seulement avec les instruments tels que la Déclaration universelle et les Pactes, mais aussi avec la Convention.
1. L’ouverture du Tribunal
En premier lieu, l’étude de la genèse de la Charte, instrument qui fonde la compétence du Tribunal, nous convainc de l’innovation et du processus d’internationalisation et d’ouverture que représentait son adoption en 1975. Il s’agissait là d’une volonté d’ouvrir la réflexion sur d’autres façons de concevoir la protection de la personne, autrement que dans le seul cadre d’une relation juridique préétablie, une protection la plupart du temps rabrouée par le principe de l’autonomie de la volonté et de la liberté contractuelle, principes sacro-saints du droit de la responsabilité civile. Même si elle s’inspire des textes internationaux et régionaux de protection des droits de l’homme, il faut se rappeler que la Charte a été adoptée en 1975, et ce, dans un contexte tout autre que celui dans lequel avait été adoptée la Convention en 1950.
Ainsi, le projet d’adoption d’une charte au Québec est issu des années de ce que l’on a appelé la Révolution tranquille, alors que le projet d’adoption de la Convention se situe dans les toutes premières années ayant suivi la fin de la Deuxième Guerre. Le contexte est donc fort différent.
C’est dans un article écrit en 1963 que le professeur Jacques-Yvan Morin plaidera en faveur de l’adoption de ce qu’il intitulera alors « la Charte des droits de l’homme pour le Québec[98] ». Il décrit ainsi le contexte de sa démarche :
Or, depuis la dernière grande guerre, se fait jour dans le monde entier un vaste mouvement pour la sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La présente étude a pour but de démontrer que le Québec ne peut demeurer à l'écart de cette évolution car les problèmes du collectivisme et de la protection des droits de la personne, tel qu'ils surgissent ici, ne sont pas foncièrement différents de ceux qui se posent dans tous les pays. Les solutions proposées à l'extérieur, notamment par les organisations internationales ou régionales, peuvent être adaptées aux conditions québécoises et servir d'inspiration à la législation provinciale[99]. [Nos italiques.]
En s’inspirant du cadre normatif des textes internationaux et de la Convention sur le plan des sources matérielles, le professeur Morin élabore, sous forme de dispositions législatives, une proposition de projet de charte intitulé Charte des droits de l’homme pour le Québec, que l’on peut maintenant considérer comme la source principale d’inspiration de la Charte adoptée en 1975. C’est donc dans ce contexte internationaliste que se situe l’élaboration de la jurisprudence du Tribunal des droits de la personne.
Bien que la Charte ne fasse aucune mention ou référence au droit international ou à la Convention dans son préambule[100], le Tribunal des droits de la personne n’a pas manqué de citer la jurisprudence émanant des instances chargées de mettre en oeuvre les dispositions prévues dans ces textes. De plus, à la lecture des Orientations générales[101] qu’il adopte, on peut constater que le Tribunal a toujours reconnu l’importance de situer son action au coeur de la communauté juridique internationale et européenne. Il convient de reproduire quelques-uns des énoncés contenus dans les Orientations générales du Tribunal adoptées le 10 décembre 2006 :
CONSIDÉRANT le souci des rédacteurs de la Charte de se doter d’un instrument à la mesure des modèles issus du droit international ou régional dont la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ainsi que la Convention [européenne] de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;
CONSIDÉRANT que la Charte jouit d’un statut particulier, de nature quasi constitutionnelle, qui doit recevoir une interprétation large et libérale, visant la réalisation de son objet, tenant compte de l’évolution de la société ainsi que des valeurs exprimées dans le droit international;
[…]
CONSIDÉRANT que le Tribunal maintient et développe des liens institutionnels avec la communauté juridique québécoise, canadienne et internationale.
[…]
1.4. S'inscrivant dans l'esprit du mouvement international contemporain des droits de la personne, la Charte s'interprète à la lumière des textes internationaux, sources pertinentes et persuasives.
[…]
4.5 À l’instar des tribunaux spécialisés en matière de droits de la personne, le Tribunal participe tant à l’évolution du droit national qu’international. À cette fin, il développe et maintient des relations avec les tribunaux canadiens et internationaux spécialisés en favorisant le dialogue et la coopération avec ceux-ci. Il assure sa visibilité par la reconnaissance et la publication de ses décisions à l’échelle internationale[102].
Ainsi, depuis le tout début de sa création, en 1990, le recours à la jurisprudence de la Cour européenne a été déterminant dans la facture et l’étoffe que le Tribunal a données à sa jurisprudence[103]. Sans risque de s’y tromper, on peut y déceler une volonté affirmée d'inscrire la norme européenne en tant que source persuasive dans l'interprétation de la Charte, sans pour autant consacrer l’acceptation inconditionnelle de la norme européenne.
2. L’approche adoptée par le Tribunal : quelques illustrations jurisprudentielles
Bien que le Tribunal n’ait pas échappé aux difficultés conceptuelles que posait la prise en compte du droit étranger et auxquelles a fait face l'ensemble de la magistrature canadienne, ces difficultés n’ont pas fait obstacle à ce que le Tribunal adopte une approche intégrative des normes et valeurs issues du droit et de la jurisprudence européenne dans l'interprétation de la Charte. Bien sûr, le recours au droit comparé demeure toujours à parfaire, notamment lorsqu’il s’agit de mesurer comment et jusqu’à quel degré la norme européenne peut et doit influencer le processus décisionnel dans l’interprétation contextuelle du contenu de la norme québécoise et, partant, les motifs de la décision.
En droit canadien, le recours au droit international ou au droit comparé implique dans la plupart des cas la mise en oeuvre, par le pouvoir judiciaire, des obligations contractées par le pouvoir exécutif dans la sphère internationale. En revanche, le recours à la jurisprudence de la Cour européenne ou plus généralement du droit européen (droit en gestation, c’est-à-dire : directives, recommandations émanant du Comité des ministres, etc.) est plus fascinant puisqu’il ne peut se justifier ou être légitimé par ce souci de mise en oeuvre d’obligations « contractées ».
Le recours à la jurisprudence de la Cour européenne par le Tribunal, en tant que droit comparé, s’inscrit donc dans un objectif de persuasion. Ainsi, il ne faut pas perdre de vue que l'utilisation du droit européen par le Tribunal (ou par toute autre instance juridictionnelle canadienne) se place dans la perspective où le « désir d[u] juge d'asseoir l'exercice de [son] pouvoir sur une légitimité incontestable »[104] constitue le fondement de son action. Dans une approche d’interprétation contextuelle, le recours à la jurisprudence de la Cour européenne sert donc essentiellement à persuader de l’opportunité d’une interprétation particulière. La jurisprudence de la Cour européenne agit donc comme autorité persuasive et vecteur de légitimité dans l'interprétation de la Charte.
Comme l’ont souligné certains auteurs[105], la Charte québécoise n’a suscité que peu d’intérêt de la part de la doctrine et des plaideurs dans les premières années de son adoption. Si l’on considère le statut qu’elle a acquis dans l’ordre juridique québécois (document qualifié de quasi constitutionnel par la Cour suprême du Canada), cela peut paraître étonnant.
À l’époque de la création du Tribunal des droits de la personne, la jurisprudence québécoise en matière de discrimination est rare. On peut dire que le droit québécois était retardataire dans le développement de la norme d’égalité et des mécanismes de mise en oeuvre de celle-ci, tant en droit interne – puisque la majorité des autres provinces avaient déjà adopté des codes antidiscriminatoires et des organes chargés de leur mise en oeuvre, depuis les années 1960 – qu’au regard du droit européen.
Il est donc normal que le Tribunal, à la recherche de modèle, ait emprunté aux sources externes, plus particulièrement à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et ce, plus particulièrement dans les premières années du développement de sa jurisprudence. En voici quelques illustrations.
a) Commission des droits de la personne c Commission scolaire de St-Jean-sur-Richelieu
Dans sa toute première décision[106], rendue en matière d’intégration scolaire[107], le Tribunal a fait appel aux normes et à la jurisprudence européennes afin de justifier la pertinence d’une interprétation particulière, en l’occurrence la détermination de la portée de l’article 10 de la Charte. Dans cette affaire, le Tribunal est appelé à déterminer quelle est l’interaction entre le droit à l'égalité prévu à l’article 10 de la Charte, tel que libellé à l’époque, et les autres droits qui y sont prévus, plus particulièrement, dans le cas d’espèce, le droit à l’instruction publique gratuite prévu à l’article 40 :
10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.
Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.
[...]
40. Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l'instruction publique gratuite[108]. [Nos italiques.]
