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Cet ouvrage est rédigé pour fêter le 75e anniversaire de l’école des relations industrielles de l’Université de Montréal. Pour ce faire, les auteurs ont proposé une gamme de sujets qui reflètent les nouvelles réalités du monde du travail, tout en abordant une liste de questions d’actualité relatives à l’avenir de la gestion des ressources humaines, du syndicalisme, de la négociation collective, de la SST et des principes et enjeux éthiques. Centré sur la complexité et les nouvelles réalités du monde du travail, l’ouvrage est rédigé à plusieurs mains. Il est composé de vingt-trois chapitres regroupés en six parties.
La première partie, regroupant les quatre premiers chapitres, est consacrée à la présentation des perspectives en relations industrielles (RI). D’entrée de jeu, dans le premier chapitre, P. Jalette définit les relations industrielles en tant que domaine inter et multidisciplinaire avec six champs d’expertise, à savoir la gestion des ressources humaines (GRH), les relations de travail et le syndicalisme, les politiques gouvernementales en matière de travail et d’emploi, la santé et la sécurité au travail ainsi que le droit et la régulation du travail. Chaque champ d’expertise fait ensuite l’objet d’une partie. L’auteur termine en présentant les professions que les futurs diplômés en RI du premier cycle ou des cycles supérieurs pourront occuper et les employeurs cibles pour chaque niveau d’étude. Dans le deuxième chapitre, J. Hilgert aborde le rôle que joue l’éthique en RI. Afin de comprendre ce rôle, l’auteur met l’accent sur les origines intellectuelles du champ des RI et ses deux mouvements idéologiques, à savoir la philosophie pragmatiste des premiers économistes en RI et le mouvement idéationnel. Ensuite, l’auteur passe en revue l’histoire mouvementée des RI, commençant par l’économie institutionnelle de John R. Commons jusqu’à la psychologie industrielle et le climat psychologique de Elton Mayo. Dans le troisième chapitre, U. Riza Ozkan se penche sur la question des recherches comparatives en RI et leurs avantages. En effet, en présentant les différentes écoles de pensée et les théories et approches mobilisées pour réaliser des analyses comparatives en RI, l’auteur démontre l’importance des comparaisons internationales en exposant brièvement les typologies de l’État-providence, des relations industrielles, des régimes de production et des formes de capitalisme. Dans le quatrième chapitre, P. Jalette aborde les phénomènes de mondialisation et de démondialisation ainsi que le rôle des acteurs des RI face aux questions et enjeux posés par ces phénomènes. Selon l’auteur, depuis les crises financières de 2007 et de 2008, on assisterait à un processus de démondialisation, que la crise pandémique de la Covid-19 n’aurait qu’accentué.
La deuxième partie de l’ouvrage comprend les chapitres 5 à 7. Dans le chapitre 5, V. Y. Haines démontre que la GRH est humaine lorsqu’elle adopte une perspective interactionniste et moins humaine dès lors qu’elle s’inscrit dans la performance organisationnelle. Dans la perspective de la performance organisationnelle, la GRH peut favoriser l’autonomie, le sentiment de compétence et la motivation intrinsèque, mais elle peut également engendrer le stress et l’épuisement. Dans le chapitre 6, V. Rousseau traite de la question de la transformation de travail en équipe au sein de l’organisation. L’auteur souligne l’existence de différentes formes d’équipe, à savoir les équipes diversifiées, les équipes virtuelles et les équipes hybrides (humain-robot). L’auteur distingue aussi deux types de diversité, soit la diversité de surface et la diversité profonde. Dans le chapitre 7, T. Saba aborde la question des valeurs intergénérationnelles. Après avoir exposé une définition des générations au travail, l’auteure propose un cadre conceptuel constitué de quatre dimensions, parmi lesquelles on retrouve notamment l’affirmation de soi et le dépassement de soi, qui pourront servir à la mesure des valeurs intergénérationnelles ainsi qu’à l’identification des différentes générations.
