Abstracts
Résumé
Qu’il s’agisse de la réalité augmentée ou de la réalité virtuelle, les technologies immersives vivent depuis quelques années une résurgence dont les remous se font sentir à travers l’ensemble des médias préexistants, du cinéma aux jeux vidéo, en passant par les arts vivants. Cet article se concentre sur une poignée d’opéras créés à un moment charnière de la formation des médias immersifs. Plus spécifiquement, l’article s’intéresse à l’expérience physique et spatiale de ces opéras immersifs : comment le corps des spectateur·rice·s – plutôt que celui des interprètes – est-il pris en compte dans ces expériences ?
Mots-clés :
- intermédialité,
- opéra,
- perspective,
- réalité étendue,
- remédiation
Abstract
Whether it’s augmented reality or virtual reality, immersive technologies have been experiencing a resurgence in recent years, the impact of which has been felt throughout all pre-existing media; from cinema to video games, by way of performing arts. This article focuses on a handful of operas created at a pivotal moment in the development of immersive media. More specifically, the article focuses on the physical and spatial experience of these immersive operas: How are the bodies of audience members—rather than those of performers—taken into account in these experiences?
Keywords:
- extended reality,
- intermediality,
- opera,
- perspective,
- remediation
Article body
« Opera is the original immersive medium ». C’est ce que Tom Nelson, producteur créatif du Royal Opera House de Londres, écrit dans un texte intitulé « Virtual Reality Opera—Saviour or Saboteur? » (Nelson 2016). Tel que je comprends ces propos, ce qui fait de l’opéra un médium immersif selon Nelson est le fait qu’il s’agit d’un spectacle où les outils propres à d’autres médias (le théâtre, la danse, le chant, etc.) unissent leurs forces afin de produire une expérience « plus grande que nature », ou encore, une expérience qui en « met plein la vue » (et l’ouïe !). En réalité, il semblerait que Nelson décrit plutôt l’intermédialité de l’opéra (Havelková 2021 ; Chapple et Kattenbelt 2006). De nos jours, en effet, le terme « immersif » est plus souvent utilisé pour décrire des dispositifs techniques qui ont pour fonction de générer le sentiment d’être plongé·e dans une réalité nouvelle. Qu’il s’agisse de la réalité augmentée ou de la réalité virtuelle (ci-après désignées par le terme plus englobant de « réalité étendue », ou xr, de l’anglais pour eXtended Reality), ces technologies immersives vivent depuis quelques années une résurgence dont les remous se font sentir à travers l’ensemble des médias préexistants, du cinéma aux jeux vidéo, en passant par les arts vivants. Une poignée d’opéras a également été produite pour ces technologies immersives. Or, la rencontre entre un médium au riche héritage formel et une technologie en pleine émergence oblige une adaptation de part et d’autre : comment l’opéra est-il affecté par le potentiel immersif des technologies xr ? Parallèlement, l’opéra influence-t-il le développement de ces nouvelles technologies ?
Cet article s’intéresse aux développements qui surviennent au moment clé de l’émergence d’un média. Cette étude passe d’abord par le concept de « double naissance » d’un média, originalement proposé par André Gaudreault et Philippe Marion (2000) pour décrire l’avènement du cinéma. Suivant ce modèle, je m’intéresse ici à ce que le vénérable médium de l’opéra contribue au média en construction de la réalité étendue et, inversement, à la manière dont les dispositifs immersifs proposent de nouveaux points de vue sur un corpus bien établi. Tout comme le cinéma des premiers temps était en fait un amalgame de pratiques artistiques diverses qui expérimentaient avec les capacités d’un nouvel appareil technique, les années depuis la renaissance des technologies immersives autour de 2012 ont été marquées par un esprit d’expérimentation et par une remédiation des médias préexistants[1]. Spécifiquement, c’est la question du point de vue du public qui me préoccupe dans les pages qui suivent. Contrairement aux oeuvres xr qui, en s’inscrivant dans le sillage du cinéma ou du jeu vidéo, héritent d’un langage formel déjà bien connu, comment les points de vue régis par la salle d’opéra ont-ils été traduits dans le passage vers l’opéra immersif ?
Alors que le cinéma et les jeux vidéo constituent actuellement des lignées généalogiques plus évidentes pour la xr contemporaine, le fait de s’intéresser à l’héritage que l’opéra pourrait lui léguer permet de découvrir d’autres aspects d’un médium en pleine construction et dont les propriétés n’ont pas encore été formellement institutionnalisées. Je propose notamment que les oeuvres immersives créées dans la veine opératique nous offrent une perspective originale sur la question de l’expérience spectatorielle en xr, à savoir qu’elle sera nécessairement différente selon que l’on parle d’oeuvres en réalité augmentée ou en réalité virtuelle et selon qu’elles aient été captées en prise de vues réelles ou qu’elles utilisent des images de synthèse. Je porte une attention particulière à l’expérience physique et spatiale qu’impliquent les différents dispositifs xr contemporains. Comment le corps des spectateur·rice·s – plutôt que celui des interprètes qui préoccupe certains des autres articles de ce numéro – est-il pris en compte dans ces expériences immersives ?
Pour mener à bien ce projet, je m’inspire tout d’abord du travail mené par Gaudreault et Marion sur le cinéma des premiers temps et, plus spécifiquement, sur l’intermédialité notoire de cette période. À la lumière de ce que ces auteurs appellent maillage intermédial, comment la xr contemporaine a-t-elle négocié sa relation aux médias préexistants ? Surtout, quelles affordances des différents dispositifs immersifs ont été empruntées par les opéras créés pour ce nouveau médium[2] ? Compte tenu du surplus d’attention dont le cinéma et le jeu vidéo ont bénéficié dans les récentes études des technologies immersives[3], cet article se concentre ultimement sur un corpus d’opéras créés depuis 2014 pour la réalité virtuelle et la réalité augmentée. Un survol de ces créations me permet notamment de présenter les grandes lignes de ce genre mineur dans la deuxième section de cet article[4]. L’objectif ici n’est pas de proposer que la xr vienne un jour remplacer l’opéra, ou même que l’opéra est le meilleur modèle à suivre pour concevoir l’identité médiatique la plus appropriée pour les technologies xr de demain. Mon but en abordant la xr contemporaine du point de vue de la pratique relativement méconnue qu’est l’opéra immersif est plutôt d’imposer une perspective nouvelle, laquelle pourrait s’avérer révélatrice en cette période d’émergence d’un médium dont on connaît encore mal les contours.
Un média nait toujours plusieurs fois… mais comment ?
Depuis le regain de popularité des technologies xr dans les années 2010, plusieurs ont remarqué que la xr d’aujourd’hui faisait écho à l’époque du cinéma des premiers temps. Dans l’introduction de son Hamlet on the Holodeck, Janet Murray remarque que : « the computer looks more each day like the movie camera of the 1890s: a truly revolutionary invention humankind is just on the verge of putting to use as a spellbinding storyteller » (Murray [1997]2016, p. 9). Pour sa part, William Uricchio rappelle que :
Just as film’s pioneers spent their first decade emulating theater, many of today’s vr makers are doing their best to emulate the logic of film. And just as early filmmakers finally shattered the proscenium arch and evolved new vocabularies, we can expect vr’s makers to find robust, exploration-based alternatives to the still-dominant film paradigm of carefully composed frames, editing strategies and fades to black.
