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Le 1er avril 2017, à l’ombre des contestations provoquées par l’entrée en vigueur provisoire de l’Accord économique et commercial global (AECG), est également entré en vigueur, à notre insu ou presque, l’Accord de partenariat stratégique entre les mêmes parties[1]. Si l’on ne peut accuser ces dernières de manque de transparence, les négociations, textes et signatures ayant été publiés selon les standards de transparence adoptés par l’Union européenne, le relatif manque d’intérêt de la société civile à son égard en fait le jumeau politique inconnu du désormais célèbre AECG. L’Union européenne étant la deuxième économie mondiale, et le second partenaire commercial du Canada (après les États-Unis), l’AECG est « de loin l’une des initiatives commerciales les plus ambitieuses du Canada[2] ». Accord le plus progressiste à être conclu à ce jour, l’AECG a aussi suscité de nombreuses controverses, tant en ce qui concerne le secret entourant les négociations, que le mécanisme de règlement des différends investisseurs-États (par ailleurs modifié à la dernière minute par l’Union européenne, profitant de l’occasion pour mettre en oeuvre sa nouvelle politique commerciale destinée aux négociations du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (souvent mieux connu sous son acronyme PTCI, TAFTA ou TTIP)[3].

Le présent article cherche à éclaircir l’objet et l’utilité de l’Accord de partenariat stratégique entre le Canada et l’Union européenne, l’accord parallèle méconnu de l’AECG, dans le contexte historique des relations entre les partenaires, et l’effervescence actuelle des négociations commerciales internationales.

Développé initialement par l’Union européenne comme un outil politique et de dialogue stratégique, on peut se questionner sur la pertinence de l’exercice. Un tel outil sans force exécutoire, ou presque, peut-il réellement avoir un effet sur l’avancement des négociations? Ou s’agit-il plutôt d’un mode désuet de fonctionnement? Enfin, une troisième voie pourrait consister à offrir cet instrument à tous les partenaires commerciaux, en dehors de l’Union européenne, en négociation actuellement, dans l’espoir d’apaiser les tensions actuelles.

Nous reviendrons dans un premier temps sur les relations historiques entre le Canada et l’Union européenne, et leurs accords politiques et commerciaux, avant de nous pencher sur le contenu même de l’Accord de partenariat stratégique. Ce dernier se divise de façon caractéristique entre dispositions essentielles et standards, et est pourvu, de façon exceptionnelle, d’un mécanisme de contrôle dans un cas fort précis. Enfin, deux entités administratives et politiques, chargées d’en suivre la mise en oeuvre et le bon fonctionnement, soit le Comité ministériel conjoint (CMC) et le Comité mixte consultatif (CCC), seront présentées dans le cadre de la seconde partie. En conclusion, nous reviendrons sur les avancées permises par le dialogue politique offert par l’accord, ainsi que celles qui peuvent être attendues lors des prochaines négociations de ce type d’instrument.

Si l’AECG est déterminé par son objectif de facilitation des relations économiques et globales, l’Accord de partenariat stratégique contient pour sa part un ensemble varié et hétéroclite de sujets, dans l’objet de créer un instrument de dialogue stratégique entre les parties, reflétant les valeurs fondamentales partagées[4]. Ainsi, se retrouvent groupés les droits humains, les préoccupations environnementales, le changement climatique et le développement durable, la migration, la cybercriminalité, la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, et contre le terrorisme, entre autres sujets. Chacun des thèmes visés par les dispositions individuelles fait ainsi l’objet d’accords internationaux, en vigueur ou tout au moins considérés, et par ailleurs référencés dans le corps du texte. On comprend ainsi qu’il s’agit avant tout d’un instrument politique, de dialogue et de stratégie, qui se veut d’une portée contraignante moindre. Si l’AECG est indubitablement d’une nouvelle génération, son jumeau méconnu l’APS suit fièrement dans la même lignée, élaborant ainsi sur les nouveaux domaines d’intérêts progressistes, tels que les changements climatiques, l’énergie propre, la sécurité internationale, la lutte contre le terrorisme, et la migration.