D’entrée de jeu, le Tribunal établit que la spécificité de la norme prévue à l’article 10 de la Charte se différencie de celle prévue à l’article 15[109] de la Charte canadienne, laquelle prescrit une interdiction générale de discrimination dans l’exercice des droits prévus par la loi. Contrairement au libellé du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne, les termes employés à l’article 10 ne permettent pas de conclure que la norme d’égalité aurait, en soi, un caractère indépendant, ceux-ci indiquant plutôt comme condition qu’une atteinte au droit à l’égalité sans discrimination porte sur l’exercice d’une liberté ou d’un droit protégé par la Charte elle-même. Le Tribunal est d’avis que la norme prévue à l’article 10 doit être entendue en tant que modalité de particularisation des divers droits et libertés de la personne. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne en matière de discrimination, le Tribunal établit la portée de l’article 10 à la lumière de l’interprétation qui a été conférée à l’article 14 de la Convention dans l’affaire Syndicat national de la police belge[110] et celle Relative à certains aspects du régime linguistique en Belgique[111]. Dans cette dernière affaire, la Cour européenne avait précisé que la fonction de l’article 14 devait se comprendre en tant que complément à toutes les autres dispositions normatives de la Convention en exigeant qu’elles soient appliquées sans discrimination aucune. Bref, une norme qui ne peut s’articuler en solo, mais qui se trouve néanmoins partie intégrante de toutes les dispositions normatives prévues à la Convention. Nous reproduisons ici extensivement les motifs rendus par le Tribunal dans la décision Commission scolaire de St-Jean-sur-Richelieu, dont l’interprétation législative a été largement inspirée et, surtout, légitimée, par l’approche interprétative adoptée par la Cour européenne au regard de l’article 14 de la Convention :
Si nous tentons maintenant d'évaluer la portée de cette situation au regard de l'interaction, en l'espèce, entre les articles 10 et 40 de la Charte, nous rappellerons d'abord que, si l'article 10 ne permet pas de fonder un recours sur le droit à l'égalité conçu comme un droit autonome, il permet cependant de l'invoquer à titre accessoire en invoquant, à titre principal, un autre droit ou liberté prévus à la Charte. Comme une lecture attentive du texte de l'article 10 nous permet de conclure que le terme « droit » apparaissant dans la définition de discrimination énoncée au second alinéa renvoie grammaticalement au droit à l'égalité, il s'ensuit donc que la reconnaissance d'une pratique discriminatoire et illicite au sens de l'article 10 n'exige pas que la différence de traitement contestée « détruise ou compromette » le droit ou la liberté invoqués à titre principal - ici, le droit à l'instruction publique gratuite (dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi) :
« Lorsque l'égalité n'est qu'une modalité de particularisation d'un autre droit, il n'est toutefois pas nécessaire que sa violation constitue une négation de ce droit pour donner ouverture à un remède. Il suffit qu'une distinction incompatible avec la règle d'égalité soit établie dans la détermination des modalités de ce droit. »
Signalons qu'une interprétation au même effet a été conférée à deux reprises à l'article 14 de la Convention (européenne) de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dont le libellé est similaire à celui de l'article 10. Il s'agit plus précisément de l'affaire Syndicat national de la police belge et de l'affaire [R]elative à certains aspects du régime linguistique en Belgique. En effet, la Cour européenne qui, dans chacun de ces arrêts, devait évaluer si la norme d'égalité de la [C]onvention avait été violée lors de l'exercice d'un droit protégé par elle conclut au caractère autonome, dans son application, de la norme antidiscriminatoire. La conséquence en était la suivante :
« [U]ne mesure conforme en elle-même aux exigences de l'article consacrant le droit ou la liberté en question peut cependant enfreindre cet article, combiné avec l'article 14 pour le motif qu'elle revêt un caractère discriminatoire. »
Au regard des faits de l'espèce, ces principes d'interprétation nous amènent donc à établir que, malgré les limitations inhérentes au droit à l'instruction publique gratuite prévu à l'article 40 de la Charte, l'évaluation du caractère discriminatoire des mesures appliquées par l'intimée se vérifiera à la lumière de la présence ou non, en l'espèce, d'une distinction (exclusion, ou préférence) qui soit fondée sur un motif interdit par l'article 10 et appliquée dans le cadre du droit à l'instruction publique gratuite ou quant à l'une de ses modalités d'exercice. En ce sens, si la Charte permet que l'exercice du droit à l'instruction publique gratuite soit affecté de différentes restrictions législatives, voire qu'il souffre certaines exceptions (telles que l'imposition de frais de scolarité aux niveaux collégial et universitaire, par exemple), elle interdit cependant les limitations qui, dans l'aménagement de ce droit, produisent un effet discriminatoire au regard de l'un des motifs énumérés à l'article 10[112]. [Nos italiques]
Comme nous le constatons, il y a bien une réelle parenté entre le libellé de l’article 14 de la Convention et celui de l’article 10 de la Charte. Contrairement à la protection de non-discrimination prévue au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne, tant l’article 14 de la Convention que l’article 10 de la Charte sont affligés du même mal. Ces dispositions ne créent pas de protection contre la discrimination à l’encontre de l’activité législative ou d’actes de nature privée, si celle-ci n’est pas en lien avec l’un des droits ou libertés prévus, respectivement dans la Convention ou dans la Charte. Ce droit à l’égalité ne peut donc être invoqué qu’en combinaison avec une autre disposition normative contenue au texte dont il est question. La Cour européenne précisait d’ailleurs en ces termes la distinction entre l’inexistence du caractère indépendant de l’article 14 de la Convention et le caractère autonome de sa portée dans l’arrêt Schmidt, rendu en 1994 :
22. D’après la jurisprudence constante de la Cour, l’article 14 (art. 14) complète les autres clauses normatives de la Convention et des Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante puisqu’il vaut uniquement pour « la jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, il possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins desdites clauses […][113]. [Nos italiques.]
Il faut souligner que la Cour suprême du Canada aura eu l’occasion de confirmer[114] l’interprétation adoptée par le Tribunal dans Commission scolaire de St-Jean-sur-Richelieu. Ce faisant, la Cour suprême aura ainsi indirectement initié un dialogue horizontal avec la Cour européenne, à travers le Tribunal. Toutefois, le lecteur aura tôt fait de remarquer la confusion non pas tant au plan matériel que formel, que suscite la distinction entre les termes « indépendant » et « autonome ». Ainsi, la Cour suprême indiquait ceci dans l’affaire Gosselin :
429. […] l’art. 10 de la Charte québécoise ne crée pas de droit autonome à l’égalité. Dans une première décision sur ce sujet, Commission des droits de la personne du Québec c. Commission scolaire de St-Jean-sur-Richelieu, [1991] R.J.Q. 3003, conf. par [1994] R.J.Q. 1227 (C.A.), le Tribunal des droits de la personne a expliqué ainsi l’interaction complexe existant entre le droit à l’égalité et les droits économiques et sociaux, en l’occurrence le droit à l’instruction publique gratuite (à la p. 3037) :
[S]i la [C]harte permet que l’exercice du droit à l’instruction publique gratuite soit affecté de différentes restrictions législatives, voire qu’il souffre certaines exceptions (telles que l’imposition de frais de scolarité aux niveaux collégial et universitaire, par exemple), elle interdit cependant les limitations qui, dans l’aménagement de ce droit, produisent un effet discriminatoire au regard de l’un des motifs énumérés à l’article 10.
430. Cette symbiose entre l’art. 10 et les autres droits et libertés découle directement de la formulation de l’art. 10 qui ne crée pas un droit autonome à l’égalité, mais une modalité de particularisation des divers droits et libertés reconnus (Desroches c. Commission des droits de la personne du Québec, [1997] R.J.Q. 1540 (C.A.), p. 1547). En effet, l’art. 10 proclame le droit à l’égalité, mais uniquement dans la reconnaissance et l’exercice des droits et libertés garantis. Aussi, une personne ne peut fonder un recours sur le droit à l’égalité prévu à l’art. 10 en tant que droit indépendant. Elle peut toutefois jumeler l’art. 10 avec un autre droit ou une autre liberté garanti par la Charte québécoise afin d’obtenir réparation pour une distinction discriminatoire dans la détermination des modalités de ce droit ou de cette liberté[115]. [Nos italiques.]
Au-delà de cette confusion sémantique[116], on peut comprendre que le droit à l’égalité possède une existence propre au plan substantiel. Il s’agit d’un droit qui ajoute une protection supplémentaire dans la jouissance et l’exercice d’autres droits ou libertés puisqu’il transcende et s’impose à ceux-ci : « Autrement dit, la norme d'égalité québécoise se trouve à faire partie intégrante des droits et libertés de la personne et renforce ou complète leur protection en y ajoutant une dimension égalitaire »[117].
Cela dit, comme mentionné plus haut dans ce texte, le droit européen a finalement choisi de se doter d’un instrument permettant d’élargir la portée de la protection contre la discrimination, en lui donnant une plus large portée sur le plan de son indépendance de principe, par l’adoption du Protocole n° 12 à la Convention. Il serait maintenant possible de penser que la norme d’égalité européenne (article 14 de la Convention combiné à l’article 1 du Protocole n° 12 s’apparente davantage à la norme prévue au paragraphe 15(1) de la Charte canadienne qu’à celle prévue à l’article 10 de la Charte québécoise.
b) Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Maison des jeunes
Sans nul doute, l’autorité persuasive de la jurisprudence de la Cour européenne aura participé à construire l’interprétation qu’a donnée le Tribunal à l’article 10 de la Charte. Toutefois, il serait tout à fait possible pour le Tribunal de renforcer la légitimité de sa décision, en rejetant plutôt l’approche retenue par la Cour européenne dans certaines de ses décisions, lesquelles seraient jugées contraires aux valeurs de la société québécoise à un certain moment de son histoire. À titre d’illustration, après avoir examiné la jurisprudence de la Cour européenne en matière de violation des droits des personnes transsexuelles, le Tribunal a choisi de ne pas s’inspirer de l’approche restrictive adoptée par la Cour européenne en matière de transsexualisme, une approche empreinte de déférence à l’égard des États parties en cause.