Uricchio 2016
Ce que ces deux citations décrivent peut être expliqué en faisant appel au concept de double naissance du média, originalement introduit par Gaudreault et Marion pour repenser l’avènement du médium cinématographique. Ainsi, pour mieux comprendre la période actuelle d’émergence du média xr, de même que l’intermédialité qui la caractérise, un détour via le cinéma des premiers temps s’impose. Celui-ci me permettra d’anticiper certaines des conclusions que je proposerai par rapport aux liens entre opéra et technologies xr en fin d’article.
Originellement publiée en 2000 et plus récemment mise à jour dans l’ouvrage La fin du cinéma (Gaudreault et Marion 2013a), la notion de « double naissance » d’un média propose que le cinéma ne serait pas né tout d’un coup au moment de l’invention du dispositif technique « cinématographe » aux alentours de 1890-1895. Plutôt, l’avènement du média « cinéma » que nous connaissons aujourd’hui survient quelques années plus tard, au moment de son institutionnalisation vers 1910-1915 (ibid., p. 150). Gaudreault et Marion expliquent leur remise en question de l’invention-naissance du cinéma par l’entremise du changement de paradigme qui s’est produit dans les années 1910 lorsque le « cinéma d’attraction[5] », modèle dominant dans la première période du protomédia, a cédé sa place à un nouveau média, distinct en tous points de ceux qui l’ont précédé (théâtre, opéra, photographie, etc.).
Suivant ce modèle, il apparaît que la xr a déjà passé le stade d’une première naissance : celle de l’invention d’un dispositif technique, qu’il s’agisse de la réalité augmentée ou de la réalité virtuelle. Selon les sources ou même les définitions que l’on emprunte, cette invention remonte aux années 1960. Dans le contexte de cet article, il serait cependant plus pertinent de se concentrer sur la (re)naissance technologique qui survient dans les années 2010, soit avec le dévoilement de la première version du casque de réalité virtuelle Oculus vers 2012, suivi du lancement officiel des casques Oculus Rift et htc Vive en 2016. Or, le fait est qu’à ce jour la deuxième naissance décrite par Gaudreault et Marion ne s’est toujours pas produite pour les technologies immersives. Advenant que l’histoire du cinéma des premiers temps soit bel et bien appelée à se répéter avec la xr, que faut-il retenir du principe de double naissance conceptualisé par Gaudreault et Marion ?
Tout d’abord, il faut comprendre que l’« apparition d’un procédé technologique » ne donne pas nécessairement lieu à l’« avènement d’une institution technologique » (Gaudreault et Marion 2000, p. 24). Comme les auteurs l’indiquent clairement, « les changements de paradigme ne sont pas nécessairement synchrones avec l’invention de nouveaux procédés et la disponibilité subite d’une nouvelle technologie ne révolutionne pas nécessairement la culture ambiante, ni les comportements et agissements des divers agents culturels qui s’en emparent » (Gaudreault et Marion 2013a, p. 152). Cette leçon est particulièrement applicable au contexte de la xr, un ensemble de technologies dont l’invention remonte aux années 1960 (selon les sources), mais qui ne se sont toujours pas concrétisées en un médium artistique aux contours bien définis. C’est là où la seconde leçon prend tout son sens. Dans le contexte du cinéma des premiers temps, Gaudreault et Marion expliquent que : « Les médias naissants sont réputés faire leurs premières armes en reproduisant de manière assez servile les autres médias, dont ils seraient plus ou moins les dérivés » (ibid.). Cette description fait écho au concept de « remédiation » introduit par Jay David Bolter et Richard Grusin (1999), mais surtout aux notions afférentes d’« immédiateté » et d’« hypermédiateté », lesquelles décrivent la façon dont un nouveau média intègre ceux qui l’ont précédé. Tereza Havelková se sert notamment de ce dernier afin de définir des opéras – comme l’épique Anneau du Nibelung de Robert Lepage au Metropolitan Opera (2012-2013) – qui font des technologies audiovisuelles une partie intégrante de leur mise en scène. Alors que l’immédiateté désigne une remédiation « transparente » qui cherche à masquer l’intégration des médias préexistants, l’hypermédiateté se démarque par son caractère ostentatoire. C’est ce qui pousse Havelková à proposer que l’opéra s’inscrive dans « la généalogie de l’hypermédiateté[6] » (Havelková 2021, p. 9 ; ma trad.).
Le fait qu’une technologie nouvellement inventée soit initialement utilisée pour augmenter les capacités de médias préexistants peut sembler d’une évidence dans le contexte de cette étude des opéras créés pour les dispositifs xr. Or, la nature de cette relation d’échange intermédial mérite d’être approfondie. L’une des leçons les plus importantes que nous puissions tirer de la période d’émergence du cinéma des premiers temps découle de son interaction avec les formations médiatiques qui l’ont précédé (Gaudreault et Marion 2013a, p. 160-161). Dans le cas du cinéma des premiers temps, plusieurs ont démontré que la caméra cinématographique ne servait pas qu’à produire des « photographies en mouvement ». Elle était plutôt soumise à une série d’échanges intermédiaux, empruntant à tout un éventail de pratiques préexistantes : théâtre, fééries, lanternes magiques, etc. (Gaudreault, Dulac et Hidalgo 2012, p. 6). Ou encore, comme Gaudreault et Marion l’écrivent ailleurs : « Ce que l’on nomme encore couramment “cinéma des premiers temps” est en fait une sorte de “bric-à-brac” d’autres formes expressives » (Gaudreault et Marion 2013a, p. 151).
Inversement, toute une variété de séries culturelles s’est intéressée au nouvel outil qu’était la caméra et à ce que ses capacités techniques propres (soit l’enregistrement-reproduction du mouvement) permettaient de faire. Notamment, l’opéra s’est également prêté au jeu. Selon Marcia Citron : « Opera and film have enjoyed a fruitful and fascinating relationship since the beginning of cinema. In the early years opera helped legitimize film by injecting cultural cachet into the mass medium » (Citron 2014, p. 44). Dans l’entrée du New Grove Dictionary of Opera dédiée au cinéma, Richard Evidon fournit quelques preuves de cette collaboration. Ce dernier cite plusieurs exemples, dont de nombreux films de Georges Méliès tirés du corpus opératique : Faust aux enfers (1903), inspiré de l’oeuvre d’Hector Berlioz, suivie d’une adaptation de l’opéra de Charles Gounod intitulée La damnation du Docteur Faust (1904 ; figure 1) et d’une version du Barbier de Séville la même année (Evidon 1992, p. 195). Pour sa part, Rose Theresa (2002, p. 14) remonte encore plus loin et montre que déjà au xixe siècle Méliès avait produit quelques vues inspirées du Faust de Gounod[7], soit Faust et Marguerite (1897) et Damnation de Faust (1898).
Bien qu’ils soient marqués par le même type de cadrage frontal et statique propre à bien des vues du cinéma des premiers temps, ces films-opéras présentent déjà quelques éléments qui méritent d’être considérés pour leur impact sur l’expérience spectatorielle[8]. Dans le contexte de cet article, c’est la relation imposée par la caméra sur le public et les interprètes qui m’intéresse. Spécifiquement, la position de l’appareil de prise de vues par rapport à l’action semble représenter la position idéale au sein du public. Celle-ci serait d’ailleurs impossible à obtenir dans une salle conventionnelle : l’oeil de la caméra est au même niveau que la scène (ni plus bas comme au parterre, ni plus haut comme au balcon) et, surtout, il est relativement proche de l’action. Cela donne un accès inégalé aux personnages et aux décors. Cette position s’inscrit dans le sillage de l’immédiateté en cherchant à offrir un point de vue « idéal » qui viendrait nous donner un accès total à l’oeuvre, sans médiation apparente[9].