I. Le Canada et l’Union européenne : une longue histoire cristallisée dans l’Accord de partenariat stratégique

A. Considérations historiques des relations entre les parties

L’Accord de partenariat stratégique vient moderniser le premier accord signé entre les parties en 1976, l’Accord-cadre de coopération commerciale et économique[5]. D’une facture simple, cet accord ne comportait en effet que neuf articles, régissant la coopération commerciale (Article II) et économique (Article III), et inscrivant à son premier article la protection offerte par la clause de la nation la plus favorisée (Article I). Les articles restants de cet accord portaient sur la création du comité mixte de coopération (Article IV) pour suivre sa mise en oeuvre, ainsi que sur divers articles propres à l’administration de traitées (durée [Article VIII], relations avec les autres accords [Article V], application territoriale [Article VII]).

Plusieurs évolutions suivront ce premier accord, dans les relations entre le Canada et l’Union européenne. La Déclaration politique conjointe portant sur les relations des Communautés européennes avec le Canada est ainsi signée le 20 novembre 1990[6]. Celle-ci est suivie de la Déclaration politique et le plan d’action commun Canada-CE[7], le 17 décembre 1996, comme suite de la création de l’Union européenne et l’élargissement de ses compétences[8]. En 2004, enfin, la qualification de stratégique est utilisée pour la première fois pour décrire la relation entre les parties, par le biais de leur signature du Programme de partenariat Canada-UE[9].

Accord politique négocié en parallèle de l’AECG, enfin, les négociations officielles de l’Accord de partenariat stratégique sont donc ouvertes au Sommet de Prague, en 2009, dans la plus grande discrétion.

B. L’approche européenne des accords de partenariats stratégiques

Le modèle d’accord stratégique et politique provient de l’Union européenne. De valeur juridique volontairement limitée, il offre un instrument pour permettre aux parties d’exprimer leurs valeurs et positions sur des questions délicates[10]. Elle permet tout particulièrement de les soustraire aux négociations commerciales, et ainsi d’éviter que ces accords ne voient pas le jour en raison de divergences entre les parties sur ces questions sensibles. Ce faisant, le modèle dont fait usage l’Union européenne correspond aux valeurs européennes que l’on retrouve dans l’article 2 sur Traité de l’Union européenne[11].

C’est d’ailleurs lors de la négociation de l’accord avec la Corée du Sud que l’Union européenne a inscrit pour la première fois une disposition de nature contraignante[12]. Créant ainsi une disposition assortie de sanction, et faisant passerelle avec l’Accord de libre-échange entre l’Union européenne et la République de Corée auquel il est rattaché[13], l’effet est des plus fermes.

Ce mécanisme se retrouve ainsi dans l’APS, sous une version modifiée. Les négociateurs canadiens n’ayant pas l’habitude de négocier et accepter ce type d’accord, le compromis entre les deux parties a porté sur la partie exécutoire de l’accord. La disposition passerelle de l’APS ne permet ainsi aux parties que d’accéder à la dénonciation de l’AECG dans un seul cas — limité — au sens de l’article 28 (7) de l’APS qui fait jouer la procédure de dénonciation prévue à l’article 30.9 de l’AECG[14].

L’Union européenne et le Japon ont annoncé la signature le 17 juillet 2018 de l’Accord de partenariat stratégique, bien que le texte ne soit pas encore disponible, ainsi que de l’Accord de partenariat économique[15], titre officiel de l’accord de libre-échange entre les parties. Le texte de l’Accord de partenariat stratégique ayant fait l’objet de longues discussions, la partie japonaise ayant notamment accordé une grande valeur à cet accord politique, il est d’autant plus attendu pour constater son texte et les modifications apportées au modèle original depuis l’Accord cadre avec la Corée du Sud et l’APS. Ce sera l’occasion de constater les évolutions, modifications et compromis acceptés par les parties.

