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Le livre Facteurs en Europe. Le syndicalisme face à la libéralisation et aux mutations des activités postales : Belgique, Bulgarie, Espagne, France et Royaume-Uni, est paru en 2020, chez OCTARÈS Éditions, dans la collection Le travail en débat – Série LEST. Sous la direction de Paul Bouffartigue et Jean Vandewattyne, l’ouvrage procède à une analyse de l’évolution du travail et du syndicalisme, en contexte de libéralisation du secteur des postes en Europe. Pour ce faire, l’ouvrage présente les résultats d’une recherche collective, réalisée par cinq équipes de sociologues, dans cinq pays de l’Union européenne (Belgique, Bulgarie, Espagne, France et Royaume-Uni).

Dès l’introduction, les auteurs justifient le choix d’étudier le secteur des postes, et le métier de facteur. Ils soulignent, entre autres, que ce secteur est traditionnellement associé à l’administration publique, qu’il s’inscrit dans une longue histoire, qu’on y retrouve des valeurs fortes de service public et un taux de syndicalisation élevé. Le métier de facteur se caractérise par une organisation du travail particulière, découlant des exigences propres à ce service, ainsi que par une identité professionnelle forte. Or, ce secteur, et le métier de facteur, sont l’objet de changements importants. D’une part, la numérisation des échanges entraîne une diminution de l’activité de livraison des lettres, d’autre part, ce secteur est l’objet d’un processus de libéralisation. Ce sont donc tout autant ses caractéristiques traditionnelles que les changements importants subis qui font de ce secteur un cas d’analyse particulièrement pertinent.

L’ouvrage est structuré autour de trois grandes séries de questions. La première concerne la nature des réformes visant la libéralisation du secteur de la poste. On cherche alors à mieux comprendre les objectifs des réformes, les moyens de leur mise en oeuvre, leurs effets et leurs résultats. La deuxième série de questions s’attarde à l’évolution des relations professionnelles dans le contexte de ces réformes. Un accent particulier est alors porté à l’acteur syndical, aux stratégies qu’il met de l’avant pour faire face aux réformes, ainsi qu’à ses résultats. Avec la troisième série de question, c’est le travail des facteurs, et son évolution, qui sont examinés. On se questionne sur le futur de ce métier, mais aussi, et surtout, sur l’évolution de la nature et des conditions d’exercice du travail des facteurs.

Ces questions sont abordées de manière transversale dans la première partie de l’ouvrage. Celle-ci est composée de trois chapitres qui s’emploient à décrire et analyser les convergences et les divergences entre les cinq pays étudiés. Ces trois chapitres sont rédigés par Paul Bouffartigue, Esteban Martinez et Jean Vandewattyne. Dans le premier, les auteurs cherchent à saisir dans quelle mesure les projets de libéralisation se sont effectivement mis en oeuvre, en plus de vérifier si ceux-ci ont entraîné une consolidation ou un effacement des diversités nationales des secteurs postaux.

Le deuxième chapitre s’intéresse plus spécifiquement aux relations professionnelles et aux stratégies syndicales. Dans tous les pays étudiés, la poste constitue un secteur avec une forte institutionnalisation de l’acteur syndical et des relations collectives de travail. Les taux de syndicalisation y sont plus élevés que les moyennes nationales, et l’acteur syndical bénéficie d’une grande légitimité. Or, ces organisations font toutes face à de fortes pressions pour contrer la dégradation de la qualité du travail et de l’emploi des travailleurs qu’ils représentent, et les stratégies à adopter pour ce faire ne sont pas évidentes. En effet, on retrouve d’abord de nombreuses organisations syndicales ayant des positions idéologiques diversifiées et prônant des modes d’action différents. Qui plus est, les réformes entrainent des modifications qui rendent difficile l’identification de revendications collectives et qui fragilisent la capacité de mobilisation. Même si on retrouve de nombreux conflits de travail dans ce secteur et, simultanément, d’intenses négociations, les auteurs constatent que les syndicats se retrouvent bien souvent en position défensive.

Le troisième chapitre met en lumière les grands changements dans l’activité de distribution du courrier et des colis ainsi que dans la situation des travailleurs qui réalisent ces activités. Les auteurs identifient une série de tendances convergentes, telles que la diminution des effectifs, et son corolaire, l’intensification du travail, mais aussi la montée de la précarité, la dégradation du statut salarial ainsi que des tentatives de rationalisation du travail. Ces changements entraînent chez les facteurs une série de conséquences, telles que la perte de sens, des conflits éthiques, une augmentation des risques psychosociaux, ou encore la déstabilisation de leur identité professionnelle.

Les mêmes grandes séries de questions sont abordées dans la deuxième partie de l’ouvrage pour analyser chacun des cinq cas nationaux. Ainsi, le quatrième chapitre porte sur la situation belge. Les auteurs, Thomas Hausmann, Esteban Martinez et Jean Vandewattyne, s’intéressent au processus de rationalisation du métier de facteur, qui découle de la volonté de la direction de moderniser « l’opérateur historique », et d’en augmenter l’efficacité et la performance. Après avoir décrit l’origine et les grandes étapes de ce processus de rationalisation, les auteurs portent leur regard sur les relations professionnelles. Ils constatent que malgré la présence de conflits et de dialogue social, c’est bien l’acteur managérial qui impose ses visées. En effet, si l’acteur syndical demeure en mesure de limiter en partie les impacts négatifs des réformes sur le travail et l’emploi, il n’est pas en mesure d’imposer de modifications aux grandes orientations stratégiques au coeur de ces réformes.