Alors que des opéras ont continué d’être produits sous la forme de vues cinématographiques dans les années qui ont suivi, la période des années 1910 fut également marquée par l’avènement du média que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de cinéma. Autrement dit, il se produit à cette époque une « affirmation identitaire […], une reconnaissance institutionnelle, et une amélioration décisive des ressources économiques de production » (Gaudreault et Marion 2000, p. 35) qui annoncent l’émancipation du cinéma, dès lors considéré comme un médium artistique à part entière. En découlent nécessairement certaines tensions entre les parties prenantes de chaque média. Celles-ci se résument à une incompatibilité que certain·e·s perçoivent alors entre les capacités formelles du cinéma et les propriétés dramatiques de l’opéra. Par exemple, Martin Marks explique que le cinéma, du moins à son époque muette, « robs such a work of its dramatic essence » (Marks 1997, p. 42), alors que Siegfried Kracauer déclare : « The world of opera is built upon premises which radically defy those of the cinematic approach… Opera on the screen is a collision of two worlds detrimental to either » (cité dans Joe et Theresa 2002, p. ix).
L’un des facteurs à l’origine du conflit provient du développement du langage cinématographique, notamment en ce qui concerne la mobilisation de l’appareil de prise de vue. Contrairement aux premiers films, dont Kevin Stephens nous dit en raison de la fixité de la caméra et de leur mise en scène théâtrale qu’ils « s’apparentaient au point de vue unique d’un membre du public assis dans un théâtre[10] » (Stephens 2014, p. 151 ; ma trad.), la mobilité de la caméra devient un outil particulièrement cher aux cinéastes à partir des années 1910-1920. Par exemple, bien qu’il s’agisse d’exemples beaucoup plus récents, les opéras filmiques réalisés par Jean-Pierre Ponnelle (Madama Butterfly, 1974 ; Le nozze di Figaro, 1976 ; Rigoletto, 1982, etc.) sont le fruit d’une exploration du potentiel que recèlent les techniques cinématographiques pour la mise en scène d’un opéra. Ponnelle montre un intérêt particulier pour le mouvement de caméra : « To me, the language of the camera is like added lines in the score » (cité dans Citron 2005, p. 206). Ou encore : « The camera lets me show things I can’t show on a stage. On the stage I’m tied down [by a different set in each act]. In a film I can move about’ » (Ponnelle cité dans Evidon 1992, p. 199). Grâce aux techniques cinématographiques, Ponnelle développe une nouvelle manière de faire de l’opéra, un style dont Citron (2005) nous dit qu’il est plus « subjectif ». Cette subjectivité, il faut la comprendre comme découlant d’une utilisation des outils propres au langage cinématographique : mouvement de caméra, voix off (ce que Citron appelle « chant intérieur » [interior singing]), mais aussi les différents points de vue offerts par le placement de l’appareil de prise de vues.
Or, les mouvements de caméra font polémiques quand ils viennent s’immiscer dans les codes dramatiques de l’opéra. Par exemple, Gaudreault répertorie certaines critiques à cet égard dans son article sur les opéras filmés pour une retransmission dans les salles de cinéma, notamment dans le cadre du programme The Met. Live in hd. La plupart de ces critiques viennent de Christophe Huss, chroniqueur spécialisé en musique classique pour le journal québécois Le Devoir, selon qui les cinéastes responsables de ces captations « s’emploient à massacrer l’opéra », et ce, « à coup de montages hystériques [...], de travelling nerveux et de contre-plongées impossibles » (cité dans Gaudreault 2014, p. 294). Dans un autre texte dédié à la rencontre entre opéra et cinéma, Gaudreault et Marion se concentrent sur la proximité permise par le gros plan cinématographique et son impact sur notre rapport au visage des chanteur·euse·s. Les auteurs soulignent que le gros plan a longtemps été critiqué par les puristes des arts lyriques, dont Émile Vuillermoz qui, déjà en 1930, déconseillait de tourner les interprètes musicaux·ales de trop près, soulignant que cela risquerait de révéler le travail laborieux et « organique » du chant (cité dans Gaudreault et Marion 2019, p. 61). Havelková souligne le même enjeu de proximité quand elle décrit le risque d’« exposer la technologie corporelle du chant[11] », évoquant ce que Melina Esse (2010, p. 81) appelle le « tongue-and-teeth problem », symptomatique de la transformation de l’opéra dans l’oeil de la caméra (Havelková 2021, p. 17 ; ma trad.).
Ce qui ressort de ces commentaires – comme de bien d’autres recensés par Gaudreault et Marion dans leur article intitulé « The Sublime Spittle of the Opera Singer » –, c’est l’impression que l’une des particularités de l’opéra est la distance minimale qu’elle suppose entre le public et les interprètes. Cette remarque qui peut paraître évidente compte tenu de la capacité des chanteur·euse·s d’opéra à projeter leur voix sans amplification est cependant chamboulée par l’arrivée des caméras et de leur capacité à offrir de multiples points de vue à divers degrés de proximité[12]. Cela soulève un enjeu auquel le médium de l’opéra seul n’est jamais confronté : la transformation des rapports corps-contenu aux mains des différents points de vue rendus possibles par la caméra.
L’essentiel du débat pour ou contre le maillage entre opéra et cinéma se résume donc à un désaccord entre les partis qui croient que le cinéma devrait s’en tenir à « capter-restituer un opéra en direct ou, plus simplement, de le médiatiser cinématographiquement » (Gaudreault 2014, p. 295) et ceux qui, comme Ponnelle, souhaitent utiliser les affordances du médium cinématographique pour produire quelque chose de nouveau ; ni tout à fait de l’opéra, ni simplement du cinéma, mais bien une fusion qui produirait quelque chose de plus que la somme de ses parts. C’est pourquoi, en cherchant à résumer cette polémique, Gaudreault propose la distinction entre opéra filmé et opéra filmique (ibid., p. 295). Pour le dire autrement, c’est l’opposition que Havelková (2021) soulève entre la transparence propre à l’immédiateté et l’opacité caractéristique de l’hypermédiateté, tel que les ont définis Bolter et Grusin (1999).
La distinction entre opéra filmé et opéra filmique s’avère cruciale pour comprendre la relation entre opéra et technologies xr contemporaines. Surtout, si la question du point de vue de la caméra se pose dans la rencontre de l’opéra et du cinéma, le passage aux technologies xr oblige à penser aussi le point de vue du public. Comment l’implication du corps du public en xr influence-t-elle notre rapport au corps des interprètes à l’écran ?
Opéras xr : technologies et affordances
Si, comme l’affirment Gaudreault et Marion, « a medium’s first years of life, before it takes on a conscious identity, are decisive and shape it once it has “grown up” » (Gaudreaultet Marion 2013b, p. 159), il incombe à cette étape de creuser la question des généalogies qui façonnent actuellement la xr. Et bien que le cinéma, le jeu vidéo et même le théâtre immersif constituent aujourd’hui les sources d’influences les plus évidentes pour le médium xr – en témoigne la pléthore d’expériences découlant de ces genres, disponibles sur les plateformes de distribution dominantes –, une simple recherche démontre que l’opéra aussi ne s’est pas gêné de faire son propre usage des nouvelles technologies immersives. Or, pour bien comprendre la relation entre de nouveaux dispositifs techniques et un média préexistant, encore faut-il connaître les capacités des outils. Dans le contexte du cinéma des premiers temps, Gaudreault et Marion (2013a) indiquent que c’est la capacité d’enregistrement et de reproduction du mouvement des premières caméras que tant de pratiques artistiques se sont empressées d’adopter. Quelles sont donc les capacités propres de chacune des technologies immersives auxquelles l’opéra s’est arrimé jusqu’à maintenant ?