La troisième partie regroupe les chapitres 8 à 12. Dans le chapitre 8, G. Murray aborde la question de la représentation syndicale et de ses avantages, non seulement pour les travailleurs, mais aussi pour l’employeur et la société. Par exemple, du côté des travailleurs, la négociation collective améliore, entre autres, leurs salaires et leurs conditions de travail en plus de favoriser l’apprentissage démocratique. Tandis que du côté de la société, la convention collective réduit les inégalités socioéconomiques et favorise la performance économique et sociale. Dans le chapitre 9, M. Laroche et M. Dufour-Poirier se demandent comment l’image du syndicalisme peut être améliorée auprès des jeunes. Les auteures, en s’appuyant sur leurs travaux antérieurs, avancent l’hypothèse selon laquelle la revitalisation de la participation des membres à la vie des syndicats passe par le renforcement de l’identité et des modes de socialisation et de la démocratie. Les auteures mettent l’accent sur les comités jeunes et les programmes d’éducation syndicale comme mesures privilégiées par les organisations syndicales pour stimuler la participation à l’interne des jeunes. Dans le chapitre 10, P. Barré aborde la question de la précarité des artistes et de l’action collective en lien avec cette nouvelle configuration du travail. L’auteur mentionne l’existence de nouvelles formes d’actions collectives et individuelles, à partir desquelles il élabore deux types d’action, à savoir l’activisme esthétique et l’activisme entrepreneurial. Dans le chapitre 11, M. Laroche s’interroge sur la manière de devenir un négociateur compétent. L’auteure mentionne qu’avec les nouvelles réalités des relations d’emploi et du travail, induites notamment par la mondialisation, la reconfiguration des entreprises et l’émergence de plusieurs enjeux (ex. la flexibilité d’emploi, etc.), un négociateur est appelé à maîtriser un ensemble de compétences. L’auteure dresse une typologie des compétences essentielles à la négociation collective, composée de cinq grandes familles de compétences, telles que les compétences cognitives et émotionnelles. Dans le chapitre 12, P. Jalette et M. Laroche expliquent pourquoi la durée des conventions collectives s’est accrue à partir du début des années 2000. Ils mentionnent, par ailleurs, que les systèmes canadien et québécois de négociation collective sont caractérisés par une obligation de paix industrielle, qui se traduit par l’interdiction légale de faire la grève ou d’entamer un lock-out pour toute la durée de la convention collective. Toutefois, une telle situation soulève plusieurs questions, notamment relativement au dynamisme des relations de l’emploi et du travail.
La quatrième partie comprend les chapitres 13 à 15. Dans le chapitre 13, M-T. Chicha aborde les programmes d’accès à l’égalité au Québec. L’auteure, en utilisant le cadre d’analyse de Lombardo et al. (2010), démontre les limitations et les contradictions qui introduisent l’État comme employeur/législateur, notamment avec la mise en place du Programme d’obligation contractuelle et d’un régime préférentiel pour le secteur public. Au chapitre 14, en s’appuyant sur la littérature récente, É. Genin et M. Laroche mettent en exergue le phénomène de stagnation des inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes au Canada et au Québec. Cette stagnation constitue un obstacle majeur à une croissance économique inclusive, malgré le fait que des lois et des projets aient été mis en place en matière d’accès et de maintien en emploi. Par ailleurs, les auteures avancent l’hypothèse selon laquelle le contexte professionnel québécois est favorable à l’égalité professionnelle. Dans le chapitre 15, à partir de l’exemple du programme de crédit d’impôt qui a pour objectif de prolonger la durée de la carrière et de contrer les effets du vieillissement de la population active, J-M. Cousineau démontre que les résultats des politiques publiques - que ce soit en RI ou dans d’autres domaines- ne sont pas toujours au rendez-vous. L’auteur invite les chercheurs spécialistes à se pencher sur la question et à analyser empiriquement et plus en profondeur le degré, non seulement d’efficacité, mais également d’efficience du programme de crédit d’impôt susmentionné.
