Abstracts
Résumé
Le succès grandissant de l’approche de modélisation des données du bâtiment (BIM) change le paradigme de fonctionnement de l’industrie de la construction et les universités sont confrontées à des défis importants dans leurs efforts pour introduire l’approche BIM dans l’enseignement. Plusieurs travaux ont étudié la question, mais chaque étude en a abordé des aspects spécifiques. Ainsi, il n’existe pas de cadre global fournissant des lignes directrices pratiques et neutres. Le cadre proposé dans cet article établit sept grands défis : les compétences à acquérir, l’approche pédagogique, les méthodes d’évaluation, l’environnement technologique, les partenariats industriels, l’approche de mise en oeuvre et le calendrier. L’étude du cas d’une université d’ingénierie canadienne est également proposée.
Mots-clés :
- BIM,
- recherche en enseignement de l’ingénierie,
- cadre théorique,
- développement de cursus,
- prise de décision
Abstract
Universities are facing many challenges in their efforts to introduce building information modelling (BIM) in education. While many research efforts have been dedicated to the subject, each of them has addressed some specific aspects of the issue. Thus, there is yet no comprehensive framework to provide decision makers with practical and neutral guidelines. The framework proposed in this paper identifies seven main groups of challenges: the skills to be acquired, the teaching approach, the evaluation methods, the technological environment, the industrial partnerships, the implementation approach and the timing. These challenges are also discussed in the light of a Canadian engineering school case study.
Keywords:
- BIM,
- engineering education research,
- theoretical framework,
- curriculum development,
- decision-making
Article body
Introduction
La modélisation des données du bâtiment (BIM) constitue une avancée technologique majeure dans la conception, la simulation et la gestion des projets de construction. Cette approche se base sur un modèle tridimensionnel et multidisciplinaire de l’ouvrage à construire, de manière à en améliorer et documenter la conception et à simuler différents aspects de sa construction et de son opération. Malgré la démonstration faite de la valeur ajoutée de l’approche BIM, les firmes d’architecture, d’ingénierie et de construction rencontrent encore beaucoup de difficultés à l’adopter et à l’implémenter. Parmi les principales barrières observées, le manque de personnel qualifié, avec une bonne connaissance des enjeux liés à l’approche BIM, tient une place importante (Sacks et Barak, 2010).
Les universités font face à d’énormes difficultés dans l’introduction de l’approche BIM dans leur cursus. Un dilemme important est lié au fait que le secteur reste largement basé sur le fait que l’enseignement de l’architecture, l’ingénierie et la construction doit s’adapter, se structurer et évoluer pour répondre aussi bien aux défis actuels qu’à ceux du futur (Becerik-Gerber, Gerber et Ku, 2011). Basés sur ces processus, les programmes de formation dans la construction semblent s’ancrer plus dans le passé que dans le présent et l’avenir, et les responsables universitaires ne sont généralement pas conscients des enjeux liés à l’approche BIM.
Bien que plusieurs travaux de recherche (Kocaturk et Kiviniemi, 2013; Macdonald, 2012; Pikas, Sacks et Hazzan, 2013; Shelbourn, Macdonald et Mills, 2016; Succar et Sher, 2013) aient été consacrés à la proposition de cadres pour l’introduction de l’approche BIM dans l’éducation, ces cadres n’abordent souvent que des aspects spécifiques de la question et aucun cadre global n’existe pour accompagner les universités dans leur introduction de l’approche BIM dans l’enseignement de l’ingénierie ou dans la comparaison de leur positionnement par rapport à d’autres universités. Cet article propose un cadre d’intégration de l’approche BIM dans l’enseignement universitaire. Il propose dans un premier temps une revue des stratégies existantes et les compétences attendues de l’approche BIM dans l’enseignement. Il présente ensuite les différents éléments du cadre proposé, suivis d’une discussion basée sur l’étude de cas d’une école d’ingénierie canadienne.
1. Nouveaux défis de l’enseignement à l’ère de l’approche BIM
1.1 Les méthodes pédagogiques pour l’enseignement en architecture, ingénierie et construction
La méthode du « tableau noir » centrée sur l’enseignant est restée longtemps l’approche pédagogique dominante dans l’enseignement en ingénierie, et plusieurs critères d’accréditation sont basés sur ce qui est enseigné (Mills et Treagust, 2003). Toutefois, plusieurs critiques ont émergé quant à l’efficacité d’une telle approche et certains critères définis par les organismes d’accréditation (tels que l’ABET[1] ou le BCAPG[2]) sont difficiles à respecter avec cette méthode d’enseignement (Bishop et Verleger, 2013).