Dans les pages qui suivent, je commence par un survol des technologies dominantes dans le domaine de la réalité étendue, soit la réalité augmentée (ra), la réalité virtuelle en prise de vues réelles (vidéo 360°), ou encore la réalité virtuelle en images de synthèse (rv), chacune illustrée par des opéras qui en ont fait usage. Certaines des oeuvres ici recensées relèvent principalement de la captation et de la retransmission d’un opéra traditionnel vers une nouvelle plateforme, qu’il s’agisse de téléphones intelligents dans le cadre de la réalité augmentée ou du visiocasque dans le contexte de la réalité virtuelle. Elles sont le pendant immersif des « opéras filmés ». D’autres s’intéressent cependant aux affordances des technologies immersives et cherchent à défricher le terrain de ce que serait un opéra proprement immersif ; l’équivalent de l’« opéra filmique ». Ce sont ces dernières qui m’intéresseront le plus dans la dernière section de cet article.
Réalité augmentée
Projet AR-ia (2019) est une initiative de Google Creative Lab pour Opera Queensland. Le projet propose aux utilisateur·rice·s de faire apparaître des interprètes – captés grâce au processus de capture volumétrique – qui chantent un morceau de La flûte enchantée (1791). La capture volumétrique permet de numériser une performance en trois dimensions grâce à un ensemble de caméras placées tout autour d’un·e interprète. Les différents angles de vue ainsi captés sont alors recombinés de sorte à construire un avatar tridimensionnel photoréaliste du chanteur. Finalement, le modèle 3D peut apparaître « devant soi » grâce à la réalité augmentée à travers un téléphone intelligent. Cette expérience de recherche et développement fut présentée au douzième congrès siggraph à Brisbane, mais ne bénéficia pas d’une plus large distribution. Elle tombe dans le camp de la retransmission : des interprètes capté·e·s lors d’une performance dans un studio sont transposé·e·s hors de la scène grâce à la réalité augmentée, visibles à travers un téléphone intelligent.
Deux autres oeuvres proposent une approche distincte qui nous permet de voir les germes d’un usage plus novateur de la réalité augmentée pour l’opéra. En 2019, le Welsh National Opera proposait une expérience immersive intitulée A Vixen’s Tale, inspirée de l’opéra La Petite Renarde rusée (Příhody lišky Bystroušky) de Leoš Janáček. Téléphone intelligent en main et casque d’écoute sur la tête, le public était invité à parcourir un décor de forêt enchantée dans laquelle la petite renarde et d’autres créatures du récit apparaissaient grâce à la réalité augmentée. Finalement, Iago.The Green Eyed Monster (Josh Nelson Youssef et Mary Chieffo, 2022) est un opéra rock qui raconte une version réimaginée d’Othello, du point de vue de l’antagoniste, Iago. Le numéro musical original se déroule dans un décor miniature qui s’étale devant l’utilisateur·rice, qui peut choisir son point de vue sur l’action. Contrairement à AR-ia, l’expérience n’est pas ici incrustée dans l’espace réel de l’utilisateur·rice. Une fois l’application lancée, le décor apparaît au sein d’un espace totalement noir. Cela invite une attention plus soutenue sur l’histoire, laquelle risque moins de se voir interrompre par une juxtaposition au monde réel. Plus particulièrement, la possibilité de changer son point de vue sur l’action dans ses différentes expériences de réalité augmentée, particulière visible dans Iago, est un facteur crucial de ces oeuvres. J’y reviendrai dans les pages qui suivent.
Vidéo 360°
On retrouve la majorité des opéras immersifs dans la catégorie des expériences captées en prise de vues réelles. Autrement dit, il s’agit de vidéos qui donnent accès à une vue panoramique à 360°, qui place l’individu au coeur d’une performance. Celles-ci sont produites grâce à une caméra spéciale qui dispose de plusieurs lentilles qui permettent de capter ce qui se passe tout autour de la position centrale occupée par l’appareil de prise de vue[13]. Dans la vidéo Join the Royal Opera Chorus in 360° (Adam May, 2016), la caméra 360° Jaunt One est placée au sein du choeur lors d’une prestation du numéro « Va pensiero », tiré du troisième acte du Nabucco (1842) de Verdi[14]. Le groupe Opera on Tap offre un point de vue similaire dans sa production originale The Parksville Murders (2016) en plaçant la caméra au coeur de sa mise en scène. Pour sa part, la vidéo réalisée par Daniel Moshel pour le Bayerische Staatsoper de Munich en 2018, intitulée V-Aria, suit le même modèle en présentant des vues à 360° de musicien·ne·s et de chanteur·euse·s au rythme de L’Élixir d’amour (1832) de Donizetti. Enfin, Tosca (Christopher Lane, 2020) continue dans cette lancée avec sa mise en scène à 360° de 15 minutes de l’acte 1 de l’opéra de Puccini.
Tous ces opéras en vidéo 360° partent du principe de « capter-restituer un opéra en direct » (Gaudreault 2014, p. 295), mais nous verrons dans la dernière partie de cet article comment certains exemples jouent avec les propriétés formelles de la xr afin de tenter de produire des opéras proprement immersifs.
Réalité virtuelle
La troisième et dernière catégorie d’opéras immersifs contemporains concerne les expériences de réalité virtuelle créées en images de synthèse. Celles-ci délaissent le point de vue fixe et le réalisme associés aux vidéos 360° précédemment citées en faveur d’une esthétique qui rappelle plutôt le cinéma d’animation ou le jeu vidéo. Ces expériences sont généralement créées à l’aide de moteurs de jeux vidéo, soit des logiciels qui permettent de construire des décors, d’y disposer des personnages et d’y placer une caméra virtuelle, laquelle est habituellement arrimée à la position du casque de réalité virtuelle. Autrement dit, c’est la tête de l’utilisateur·rice qui contrôle la caméra. Et bien que les vidéos 360° susmentionnées permettaient une exploration visuelle de l’espace à partir de la position fixe qu’occupait la caméra lors du tournage, ici le fait d’être dans un environnement virtuel permet aussi de se déplacer dans l’espace ; devant, derrière et même tout autour des personnages.
Magic Butterfly est une cocréation de rewindvr et du Welsh National Opera datée de 2017-2018. L’expérience de réalité virtuelle utilise la capture de mouvement et l’animation en image de synthèse pour mettre en scène deux extraits, le premier de La flûte enchantée et le second de Madame Butterfly (1904). Due pour être lancée en 2020, en pleine pandémie de covid-19, Current, Rising (2021) et un opéra original, inspiré par La tempête (1623) de Shakespeare et réalisé par l’artiste vidéo Netia Jones. Contrairement au casque Google Daydream utilisé par Magic Butterfly, Current, Rising utilise un ensemble de casques hp Reverb branchés à un ordinateur porté sur le dos, ce qui permet à quatre participant·e·s de se déplacer physiquement au sein de l’oeuvre. Depuis 2021, le studio canadien re:Naissance Opera travaille sur le projet Orpheus vr. Originalement conçu comme une expérience de réalité virtuelle, le projet a été présenté également sous forme épisodique sur YouTube dans la série Live from the Underworld (Debi Wong & Omari Newton, 2022). Deux épisodes ont été diffusés jusqu’à maintenant, soit Eurydice’s Descent et Eurydice’s Calling. Le projet a pour particularité d’utiliser à la fois de la capture de performance et de la capture de mouvement, ce qui permet à deux performances (celle de la chanteuse Mireille Asselin et de la chorégraphe et danseuse Erika Mitsuhashi) d’être fusionnées au moment de la diffusion[15].