II. L’Accord de partenariat stratégique

A. Nature et portée de l’Accord de partenariat stratégique

1. Une innovation, dans un objectif de dialogue et de coopération

L’objectif premier de l’APS est l’établissement de dialogue et de coopération entre les parties. Il s’agit là des caractéristiques d’un accord politique, et non juridique. Il offre donc la possibilité d’inclure des enjeux variés, mais aussi de grande importance. On y traite donc de sujets en lien avec les valeurs européennes, allant de la paix et la sécurité internationales, à la lutte contre le terrorisme, les droits humains, la non-prolifération nucléaire, l’énergie propre et les changements climatiques, au développement durable et la migration. Pierre angulaire de la relation stratégique entre les deux parties, l’accord traite de questions de politiques étrangères connexes au commerce ou au secteur économique[16]. Il s’agit d’une relation approfondie, structurée et engageante politiquement.

Contrairement à l’AECG, l’APS est tout d’abord un accord politique. Qualifié d’accord de soft law, ou droit mou, il ne comporte en effet qu’une seule disposition obligatoire, assortie d’une sanction, et qui constitue en soi la plus grande innovation de cet accord. Il s’agit avant tout pour l’APS d’offrir un cadre pour les autres accords. On le constatera dans l’analyse spécifique des dispositions, comme dans la variété et la portée des domaines abordés.

Fondé en large partie sur le modèle d’accord de partenariat stratégique avec la Corée du Sud en date de 2010, il consiste désormais en un cadre pour les relations et dialogues, mettant l’emphase sur les valeurs et priorités communes des parties et leur mise en oeuvre.

Suite à la fin des négociations en septembre 2014, le texte de l’APS fut signé le 30 octobre 2016, et approuvé par le Parlement européen le 15 février 2017. Après son dépôt à la Chambre des communes du Parlement canadien au début de l'année 2017, le 1er avril 2017 a marqué le début de son application provisoire. Étant de compétence mixte (comme l’AECG), l’APS doit encore être ratifié par chaque État membre de l’Union européenne avant son entrée en vigueur.

2. Objet et effets des dispositions de l’APS

En instaurant une coopération internationale avec les acteurs clés et les organisations internationales, l’APS permet d’établir un instrument de dialogue par la mise en place d’un cadre institutionnel adapté et unique. L’objet de ce traité a par conséquent comme effet de séparer les questions politiques délicates de celles commerciales. De cette manière, l’APS offre une valeur symbolique en rassemblant les sujets politiques correspondants aux valeurs de l’Union européenne, tout en évitant de potentiels conflits ou antagonismes qui pourraient affecter les négociations commerciales. L’effet souhaité est ainsi de laisser libre champ à des négociations commerciales rapides, efficaces, accélérées et simplifiées.

Les valeurs de l’Union européenne étant inscrites au sein de l’APS, cela offre une plus grande flexibilité quant aux négociations commerciales. Il ne faut pas oublier qu’à l’opposition de l’AECG, ou de tout accord de libre-échange équivalent, qui prévoit tant des sanctions que des mécanismes de résolution des différends, l’APS demeure essentiellement un instrument de soft law, sans sanction ni valeur contraignante[17].

On peut enfin rappeler que l’Union européenne ne souhaite pas renégocier des dispositions retranscrivant ses valeurs. Pour ces mêmes raisons, un accord avec l’Australie ne fut pas signé en 1997, l’Australie souhaitant à l’époque négocier l’accord politique au-delà des valeurs européennes relatives aux droits humains[18]. Ainsi, les accords de libre-échange négociés par l’Union européenne se trouvant forcément doublés d’un accord stratégique, il serait inenvisageable pour la Commission de présenter seul un accord commercial pour accord par le Parlement européen — ce dernier ayant le pouvoir de refuser son adoption comme contraire à la politique en ce sens de l’Union européenne.

L’accord offre deux types de dispositions, essentielles et standards, la différence se situant dans la possibilité d’avoir recours à de réelles sanctions.

3. Des dispositions essentielles assorties d’un mécanisme de sanctions

L’APS ne comporte que deux articles considérés comme étant des dispositions essentielles. Il s’agit d’abord de l’article 2, portant sur le respect des droits de l’homme et en reconnaissant ainsi l’universalité, et qui demande la défense et la promotion des principes démocratiques, des droits de l’homme et des libertés fondamentales[19].

