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Les débats sur la lex mercatoria ont toujours été farouches. Les sommités du droit commercial international se sont questionnées[1] et continuent de se questionner[2] sur la nature, la validité, la cohérence et l’utilité de cet ensemble de règles qui trouvent parfois application dans les litiges résultant de contrats commerciaux internationaux. Du fait de l’accroissement continuel du volume des échanges internationaux, encore plus aujourd’hui et sûrement moins que demain, ces questionnements brûlent de pertinence[3].

Ce constat a conduit Saleha Hedaraly à entreprendre le présent travail scientifique. L’auteure est avocate, inscrite au Barreau du Québec, formée en droit civil et en common law et spécialisée en litiges civils et commerciaux. Elle est aussi chargée de cours à l’Université de Montréal. L’ouvrage est une version éditée et publiée de son mémoire de maîtrise, obtenue à l’Université de Montréal en 2012. Par une analyse comparative, elle y a effectué un diagnostic de la lex mercatoria de sorte à en promouvoir l’application par les tribunaux canadiens aux contrats commerciaux internationaux.

Pour l’auteure, la lex mercatoria est un réel ordre juridique. Cependant, elle ne nie pas qu’il soit, sinon sibyllin, à tout le moins épars. Voulant donc y remédier, elle soutient pour l’essentiel que la lex mercatoria peut être un ordre juridique cohérent et efficace si on l’appréhende de façon appropriée. C’est ainsi que le point focal de son travail consiste en une approche méthodologique de la lex mercatoria.

Selon elle, l’approche méthodologique de la lex mercatoria pourra rendre cette dernière plus compréhensible et plus prévisible. Aussi et surtout, cette approche permettra l’étude de l’interlégalité, c’est-à-dire du « croisement[4] » des sentences arbitrales de la Chambre de commerce internationale (CCI) et des décisions des tribunaux canadiens. En effet, puisque ces « deux systèmes juridiques différents coexistent et conservent chacun leur spécificité et leur contenu[5] », il importe de « chercher selon quels principes et par quels procédés on [pourrait parvenir] à les relier, les associer et les articuler[6] ». C’est en réconciliant ces points opposés que Saleha Hedaraly étend son travail sur quatre chapitres regroupés en deux parties égales.

Dans la première partie, elle traite des rapports qu’entretiennent arbitrage commercial international et lex mercatoria. Dans le premier chapitre qui s’avère descriptif, l’auteure dissèque l’arbitrage commercial international et les enjeux qui lui sont inhérents. Ce chapitre est d’un intérêt capital, car il en ressort que la lex mercatoria repose sur un socle qui est boiteux dans sa nature et son fonctionnement. En effet, l’arbitrage commercial international, composante essentielle du « context of elaboration of lex mercatoria[7] », connaît bien des déboires. D’une part, la légalité de l’arbitrage commercial international est discutée : celui-ci n’a jamais été[8] et n’est toujours pas unanimement reconnu[9] comme ordre juridique à part entière. D’autre part, comme en témoigne la jurisprudence de la CCI, les litiges commerciaux internationaux sont en majeure partie tranchés au moyen des droits nationaux[10], ce qui ne répond pas toujours aux besoins de la societas mercatorum. Toutefois, ces faits n’entament pas l’optimisme scientifique de l’auteure.

Pour preuve, dans le deuxième chapitre de la première partie, lequel est plutôt analytique, Saleha Hedaraly démontre que la lex mercatoria peut fournir des solutions juridiques cohérentes. Certes, en plus des faiblesses de l’arbitrage commercial international qui l’affectent, la lex mercatoria elle-même souffre de déformations théoriques[11] et conceptuelles[12]. Pour réconcilier toutes ces divergences, Saleha Hedaraly propose d’appréhender la lex mercatoria non par la diversité de son contenu, mais par le regroupement ou la classification de ses sources. Avec originalité, elle vient ainsi cristalliser une approche méthodologique de la lex mercatoria dont les prolégomènes[13] et le besoin[14] existaient déjà sous la plume de doctrinaires versés dans le débat. Concrètement, l’auteure décèle deux types distincts – mais interconnectés – de sources de la lex mercatoria : les sources de type statutaire et les sources de type jurisprudentiel[15]. La dimension statutaire de la lex mercatoria renvoie à sa forme écrite, qui est constituée par les règles matérielles contenues dans les instruments juridiques internationaux s’appliquant aux contrats commerciaux internationaux. Ce sont, en l’occurrence, la Convention des Nations unies sur les contrats de vente internationale de marchandises[16] et les Principes d’UNIDROIT[17] relatifs aux contrats commerciaux internationaux[18]. La dimension jurisprudentielle de la lex mercatoria renvoie quant à elle aux sentences rendues par les tribunaux arbitraux internationaux en matière de contrats commerciaux internationaux. À cet égard, l’étude se focalise sur les sentences rendues par la CCI.