L’expérience spectatorielle mise en place par ces dernières oeuvres de réalité virtuelle soulève plusieurs enjeux, notamment en ce qui concerne la perspective du public, mais aussi l’implication corporelle qu’elle implique. Si les concepts de mouvement de caméra et de gros plan nous permettent de parler de ce qui se passe quand l’opéra rencontre le langage cinématographique, comment peut-on décrire ce qui se produit quand c’est le corps de l’utilisateur·rice qui contrôle la caméra ?
Une question de perspective
Alors que le cinéma et le jeu vidéo ont intégré depuis longtemps les règles liées aux jeux de points de vue, le passage aux technologies xr a forcé les artistes provenant de ces domaines à délaisser leurs acquis et apprendre les codes propres aux dispositifs immersifs contemporains. Pendant ce temps, la question de point de vue ne se pose pas de la même manière dans l’opéra, le théâtre, le ballet ou les arts de la scène en général. La disposition d’une salle de spectacle traditionnelle impose une perspective nécessairement frontale au public. Selon Peter Boenisch, cela viendrait notamment de l’adoption des techniques de perspective par le théâtre au xve siècle, moment à partir duquel « the basic spatial arrangement of theatre reflected conventions of how to see and how to imagine (the) world: as a framed picture, from a ‘natural’ point of view—as silent, scientific, distanced observer » (Boenisch 2006, p. 111). Cette distance se fait ressentir également dans la façon dont Christopher Morris décrit les corps sur scène : « In the theatre, live performers are often perceived merely as distant bodies, their more subtle gestures often lost, their faces meaningfully visible only thanks to theatrical make-up » (Morris 2012, p. 111)[16]. Finalement, c’est Caitlin Vincent qui insiste le mieux sur l’enjeu quand elle écrit : « This is particularly evident in genres like opera that uphold the primacy of the proscenium stage, in which the spectator is visually engaged but physically detached from the world of the narrative » (Vincent 2021, p. 26). Bien sûr, la taille et la disposition des salles impliquent qu’il n’existe pas un seul point de vue ; des gens assis au parterre ou au balcon auront des points de vue différents, que ce soit en termes de proximité ou d’angle de vue. Par ailleurs, Gaudreault et Marion (2019, p. 67-68) ont également souligné le rôle joué par les lunettes d’opéra, lesquelles permettent au public de modifier leur point de vue en se rapprochant virtuellement de la scène. Or, il s’agit là de différences de degré, pas de nature.
Dans le cadre d’un opéra traditionnel présenté en salle, le public fait face à la scène et, inversement, la mise en scène est orientée vers la salle. Pour Havelková, c’est là où les technologies audiovisuelles jouent un rôle important, et ce, car elles « defamiliarize the theatrical perspective and bring things closer than is customary in the opera house » (Havelková 2021, p. 17). La relation est chamboulée de nouveau dans le contexte de technologies xr qui, comme le remarquent plusieurs textes sur les opéras immersifs, ont la particularité de placer le public « au centre de l’action » (voir Nelson 2016 ; Simeonov 2016 ; Gasselseder et Kallionpää 2019, p. 409). Autrement dit, comprendre ce que les affordances des dispositifs xr permettent aux productions opératiques nécessite de se pencher sur la question du point de vue du public. Cela revient à poser la question de l’expérience spectatorielle, particulièrement en ce qui a trait à la relation entre le corps des spectateur·rice·s et le contenu virtuel qui leur est offert.
En guise d’entrée en matière, je propose d’abord un détour via deux oeuvres d’art contemporain signées par Janet Cardiff et George Bures Miller, soit The Forty Part Motet (2001 ; figure 2) et Opera for a Small Room (2005 ; figure 3)[17]. L’arrangement corps-contenu de ces deux oeuvres me servira de modèle pour analyser les conditions de l’expérience spectatorielle proposée par les opéras xr susmentionnés. Dans Forty Part Motet, Cardiff dispose 40 haut-parleurs autour d’un espace, formant un ovale au centre duquel les membres du public sont invité·e·s à se déplacer pour entendre chacune des 40 voix individuellement enregistrées pour offrir une version remaniée du Spem in Alium (1570) de Thomas Tallis. Cardiff explique le raisonnement derrière cet arrangement spatial : « While listening to a concert you are normally seated in front of the choir, in traditional audience position. With this piece I want the audience to be able to experience a piece of music from the viewpoint of the singers » (citée dans Cardiff et Miller 2023). Contrairement au concert ou à l’opéra, la position du public dans Forty Part Motet est au centre d’une expérience sonore qui l’entoure. La relation corps-contenu est donc marquée par un rapport centre-périphérie : le corps occupe une place centrale en périphérie de laquelle les sons émanent. Plus encore, le déplacement du corps au sein de l’espace joue un rôle constitutif dans l’appréciation individuelle de l’oeuvre : chaque visiteur·euse entendra un arrangement distinct du morceau selon sa position et son orientation physique dans l’espace.
La relation est inversée dans Opera for a Small Room. Cette installation prend la forme d’une structure en bois qui représente une cabine dans l’Ouest canadien où le personnage, R. Dennehy, a amassé une collection de disques d’opéra, dont certains airs jouent sur 24 haut-parleurs disposés à travers l’espace. La pièce, installée telle qu’elle l’est au centre d’une galerie, est ponctuée par des ouvertures (fenêtres, un trou dans le mur, etc.) à travers lesquelles les visiteur·euse·s de la galerie arrivent à observer la scénographie, entendre les extraits musicaux et deviner les déplacements du personnage fantomatique. La relation corps-contenu proposée ici relève donc d’une mise en scène centrale autour de laquelle le public est invité à graviter. Encore ici, le fait de se déplacer autour de l’oeuvre aura pour effet d’influencer l’appréciation individuelle de l’oeuvre, selon qu’on arrive à voir ou à entendre tout ce qui se passe dans un cube presque entièrement fermé. Or, contrairement à Forty Part Motet, Opera for a Small Room dispose d’une relation optimale, à savoir qu’il faut s’orienter « vers l’intérieur », sans quoi on ne verrait rien.
Telles deux faces d’une même médaille, ces oeuvres présentent chacune un paradigme différent pour penser l’organisation des corps au sein d’une expérience : l’égocentrisme et l’exocentrisme. Dans leur guide introductif à la réalité virtuelle, William Sherman et Alan Craig expliquent que ces deux termes représentent des cadres de références pour décrire différentes façons de voir le monde et d’y naviguer, selon qu’on aborde la question du point de vue de l’individu ou du monde. Autrement dit, pour emprunter les termes plus communément de nos jours utilisés dans le contexte de jeux vidéo, il s’agit de la distinction entre un point de vue à la première ou à la troisième personne. « In an egocentric frame of reference, our viewpoint changes as we move through a space » (Sherman et Craig 2003, p. 296). À l’inverse, le terme exocentrique fait référence à un point de vue externe : un globe terrestre constituerait ici le parfait d’exemple d’une relation exocentrique. Si pour Sherman et Craig ces termes servent à décrire différents cadres de référence dans le contexte d’interfaces humain-machine (système de navigation, téléopération, etc.), je propose ici de les emprunter pour décrire deux paradigmes de relation corps-contenu dans les expériences immersives, selon qu’une oeuvre place l’individu au centre de l’action (égocentrique, comme dans Forty Part Motet) ou à l’extérieur de l’action (exocentrique, comme dans Opera for a Small Room). Ces deux modèles sont des bons points de départ pour penser l’expérience spectatorielle offerte par les opéras immersifs susmentionnés.