Ensuite, l’article 3 sur la lutte contre la prolifération des armes de destructions massives (ADM), par la collaboration, la prévention, la souscription à différents instruments internationaux et enfin par la tenue de réunion de haut niveau périodique portant sur la non-prolifération et le désarmement[20]. Les articles eux-mêmes indiquent qu’il s’agit de dispositions essentielles (art. 2 [1] et 3 [2]).

La particularité de ces dispositions essentielles est bien entendu la possibilité d’avoir recours à la sanction prévue par l’article 28 (7) — seule disposition juridique contraignante de l’accord.

4. Des dispositions standards qui ne sont liées à aucune sanction

Les dispositions standards, quant à elles, offrent un panorama des valeurs européennes et des questions politiques délicates au coeur des débats de l’actualité. Sont ainsi couverts les changements climatiques, l’énergie et la lutte contre la pauvreté (préambule, art. 12 Développement durable), les relations dans les enceintes multilatérales, régionales et internationales, Organisation du traité de l'Atlantique Nord, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (art. 8), la lutte contre la corruption ainsi que la criminalité organisée (art. 20), et le terrorisme international (art. 6), la promotion de la Cour pénale internationale (art. 5), de la sauvegarde de la paix (art. 7), et de la diversité culturelle (art. 16).

Il existe de nombreux exemples de partenariats dans lesquels ces objectifs communs en justice et affaires intérieures, sur la migration, la circulation de personnes, l’entraide judiciaire, le droit d’asile, l’échange de données sensibles pour lutter contre l’immigration illégale, le trafic de drogues et la cybercriminalité. Nous référons ici aux missions de gestion de crises civiles et militaires, comme la participation du Canada depuis 2005 à des missions de maintien de la paix, dans les territoires palestiniens, avec EUROPOL, ou en Ukraine et au Kosovo. D’autres illustrations de coopération sont le renforcement des forces policières dans les Balkans ou en Afghanistan, ou encore depuis 1999 dans le Grand Nord pour la recherche scientifique et développement durable[21]. Peuvent également être citées les missions d’observations électorales auxquelles ont participé les parties au Pakistan, en Tunisie et en Égypte en 2013 et 2014.

III. Les mécanismes de mise en oeuvre de l’Accord de partenariat stratégique

L’APS étant principalement un accord de droit souple, et donc sans sanction, il crée tout de même deux comités qui ont pour charge sa gestion. L’unique exception se trouve dans la disposition 28 qui permet, en cas de non-respect par une partie, de procéder à la dénonciation de l’accord, provoquant ainsi un effet suspensif à sa participation à l’AECG.

A. Les comités — gardiens de la mise en oeuvre de l’Accord de partenariat stratégique

1. Le Comité Ministériel Conjoint (CMC)

L’article 27 de l’APS crée ainsi deux mécanismes de consultations, en prévoyant le Comité ministériel conjoint (CMC, art. 27 [2]) ainsi que le Comité mixte conjoint (CCC, art. 27 [3]).

Le CMC agit comme l’instance ultime, et est présidé par le ministre canadien des Affaires étrangères et le haut représentant européen pour les affaires étrangères et la sécurité. Il impose la tenue d’un sommet annuel de haut niveau. Il reçoit du CCC un rapport précisant les recommandations relatives à son fonctionnement, aux possibilités de coopération futures et à la résolution des différends ayant surgi. Il s’agit donc d’un comité exécutif de haut niveau, chargé de trancher les questions présentées et le travail effectué par le CCC, incluant les questions politiques de haut niveau soumises comme ultime recours par le CCC.

Lors de sa première réunion le 4 décembre 2017, le CMC a émis une déclaration commune intitulée : L’UE et le Canada : un partenariat stratégique et dynamique[22]. Renouvelant ainsi sa souscription à leurs valeurs communes de démocratie, et leur engagement pour le multilatéralisme et l’ordre multilatéral, les parties ont ainsi résolu de prendre des mesures concrètes pour renforcer les relations bilatérales, accroître la coordination en termes de politique étrangère et relever les défis présents à l’échelle mondiale. Dans l’attente de recevoir le premier rapport du CMC à l’occasion de la réunion prévue en 2018, le CCC établit ainsi ses recommandations. Il met tout particulièrement l’emphase sur le côté progressiste de l’accord, qui suit directement les agendas canadiens et européens en termes de commerce.