Pour surmonter ces critiques et limites, de nouvelles approches ont émergé durant les dernières décennies, plus centrées sur l’étudiant (et non plus l’enseignant) et sur ce qui est appris (plutôt que ce qui est enseigné). L’une des plus connues est la pédagogie de projet (Blumenfeld et al., 1991), dont une variante est l’apprentissage par problèmes né à l’Université McMaster au Canada et largement utilisé dans l’enseignement de la médecine (Kilroy, 2003). Cette méthode utilise un ensemble de problèmes comme point de départ du processus d’apprentissage (Perrenet, Bouhuijs et Smits, 2000). Perrenet et al. (2000) ont étudié la pertinence de cette approche pour l’enseignement de l’ingénierie et ont conclu qu’elle pouvait être tout à fait efficace. Autre approche intéressante, la classe inversée propose que les évènements qui ont traditionnellement lieu à l’intérieur de la salle se déroulent en dehors de la classe et vice versa (Lage, Platt et Treglia, 2000). Les exercices pratiques peuvent ainsi être réalisés à l’intérieur de la classe pendant que des capsules vidéo peuvent être utilisées pour soutenir l’apprentissage des aspects plus théoriques en dehors de la classe (Bishop et Verleger, 2013).
La discussion proposée par Mills et Treagust (2003) a montré que la meilleure approche pour enseigner l’ingénierie devrait être un mélange de « tableau noir » et de pédagogie de projet (ou problèmes), mais il demeure difficile pour les responsables universitaires de définir la meilleure stratégie et le bon calendrier pour introduire des innovations technologiques telles que l’approche BIM dans leurs programmes. En plus des stratégies d’implémentation, la question des compétences que les étudiants sont censés acquérir en fonction des besoins de l’industrie est critique et en constante évolution.
1.2 Les principaux défis liés à l’enseignement de l’approche BIM dans l’enseignement universitaire
Dans une perspective axée sur l’architecture, Kocaturk et Kiviniemi ont proposé une discussion sur les défis liés à l’intégration de l’approche BIM dans l’éducation (Kocaturk et Kiviniemi, 2013). La discussion porte sur deux aspects principaux : la modélisation et la représentation, d’une part, et le travail collaboratif, d’autre part. Ils ont noté que l’enseignement de l’approche BIM devrait aborder les nouveaux services et spécialisations en demande élevée actuellement dans l’industrie, et l’importance pour l’enseignement non seulement d’intégrer l’approche BIM, mais surtout de devenir l’un des moteurs d’une transformation nécessaire de l’industrie (Kocaturk et Kiviniemi, 2013). Becerik-Gerber et al. (2011) ont étudié les facteurs limitant l’intégration de l’approche BIM dans les programmes d’éducation. Leur analyse suggère que la principale difficulté réside dans l’absence de personnes qualifiées pour enseigner l’approche BIM (55 % des programmes étudiés). De façon générale et sur la base de différents travaux de recherche (Barison et Santos, 2010b; Goedert, Cho, Subramaniam, Guo et Xiao, 2011; Horne, 2006; Kocaturk et Kiviniemi, 2013; Pikas et al., 2013), nous pouvons résumer les défis liés à l’enseignement de l’approche BIM en sept grands groupes : les compétences à acquérir, l’approche pédagogique, les méthodes d’évaluation, l’environnement technologique, les partenariats industriels, l’approche de mise en oeuvre et le calendrier (voir tableau 1).
Comme le montre la revue de littérature résumée au tableau 1, aucun des cadres existants ne couvre tous les aspects en jeu dans l’intégration de l’approche BIM dans les programmes d’enseignement. Il est pourtant important aussi bien pour les universités que pour les chercheurs de disposer d’un cadre global permettant une telle introduction et d’évaluer et de comparer les programmes BIM actuels.
2. Cadre pour l’introduction de l’approche BIM dans les programmes d’enseignement en ingénierie
Cette section du travail présente un cadre global pour l’introduction de l’approche BIM dans l’enseignement de l’architecture, l’ingénierie et la construction.