Dans le cinquième chapitre, l’auteur Vassil Kirov analyse le cas bulgare. Celui-ci se distingue par le fait qu’on n’y retrouve pas de stratégie de modernisation claire et structurée du secteur postal. L’organisation analysée semble plutôt se contenter d’une stratégie de réduction des coûts. Autre caractéristique intéressante, malgré une situation qui peut, à première vue, paraître avantageuse pour l’acteur syndical (taux de syndicalisation élevé et présence de structures bipartites pour les questions liées au travail), ce dernier ne réussit pas à freiner la dégradation de la qualité du travail. Ce paradoxe s’explique, selon l’auteur, par le fait que l’acteur syndical est, en réalité, fortement institutionnalisé, intégré à la hiérarchie de l’entreprise, et qu’il n’a que peu de liens, en pratique, avec les travailleurs.

Le cas espagnol, qui compose le sixième chapitre, est analysé par Sofia Pérez de Guzman, Carlos Pietro, Ester Ulloa et Marcela Iglesias. L’accent est mis sur les stratégies de négociation des organisations syndicales. À défaut de victoires dans la protection de l’emploi et des conditions de travail, les organisations syndicales espagnoles ont été en mesure d’attribuer la responsabilité de la dégradation du travail aux politiques de l’entreprise, et de maintenir une forte présence syndicale au niveau local. Cela explique que le degré d’affiliation et de mobilisation demeure élevé, malgré le contexte difficile.

Le chapitre sept, rédigé par Paul Bouffartigue et Jacques Bouteiller, porte sur le cas français. Les auteurs abordent les transformations du travail des facteurs sous l’angle des changements dans le temps de travail. Cela leur permet d’analyser en profondeur la tentative de rationalisation du travail, ainsi que son impact sur certains des piliers de l’organisation du travail de ce groupe, tels que l’autonomie et le rythme de travail. D’ailleurs, ce sont ces mêmes enjeux qui se trouvent au coeur des revendications syndicales qui débouchent bien souvent sur des conflits locaux et défensifs.

Dans le huitième chapitre, Sylvie Contrepois et Fatiha Talahite s’intéressent à la situation du Royaume-Uni. La tentative de rationalisation de l’organisation du travail a de nombreux impacts sur l’identité professionnelle des facteurs, ainsi que sur les conditions d’exercice. Or, lorsqu’examiné sous l’angle des relations professionnelles, le cas du Royaume-Uni détonne. Malgré une privatisation complète du secteur, les auteurs mentionnent qu’il existe toujours des leviers efficaces en termes de rapports collectifs pour améliorer la situation des facteurs.

Les auteurs concluent l’ouvrage en traçant quelques constats. Ils soulignent d’abord que le statut public des organisations ne semble pas être plus favorable à l’action syndicale et à la qualité du travail. Ils identifient aussi une série de tendances communes à tous les cas, telles que le recul des effectifs ou la précarisation découlant de la diversification des statuts d’emploi. Finalement, ils constatent la difficulté des acteurs syndicaux organisations syndicales à influer sur les orientations stratégiques des organisations des secteurs des postes.

Un des défis de cet ouvrage consistait à tracer un fil conducteur entre des recherches ayant été réalisées dans des contextes historiques, législatifs et institutionnels fort différents. Or, les auteurs réussissent à créer cette cohérence interne, entre autres grâce au chapitre introductif, dans lequel de nombreuses clés de lecture sont présentées (origine de la recherche, choix méthodologiques, structure de l’ouvrage, etc.), mais aussi à l’aide des trois premiers chapitres qui permettent de prendre du recul par rapport à la présentation des cas nationaux.

Soulignons que l’intérêt de cet ouvrage ne se limite pas au secteur des postes ou au métier de facteurs. En effet, à travers l’analyse de ce secteur particulier, les auteurs soulèvent de nombreuses questions qui concernent l’ensemble des secteurs publics, que ce soit à propos des grandes tendances dans l’évolution de la qualité du travail et de l’emploi, de la qualité et de la quantité des services public, ou encore des stratégies mises de l’avant par les organisations syndicales.

En conclusion, il s’agit d’un ouvrage de qualité abordant un sujet d’une grande pertinence. La perspective sociologique adoptée est tout à fait appropriée et contribue à mettre en lumière les impacts des réformes sur le travail et le syndicalisme. À ce propos, le choix de porter le regard sur le travail, sa nature ainsi de que ses conditions d’exercice, ainsi que sur l’acteur syndical, est particulièrement approprié. Le livre s’adresse à un large lectorat, composé de chercheurs et d’étudiants de toutes disciplines en sciences sociales, intéressé par un regard sociologique sur les réformes de l’État, la qualité du travail et de l’emploi et le syndicalisme.