2. Le Comité mixte consultatif (CCC)

Le CCC est pour sa part l’organe responsable des opérations et de la mise en oeuvre. Il a pour tâche d’établir les recommandations des priorités pour la coopération des parties, de suivre l’évolution de leur relation stratégique, d’assurer la discussion et les suggestions communes, de formuler des recommandations sur les moyens de réaliser des gains au chapitre de l'efficacité et des synergies entre les parties, et d’assurer le bon fonctionnement du présent accord. Pour ce faire, il prépare un rapport annuel à l’intention du CMC, rendu public par les parties[23].

Le CCC a tous pouvoirs pour régler les questions qui lui sont soumises et prendre les dispositions nécessaires. Il doit également former des sous-comités pour l’accomplissement de ses fonctions, et qui examinent les situations soulevées par les parties qui semblent poser problème.

Le CCC doit se réunir une fois par année, en alternance sur le territoire des parties. Il doit également tenir une réunion extraordinaire à la demande d’une partie, décide de son propre mandat (incluant la participation d’observateurs), est coprésidé par deux hauts fonctionnaires du Canada et de l’Union européenne et formé des représentants des parties. Enfin, il a le pouvoir de demander des rapports réguliers à toute entité similaire créée en vertu d’accord similaire entre les parties, afin d’assurer sa mission de suivi de la relation entre les parties.

C’est le 28 juin 2018 que le CCC a présenté son premier rapport annuel au CMC, tel que requis[24]. En plus de dresser le bilan des évènements tenus dans le cadre de l’APS, il rend compte de l’état de la relation entre les parties, en accord avec les valeurs dont l’APS fait la promotion.

B. Sanctions et mesures disponibles en cas d’atteinte aux obligations

C’est l’article 28 qui prévoit l'articulation des rapports entre le CCC et le CMC[25]. Une escalade des mesures est prévue dans le cas d’atteinte aux dispositions essentielles de l’APS. Cela peut donc laisser présumer que des mesures spécifiques ne sont pas disponibles dans le cas de violations aux dispositions standards. Il en est toutefois autrement. Dans l’esprit du premier alinéa de l’article 28, les parties peuvent prendre les mesures nécessaires à l’exécution de leurs obligations. De facture générale, les diverses mesures à la disposition des parties sont précisées aux alinéas suivants. Lorsqu’il s’agit ainsi de la mise en oeuvre ou de l’interprétation de l’accord, les parties sont invitées à tenter de trouver une solution à l’amiable, faute de quoi elles peuvent soumettre au CCC leur question pour examen et résolution. Le CCC doit donc, dans des délais raisonnables, soit par lui-même, soit en déléguant la question à un sous-comité, procéder à un examen approfondi des faits, pouvant inclure des avis d’experts ou des études scientifiques, pour résoudre la divergence (alinéa 2) [26].

L’APS ne comporte qu’une seule disposition obligatoire, assortie d’une sanction de taille. L’article 28, alinéas (3) à (7), offre ainsi aux parties la possibilité de procéder à la suspension et la dénonciation de l’accord. De surcroît, la dénonciation a un impact suspensif sur l’AECG, et a pour cette raison rendue ardue les négociations. La délégation canadienne était méfiante du pouvoir offert aux parties en raison de cette disposition et de l’effet total qu’elle pouvait avoir. Il s’agit de la conditionnalité politique voulue par les Européens. On retrouve une version similaire à cette disposition dans le précédent accord avec la Corée du Sud, et sa note interprétative, ayant servi de modèle[27]. Il faut toutefois noter que cette disposition ne peut être applicable que dans des cas limités. Ainsi, l’alinéa 3 prévoit que seule une « violation particulièrement grave et substantielle des obligations écrites à l’article 2, paragraphe 1, et à l’article 3, paragraphe 2, peut être considérée comme un cas d’urgence particulière[28] ».