L’affaire Maison des jeunes illustre bien les limites du recours à la jurisprudence de la Cour européenne en droit québécois lorsque sont invoqués des principes tels que la diversité[118] européenne, duquel découle la marge d’appréciation conférée aux États parties, ainsi que l’absence de consensus européen[119], lequel laisse place à la diversité des réponses européennes, plus particulièrement lorsqu’il s’agit de trancher de sujets délicats. Dans l’affaire Maison des jeunes[120], où il était question du congédiement d’une personne ayant entrepris un processus de changement d’identité sexuelle (transsexualisme), la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse alléguait l’existence d’un congédiement discriminatoire fondé sur le sexe. La victime alléguée oeuvrait en tant que travailleur de rue auprès des adolescents en difficulté. Il s’agissait là d’une question de droit nouveau pour le Tribunal :
[68] Le présent litige pose la question tout à fait nouvelle de la discrimination fondée sur le sexe à cause du transsexualisme. Pour cette raison et dans le but d'apporter un certain éclairage sur l'évolution des droits de la personne, le Tribunal estime opportun de prendre en compte les obligations internationales de l'État canadien en matière de discrimination. Le tribunal a aussi pris connaissance des récents développements européens concernant le phénomène du transsexualisme[121].
Dans son analyse du droit étranger sur la question, le Tribunal constate d’abord que les instruments internationaux auxquels le Canada est partie n'ont pas donné lieu à une interprétation particulière en lien avec le transsexualisme. Le Tribunal constate par ailleurs que les litiges impliquant une situation de transsexualisme ont été la source de plusieurs arrêts rendus par la Cour européenne. Toutefois, après avoir examiné la jurisprudence de la Cour, le Tribunal constate que l'essentiel de cette jurisprudence est empreint de retenue à l’égard de la législation des États européens – notamment au regard des violations du droit à la vie privée et du droit à la vie familiale (art. 8) ainsi que du droit de se marier (art. 12). Au terme de son analyse, le Tribunal est d’avis que cette jurisprudence n’est pas éclairante quant au principe de non-discrimination fondée sur une situation de transsexualisme en plus d’être trop restrictive eu égard aux droits des requérants. Il convient ici de reproduire l’approche adoptée par le Tribunal afin de mieux comprendre l’importance de la marge nationale d’appréciation en contexte de droit européen et, surtout, comment celle-ci peut constituer un obstacle pour le juge canadien lorsqu’il s’agit d’utiliser cette jurisprudence en tant que source persuasive dans l’interprétation du droit interne :
[70] Il en va autrement de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il est donc pertinent d'examiner la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme à cet égard. En effet, et il faut le rappeler, en dépit du fait que le Canada n'est pas partie à la Convention européenne, la jurisprudence de la Cour européenne peut servir de guide pour l'interprétation dans le domaine des droits de la personne.
[…]
[72] Dans l'affaire Rees c. Royaume-Uni, le requérant alléguait la violation de l'article 8, en regard du droit au respect de sa vie privée, parce que le droit interne ne lui permettait pas de modifier la mention du sexe sur son acte de naissance de façon à reconnaître sa nouvelle identité sexuelle. De plus, il alléguait la violation de l'article 12 puisqu'en vertu du droit interne il ne pouvait pas se marier. L'affaire Cossey c. Royaume-Uni présentait une situation similaire dans laquelle le requérant avait toutefois allégué aussi la violation de l'article 14.
[73] Dans ces deux affaires, le motif qui apparaît déterminant pour la Cour repose sur une appréciation de l'évolution de la société en regard de la pratique législative des États membres du Conseil de l'Europe en matière de transsexualisme. Dans l'affaire Rees, la Cour a pris en compte que cinq États ont adopté une législation favorable à la reconnaissance de la nouvelle identité sexuelle des transsexuels, mais elle a estimé que cela ne permettait pas de conclure à une norme commune justifiant l'intervention de la Cour. Partant, le recours de Rees a été rejeté.
[74] Malgré qu'en 1990 près de quatorze États permettaient une reconnaissance juridique du changement d'identité sexuelle des transsexuels, la Cour indique dans l'affaire Cossey qu'il s'agit toujours d'un domaine dans lequel les États contractants, en raison du peu de convergence entre eux, jouissent d'une grande marge d'appréciation et que, par conséquent, il n'y a pas lieu de s'écarter de la décision déjà rendue dans l'affaire Rees. De plus, la Cour considère, sans élaborer, que rien ne vient appuyer l'allégation d'une violation de l'article 14.
[75] Dans ces deux décisions, la Cour conclut en soulignant que la Convention européenne doit toujours s'interpréter à la lumière des conditions actuelles et que la nécessité de mesures juridiques appropriées devait donner lieu à un examen constant eu égard, notamment, à l'évolution de la science et de la société. Ainsi, la Cour laisse la porte ouverte à une appréciation différente pour l'avenir des droits enchâssés dans la Convention européenne.
[76] Notons que l'affaire Cossey a donné lieu à une dissidence très élaborée de la part du juge Martens. Il critique, notamment, cette "ligne de conduite" que s'est donnée la Cour, concernant le droit de la famille et la sexualité, en n'adaptant son interprétation à l'évolution en cause que si presque tous les États membres ont accueilli les nouvelles idées. Pour sa part, il constatait une importante "évolution de la société". Sur ce point les trois autres juges dissidents étaient du même avis. Cependant, aucun d'entre eux ne s'est prononcé sur l'application de l'article 14.
[77] L'affaire B c. France était très semblable au cas de Rees et la Cour a appliqué les mêmes principes. Elle a constaté que les mentalités avaient changées, mais pas suffisamment pour reconnaître qu'il existait un consensus large dans la pratique législative des États. Par contre, la Cour a néanmoins conclu que la situation vécue par le requérant dans cette affaire se distinguait de celle vécue par Rees en raison des différences entre l'Angleterre et la France concernant la législation et l'usage pour ce qui est de l'identité des personnes. En France, le requérant se trouve quotidiennement confronté à des inconvénients causés par la non-reconnaissance de sa nouvelle identité sexuelle. La Cour a donc estimé que le système français constituait une violation de l'article 8 de la Convention européenne. La Cour a ainsi reconnu pour la première fois que le transsexualisme pouvait être la cause d'une violation à un droit fondamental, en l'occurrence le droit au respect de la vie privée. Dans cette affaire, il n'y avait aucune allégation en vertu de l'article 14.
[78] Dans l'affaire X., Y. et Z c. Royaume-Uni, il s'agit cette fois d'un transsexuel, X, qui agissait comme père d'un enfant, Z, et qui ne peut pas se faire enregistrer comme son père en vertu du droit interne. Z avait été conçu par insémination artificielle de sa mère, Y, celle-ci étant la conjointe de X. Une fois de plus, la Cour a estimé que les principes applicables étaient comparables aux causes précédentes. La Cour a reconnu l'applicabilité de l'article 8 en considérant que les trois requérants vivaient effectivement une "vie familiale" au sens de cette disposition. Toutefois, elle a conclu qu'il n'y avait pas de violation de l'article 8. D'abord, elle a jugé, comme dans les affaires précédentes, qu'elle devait accorder une large marge d'appréciation à l'État défendeur à cause de l'absence de vue commune des États membres du Conseil de l'Europe et à cause aussi de la phase de transition dans laquelle le droit se trouvait toujours. De plus, la Cour a estimé qu'il n'avait pas été établi qu'un "opprobre particulier frappe encore les enfants ou les familles se trouvant dans ce cas". Quant à l'article 14, la Cour s'est contentée de dire que son application ne soulevait aucune question distincte et que son analyse était en répétition avec celle de l'article 8. Dans ce jugement, six juges sur quatorze ont exprimé une opinion dissidente. Deux d'entre eux ont clairement exposé qu'il s'agissait d'un cas de discrimination fondée sur le sexe.
[79] Le moins que l'on puisse dire c'est que la Cour européenne se montre extrêmement réservée dans son analyse de l'article 14. En réalité, elle s'en tient aux conclusions tirées en vertu des autres dispositions de la Convention européenne, en l'occurrence des articles 8 et 12. Enfin, l'essentiel de son interprétation renvoie, comme nous l'avons vu, à une évaluation empreinte de retenue de la pratique législative des États européens. Ainsi, cette jurisprudence ne nous apporte pas de véritable lumière quant à l'analyse du principe de non discrimination fondée sur le sexe, en particulier pour une personne vivant une situation de transsexualisme. Une analyse contextuelle à la lumière du droit canadien et québécois en matière de discrimination apparaît dès lors plus appropriée[122].
S’appuyant sur la doctrine québécoise et sur l’évolution de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada, le Tribunal conclut que le transsexualisme doit être compris dans l'expression « sexe », motif de discrimination interdit prévu à l’article 10 de la Charte et que la cause du congédiement est directement reliée au processus de changement de sexe, les arguments avancés par l’employeur ne pouvant constituer une justification légitime. Le Tribunal constate une violation des articles 10 et 20 de la Charte, rejetant du coup toute déférence à l’égard des arguments de l’employeur, selon lesquels le changement d’identité pourrait avoir un effet néfaste auprès des jeunes.