2.1 Vue d’ensemble du cadre proposé
Le cadre proposé tient compte des principaux défis établis ci-dessus. Il se compose de trois grandes dimensions représentant les trois principaux aspects à considérer lors de l’introduction de l’approche BIM dans les cursus universitaires : les compétences à acquérir par les étudiants, l’approche pédagogique à adopter et la stratégie de mise en oeuvre. Les principaux éléments du cadre sont décrits à la figure 1 et discutés dans les sections suivantes.
2.2 Les compétences à acquérir
Le premier élément à considérer lors de l’introduction de l’approche BIM dans l’enseignement de l’ingénierie concerne les compétences à acquérir par les étudiants. Dans le cadre proposé, elles couvrent à la fois les compétences de base telles que développées dans les modèles de compétences existants et les connaissances spécifiques à l’approche BIM qui englobent les technologies, les processus et les politiques qui y sont associés. Les compétences à acquérir dépendent également des besoins de formation dans l’industrie, et les universités doivent ainsi définir le niveau d’éducation, les compétences de base nécessaires et les connaissances spécifiques à l’approche BIM.
2.2.1 Le niveau d’éducation
Le niveau d’éducation correspond ici au « niveau d’un cours de BIM », comme présenté par Barison et Santos (2010b), c’est-à-dire le niveau auquel l’approche BIM est enseignée dans un cours ou un programme d’études. Ces auteurs établissent trois niveaux : préliminaire, intermédiaire et avancé. Le niveau préliminaire correspond à la formation des modeleurs BIM, tandis que les analystes BIM et les gestionnaires BIM sont formés respectivement aux niveaux intermédiaire et avancé. Ils proposent également trois catégories de cours BIM pour les trois niveaux : représentation graphique numérique, studio de conception intégré et studio de conception interdisciplinaire. Bien que ce soit un point de départ très intéressant, la proposition ne semble pas suffisante pour fournir une bonne compréhension de ce que devrait être le contenu de chaque niveau. En outre, ces auteurs suggèrent implicitement que l’apprentissage par projet est une stratégie appropriée pour les trois niveaux. Enfin, le rôle des spécialistes de l’approche BIM qui se forment à chaque niveau ne semble pas cohérent avec les conclusions des mêmes auteurs sur ce rôle (Barison et Santos, 2010a). Nous verrons dans les prochaines sections que la définition du niveau d’éducation et des types de spécialistes à former est plus complexe et doit s’assurer d’un équilibre approprié entre les compétences de modélisation, les compétences de gestion et les connaissances théoriques et des normes.
Dans le cadre proposé, nous considérons que le niveau d’éducation doit être lié au niveau universitaire. Les universités doivent décider si elles intègrent l’approche BIM dans les programmes de baccalauréat ou bien aux cycles supérieurs, ou les deux. L’objectif n’est pas le même pour chaque niveau. Selon la définition et les rôles des différents spécialistes de l’approche BIM établis par Barison et Santos (2010a), il semble logique pour les universités de former les modeleurs BIM, les facilitateurs BIM et les développeurs de logiciels BIM au niveau du baccalauréat. Les gestionnaires BIM, les analystes BIM, les consultants BIM et, dans une moindre mesure, les chercheurs BIM peuvent alors être formés au niveau de la maîtrise. Le doctorat semble être le niveau par excellence pour la formation des chercheurs BIM.
2.2.2 Les compétences de base
Le cadre de compétences en ingénierie récemment proposé par la Division de l’emploi et de la formation des États-Unis établit différents niveaux de compétence (Employment and Training Administration [ETA], 2015) : les compétences d’efficacité personnelle (PEC), les compétences scolaires (AC), les compétences en milieu de travail (WPC), les compétences techniques à l’échelle industrielle (IWTC) et les compétences techniques spécifiques au secteur industriel (ISTC). Les trois premières compétences (PEC, AC et WPC) sont appelées « compétences fondamentales », les PEC référant à des compétences dites « douces », généralement personnelles et apprises à la maison, et les AC étant des manières de penser et des fonctions cognitives qui sont utiles pour toutes les professions et les industries (ETA, 2015).