Il s’agit des obligations en matière des droits de l’homme et contre la non-prolifération, obligations prévoyant des éléments essentiels de l’accord. L’article 2 (1) encadre la défense et la promotion des principes démocratiques, droits de l’homme et libertés fondamentales, et tout particulièrement

1. Le respect des principes démocratiques, des droits de l'homme et des libertés fondamentales inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans les traités et les autres instruments juridiquement contraignants internationaux existants en matière de droits de l'homme auxquels l'Union ou ses États membres et le Canada sont parties constitue le fondement des politiques nationales et internationales respectives des parties et constitue un élément essentiel du présent accord[29].

L’article 3 (2), pour sa part, reconnaît que

2. (…) les parties conviennent de collaborer et de contribuer à la prévention de la prolifération des ADM et de leurs vecteurs en observant et en mettant en oeuvre l'ensemble des obligations qui leur incombent au titre d'accords internationaux sur le désarmement et la non — prolifération et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. De plus, les parties continuent à collaborer, s'il y a lieu, dans la lutte contre la prolifération en participant aux régimes de contrôle des exportations auxquels elles sont toutes les deux parties. Les parties conviennent que la présente disposition constitue un élément essentiel du présent accord[30].

Dans les deux cas, il est prévu explicitement que ces éléments sont essentiels.

L’article 28 (3) définit également ce qui peut être considérée comme « une violation particulièrement grave et substantielle[31] », en allant jusqu’à offrir des exemples de situation potentielle, telle qu’« un coup d’État ou des crimes graves qui menacent la paix, la sécurité et le bien-être de la communauté internationale[32] » dans une situation qui par sa gravité et sa nature ont un caractère exceptionnel.

Lorsqu’une situation peut être qualifiée selon les stricts critères énoncés, l’alinéa 7 de l’article 28 offre la possibilité de dénoncer l’AECG par le biais de l’article 30.9 de ce même accord[33]. L’article 30.9 de l’AECG prévoit en effet la procédure d’extinction du traité, 180 jours après la présentation d’un avis formel à cet effet par les parties[34].

C’est donc l’article 60 (1) de la Convention de Vienne sur les traités qui permet la dénonciation tel que prévu à l’article 28 (7), disposition passerelle vers l’AECG et son article 30.9.

La sanction parait grave, mais semble du moins limitée en raison des paramètres extrêmement stricts entourant sa mise en oeuvre. Il est ainsi difficile d’imaginer une situation pouvant même être qualifiée comme telle, tant la sévérité des critères est limitante.

Alors que dans le modèle précédent de l’accord cadre de l’Union européenne avec la Corée du Sud, il s’agissait de la violation grave des obligations essentielles qui déclenchait les procédures pouvant mener à la suspension ou dénonciation, les conditions ont été durcies dans l’APS. Il sera intéressant de constater la survie de cet article, ou encore un durcissement des conditions.

***

L’APS est la version la plus récente d’un modèle amélioré. La version de l’accord politique avec le Japon devrait suivre le même principe, en raison de la première importance accordée à cet instrument par les négociateurs japonais. Si en effet, la délégation européenne a pour mandat de signer un accord politique en parallèle avec tout accord commercial, le niveau d’intérêt dans la négociation de ce document n’a jamais été aussi élevé que dans le cadre des négociations avec le Japon.

À l’origine présenté comme une simple refonte de l’accord originel de 1976, l’Accord de partenariat stratégique offre un véritable cadre de dialogue politique et de coopération, sur un ensemble de questions délicates. La particularité de la disposition passerelle et de son effet sur l’AECG demeure importante, bien qu’il semble difficile d’envisager sa mise en oeuvre. En somme, l’APS dans son ensemble miroite la minutie et le renouvèlement des dispositions détaillées de l’AECG. On y retrouve les valeurs communes aux parties, et ce tant en ce qui concerne les valeurs de l’Union européenne inscrites au TUE, mais également aux priorités indiquées par le gouvernement canadien. On ne saurait ainsi véritablement qualifier l’APS de jumeau méconnu, mais plutôt de parent, mentor ou guide, chargé de guider son protégé, l’AECG et de lui assurer son succès diplomatique. On peut ainsi sans crainte qualifier l’APS d’accord de nouvelle génération, suivant dans les pas du modèle offert par l’AECG.