Le Tribunal ordonne le versement de dommages-intérêts compensatoires pour le salaire perdu ainsi que des dommages-intérêts de nature extrapatrimoniale pour atteinte illicite au droit à l’égalité (dans l’exercice du droit à des conditions de travail exemptes de discrimination et du droit au respect de la dignité).
Cette décision, qui a été rendue en 1998, reflète bien l’évolution de la société québécoise en matière de transsexualisme. Sans nul doute cette jurisprudence aura participé à établir, à un autre niveau cette fois, un dialogue entre la société civile et le législateur, celui-ci ayant adopté, en décembre 2013, une loi modifiant certaines dispositions du Code civil du Québec[123]. Les dispositions de cette loi ayant trait à la protection des personnes transsexuelles ont pour objectif de favoriser le respect du droit à la vie privée, à l’égalité et à liberté des personnes transsexuelles, notamment en prévoyant qu’une personne dont la mention du sexe inscrit à son acte de naissance diffère de son identité sexuelle puisse obtenir, à certaines conditions, la modification de cette mention sans avoir à subir de traitement médical ou d’intervention chirurgicale[124]. La loi modificatrice dispense aussi le Directeur de l’état civil de s’assurer de la publication de l’avis de demande de changement de prénom pour les personnes transsexuelles[125]. Le législateur a également adopté, en juin 2016, une loi[126] modifiant la Charte, afin d'y prévoir une protection explicite contre la discrimination fondée sur l’identité ou l’expression de genre[127], et modifiant également certaines dispositions du Code civil du Québec, du Code de procédure civile et du Règlement relatif au changement de nom et d’autres qualités de l’état civil, afin d’améliorer notamment la situation des mineurs transgenres[128].
De la même façon, il convient de souligner que la jurisprudence de la Cour européenne a peu à peu osé remettre en question les politiques législatives en matière de protection des personnes transsexuelles. Dans son arrêt du 30 juillet 1998, bien que la Cour conclut que la non-reconnaissance par les autorités du nouveau sexe ne cause pas aux personnes transsexuelles des inconvénients d’une « gravité suffisante pour que l’on puisse considérer qu’il y a dépassement de la marge d’appréciation de l’État »[129], elle prend soin de préciser que la question des atteintes aux droits de ces personnes « doit donner lieu à un examen permanent de la part des États contractants »[130], et ce, dans le contexte d’une « augmentation de l’acceptation sociale du phénomène et [à] une reconnaissance croissante des problèmes auxquels ont à faire face les transsexuels opérés »[131]. Cette frileuse amorce se précise plus concrètement en 2002, dans l’arrêt Goodwin[132], alors que la Cour semble opérer un changement de cap significatif en limitant le recours à la marge d’appréciation des États parties. Devant la non-reconnaissance juridique de la nouvelle identité sexuelle de la requérante par l’État partie, la Cour indiquait en ces termes que :
[a]ucun facteur important d’intérêt public n’entrant en concurrence avec l’intérêt de la requérante en l’espèce à obtenir la reconnaissance juridique de sa conversion sexuelle, la Cour conclut que la notion de juste équilibre inhérente à la Convention fait désormais résolument pencher la balance en faveur de la requérante[133].
On voit ici qu’en matière de transsexualisme, la Cour européenne a longtemps oscillé entre l’aspiration universelle des droits et libertés de la personne et le respect des particularités nationales. Si certain arrêt nous convainc encore une fois des limites de l’activisme dont peut faire montre la Cour lorsque des enjeux d’importance entre en conflit[134], cette dernière semble toutefois avoir récemment accordé une moindre marge d’appréciation aux États partis[135].
***
Dès sa création, le Tribunal des droits de la personne, à des fins interprétatives et persuasives, s’est inspiré de textes internationaux similaires à la Charte des droits et libertés de la personne, et ce, parfois sans même que le recours à ce droit ne soit fondé sur une quelconque obligation juridique. À travers l’analyse de deux décisions du Tribunal, il est possible de constater dans quelle mesure et de quelle façon le Tribunal, en tant que juridiction nationale, cite et utilise la jurisprudence d’une juridiction supranationale, telle que la Cour européenne des droits de l’homme, instance qui lui est étrangère et avec laquelle il n’a aucune relation institutionnelle ou juridique au plan formel.
Évidemment, puisqu’il n’existe aucune subordination hiérarchique entre le Tribunal et la Cour européenne, le lien qui unit ces deux instances s’inscrit dans une perspective d'internationalisation du droit. À ce titre, devant la non-réciprocité des échanges au plan strictement décisionnel, contrairement au discours dialogique auquel on assiste parfois entre la Cour suprême du Canada et la Cour européenne, le recours à la jurisprudence de Cour européenne par le Tribunal relève bien plus du monologue que du dialogue.
Comme nous l’avons illustré par les deux décisions que nous avons choisi d’examiner, il est possible pour le Tribunal de renforcer la légitimité de sa décision, lorsque les faits, le droit et le contexte s’y prêtent, en intégrant l’interprétation ou la solution retenue par la Cour européenne. Par ailleurs, le Tribunal pourra aussi examiner la jurisprudence de la Cour afin de mieux s’en distancier, plus particulièrement dans les cas où la marge nationale d’appréciation fait en sorte de constituer un obstacle au renforcement de la garantie des droits consacrés à la Charte. Ce sera le cas lorsque sont invoqués des principes tels que la diversité européenne ainsi que l’absence de consensus européen, lesquels laissent place à la diversité des réponses européennes et à la sauvegarde du pluralisme juridique, plus particulièrement lorsqu’il s’agit de trancher de sujets délicats.
Enfin, peut-on espérer, dans un phénomène d’internationalisation du droit, que l’évolution sociale et juridique fera en sorte de réduire l’importance du recours à la notion de marge nationale d’appréciation au fur et à mesure que la Cour européenne continuera de renforcer l’effectivité réelle des droits prévus à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales des droits de l'homme, réduisant du même coup l’obstacle que constitue parfois le recours à la jurisprudence européenne, pour le juge canadien et québécois, lorsque l’application de cette notion par la Cour constitue un aspect important de la solution du litige.
Appendices
Notes
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[1]
Le Tribunal a été créé en 1990. Voir Loi modifiant la Charte des droits et libertés de la personne concernant la Commission et instituant le Tribunal des droits de la personne, LQ 1989, c 51 [Loi modifiant la Charte et instituant le Tribunal]. Pour les entrées en vigueur, notamment les dispositions créant le Tribunal (entré en vigueur le 10 décembre 1990) voir D 1686-90, (1990) 51 GOQ II, 4531.
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[2]
La Cour européenne a été créée en 1959 en vertu de l’article 19. Voir Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés des fondamentales, 4 novembre 1950, 213 RTNU 221, STE 5 (entrée en vigueur : 3 septembre 1953) [Convention européenne des droits de l'homme].
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[3]
Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ c C-12 [Charte ou Charte québécoise].
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[4]
Convention européenne des droits de l'homme, supra note 2.
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[5]
Edwards v Attorney General of Canada (1929), [1930] AC 124, 1929 CanLII 438 (UK JCPC). Dans cet arrêt rendu en 1930 par le Comité judiciaire du Conseil privé de Londres, celui-ci avait fait référence à la théorie de l'arbre vivant afin d’illustrer la capacité d’harmoniser le droit à l’évolution de la société. Le Comité avait alors à déterminer si le mot « personne » contenu à l’article 24 de la Loi constitutionnelle de 1867 pouvait comprendre autant une personne de sexe féminin que masculin, dans le contexte où, dans les années 1920, cinq femmes avaient demandé le droit d'occuper un siège au Sénat. En 1928, la Cour suprême a statué que les femmes n'étaient pas des personnes au sens de l’article 24. Le Comité avait alors décrit la Constitution comme « un arbre vivant » capable d’évolution dans le cadre de ses propres limites, rejetant ainsi l’approche restrictive de la Cour suprême du Canada. (Le Comité judiciaire du Conseil privé de Londres agissait en tant que dernier tribunal d'appel pour le Canada, et ce, jusqu’en 1949.)
-
[6]
Montesquieu, De l'esprit des lois, éd par Laurent Versini, Paris, Gallimard, 1995 à la p 116.
-
[7]
Michèle Rivet et Manon Montpetit, « L’internationalisation du dialogue judiciaire » dans Le Tribunal des droits de la personne et la Barreau du Québec, dir, Race, femme, enfant, handicap : les conventions internationales et le droit interne à la lumière des enjeux pratiques du droit à l’égalité, Cowansville (QC), Yvon Blais, 2010, 445 à la p 452 [Michèle Rivet et Manon Montpetit].
-
[8]
Manon Montpetit et Emma Tardieu, « Intégration européenne et droits de la personne », présenté à l'École d'automne de la Chaire Jean Monnet en intégration européenne, 2013.
-
[9]
Commission des droits de la personne c Commission scolaire de St-Jean-sur-Richelieu, [1991] RJQ 3003, 1991 CanLII 1358 (QC TDP), conf par [1994] RJQ 1227, 1994 CanLII 5706 (QC CA) [Commission scolaire de St-Jean-sur-Richelieu].