Le niveau du baccalauréat est celui où les compétences de base doivent être acquises, y compris les compétences fondamentales et les compétences propres à l’industrie. À ce niveau, l’accent devrait être mis sur la façon dont l’approche BIM est enseignée en tant que soutien aux pratiques de l’industrie. Chaque utilisation de l’approche BIM doit donc être soigneusement liée aux pratiques traditionnelles qu’elle vise à améliorer. Par exemple, la simulation 4D ne doit pas être enseignée comme un cours autonome, mais comme une partie d’un cours de planification et d’ordonnancement de la construction. De même, les applications d’estimation 5D devraient être intégrées dans les cours d’estimation et de calcul des coûts afin de montrer les liens sous-jacents et les résultats escomptés par les pratiques industrielles telles que le métré, les devis quantitatifs, la préparation de soumissions, etc. Une liste des différents usages de l’approche BIM ainsi que les phases de projet où ils sont présents a été proposée par l’Université de Pennsylvanie (Kreider et Messner, 2013).
Le niveau de la maîtrise est celui où l’accent devrait être mis sur les modules BIM autonomes, en accordant une attention particulière aux aspects interdisciplinaires des projets de construction et aux problèmes récurrents (collaboration, flux d’information, etc.). L’objectif doit être d’approfondir certains aspects de l’approche BIM tout en stimulant l’intérêt des étudiants pour la recherche de solutions durables.
2.2.3 Les compétences spécifiques à l’approche BIM
Contrairement à la conception assistée par ordinateur (CAO), l’approche BIM est considérée comme étant une technologie de rupture (Eastman, Teicholz, Sacks et Liston, 2011). Par conséquent, s’il est important d’intégrer l’approche BIM comme support des compétences de base précisées ci-dessus, il est également important d’enseigner les compétences spécifiques à l’approche BIM. Nous considérons trois principaux groupes de compétences spécifiques à l’approche BIM : les compétences en modélisation, les compétences en gestion et les connaissances théoriques ou règlementaires. Les compétences en modélisation sont des compétences liées à la technologie, les compétences en gestion sont les compétences liées au processus et les compétences théoriques ou règlementaires sont liées aux politiques. Ces compétences ne sont pas attendues dans la même proportion pour tous les spécialistes de l’approche BIM. Sur la base des rôles des spécialistes BIM établis par Barison et Santos (2010a), la figure 2 propose une répartition du poids des différentes compétences spécifiques BIM attendues pour ces différents rôles.
2.3 L’approche d’enseignement
L’approche d’enseignement inclut les méthodes d’enseignement, les méthodes d’évaluation et l’environnement technologique d’enseignement.
2.3.1 Les méthodes d’enseignement
Les méthodes d’enseignement sont cruciales pour le succès de l’enseignement de l’approche BIM. Pour s’assurer de son efficacité, il est important de trouver un bon équilibre entre les approches d’apprentissage centrées sur l’enseignant et celles qui sont centrées sur l’étudiant. Selon Bishop et Verleger (2013), les méthodes de pédagogie de projet peuvent s’avérer très efficaces pour l’atteinte des critères de l’ABET, mais la classe inversée devrait être encouragée pour assurer un bon équilibre entre la théorie et la pratique. Pour introduire avec succès la pédagogie de projet, il peut être très utile de commencer le processus d’apprentissage avec un problème qui peut prendre la forme d’un projet, d’un phénomène ou d’un cas. Les compétences et les connaissances de différentes disciplines peuvent ainsi être intégrées au problème. Cela peut être particulièrement utile pour illustrer les problèmes d’interopérabilité et le besoin de collaboration entre les différentes disciplines (architecture, ingénierie, construction, mécanique, électricité, plomberie, etc.) impliquées dans les processus BIM.
Il est aussi important de s’assurer que l’enseignant dispose de la connaissance nécessaire pour enseigner l’approche BIM (CNEB). Comme le montre la figure 3, cette connaissance se trouve à l’intersection de trois champs de connaissance interconnectés : la connaissance des logiciels BIM, la connaissance des standards et politiques BIM, et les connaissances pédagogiques. Selon les objectifs du cours, la priorité peut être mise sur l’un ou l’autre de ces champs de connaissance.