Points de vue sur l’opéra xr
Équipés de ces nouveaux concepts, que pouvons-nous dire de nouveau sur les oeuvres opératiques créées grâce aux différentes technologies xr ? Surtout, ces concepts sont-ils adéquats pour décrire ce qui se produit dans le cadre d’une expérience xr opératique ?
Vidéo 360°
Tout d’abord, force est d’admettre que les oeuvres de rv captées en prise de vues réelles imposent une perspective égocentrique au public : un point de vue central autour duquel des images d’un monde virtuel sont projetées. Cela explique pourquoi tant de gens qui ont écrit ou parlé d’opéra en réalité virtuelle disent mettre l’utilisateur·rice au centre de l’expérience. Par exemple, dans une entrevue autour du projet The Parksville Murders, cari ann shim sham* explique que « la réalité virtuelle est une technologie qui plonge le public dans l’expérience d’un film », qu’elle le place « au milieu de la pièce où l’action se déroule[18] » (citée dans Simeonov 2016 ; ma trad.). Bien que Tom Nelson dise du projet Join the Royal Opera Chorus qu’il avait pour objectif « de raconter une histoire d’un point de vue captivant qui place le spectateur sur notre scène aux côtés du choeur[19] » (Nelson 2016 ; ma trad.), les images montrent que le point de vue occupe une position centrale ; en plein coeur du choeur. Cela dit, certaines oeuvres poussent cette perspective égocentrique jusqu’à son paroxysme. À plusieurs moments au long de la vidéo V-Aria, des interprètes sont organisé·e·s autour du point de vue central du public, face à ce dernier. Selon qu’on regarde devant, à gauche, à droite ou derrière soi, différents détails sont visibles.
En termes d’expérience, la perspective égocentrique implique que les spectateur·rice·s peuvent regarder tout autour, ce qui requiert de penser la mise en scène en conséquence. Généralement, la captation 360° n’est pas utilisée pour simplement capter et retransmettre une pièce qui aurait été mise en scène de manière traditionnelle, tel qu’on aurait pu la voir à partir de la salle. Par exemple, Join the Chorus et V-Aria utilisent cette perspective pour permettre au public de jeter un coup d’oeil dans les coulisses d’un grand opéra. En revanche, dans Tosca, la mise en scène de Christopher Lane est plutôt pensée de sorte à encourager une exploration visuelle qui peut servir à suivre le mouvement des personnages, entre autres choses. La mise en scène fait en sorte qu’il faut souvent se réorienter pour suivre le déroulement de l’action. Cela est particulièrement important quand les deux personnages sont placés de sorte qu’on ne peut pas les voir tous deux devant soi.
Cela dit, la perspective égocentrique vient avec ses limites. Dans le cas des vidéos 360° spécifiquement, le fait est que le point de vue est fixe : la perspective offerte lors du visionnement est nécessairement limitée à la position qu’occupait la caméra lors de la prise de vues. La mise en scène doit être pensée et organisée autour de ce point central – les options sont donc nécessairement limitées. Notamment, en raison de la basse résolution de plusieurs dispositifs 360° (autant les caméras que les casques), il est souvent préférable d’organiser l’action plus près de l’objectif. Cela produit un effet de proximité, parfois même un sentiment d’envahissement de notre espace personnel par le personnage. En contrepartie, cette basse résolution a pour effet de minimiser l’effet « aliénant » décrit par Gaudreault et Marion en lien à l’élargissement du corps des chanteur·euse·s d’opéra au cinéma, effet duquel les auteurs nous disent qu’il « risque de subvertir ce qui est magique dans l’opéra et ce qui, en tant qu’institution culturelle, lui est propre[20] » (Gaudreault et Marion 2019, p. 62 ; ma trad.).
Réalité augmentée
Les opéras en réalité augmentée proposent un tout autre rapport entre le corps de l’utilisateur·rice et le contenu de l’expérience. La perspective exocentrique est particulièrement visible dans Iago. The Green Eyed Monster. Grâce à un téléphone intelligent, le public de cet opéra fait apparaître un monde à petite échelle au sein duquel les personnages se déplacent. Le téléphone devient ici une caméra que les spectateur·rice·s peuvent manipuler tel·le un·e cinéaste. Un simple geste suffit pour passer d’une vue surplombante à un gros plan. Or, ces déplacements n’affectent pas le volume ni la provenance des voix ou de la musique. Bien que cet effet aurait amoindri la qualité de l’expérience en affectant le mixage sonore, cela aurait également accentué l’influence du positionnement et de l’orientation du public ; son point de vue, certes, mais aussi son point d’écoute.
Par ailleurs, le fait d’être composé d’images de synthèse permet à Iago de faire apparaître et disparaître des personnages et des éléments de décors, ou encore de les métamorphoser. La mise en scène s’en voit ainsi fluidifiée, de sorte que même un individu qui choisirait de maintenir une position et une orientation fixe par rapport à l’oeuvre verrait tout de même devant ses yeux des décors complètement nouveaux au fil de l’expérience. Cela dit, force est d’admettre que cette dernière particularité revient à ce qu’on pouvait déjà voir au cinéma grâce au montage. Même les premiers opéras cinématographiques de Méliès intégraient ce genre de trucage. Ultimement, Iago se rapproche surtout du vidéo-clip plutôt que d’un opéra, ou même un opéra filmé. N’en demeure qu’il s’agit à ce jour d’une des plus convaincantes démonstrations de ce dont un opéra en réalité augmentée pourrait avoir l’air.
Réalité virtuelle
Enfin, il y a les opéras en réalité virtuelle créés en images de synthèse. Je parlerai donc d’oeuvres rv pour les distinguer des projets vidéo 360° précédemment analysés. Parmi tous les projets étudiés jusqu’ici, ceux-ci se démarquent le plus des opéras traditionnels, autant dans leur esthétique et leur mise en scène que dans l’expérience spectatorielle qu’ils proposent à leurs publics. L’une des particularités des dispositifs utilisés dans ce genre d’expérience est qu’ils permettent une exploration physique du monde virtuel. Contrairement aux vidéos 360° qui ne permettent qu’une exploration « visuelle » à partir d’un point de vue fixe, ici les spectateur·rice·s peuvent se déplacer dans l’espace et ainsi changer leur point de vue sur l’action en temps réel[21]. Bien que subtile aux premiers abords, cette distinction amène de grands changements dans la nature des relations corps-contenu. Notamment, le terme égocentrique qui, plus tôt, m’a servi à décrire un point de vue central, ne permet pas de rendre compte du fait que ces expériences rv placent le public au coeur d’un environnement au sein duquel il peut se déplacer.