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[10]
Ou la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale canadiennes.
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[11]
Notamment, dans l’Affaire Othman (Abu Qatada) c Royaume-Uni, no 8139/09, [2012] I CEDH 249 cite et applique l’arrêt Suresh c Canada (Ministère de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CSC 1, [2002] 1 RCS 3 dans le cadre de l’interdiction de torture prévu à l’article 3 et au droit à la liberté et à la sûreté (art 5) de la Convention européenne; dans l’Affaire Al-Khawaja et Tahery c Royaume-Uni [GC], no 26766/05, [2011] VI CEDH 275 cite les arrêts suivants : R c Khan, [1990] 2 RCS 531, 1990 CanLII 77 (CSC); R c Smith, [1992] 2 RCS 915, 1992 CanLII 79 (CSC); R c Rockey, [1996] 3 RCS 829, 1996 CanLII 151 (CSC); R c Khewalon, 2006 CSC 57, [2006] 2 RCS 787 dans le cadre de l’admissibilité de la preuve et de la fiabilité de certaines déclarations extra-judiciaires (ouï-dire); dans l’Affaire Scoppola c Italie (N° 3) [GC], no 126/05 (22 mai 2012), la Cour européenne cite et applique l’arrêt Sauvé c Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, [2002] 3 RCS 519 dans le cadre de l’interdiction du droit de vote des détenus (atteinte à l’article 3 du Protocole n° 1 à la Convention européenne).
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[12]
Président de la Cour européenne de 2007 à 2011.
-
[13]
Jean-Paul Costa, « Le droit à un tribunal selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme » dans Le Tribunal des droits de la personne et le Barreau du Québec, dir, L’accès à un tribunal spécialisé en matière de droit à l’égalité : l’urgence d’agir au Québec?, Cowansville (QC), Yvon Blais, 2008, 405.
-
[14]
Président de la Cour européenne de 1998 à 2007.
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[15]
Présidente du Tribunal de 1990 à 2010.
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[16]
L’article 19 de la Convention européenne prévoit ce qui suit : « Afin d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la présente Convention et de ses Protocoles, il est institué une Cour européenne des droits de l’homme, ci-dessous nommée “la Cour”. Elle fonctionne de façon permanente. »
-
[17]
C’est-à-dire les États ayant ratifié la Convention européenne. À cet effet, les paragraphes 1 et 2 de l’article 59 de la Convention prévoient ce qui suit : « (1) La présente Convention est ouverte à la signature des membres du Conseil de l’Europe. Elle sera ratifiée. Les ratifications seront déposées près le Secrétaire général du Conseil de l’Europe. (2) L’Union européenne peut adhérer à la présente Convention. » Il y a actuellement 47 États parties à la Convention. Voir Conseil de l'Europe, Bureau des traités, « État des signatures et ratifications du traité 005 » (dernière consultation le 26 juin 2020), en ligne : COE <coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/005/signatures>.
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[18]
Depuis la création de la Cour en 1959, les États parties ont adopté plusieurs protocoles additionnels à la Convention. Les protections qui sont contenues à ces protocoles font partie intégrante de la Convention. Il convient donc de lire la Convention à la lumière de ces différents protocoles.
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[19]
Ainsi que des protocoles, ceux-ci étant partie intégrante de la Convention, une fois en vigueur.
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[20]
Voir la partie B-1 ci-dessous.
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[21]
Convention européenne des droits de l'homme, supra note 2, art 14.
-
[22]
Olivier De Schutter, « L’interdiction de discrimination dans le droit européen des droits de l’homme – Sa pertinence pour les directives communautaires relatives à l’égalité de traitement sur la base de la race et dans l’emploi » (2005) à la p 20, en ligne : Commission européenne, Emploi, affaires sociales et inclusion <ec.europa.eu/social/search.jsp?mainCat=22&subCat=&year=&country=&advSearchKey=interdiction+de+discrimination+dans+le+droit+europ%C3%A9en&mode=advancedSubmit&langId=fr&searchType=&search=Search>.
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[23]
Protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 2000, 2465 RTNU 203, STE 177 (entrée en vigueur : 1er avril 2005) [Protocole n° 12].
-
[24]
Ibid, arts 1-2.
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[25]
Rapport explicatif du Protocole n° 12 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 2000, STE 177 aux para 1, 3, en ligne : STE – n° 177 <rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016800cce8d>.
-
[26]
Ibid au para 10.
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[27]
La compétence subsidiaire de la Cour, de nature supranationale, ne lui permet pas d’invalider la législation ou les décisions de droit interne.
-
[28]
Voir Convention européenne des droits de l'homme, supra note 2, art 46 pour l’aspect obligatoire et exécutoire des arrêts rendus par la Cour européenne. S’agissant de la force obligatoire, voir Jean-François Renucci, Introduction générale à la Convention européenne des Droits de l’Homme – Droits garantis et mécanisme de protection, Strasbourg, Éditions du Conseil de l’Europe, 2005 à la p 130 : « Par application de l'article 46 § 1 de la Convention, les Hautes parties contractantes s'engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties. Malgré la force des termes utilisés dans cet article, l'autorité des arrêts de la Cour peut sembler relative sur le plan strictement juridique. Mais, en réalité, cette autorité est beaucoup plus grande qu'il n'y paraît. Il est vrai qu’a priori, l'autorité des arrêts de la Cour peut paraître restreinte puisque, exception faite de la satisfaction équitable qui s'impose à l'État condamné, l'arrêt ne peut avoir de conséquences directes sur les procédures internes. Toutefois, les États signataires de la Convention ont tout de même pris l’engagement de se conformer aux arrêts de la Cour et, surtout, l'effet incitatif de la jurisprudence européenne est important puisque l'État condamné s'expose à de nouvelles requêtes similaires à celle qui a motivé la condamnation… les mêmes causes produisant les mêmes effets; dès lors, pour éviter des condamnations à répétition, l’État devra, bon gré mal gré, mettre en harmonie son droit positif avec la Convention européenne dans l'interprétation qui en est faite par les juges de la Cour. »
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[29]
Voir Convention européenne des droits de l'homme, supra note 2, art 41 pour le principe de satisfaction équitable en ce qui a trait au pouvoir de réparation de la Cour. Par ailleurs, en droit interne, les États parties sont libres quant aux moyens qu’ils choisissent afin d’exécuter l'arrêt afin de mettre fin à la violation pour l'avenir et de réparer les conséquences de celle-ci. Concernant la satisfaction équitable, son caractère obligatoire est réel. Le Comité des Ministres (voir para 2 de l’article 46), organe politique du Conseil de l’Europe, s’assure du paiement de la satisfaction équitable octroyée par la Cour au requérant. Le Comité veillera aussi à ce que l’État partie mette en oeuvre les mesures destinées à faire cesser la violation constatée ou à prévenir d’autres violations du même genre. Le paragraphe 4 de l’article 46 de la Convention prévoit que « [l]orsque le Comité des Ministres estime qu’une Haute Partie contractante refuse de se conformer à un arrêt définitif dans un litige auquel elle est partie, il peut, après avoir mis en demeure cette Partie et par décision prise par un vote à la majorité des deux tiers des représentants ayant le droit de siéger au Comité, saisir la Cour de la question du respect par cette Partie de son obligation au regard du paragraphe 1 ».
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[30]
Selon l’article 42 de la Convention, les arrêts des Chambres de la Cour deviennent définitifs, aux conditions prévues au paragraphe 2 de l’article 44, soit : « a) lorsque les parties déclarent qu'elles ne demandent pas le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre; ou b) trois mois après la date de l'arrêt si le renvoi de l'affaire devant la Grande chambre n'a pas été demandé; ou c) lorsque le collège de la Grande chambre rejette la demande de renvoi formulée en application de l'article 43 ». En revanche, les arrêts de la Grande Chambre sont toujours définitifs (art 44 au para 1).
-
[31]
Convention européenne des droits de l'homme, supra note 2, art 41.
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[32]
Même si certaines réparations semblent s’apparenter dans la pratique à des dommages punitifs. À cet égard voir notamment les opinions concordantes dans Affaire Chypre c Turquie [GC], n° 25781/94, [2014] II CEDH 311 et Affaire Trévalec c Belgique, n° 30812/07 (15 juin 2013).
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[33]
Convention européenne des droits de l'homme, supra note 2, art 33.
-
[34]
Ibid, art 34.
-
[35]
Sous réserve de certaines limitations et de la nécessité d’épuiser d’abord les voies de recours internes.
-
[36]
Protocole no 11 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, portant restructuration du mécanisme de contrôle établi par la Convention, 11 mai 1994, 2061 RTNU 7, STE 155 (entrée en vigueur : 1er novembre 1998).
-
[37]
Voir Conseil de l'Europe, Cour européenne des droits de l’homme, « Rapport annuel 2019 » (2020) à la p 135, en ligne (pdf) : Cour européenne des droits de l'homme <echr.coe.int/Documents/Annual_report_2019_FRA.pdf>. Pour l’année 2019, le nombre de requêtes attribuées à une formation judiciaire s’élevait à 44 500. Le nombre de requêtes tranchées par un arrêt s’élevait à 2 187. Quant aux dossiers pendants, le nombre était de 59 800. Cela dit, le point culminant était en 2013 avec un nombre de 65 800 requêtes attribuées.