2.3.2 Les méthodes d’évaluation
Pour évaluer l’apprentissage des étudiants, deux approches principales peuvent être utilisées : l’évaluation sommative et l’évaluation formative (Bloom, Hastings et Madaus, 1971). Les procédures d’évaluation doivent être conçues pour stimuler l’apprentissage (De Graaff, 2013) tout en évaluant les compétences acquises par les étudiants. Mais l’évaluation est particulièrement difficile dans l’enseignement de l’approche BIM car, contrairement à d’autres sujets d’étude, il n’est pas facile de tester la compétence acquise par les étudiants avec un examen pour lequel les logiciels sont utilisés (Sacks et Barak, 2010). Cependant, la détermination des compétences acquises par les étudiants reste cruciale (Barison et Santos, 2010b) et les exercices de modélisation et les tests pourraient être complémentaires à l’examen lui-même comme moyen d’évaluation du niveau d’apprentissage (Barison et Santos, 2010b; Sacks et Barak, 2010). Les méthodes d’évaluation appropriées devraient être utilisées en fonction de l’objectif principal du cours et du nombre d’étudiants. Par exemple, l’accent peut être mis sur les exercices de modélisation lorsque l’apprentissage des aspects technologiques de l’approche BIM est le principal objectif et que le nombre d’étudiants n’est pas très élevé.
2.3.3 L’environnement technologique
L’environnement technologique est essentiel pour le succès d’un programme BIM mais ne se limite pas aux logiciels BIM actuels. En effet, comme l’ont montré récemment Liu et Berumen (2016), la technologie évolue rapidement et, tout au long de leur carrière en tant que professionnels BIM, les étudiants devront s’adapter à de nouvelles technologies. Il est donc crucial de mettre l’accent sur l’enseignement des principes sous-jacents aux logiciels, en comparant différentes solutions de différents fournisseurs et spécialités et en montrant les principes et mécanismes d’interopérabilité, sur la base de projets réels ou de scénarios et d’exemples réalistes.
2.4 La stratégie d’implémentation
La stratégie d’implémentation concerne l’approche de mise en oeuvre, le calendrier et les partenariats industriels nécessaires.
2.4.1 L’approche de mise en oeuvre
En 2006, Horne a établi trois approches principales pour introduire la modélisation nD dans l’enseignement supérieur en construction : l’approche modulaire, l’approche de progression et l’approche d’intégration (Horne, 2006).
Dans une approche modulaire, un module autonome est intégré au programme d’enseignement (Horne, 2006). Un exemple est fourni par Kubicki et Boton (2011) sur l’utilisation de la simulation 4D pour enseigner les principes structurels des bâtiments de grande hauteur à l’Université de Liège.
La stratégie de progression sélectionne et introduit les nouveaux logiciels appropriés dans les différentes années du programme d’études. Pour illustrer cette approche, Horne (2006) a donné l’exemple de l’École de l’environnement bâti de l’Université de Northumbria, où un outil BIM (Revit) et ses utilisations (conception, analyse énergétique, coût, etc.) ont été graduellement intégrés de la 1re à la 4e année.
La stratégie d’intégration vient généralement après les deux précédentes et insère des éléments technologiques complémentaires dans les modules universitaires. L’approche BIM peut ainsi être utilisée comme axe d’intégration du cursus universitaire et constituer un moyen intéressant de faciliter l’intégration universitaire, comme le suggère le rapport de l’Institut des architectes des États-Unis d’Amérique (AIA) sur l’éducation intégrative (Cheng, 2006).
2.4.2 Le calendrier
Le calendrier est un aspect crucial dans l’intégration de l’approche BIM dans l’enseignement. Une intégration idéale devrait être graduelle et faire une utilisation progressive et complémentaire des différentes stratégies de mise en oeuvre décrites ci-dessus. Nous proposons de commencer par des modules autonomes, afin de développer la sensibilisation des acteurs, puis de continuer avec une approche de progression, avant d’arriver à une intégration complète. Cette stratégie progressive permet la rétroaction éventuelle des étudiants ou d’autres parties prenantes ou responsables du système éducatif dont il est important d’obtenir et de maintenir progressivement le soutien.
Une intégration progressive permet également de développer graduellement des réponses communes aux questions importantes soulevées récemment et que les professionnels et les responsables du système éducatif pourraient se poser (Faust, 2016), à savoir :
-
L’approche BIM est-elle vraiment durable ou simplement un effet de mode?
-
Existe-t-il un besoin réel de l’approche BIM sur le marché local?
-
Quels sont les besoins spécifiques de l’industrie locale?
-
Un programme de 1er cycle peut-il englober tout le cursus BIM?