Le meilleur exemple d’une expérience qui utilise cette capacité du dispositif à bon escient est Eurydice—A Descent into Infinity (2022). Conçue et réalisée par Celine Daemen d’après un livret de Charlotte Van den Broeck, cette expérience a pour particularité de permettre au public de se déplacer dans un univers visuel abstrait (tout comme Current, Rising), mais aussi d’intégrer une composante interactive (comme Magic Butterfly). Au fil de l’oeuvre, le public est invité à se promener le long d’un parcours qui semble être sans fin. En réalité, Eurydice utilise le principe de marche redirigée (redirected walking), « a system that allows you to walk indefinitely in a vr environment. When you walk through doorways or turn a corner in the virtual space, you constantly discover new spaces and scenes ». La musique composée par Kate Moore fait écho au caractère infini de la déambulation. À propos des compositions de Moore , Daemen explique que :
Her meditative melodies make you lose your grip on time. You can get caught up in them in a pleasant way. […] The composition consists of twelve separate parts that can follow each other in different sequences, so that the melody never repeats itself exactly, creating an infinite variation[22].
Contrairement aux opéras en vidéo 360°, Eurydice propose une relation corps-contenu qui est beaucoup plus englobante. Tel que mentionné ci-haut, il s’agit d’une expérience qu’on vit avec tout son corps, pas qu’avec ses yeux (ou sa tête, tout au plus). Ainsi, force est d’admettre qu’une oeuvre comme Eurydice propose une perspective et une expérience corporelle qui sont radicalement différentes de celles offertes par Tosca, Parksville Murders ou V-Aria.
L’oeuvre de Daemen mérite également d’être soulignée pour ce qu’elle nous dit de l’influence de l’opéra sur le développement d’un médium immersif. Spécifiquement, il semblerait qu’un nouveau paradigme émerge dans ce genre d’expérience. Les oeuvres xr créées dans le sillage du cinéma sont généralement régies par une progression narrative, ce qui implique le plus souvent des personnages, une narration et des dialogues, mais aussi le besoin d’être attentif·ive·s au déroulement d’une histoire. Pour leur part, les jeux vidéo immersifs contemporains sont préoccupés par une boucle de rétroaction axée sur des actions répétitives que les joueur·euse·s sont appelé·e·s à maîtriser. Ce sont donc le récit et l’action, respectivement, qui règlent dans ces deux contextes. Ce qu’une expérience opératique comme Eurydice démontre, c’est qu’une histoire peut également émerger du fait de se laisser guider par la musique. Le public est appelé à aller de l’avant au rythme des compositions infiniment récursives de Moore. Par ailleurs, comme je l’ai souligné ci-haut, la musique annonce la déambulation infinie à laquelle les spectateur·rice·s doivent s’adonner pour mener l’histoire à sa conclusion. Autrement dit, le fait de s’être associée au média de l’opéra permet à cette oeuvre immersive d’accomplir quelque chose que nulle autre expérience xr – à ma connaissance – n’a su faire jusqu’à maintenant : immerger le public en l’obligeant à suivre le courant de la musique.
Conclusion
This isn’t the future of opera, […] but it could be one of its futures.
Netia Jones, metteuse en scène (dans Jeffries 2021)
Alors que Robert Lepage a dit de l’opéra qu’il était « un art à grande échelle[23] », le fait est que les technologies immersives actuelles opèrent plutôt à l’autre extrémité du spectre ; dans le petit, le portable, voire l’intime. Faudrait-il donc conclure que les technologies xr sont ultimement incompatibles avec l’opéra ? Une première piste de solution pour racheter l’idée des opéras immersifs découle de la notion d’immersion elle-même. Dans le secteur des technologies xr, la notion d’immersion décrit le sentiment d’être transporté vers une réalité différente de celle qu’occupe le corps physique. Or, les recherches sur l’immersion ont démontré depuis bien longtemps que tout un éventail d’effets connexes peut être produit par des expériences médiatiques beaucoup plus simples : le fait de s’investir dans un roman captivant, de se perdre dans son travail, et ainsi de suite[24]. Or, ne pourrait-on pas également décrire comme immersive l’expérience d’un opéra qui, par une surcharge sensorielle et émotionnelle, arrive à nous faire vivre une expérience transcendantale ? C’est peut-être justement ce que voulait dire Nelson (2016) quand il a déclaré que « l’opéra est le médium immersif original ». Ainsi, dans le meilleur des cas, une oeuvre comme Eurydice—A Descent into Infinity allie les qualités les plus immersives de l’opéra traditionnel (notamment en termes de la musique qui invite le public à se laisser emporter) aux formes d’immersion amenées par les technologies xr : immersion corporelle, cognitive, voire affective.
Une autre piste de solution pour contrer l’idée que le format des technologies xr seraient trop « petites » pour contenir un art à grande échelle comme l’opéra serait de délaisser les dispositifs individuels que sont les téléphones intelligents ou même les casques de réalité virtuelle. En effet, bien que le terme xr ne leur soit pas souvent attribué, les espaces dits « immersifs » pourraient constituer une meilleure avenue pour amener l’opéra à la rencontre des technologies immersives. J’appelle « espace immersif » des lieux qui font usage de multiples projecteurs – pointés sur tous les murs et même le sol – afin d’offrir une expérience immersive collective. En 2020, le Finnish National Opera and Ballet a proposé le projet Laila, signé par Esa-Pekka Salonen (compositeur), Paula Vesala (dramaturge), Tuomas Norvio (concepteur sonore) et Ekho Collective (design visuel). Présentée dans un dôme hémisphérique, l’oeuvre de 20 minutes pourrait être décrite comme « an interactive chamber opera » (Mononen 2020). Elle pourrait aussi bien représenter le futur des opéras immersifs ; le mariage ultime entre les technologies immersives et les expériences opératiques. L’élément crucial que je souhaite souligner dans le passage des dispositifs de réalité augmentée ou virtuelle abordés dans cet article jusqu’à cette nouvelle forme audiovisuelle revient au son. Qu’il s’agisse des téléphones intelligents utilisés pour la réalité augmentée ou de la majorité des casques qui peuvent servir à la réalité virtuelle, cet élément crucial pour l’opéra est malheureusement laissé pour compte dans la plupart des dispositifs xr. Ce n’est pas nécessairement la même histoire dans le cas d’un espace immersif ou d’un dôme comme celui utilisé dans Laila, lesquels peuvent être équipés de systèmes sonores rivalisant les meilleures salles de concert, que ce soit en termes de volume ou encore de spatialisation du son. Ainsi, une création immersive pensée en amont pour un tel espace peut miser sur une bien meilleure immersion sonore, de même que sur tous les bienfaits qui en découlent potentiellement. Et bien que Laila soit une composition originale, il sera intéressant de voir si, mais surtout comment, des oeuvres du corpus opératique traditionnel pourraient être mises en scène pour ce genre d’espace immersif.
Appendices
Annexe
Annexe
Crédits complets pour les oeuvres Forty Part Motet et Opera for a Small Room, gracieuseté de Luhring Augustine.
Janet Cardiff
The Forty Part Motet (A Reworking of “Spem in Alium” by Thomas Tallis 1556/1557), 2001
40 loud speakers mounted on stands, placed in an oval, amplifiers, playback computer
Duration: 14 min. loop with 11 min. of music and 3 min. of intermission
Dimensions variableSung by Salisbury Cathedral Choir
Recording and Postproduction by SoundMoves
Edited by George Bures Miller
Produced by Field Art Projects
The Forty Part Motet by Janet Cardiff was originally produced by Field Art Projects with the Arts Council of England, Canada House, the Salisbury Festival and Salisbury Cathedral Choir, BALTIC Gateshead, The New Art Gallery Walsall, and the NOW Festival Nottingham.
© Janet Cardiff; Courtesy of the artist and Luhring Augustine, New York.