-
[38]
Protocole no 14 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, amendant le système de contrôle de la Convention, 13 mai 2004, 2677 RTNU 3, STCE 194 (entrée en vigueur : 1er juin 2010).
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[39]
Notamment, en optimisant le traitement et le filtrage judiciaires des requêtes.
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[40]
Voir Rapport explicatif du Protocole n° 16 à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 2 octobre 2013, STCE 214, en ligne : STCE – n° 214 <rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016800d38cd> pour les étapes de ce processus de réflexions.
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[41]
Protocole n° 16 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 2 octobre 2013, RTNU 1, STCE 214 (entrée en vigueur : 1er août 2018) [Protocole n° 16].
-
[42]
Voir notamment Peggy Ducoulombier, Les conflits de droits fondamentaux devant la Cour européenne des droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2011 au chap 2.
-
[43]
De Schutter, supra note 22 à la p 25.
-
[44]
La constitution et l’organisation du Tribunal est prévu aux articles 100 et suivants de la Charte québécoise, supra note 3. Le Tribunal a comme particularité d’être composé de juges et d’assesseurs.
-
[45]
Loi modifiant la Charte et instituant le Tribunal, supra note 1.
-
[46]
Michèle Rivet, « Entre stabilité et fluidité : le juge, arbitre des valeurs », dans Le Tribunal des droits de la personne et le Barreau du Québec, dir, La Charte des droits et libertés de la personne : pour qui et jusqu'où?, Cowansville (QC), Yvon Blais, 2005, 1 à la p 5.
-
[47]
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Montréal (Ville de); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Boisbriand (Ville de), 2000 CSC 27 au para 28, [2000] 1 RCS 665.
-
[48]
Voir à ce titre le seul texte à ce jour faisant état du rôle des assesseurs au sein du Tribunal; Luc Huppé, « Le statut juridique des assesseurs du Tribunal des droits de la personne » (2011) 70 R du B 219 aux pp 224-225.
-
[49]
Charte québécoise, supra note 3, art 82.
-
[50]
Mouvement laïque québécois c Saguenay (Ville de), 2015 CSC 16, [2015] 2 RCS 3 [Mouvement laïque québécois].
-
[51]
L’article 101 de la Charte prévoit notamment que « [l]e président est choisi, après consultation du juge en chef de la Cour du Québec, parmi les juges de cette cour qui ont une expérience, une expertise, une sensibilisation et un intérêt marqués en matière des droits et libertés de la personne; les assesseurs le sont parmi les personnes inscrites sur la liste prévue au troisième alinéa de l’article 62 ». S’agissant de l’expertise des assesseurs, elle est au même effet puisque le Règlement sur la procédure de recrutement et de sélection des personnes aptes à être désignées à la fonction d’arbitre ou nommées à celle d’assesseur au Tribunal des droits de la personne, RLRQ c C-12, r 2, prévoit à son article 17 que : « [l]es critères de sélection dont le comité tient compte pour déterminer l'aptitude d'un candidat sont notamment :
-
1o les qualités personnelles et intellectuelles du candidat ainsi que son expérience, son expertise, sa sensibilisation et son intérêt marqués en matière des droits et libertés de la personne;
-
2o le degré de connaissances pertinentes du candidat, dans les domaines des droits et libertés de la personne et de l'arbitrage dans lesquels l'arbitre ou l'assesseur exercera ses fonctions, ainsi que sa capacité de jugement, sa perspicacité, sa pondération et son esprit de décision;
-
3o la conception que le candidat se fait des fonctions d'arbitre ou d'assesseur. »
-
-
[52]
Loi sur l'accès à l'égalité en emploi dans des organismes publics, RLRQ c A-2.01, arts 6, 18, 19.
-
[53]
Plus précisément sur la discrimination, dans l’exercice des droits et libertés; sur le harcèlement discriminatoire; sur l’exploitation des personnes âgées ou handicapées; sur les programmes d’accès à l’égalité en emploi. Voir la lecture combinée des articles 10, 10.1, 71, 80, 82, 111 et 111.1 de la Charte.
-
[54]
Voir Tribunal des droits de la personne, « Rapport d’activités 2019 » (2020) à la p 44, en ligne (pdf) : TDP <tribunaux.qc.ca/TDP/BilanActivites/bilan_2019.pdf>; il est indiqué que 81 recours ont été introduits devant le Tribunal, 61 par la CDPDJ et 20 par saisine individuelle après enquête de la CDPDJ.
-
[55]
Charte québécoise, supra note 3, art 10.
-
[56]
Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte canadienne]. Le paragraphe 1 de l’article 15 prévoit la protection suivante : « La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. »
-
[57]
À titre d’exemple, l’article 18.1 de la Charte prévoit que : « Nul ne peut, dans un formulaire de demande d'emploi ou lors d'une entrevue relative à un emploi, requérir d'une personne des renseignements sur les motifs visés dans l'article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l'application de l'article 20 ou à l'application d'un programme d'accès à l'égalité existant au moment de la demande. »
-
[58]
Charte québécoise, supra note 3, art 49.
-
[59]
Sylvie Gagnon, « Quelques observations critiques sur le droit à une réparation selon la Charte des droits et libertés de la personne », dans Le Tribunal des droits de la personne et le Barreau du Québec, dir, La Charte des droits et libertés de la personne : pour qui et jusqu'où?, Cowansville (QC), Yvon Blais, 2005, 261 à la p 268 [Gagnon] : « Au fil des ans, différents arrêts de principe relatifs à la Charte du Québec ont plus largement rejailli sur l'interprétation de l'ensemble de la législation sur les droits de la personne au Canada. Toutefois, d'importantes difficultés d'interprétation n'en subsistent pas moins qui, en dernier ressort, ont pour conséquence commune de priver d'effet réparateur les atteintes illicites portées aux droits protégés par cet instrument d'une ampleur inégalée au Canada, et ce, tant par l'étendue des droits qui y sont protégés que par sa préséance expresse sur les autres dispositions relevant de la compétence législative du Québec. »
-
[60]
Voir Adrian Popovici, « De l'impact de la Charte des droits et libertés de la personne sur le droit de la responsabilité civile : un mariage raté? » dans Conférences commémoratives Meredith 1998-1999, La pertinence renouvelée du droit des obligations : Back to Basics/The Continued Relevance of the Law of Obligations : retour aux sources, Cowansville (QC), Yvon Blais, 2000, 49; Maurice Drapeau, « La responsabilité pour atteinte illicite aux droits et libertés de la personne » (1994) 28:1 RJT 31; Ghislain Otis, « Le spectre d’une marginalisation des voies de recours découlant de la Charte québécoise » (1991) 51 R du B 561; Gagnon, supra note 59.
-
[61]
Mariève Lacroix, L’illicéité : essai théorique et comparatif en matière de responsabilité civile extracontractuelle pour le fait personnel, coll Minerve, Cowansville (QC), Yvon Blais, 2013; Manon Montpetit, L’atteinte illicite : repenser le droit de la responsabilité en fonction de ses sources, Montréal, Yvon Blais, 2015.
-
[62]
Béliveau St-Jacques c Fédération des employées et employés de services publics inc., [1996] 2 RCS 345, 1996 CanLII 208 (CSC) [Béliveau St-Jacques].
-
[63]
Québec (Curateur public) c Syndicat des employés de l'hôpital St-Ferdinand, [1996] 3 RCS 211, 1996 CanLII 172 (CSC) [Syndicat des employés de l'hôpital St-Ferdinand]; Augustus c Gosset, [1996] 3 RCS 268, 1996 CanLII 173 (CSC); Bou Malhab c Diffusion Métromédia CMR inc., 2011 CSC 9, [2011] 1 RCS 214.
-
[64]
Dans l’arrêt Ciment du Saint-Laurent c Barrette, 2008 CSC 64 au para 35, [2008] 3 RCS 392, la Cour suprême du Canada prenait soin de préciser cette distinction en ces termes : « La position française diffère. En effet, en droit français, la violation d’une norme législative constitue en soi une faute civile (Jobin, p. 229). Il n’est donc pas nécessaire “ de relever [...] une négligence, une imprudence, un défaut de soins ou une déficience quelconque du comportement de l’auteur ” (Viney et Jourdain, p. 328). Par conséquent, dans le cadre de la violation d’un texte de loi, le régime général de responsabilité civile transforme la norme législative en une obligation de résultat, puisque la victime peut “ établir la faute en prouvant un simple fait matériel, sans avoir à démontrer en outre le caractère moralement ou socialement blâmable du comportement de l’auteur ” (Viney et Jourdain, p. 342) ».
-
[65]
Ibid au para 21.
-
[66]
Ibid au para 34.
-
[67]
Sous réserve des principes régissant la responsabilité pour autrui, en matière privée, et des immunités de la couronne en matière législative. Voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Communauté urbaine de Montréal, 2004 CSC 30 au para 23, [2004] 1 RCS 789 [Communauté urbaine de Montréal].
-
[68]
Syndicat des employés de l'hôpital St-Ferdinand, supra note 63 au para 121.