2.4.3 Le partenariat industriel
Comme l’indiquent Kocaturk et Kiviniemi (2013), il existe une demande de plus en plus élevée de spécialisations liées à l’approche BIM dans l’industrie de la construction. À cause de la réalité du principe « one size does not fit all », il est important de travailler en étroite collaboration avec l’industrie locale afin de comprendre ses besoins particuliers (Kocaturk et Kiviniemi, 2013). Il est alors possible de s’assurer que le programme BIM est vraiment adapté à ses besoins. En général, les partenariats entre les universités et les firmes d’architecture, d’ingénierie et de construction peuvent bénéficier aux deux parties. En effet, les entreprises peuvent fournir aux universités une bonne compréhension de leurs besoins ainsi que la détermination des questions de recherche, des possibilités de financement, des cas d’étude, des possibilités d’emploi et même des enseignants expérimentés. En contrepartie, l’industrie peut tirer profit du personnel hautement qualifié issu des programmes d’enseignement, des stagiaires, de la capacité de veille technologique des universités ainsi que de leurs ressources en recherche et développement (figure 4).
3. Étude de cas : l’expérience de l’École de technologie supérieure (ÉTS) de Montréal
Dans cette section, nous présentons les trois étapes suivies pour intégrer l’approche BIM dans le programme d’étude de l’ÉTS. Le contexte et les étapes de l’approche sont détaillés et discutés selon le cadre proposé plus haut.
3.1 Le contexte
L’ÉTS est un établissement universitaire canadien doté d’une mission d’ingénierie appliquée. À cet effet, elle entretient une relation étroite avec les entreprises et les organisations d’ingénierie pour s’assurer que l’éducation donnée correspond aux besoins réels de l’industrie. En ce qui concerne la recherche scientifique, l’intégration et l’enseignement des technologies de l’information est l’une des activités d’un laboratoire et d’une chaire industrielle.
3.2 Les compétences à acquérir
À la lumière du cadre proposé ci-dessus, le niveau d’éducation, les compétences de base et les connaissances spécifiques à l’approche BIM sont discutés à la lumière de l’expérience de l’ÉTS.
3.2.1 Le niveau universitaire
Dans une perspective canadienne, il existe trois niveaux de formation BIM : le collège (ou cégep) pour la formation de techniciens, le baccalauréat où les étudiants peuvent être formés à travailler selon la conception collaborative et multidisciplinaire avec l’approche BIM, et la maîtrise universitaire où les étudiants sont formés pour être des agents de changement ou du personnel hautement qualifié capables de déployer l’approche BIM.
À l’ÉTS, les premiers enseignements BIM ont consisté en une expérience de « laboratoire de conception », rapportée par Forgues, Staub-French et Farah (2011). Celle-ci a été le point d’entrée de l’enseignement de l’approche BIM et a été menée conjointement par l’ÉTS et l’Université McGill à travers deux cours pluridisciplinaires offerts en 2009 et 2011. La deuxième étape, consistant en un cours BIM régulier autonome, a été introduite au niveau de la maîtrise. Ce cours intensif a été le premier cours régulier sur ce sujet au niveau universitaire au Québec. Basé sur son succès et en réponse aux demandes croissantes de l’industrie, un programme court spécialisé en BIM a été développé.
3.2.2 Les compétences de base et connaissa ces spécifiques à l’approche BIM
En raison de son objectif, la première étape (l’expérience du « laboratoire de conception ») n’était pas clairement ou explicitement liée aux compétences de base, puisqu’elle n’était pas consacrée à un niveau d’éducation spécifique. Toutefois, l’accent a été mis sur la démonstration de la capacité des nouvelles technologies et de la nécessité de recourir à de nouvelles compétences pour relever les défis à venir (Forgues et al., 2011). L’objectif principal était de montrer comment l’approche BIM pouvait efficacement soutenir la résolution de problèmes et faire connaître comment et quand utiliser efficacement ces nouvelles compétences (Forgues et al., 2011).
La deuxième étape (le cours BIM régulier autonome au niveau de la maîtrise) visait à enseigner aux étudiants les principaux concepts et principes pour la mise en oeuvre de l’approche BIM. À la fin de ce cours, les étudiants étaient en mesure de comprendre et de gérer les différentes utilisations et technologies de l’approche BIM et de créer et coordonner des modèles BIM pour différentes disciplines (architecture, structure, mécanique, électricité, plomberie, etc.). Les connaissances spécifiques à l’approche BIM sont ainsi clairement développées, mais pas directement liées aux compétences de base. La figure 5 présente un extrait du plan du cours BIM régulier autonome au niveau de la maîtrise.