La cinquième partie traite des questions d’actualité relatives à la santé, la sécurité et au mieux-être au travail. Elle englobe les chapitres 16 à 19. Dans le chapitre 16, A. Marchand présente quatre grands facteurs qui peuvent influencer la santé mentale en milieu de travail, tels que la conception des tâches et les relations sociales en milieu de travail. À ces facteurs, s’ajoutent deux autres facteurs externes au milieu du travail, à savoir la situation familiale et le réseau social hors travail, ainsi que d’autres facteurs liés à l’individu, tels que les évènements de la vie et les traits de personnalité. Au chapitre 17, M. Dufour-Poirier traite du rôle des syndicats dans la prévention collective de la santé mentale. L’auteure mentionne que la montée en puissance des risques psychosociaux constitue l’épiphénomène d’une situation sociale mondiale. Cette situation, qualifiée de crise par M. Dufour-Poirier, commande l’implication syndicale dans la prévention collective. Dans le chapitre 18, N. Beauregard traite des enjeux de la santé et de la sécurité au travail chez les jeunes. L’auteur mentionne que les jeunes sont davantage exposés à des risques d’atteintes à la santé physique, mentale et à des pratiques de travail non sécuritaires. Plusieurs facteurs peuvent expliquer une telle situation, tels que la maturité physique et cognitive, le niveau de connaissance et d’expérience liés à l’emploi. Dans le chapitre 19, P. Durant présente les défis et les perspectives pour le champ de la santé et la sécurité au travail (SST). L’auteur note qu’avec l’évolution de l’activité économique, les transformations de l’organisation du travail et de ses méthodes et l’émergence de nouvelles professions, nous assistons à la démultiplication des problèmes liés au stress et aux positions statiques au travail. Face à cette situation, de nouvelles priorités en SST ont pris la place des anciennes.
La sixième partie est composée des chapitres 20 à 22. Au chapitre 20, G. Vallée explique les raisons pour lesquelles nous devons nous intéresser au droit en relations industrielles et pourquoi le cadre juridique applicable au travail s’est complexifié, tant dans le milieu syndiqué que non syndiqué. Il présente un bref panorama des cadres juridiques qui ont marqué l’histoire du Québec. Dans le chapitre 21, I. Martin aborde des questions d’ordre juridique soulevées par la responsabilité sociale des entreprises (RSE) transnationales. Alors que les entreprises transnationales, intégrées ou réseaux, ont un poids économique, une autonomie et un pouvoir très élevés dans l’économie mondiale, l’auteur note qu’on ne s’est pas encore doté des outils adéquats pour saisir cette réalité. Dans les dernières années, on assiste, par ailleurs, à un mouvement de la RSE « qui s’articule autour du devoir de diligence raisonnable » (idem : 245). Cependant, le Canada n’a pas adopté de loi imposant ce devoir. Au chapitre 22, M. Coutu propose un cadre de référence pour aborder la question de la « constitution du travail », à partir d’une méthodologie inspirée des travaux ce de Max Weber sur les conditions de travail agraire en Europe centrale. Il termine le chapitre en ouvrant une réflexion sur les orientations de recherche susceptibles d’éclairer les composantes et les conditions préalables à une nouvelle constitution du travail, qui s’inscrirait dans le mouvement de Constitutionnalisation du droit du travail au Canada à l’oeuvre depuis 2007.
Cet ouvrage, fort bien écrit, est riche en informations et facile à saisir. Il s’adresse aux jeunes chercheurs, aux étudiants et aux professeurs en RI désireux de comprendre les nouvelles relations d’emploi et leurs enjeux actuels. Chaque chapitre aborde une question d’actualité qu’il propose d’analyser à partir d’un ancrage conceptuel et dans une perspective historique. Aussi, le regroupement des chapitres par champ de spécialisation rend la lecture agréable et facilite la compréhension. Cette organisation de l’ouvrage et de ses chapitres permet au lecteur de suivre l’évolution des RI, à partir de ses origines comme domaine de recherche et d’enseignement. Autre attrait de ce livre, plusieurs pistes de recherche sont évoquées à la fin de chacun des chapitres. D’ailleurs, dans le dernier chapitre, P. Jalette formule plusieurs questions de recherche liées à la pandémie de la Covid-19 qu’il invite les RI à se saisir.