-
[69]
Gauthier c Beaumont, [1998] 2 RCS 3, 1998 CanLII 788 (CSC); Augustus c Gosset, supra note 63; Cinar Corporation c Robinson, 2013 CSC 73, [2013] 3 RCS 1168; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c 9113-0831 Québec inc. (Bronzage Évasion au soleil du monde), 2007 QCTDP 18; Simoneau c Tremblay, 2011 QCTDP 1, conf par Mouvement laïque québécois, supra note 50.
-
[70]
Dans Québec (Procureure générale) c Tribunal des droits de la personne, [2002] RJQ 628, 2002 CanLII 31280 (QC CA), la Cour d’appel du Québec a conclu que le Tribunal a compétence pour déclarer inopérante une loi (art 52) qui déroge à la Charte, à l'égard d'un plaignant. Il ne peut toutefois déclarer la loi invalide, un pouvoir que possède la Cour supérieure du Québec (voir para 69).
-
[71]
Voir Communauté urbaine de Montréal, supra note 67.
-
[72]
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Montréal (Ville de); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Boisbriand (Ville de), supra note 47; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Maksteel Québec inc., 2003 CSC 68, [2003] 3 RCS 228; Communauté urbaine de Montréal, supra note 67; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Québec (Procureur général), 2004 CSC 39, [2004] 2 RCS 185; Québec (Procureur général) c Québec (Tribunal des droits de la personne), 2004 CSC 40, [2004] 2 RCS 223; Montréal (Ville de) c Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2008 CSC 48, [2008] 2 RCS 698; Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 RCS 789; Mouvement laïque québécois, supra note 50.
-
[73]
Ward c Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Gabriel et autres), 2019 QCCA 2042, dossier n° 39041 (CSC).
-
[74]
Charte québécoise, supra note 3, art 111.
-
[75]
Voir Ibid, art 84; voir aussi Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics, supra note 52, art 19(3).
-
[76]
Voir Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Publications, « Rapports annuels de gestion » (dernière consultation le 26 juin 2020), en ligne : CDPDJ <cdpdj.qc.ca/fr/publications/pages/recherche.aspx?field=PublicationsTypeDePublication&value=Rapports&title=Rapports%E2%80%8B&groupbyfield=PublicationsSousTypeDePublication>.
-
[77]
Ménard c Rivet, [1997] RJQ 2108, 1997 CanLII 9973 (QC CA).
-
[78]
Évidemment, il en va ainsi pour la Commission qui agit en amont du Tribunal.
-
[79]
Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c Québec (Procureur général), supra note 72.
-
[80]
Ou d’autres tribunaux de droit commun.
-
[81]
Université de Montréal c Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2006 QCCA 508.
-
[82]
Béliveau St-Jacques, supra note 62; de Montigny c Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 RCS 64.
-
[83]
Compte tenu de la reconnaissance et de l’importance pour les tribunaux administratifs d’assurer le respect de la Constitution et des lois quasi constitutionnelles telles que la Charte. Voir notamment Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c Douglas College, [1990] 3 RCS 570.
-
[84]
William A Schabas, « Le droit européen des droits de la personne dans la jurisprudence canadienne et québécoise » (1991) 7.2 RQDI 198.
-
[85]
Voir Armand de Mestral et Evan Fox-Decent, « Rethinking the Relationship Between International and Domestic Law » (2008) 53 RD McGill 573 à la p 596 : « Apart from section 132 of the Constitution Act, 1867, and more recently section 11 (g) of the Canadian Charter of Rights and Freedoms, the constitution of Canada is silent on treaty making and the place of international law in the Canadian legal order. »
-
[86]
L’argument avancé est qu’il ne revient pas au juge d’incorporer la norme internationale de façon indirecte puisque cela aurait pour effet de donner au pouvoir exécutif la compétence de légiférer indirectement lors de la ratification de textes internationaux.
-
[87]
René Provost, « Le juge mondialisé : légitimité judiciaire et droit international au Canada », dans Marie-Claire Belleau et François Lacasse, dir, Claire L’Heureux-Dubé à la Cour suprême du Canada 1987-2002, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, 569 à la p 581.
-
[88]
Janne Nijman et André Nollkaemper, « Beyond the Divide » dans Janne Nijman et André Nolkaemper, dir, New Perspectives on the Divide Between National & International Law, Oxford, Oxford University Press, 2007, 341 à la p 342.
-
[89]
François Crépeau, « Inaugural Lecture : Towards Democratically Monitoring the Implementation of International Treaties Ratified by Canada » à la p 7, Symposium organisé par la Chaire Hans et Tamar Oppenheimer en droit international public, présenté à la Faculté de droit de McGill, 11 novembre 2009, en ligne : SSRN <papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1554469>.
-
[90]
Rivet et Montpetit, supra note 7 à la p 479.
-
[91]
Ibid.
-
[92]
Ibid à la p 451.
-
[93]
Motifs dissidents, mais non sur ce point précis. Ces motifs dissidents sont maintes fois cités afin de soutenir le recours au droit international ou comparé en droit canadien.
-
[94]
Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alb.), [1987] 1 RCS 313 à la p 347, 1987 CanLII 88 (CSC).
-
[95]
Michèle Rivet et Manon Montpetit, « La réception du droit international dans le droit interne canadien : une ouverture dynamique des systèmes juridiques » dans Olivier Delas et Michaela Leuprecht, dir, Liber Amicorum Peter Leuprecht, Bruylant, 2012, 367 aux pp 377-378. Voir aussi Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 69-71, 1999 CanLII 699 (CSC).
-
[96]
Une volonté qui a même suscité l'attention sur la scène internationale, en 1998, lorsque dans ses observations finales sur le rapport du Canada, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels notait « avec satisfaction que le Tribunal des droits de la personne du Québec a, dans un certain nombre de décisions, pris en considération les dispositions du Pacte [international] pour interpréter la Charte des droits du Québec, notamment en matière de droits relatifs au travail ». Voir Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations finales du Comité des droits économiques, sociaux et culturels : Canada, Doc off CES NU, Doc NU E/C.12/1/Add.31 (1998) au para 6.
-
[97]
Voir Tribunal des droits de la personne, « Rapports d'activités » (dernière consultation le 26 juin 2020), en ligne : TDP <tribunaux.qc.ca/TDP/index-tdp.html>.
-
[98]
Jacques-Yvan Morin, « Une charte des droits de l’homme pour le Québec » (1963) 9:4 RD McGill 273.
-
[99]
Ibid à la p 274.
-
[100]
C’était là une des recommandations que faisait la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse dans son bilan sur les 25 ans de la Charte. Voir Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, « Après 25 ans : La Charte québécoise des droits et libertés : Bilan et recommandations » vol 1, (2003), en ligne (pdf) CDPDJ <cdpdj.qc.ca/Publications/bilan_charte.pdf>.
-
[101]
Charte québécoise, supra note 3, art 106(1).
-
[102]
Tribunal des droits de la personne, « Orientations générales du Tribunal des droits de la personne » (2006) au préambule et aux para 1.4, 4.5, en ligne (pdf) : TDP <tribunaux.qc.ca/TDP/Textes%20legistlatifs%20et%20reglementaires/Orientations_generales_2009_2017-10-02.pdf>.
-
[103]
Notamment en matière d’intégration scolaire d’élèves présentant une déficience intellectuelle, voir Commission scolaire de St-Jean-sur-Richelieu, supra note 9; en matière de sexualisation de postes en milieu hospitalier, voir Dufour c Centre hospitalier St-Joseph-de-la-Malbaie, [1992] RJQ 825, 1992 CanLII 11 (QC TDP), inf pour d'autres motifs par 1998 CanLII 13115 (QC CA); en matière d’exploitation de personnes âgées ou handicapées, voir Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c Vallée, [2003] RJQ 2009, 2003 CanLII 28651 (QC TDP); en matière de harcèlement sexuel ou racial, voir Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c Sfiridis, 2002 CanLII 41910 (QC TDP); Commission des droits de la personne du Québec c Commission scolaire Deux-Montagnes, [1993] RJQ 1297, 1993 CanLII 1202 (QC TDP); en matière d’interprétation des motifs de race et d’origine ethnique, voir Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c For-Net Montréal inc., 2014 QCTDP 1, requête pour permission d’appeler rejetée par 2014 QCCA 1508.
-
[104]
Provost, supra note 87 à la p 603.
-
[105]
Voir Michel Coutu et Pierre Bosset, « Étude n° 6 : La dynamique juridique de la Charte » dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, Après 25 ans : La Charte québécoise des droits et libertés : Études, vol 2, (2003) 248 aux pp 249-250, en ligne (pdf) : CDPDJ <cdpdj.qc.ca/publications/bilan_charte_etude_6.pdf>. De façon générale, les auteurs Michel Coutu et Pierre Bosset font état du « faible intérêt dont témoigne la communauté des juristes à l’endroit de la Charte québécoise », dont atteste le peu de sources doctrinales à son sujet. Selon eux, ce désintérêt aurait eu comme résultante de priver la Charte du « dynamisme nécessaire à un texte de nature fondamentale ».
-
[106]
Commission scolaire de St-Jean-sur-Richelieu, supra note 9.
-
[107]
D’un enfant handicapé (autisme) en classe régulière.