Dans la troisième étape (le programme court spécialisé), les connaissances BIM sont plus ancrées dans les compétences de base. Ce programme permet notamment aux étudiants de déterminer les usages BIM applicables à un projet, de définir des flux de travail et des flux d’information liés à ces usages, de développer, mettre en oeuvre et gérer un plan de gestion BIM et de contrôler la production et la coordination de modèles numériques. La figure 6, tirée du site Web de l’ÉTS, indique les objectifs du programme ainsi que les cours à suivre.
3.3 L’approche d’enseignement
3.3.1 Les méthodes d’enseignement et l’environnement technologique
Dans la première étape, les étudiants ont été répartis en cinq équipes avec des espaces de travail indépendants qui comprenaient des dispositifs électroniques, un ordinateur personnel, un forum de discussion, une imprimante, un projecteur et une connexion Internet. Chaque étudiant avait également son propre ordinateur portable. Sur trois sessions intensives de deux jours, les compétences de conception et de modélisation des étudiants ont été complétées par des informations et des logiciels spécialisés BIM, incluant DesignBuilder, Ecotect Analysis et Revit Architecture. Le cours BIM régulier autonome au niveau de la maîtrise (étape 2) a été divisé en six sessions intensives d’apprentissage de théories et de logiciels (Revit, Tekla Structures, Navisworks Manage). Les cours sont donnés dans un laboratoire d’informatique par des professionnels spécialisés de l’industrie de l’approche BIM. Le nombre maximum d’étudiants admis dans le cours est de 30. La structure et les méthodes utilisées dans chaque module de la troisième étape sont spécifiques aux particularités du module, mais s’inspirent de celles qui sont utilisées dans le cours autonome qui a été intégré au programme.
3.3.2 Les méthodes d’évaluation
Dans la première étape, les étudiants sont invités à travailler en groupes de quatre personnes. Chaque groupe choisit un projet commun et les membres de l’équipe doivent concevoir et développer leur proposition pendant les sessions de charrette de conception intégrée. Les équipes sont invitées à la fin de chaque session de deux jours à présenter le résultat de leurs itérations et à les discuter sur la base de critères financiers, de construction durable et de faisabilité technique. Chaque présentation est suivie d’une rétroaction constructive des autres professionnels impliqués.
Dans le cours BIM régulier autonome, les étudiants sont invités à réaliser un travail de session qui intègre les connaissances qu’ils ont acquises, sous la forme d’un projet de construction pour lequel les étudiants, travaillant à deux, doivent progressivement développer des modèles d’architecture, de structure et de coordination. La figure 7 montre quelques exemples de résultats fournis par les étudiants en utilisant les logiciels Revit Architecture (pour la conception architecturale d’un bâtiment), Tekla Structures (pour la conception structurale du même bâtiment) et Navisworks Manage (pour la coordination multidisciplinaire et la détection d’interférence entre les deux modèles). Des tests sont conçus pour évaluer la compréhension individuelle de chaque étudiant sur les lectures obligatoires. Un examen final individuel est également proposé afin d’évaluer la compréhension globale des étudiants et leur perception des usages et des défis liés à l’utilisation de l’approche BIM en fonction de leurs attentes initiales.
L’utilisation de méthodes d’évaluation semblables est prévue dans les différents modules du programme court spécialisé.
3.4 La stratégie d’implémentation
3.4.1 L’approche de mise en oeuvre et le calendrier
L’introduction de l’approche BIM à l’ÉTS a suivi une approche graduelle en trois étapes : une première expérience de « laboratoire de conception » au niveau du 1er cycle (de 2009 à 2011), un module régulier autonome au niveau de la maîtrise pour améliorer la sensibilisation à l’approche BIM (de 2014 à 2016) et, finalement, un programme court spécialisé à partir de 2017 pour réaliser une intégration complète.
La première étape était nécessaire pour explorer la question et montrer comment l’approche BIM pourrait être utile pour soutenir les compétences de base, la faire connaître à la communauté et évaluer les besoins et attentes. Le module autonome régulier a donc été une première réponse à ces attentes. C’était une occasion pour l’Université de couvrir les besoins les plus urgents tout en limitant les investissements et les conflits avec les programmes et les cours existants. Le succès de ce cours autonome a été un bon indicateur de la réputation acquise par l’Université dans l’enseignement de l’approche BIM et, après trois ans, l’ÉTS était enfin prête à développer un programme court bénéficiant de toutes les réalisations des précédentes expériences éducatives en BIM.