Photo: Musée d’art contemporain de Montréal, 2002.Janet Cardiff and George Bures Miller
Opera for a Small Room, 2005
Mixed media installation with sound, record players, records, and synchronized lighting
102 2/5 x 118 x 177 inches (260.1 x 299.72 x 449.58 cm)
Duration: 20-minute loopCredits:
Construction: Kyle Miller
Roadkill Crow Song:
Composition voice: George Bures Miller
Guitar, drums, mixing: Titus Maderlachner
Bass guitar, organ, orchestration: Tilman Ritter
© Janet Cardiff and George Bures Miller; Courtesy of the artists and Luhring Augustine, New York.
Photo: Markus Tretter.
Note biographique
Philippe Bédard est chercheur postdoctoral au département d’anglais de l’Université McGill. Ses recherches actuelles portent sur la conception d’expositions d’oeuvres en réalité virtuelle. Avec Alanna Thain et Carl Therrien, il dirige l’ouvrage collectif States of Immersion. Bodies, Media, Technology.
Notes
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[1]
C’est en 2012 que le projet de casque de réalité virtuelle Oculus est lancé sur la plateforme de sociofinancement Kickstarter. Bien que les technologies immersives étaient utilisées dans quelques secteurs (entreprises, complexe militaro-industriel, etc.), c’est à partir de ce moment qu’elles (re)commencent à être utilisées dans un contexte artistique.
-
[2]
Alors que Gaudreault et Marion constituent la source d’inspiration principale de cet article, il aurait été tout aussi productif de faire appel au concept de remédiation, tel que l’ont introduit Jay David Bolter et Richard Grusin (1999). C’est d’ailleurs ce qu’a fait Tereza Havelková dans son incontournable Opera as hypermedium (2021). Je reviendrai périodiquement à ce dernier.
-
[3]
Voir les nombreux articles sur la réalité virtuelle cinématograpique publiés dans les revues Journal of Visual Culture, Studies in Documentary Film, Intermédialités, Revue canadienne d’études cinématographiques, An-Icon, Cinema & Cie, Alphaville et bien d’autres encore.
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[4]
Il est important de souligner que les oeuvres recensées dans cet article découlent de recherches menées principalement en anglais, ainsi qu’en français. Les projets proviennent donc principalement d’Amérique du Nord et d’Europe. Des recherches plus poussées seront nécessaires pour documenter les productions d’opéra xr qui pourraient provenir d’autres régions du monde.
-
[5]
C’est Tom Gunning qui propose l’expression « cinéma des attractions » pour décrire une certaine tendance dans le cinéma des premiers temps à favoriser des stratégies axées sur l’émerveillement amené par le dispositif technique et par les expériences qu’il offrait (Gunning 1990, p. 61).
-
[6]
« It may rather signal the possibility to situate the Gesamtkunstwerk, and opera more generally, within the context of the genealogy of hypermediacy. »
-
[7]
Selon Rose Theresa (2002, p. 1), le Faust de Gounod était l’opéra le plus populaire auprès des cinéastes des premiers temps. Le même opéra aurait également été adapté par Edwin S. Porter dans Faust and Marguerite (1900), et même par Alice Guy-Blaché dans son Faust et Méphistophélès (1903).
-
[8]
Alors que je ne m’intéresserai ici qu’aux enjeux de point de vue et à l’impact de la caméra, Havelková évoque également l’usage d’effets spéciaux comme élément marquant de la rencontre entre l’opéra et le médium du cinéma. Voir la discussion du cinéma des attractions dans Havelková 2021, p. 9-14 ; p. 82-83.
-
[9]
Pour une étude plus approfondie des concepts d’immédiateté et d’hypermédiateté, de même que des enjeux soulevés par la remédiation d’une oeuvre scénique par l’entremise de la caméra, voir le deuxième chapitre de l’ouvrage d’Havelková (Havelková 2021, p. 69-97).
-
[10]
« The earliest films were single shot films, that is, the camera pointed at the action and filmed it. The effect was akin to the single viewpoint of an audience member sitting in a theatre. »
-
[11]
« Exposing the bodily technology of singing ».
-
[12]
Les auteurs décrivent même l’enjeu du gros plan dans les opéras filmés comme un problème de « proxémie », le concept développé par Edward Hall pour décrire les rapports spatiaux, soit les distances qui démarquent les espaces intime, personnel, social et public.
-
[13]
Il faut un minimum de deux lentilles avec un champ de vision de 180° placées « dos à dos » afin de produire une vue sphérique à 360° qui permet au public d’explorer l’espace du regard. Certaines caméras professionnelles disposent de huit (Nokia Ozo) ou vingt-quatre (Jaunt One) lentilles, ce qui produit simplement une meilleure résolution.
-
[14]
C’est en parlant de cette expérience que Tom Nelson a écrit les lignes avec lesquelles j’ai ouvert cet article (Nelson 2016).
-
[15]
Pour une discussion plus poussée de Orpheus vr, voir l’article de Tara Karmous dans ce numéro.
-
[16]
Bien évidemment, toutes ces remarques ne concernent que la scène habituelle, non pas les expériences d’opéra qui, comme Invisible Cities (2013) de Christopher Cerrone, prennent place à l’extérieur de la salle d’opéra traditionnelle et proposent une proximité public-interprètes radicalement différente. Voir à ce sujet l’article de Laurence Gauvin dans ce numéro.
-
[17]
Voir l’annexe pour les crédits complets de ces deux oeuvres.
-
[18]
« At its heart, virtual reality is a technology that immerses a viewer in the experience of a film. It attempts to simulate a reality-based experience for a viewer by placing him or her in the middle of the room where the action is taking place. Think of it as the tech industry’s way of removing the fourth wall for audiences. It is taking immersive theater to the next level of innovation. When a viewer experiences opera in virtual reality, he or she is placed in the center of the set, surrounded by the characters of the story, and in our opera, the viewer becomes a part of the story. »
-
[19]
« Find a way of telling a compelling point-of-view (pov) narrative that puts the viewer alongside the chorus on our stage. »
-
[20]
« We should privilege mere shooting and avoid the “alienating” effects of filming, which risk subverting what is magical about opera and what, as a cultural institution, is specific to it. »
-
[21]
Dans ce cas, on parle généralement d’une expérience qui offre six degrés de liberté de mouvement (6DoF, pour degrees of freedom), c’est-à-dire la capacité de tourner sa tête sur trois axes (roulis, tangage, lacet) et de la déplacer dans l’espace selon ces trois axes (avant/arrière, gauche/droite, haut/bas). Au contraire, les oeuvres 360° susmentionnées n’offrent que trois degrés de liberté de mouvement (3DoF), soit les rotations de la tête exclusivement.
-
[22]
Correspondance électronique avec Celine Daemen, 1er octobre 2023.
-
[23]
Ces paroles ont été prononcées lors d’une visite du metteur en scène au séminaire interdisciplinaire de création d’opéra à l’Université de Montréal le 28 septembre 2021. Voir la note de terrain de Sarah Bild dans ce numéro. Lepage n’est pas le seul à avoir fait ce genre de remarque. Par exemple, Vincent explique que « the genre has also long been defined by its scale » (Vincent 2021, p. 9). Pour sa part, Havelková parle de « the excess that opera always seems to produce » (Havelková 2021, p. 35).
-
[24]
Voir notamment les écrits de Marie-Laure Ryan (1999 ; 2001) et l’ouvrage de Gordon Calleja (2011). Voir aussi l’ouvrage States of Immersion. Bodies, Media, Technology (Bédard, Thain et Therrien), qui sera prochainement publié chez Amsterdam University Press.
Bibliographie
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