-
[108]
Charte québécoise, supra note 3, arts 10, 40.
-
[109]
Le paragraphe 1 de l’article 15 de la Charte canadienne prévoit un droit à l’égalité autonome libellé comme suit : « La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques ».
-
[110]
Voir Affaire Syndicat national de la police belge c Belgique, no 4464/70 (27 octobre 1975) au para 44 : « Quoique la Cour n’ait constaté aucune violation de l’article 11 par. 1 (art. 11-1), il y a lieu de rechercher si les différences de traitement dont se plaint le syndicat requérant méconnaissent les articles 11 et 14 (art. 14+11) combinés. En effet l’article 14 (art. 14), bien qu’il n’ait pas d’existence indépendante, complète les autres dispositions normatives de la Convention et des Protocoles : il protège les individus ou groupements placés dans une situation comparable contre toute discrimination dans la jouissance des droits et libertés qu’elles reconnaissent. Une mesure conforme en elle-même aux exigences de l’article consacrant le droit ou la liberté en question peut donc enfreindre cet article, combiné avec l’article 14 (art. 14), pour le motif qu’elle revêt un caractère discriminatoire. Tout se passe comme si l’article 14 (art. 14) faisait partie intégrante de chacun des divers articles garantissant des droits et libertés, quelle que soit la nature de ces derniers ».
-
[111]
Voir Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique c Belgique » (1968), no 1474/62; 1677/62; 1691/62; 1769/63; 1994/63; 2126/64, 6 CEDH (sér A) à la p 30 au para 9 : « Si cette garantie n’a pas, il est vrai, d’existence indépendante en ce sens qu’elle vise uniquement, aux termes de l’article 14 (art. 14), les "droits et libertés reconnus dans la Convention", une mesure conforme en elle-même aux exigences de l’article consacrant le droit ou la liberté en question peut cependant enfreindre cet article, combiné avec l’article 14 (art. 14), pour le motif qu’elle revêt un caractère discriminatoire. Ainsi, les personnes soumises à la juridiction d’un État contractant ne peuvent puiser dans l’article 2 du Protocole (P1-2) le droit d’obtenir des pouvoirs publics la création de tel ou tel établissement d’enseignement; néanmoins, l’État qui aurait créé pareil établissement ne pourrait, en en réglementant l’accès, prendre des mesures discriminatoires au sens de l’article 14 (art. 14) ».
-
[112]
Commission scolaire de St-Jean-sur-Richelieu, supra note 9 à la p 3025.
-
[113]
Affaire Karlheinz Schmidt c Allemagne, no 13580/88, [1994] CEDH (sér A) n° 291-B au para 22 [Schmidt].
-
[114]
Dans une décision portant sur un tout autre sujet, voir Gosselin c Québec (Procureur général), 2002 CSC 84, [2002] 4 RCS 429 [Gosselin].
-
[115]
Ibid aux para 429-430.
-
[116]
Voir David Robitaille, « Non-indépendance et autonomie de la norme d’égalité québécoise : des concepts “fondateurs” qui méritent d’être mieux connus » (2004) 35 RDUS 103 aux pp 112-113 : « Autrement dit, la norme d'égalité québécoise n'est donc pas susceptible d’application indépendante. S'il y a unanimité de principe à cet égard, tant en jurisprudence qu’en doctrine, on parle toutefois généralement d’absence “d’autonomie” pour illustrer cette caractéristique du droit à la non-discrimination. Ainsi, comme la Charte “ne le reconnaît qu’à l’égard des droits et libertés de la personne [...] [,] [il] n’est pas envisagé comme un droit autonome [...]”. La Cour européenne des droits de l’homme fait cependant clairement la distinction entre l’absence d’application indépendante de l’article 14 et sa portée autonome. Au Québec, le professeur Daniel Proulx est pratiquement le seul à faire cette distinction qui n’est pas sans importance puisqu'il s'agit de deux aspects différents de l'application de l'article 10. »
-
[117]
Ibid aux pp 108-109.
-
[118]
Sur le plan de l’évolution culturelle et historique, voir Affaire Lautsi c Italie [GC], no 30814/06, [2011] III CEDH 1 au para 68.
-
[119]
Sur le principe du consensus européen, voir l’opinion concordante du juge Rozakis, à laquelle se joint le juge Vajić. Ibid à la p 37 : « Pendant que nous parlons de consensus, il convient de rappeler que la Cour est une juridiction, et non un organe parlementaire. Chaque fois qu'elle entreprend d'apprécier les limites de la protection accordée par la Convention, la Cour prend soigneusement en compte le degré de protection existant au niveau des États européens ; elle a bien sûr la possibilité d'élever cette protection à un niveau supérieur à celui accordé par tel ou tel État défendeur, mais à condition toutefois que de solides indications attestent qu'un grand nombre d'autres États européens ont déjà adopté ce degré de protection, ou qu'il y ait une tendance manifeste à élever le niveau de protection. Ce principe ne saurait s'appliquer de manière positive en l'espèce, même si, c'est vrai, une tendance s'est amorcée en faveur de l'interdiction de l'exposition de symboles religieux dans les institutions publiques ».
-
[120]
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c Maison des jeunes, [1998] RJQ 2549, 1998 CanLII 28 (QC TDP) [Maison des jeunes].
-
[121]
Ibid au para 68.
-
[122]
Ibid aux para 70, 72-79.
-
[123]
Loi modifiant le Code civil en matière d’état civil, de successions et de publicité des droits, LQ 2013, c 27.
-
[124]
Ibid, art 4.
-
[125]
Ibid, art 1.
-
[126]
Loi visant à renforcer la lutte contre la transphobie et à améliorer notamment la situation des mineurs transgenres, LQ 2016, c 19.
-
[127]
Ibid, art 11.
-
[128]
La loi prévoit, entre autres, des modifications au Code civil du Québec afin de prévoir la possibilité, pour un mineur de 14 ans et plus, de faire seul une demande de changement de nom ou de changement de la mention du sexe figurant à son acte de naissance auprès du directeur de l’état civil, après avoir avisé ses parents ou son tuteur.
-
[129]
Affaire Sheffield et Horsham c Royaume-Uni [GC], no 31–32/1997/815–816/1018–1019, [1998] V CEDH au para 59.
-
[130]
Ibid au para 60.
-
[131]
Ibid.
-
[132]
Affaire Christine Goodwin c Royaume-Uni [GC], no 28957/95, [2002] VI CEDH 45 [Goodwin].
-
[133]
Ibid au para 93.
-
[134]
Affaire Hämäläinen c Finlande [GC], no 37359/09, [2014] IV CEDH 415. Dans cette affaire, une personne transsexuelle se plaint de ne pouvoir obtenir la pleine reconnaissance de son nouveau genre que par le divorce ou la conversion de son mariage en un partenariat enregistré. La Cour conclut à la non-violation du droit à la vie privée et au droit de se marier ainsi que de l’interdiction de discrimination puisque l’option du partenariat offre aux couples de même sexe une protection juridique presque identique à celle du mariage. Une conclusion différente aurait eu pour effet d’aller à l’encontre de la conception de l’institution du mariage en Finlande, selon laquelle seuls un homme et une femme peuvent s’unir par le mariage en droit finlandais.
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Voir notamment les décisions Affaire Y.Y. c Turquie, n° 14793/08, [2015] I CEDH 421; Affaire A.P., Garçon et Nicot c France, n° 79885/12 (6 avril 2017); Affaire S.V. c Italie, n° 55216/08 (11 octobre 2018). Dans l’affaire Y.Y. c Turquie, la Cour européenne a conclu que l’État avait méconnu le droit du requérant au respect de sa vie privée (violation de l’art 8 de la Convention) en lui déniant, pendant de nombreuses années la possibilité d’accéder à la chirurgie de changement de sexe, et ce, bien que le refus des juridictions internes opposé à la demande du requérant à raison de sa capacité de procréer était conforme à la loi. La Cour a estimé que l’ingérence dans le droit du requérant au respect de sa vie privée n’était pas « nécessaire » dans une société libre et démocratique. Dans l’affaire A.P., Garçon et Nicot c France, les requérants alléguaient, entre autres, que le fait de soumettre la rectification de leur sexe sur leur acte de naissance à la démonstration du caractère irréversible de la transformation de leur apparence emportait notamment violation de l’article 8 de la Convention. Sur ce point, la Cour a conclu que malgré l’absence de consensus entre les états partie sur la condition de stérilité, l’État défendeur ne disposait en l’espèce que d’une marge d’appréciation restreinte. Elle a reconnu que conditionner la reconnaissance de l’identité sexuelle des personnes transgenres à la réalisation d’une opération ou d’un traitement stérilisant qu’elles ne souhaitent pas subir entraine une violation de leurs droits prévus à l’article 8 de la Convention. Cela dit, sur les autres portions de la requête, la Cour a accordé une plus grande marge d’appréciation à l’État défendeur. Dans l’affaire S.V. c Italie, la Cour conclu à une violation de l’article 8 de la Charte en raison du refus des autorités, pendant plus de 2 ans et demi, de changer le prénom de la requérante, et ce, pour des raisons purement formelles, soit le fait que celle-ci n’avait pas encore abouti son processus de transition sexuelle qui était en cours.