3.4.2 Le partenariat industriel
Le partenariat de l’ÉTS avec l’industrie de la construction a été crucial dans le succès de l’introduction de l’approche BIM dans l’enseignement. Le cours autonome a été donné avec deux professionnels de l’industrie. Le contenu du programme court spécialisé a été défini et validé avec des représentants de l’industrie de la construction locale afin de s’assurer qu’il répond aux besoins et aux attentes de l’industrie. Cette approche a permis de consolider les liens de l’ÉTS avec l’industrie.
Par ailleurs, la très grande majorité des diplômés ayant suivi la formation BIM travaillent désormais dans les firmes d’architecture, d’ingénierie et de construction en qualité de spécialistes BIM (gestionnaires BIM, coordinateurs BIM, intégrateurs BIM, etc.). Ce taux de placement particulièrement élevé est un indicateur du niveau de satisfaction de l’industrie à l’égard de la formation, mais les auteurs envisagent de mener une enquête permettant de mesurer de manière plus explicite cette satisfaction.
Discussion et conclusion
L’expérience de l’ÉTS en matière d’introduction de l’approche BIM présentée ci-dessus est très utile pour illustrer et discuter les différents aspects du cadre proposé. Elle offre également la possibilité d’effectuer une analyse critique de ce qui est actuellement fait dans les universités.
Le principal aspect positif de l’expérience de l’ÉTS est l’approche graduelle qui montre comment un processus d’amélioration continue est nécessaire afin d’adapter le contenu aux défis rencontrés et d’intégrer la rétroaction des étudiants et de l’industrie. Un autre aspect positif de l’expérience de l’ÉTS est la nature interdisciplinaire du contenu de l’enseignement BIM et l’importance de trouver un bon équilibre entre les compétences techniques et managériales en matière de connaissances BIM. L’expérience de l’ÉTS souligne enfin l’importance d’un bon partenariat avec l’industrie locale de la construction.
Cependant, l’étude de cas montre un certain nombre de limites dans l’expérience de l’ÉTS, la première étant le manque d’intégration complète des connaissances spécifiques BIM aux compétences de base en ingénierie. Ce manque est bien illustré par le fait que l’approche BIM n’a pas été introduite au niveau du baccalauréat. Il faut noter que c’est à ce niveau que les compétences de base en ingénierie devraient être acquises, y compris les compétences fondamentales et celles qui sont spécifiques à l’industrie. L’une des principales raisons qui expliquent cette situation a été établie et expliquée par Sacks et Barak (2010) : le débat commun dans de nombreux programmes de génie concerne la tension entre la nécessité de fournir une éducation et une formation complètes et la pression pour limiter le nombre de crédits au niveau du baccalauréat. Il convient d’ajouter qu’au Canada, les programmes d’études en génie sont soumis à l’approbation d’organismes d’accréditation dont les critères sont parfois déconnectés des pratiques novatrices et de technologies de rupture telles que l’approche BIM.
Il est également de plus en plus nécessaire de mentionner la question de l’agilité nécessaire dans le cursus d’aujourd’hui en relation avec un environnement industriel en mutation. L’industrie évolue rapidement et le savoir n’est parfois plus généré par la recherche universitaire, mais par les progrès de l’industrie. Ainsi, la relation étroite avec l’industrie décrite à la figure 5 mérite une attention particulière, car les liens entre l’enseignement et la recherche maintiennent le contenu des programmes à jour. Une autre limitation importante dans le cas de l’ÉTS réside dans la rigidité et la fragmentation des structures scientifiques, scolaires et pédagogiques qui tendent à créer une forte résistance au changement. L’obtention du soutien de la direction et de l’administration est donc essentielle pour surmonter cette résistance au changement. Toutefois, faute de pression du marché, ces administrateurs sont à peine ou pas du tout conscients des enjeux et de l’importance de l’approche BIM et tendent à s’opposer à l’intégration de l’approche BIM au lieu de l’encourager.
Les travaux futurs porteront sur la manière dont le cadre proposé peut être utilisé et évalué dans d’autres contextes universitaires. D’autres expériences seront étudiées à la lumière du cadre afin de le consolider ainsi que de déterminer et de formaliser les meilleures pratiques communes. La mise en oeuvre du nouveau programme court sera aussi suivie et analysée afin d’évaluer son fonctionnement et sa perception par les étudiants et l’industrie locale.
Appendices
Notes
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