C’est à partir de ce cadre conceptuel que, dans la deuxième partie de son travail, Saleha Hedaraly étudie l’articulation entre la lex mercatoria et le droit canadien. Dans un premier chapitre, elle se penche sur la réception de l’arbitrage commercial international et de la lex mercatoria – statutaire comme jurisprudentielle – dans le droit canadien. La réception de l’arbitrage commercial international dans le droit canadien ne fait aucun doute : les plus importantes conventions internationales qui ont contribué à son essor[19] ont été incorporées dans le droit québécois comme dans la common law canadienne. La lex mercatoria, par contre, est de réception inégale. Composite par nature, certains de ses éléments sont reçus, quoique différemment, dans l’ordre interne canadien alors que d’autres ne le sont pas[20]. Puisque l’influence des sentences arbitrales internationales sur le droit canadien n’avait pas encore été évaluée[21], c’est en partant de ce constat que l’auteure a effectué une telle étude dans le second chapitre de la deuxième partie de l’oeuvre.

Dans ce dernier mouvement de l’étude, Saleha Hedaraly cherche à savoir dans quelle mesure les tribunaux canadiens interprètent – identiquement ou différemment de la CCI – les règles issues de la lex mercatoria. L’analyse se limite aux notions de force majeure, de minimisation des dommages et de hardship. L’interprétation de ces trois concepts est évaluée respectivement dans le droit civil québécois, dans la common law canadienne, dans la lex mercatoria statutaire et dans la lex mercatoria jurisprudentielle avant d’être comparée.

En droit canadien comme dans la lex mercatoria, la force majeure et l’obligation de minimisation des dommages sont reconnues et interprétées de manière identique, ce qui pousse l’auteure à conclure que rien n’empêche les tribunaux canadiens de s’inspirer des sentences de la CCI quand vient le moment d’appliquer ces deux notions[22].

La situation est légèrement différente pour le hardship. Au Québec, à part des exceptions légales dans des contextes et cas précis, la notion a été formellement rejetée[23]. Au contraire, en common law canadienne et dans la lex mercatoria, elle est reconnue et interprétée similairement. Partant de cela, l’auteure déduit que même si la notion n’est pas généralement reconnue au Québec, le peu d’exceptions faites peut s’analyser comme une interprétation restrictive. Ceci est semblable à l’approche adoptée dans la lex mercatoria et dans la common law canadienne, d’où une communauté d’esprit. De ce fait, concernant le hardship, l’auteure parvient à la même conclusion que la précédente[24].

Somme toute, cette étude comparative a permis à Saleha Hedaraly de démontrer qu’il existe plus de similarités que de divergences entre le droit canadien et la lex mercatoria. L’auteure est aussi parvenue à démontrer qu’une approche méthodique de la lex mercatoria en permet la lisibilité. Ainsi, le caractère diffus de la lex mercatoria n’en altère pas la validité, la cohérence et l’utilité. Par conséquent, elle devrait avoir plus d’influence qu’elle n’en a actuellement – si elle en a – sur le droit canadien[25].

Cette étude reflète une démarche évolutive : l’auteure part des problèmes les plus généraux et les moins complexes avant d’aborder des questions plus spécifiques et plus exigeantes en termes de profondeur d’analyse. Ces analyses sont des plus méticuleuses et des plus claires, basées sur une légion de recherches documentaires. Ce faisant, ce manuel pourrait être très utile à tout juriste, actuel comme futur, qui voudrait s’initier au droit commercial international ou approfondir ses connaissances et réflexions.