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Cet ouvrage rédigé par Pascal Ughetto, professeur de sociologie à l’Université Paris-est Marne-la-Vallée et membre du laboratoire LATTS (Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés), est un manuel destiné aux étudiants et aux praticiens qui propose une introduction à la sociologie de l’activité. À cet égard, le sous-titre paraît plus approprié que le titre qui laisse entendre que l’ouvrage présente un panorama des « nouvelles sociologies du travail », ce qui n’est pas vraiment le cas ici. L’ouvrage de 151 pages traite, dans ses six chapitres, de l’émergence du courant de la sociologie de l’activité et de son positionnement vis-à-vis de ce que l’auteur subsume sous l’expression de « sociologie du travail classique », c’est-à-dire visant à envisager le travail « à partir des rapports sociaux découlant de la relation de subordination propre au salariat » (p. 15). Comme le reconnait l’auteur, « les thèses qui inspirent cet ouvrage — celles qui consistent à affirmer l’intérêt de voir le travail comme de l’activité et des actions, là où la sociologie préférait habituellement le définir à partir des rapports sociaux découlant de la relation de subordination propre au salariat — ont déjà été défendues » (p. 15), en particulier dans l’ouvrage collectif de 2006 dirigé par Alexandra Bidet, Annie Borzeix et Thierry Pillon[1]. L’intention de l’auteur est donc davantage de « contribuer à la normalisation » de ce courant théorique au sein de la sociologie du travail contemporaine.
Le premier chapitre évoque l’émergence de ce courant de la sociologie « par-delà le ‘prisme salarial’ », dans la filiation de courants plus anciens comme ceux de l’ethno-méthodologie ou de la sociologie des sciences, et qui se donnent pour objet le travail en train de se faire à partir de focales d’observation microsociologique.
Le chapitre deux propose de montrer le rôle de l’émergence en France des études de la relation de service dans cette orientation théorique à partir des années 1990. À cet effet, il signale le travail pionnier d’Isaac Joseph auprès des conducteurs de bus de la RATP, dans une démarche inspirée pour partie de la tradition interactionniste de l’École de Chicago, qu’il contribua à diffuser dans la sociologie française.
« Aussi influent que les études de la relation de service », le chapitre trois est consacré à cet « autre ensemble de travaux qui ont contribué pour l’auteur à renouveler les problématiques de la sociologie du travail, à savoir les travaux qui ont porté sur la dimension technique de l’activité de travail » (p. 53), notamment, en France, le travail de Nicolas Dodier au début des années 2000.
Le chapitre quatre entend discuter des frontières du champ de la sociologie du travail dès lors que celle-ci s’ouvre aux problématiques de la sociologie de l’activité. Les enjeux entre expansion ou dilution de la sociologie du travail sont discutés à partir de l’exemple de la sociologie des sciences.
Dans la continuité de la réflexion sur les frontières du champ, le chapitre cinq traite des nouvelles relations que permettraient l’émergence de la sociologie de l’activité avec des disciplines voisines, en particulier avec la sociolinguistique, l’ergonomie ou, encore, la psychodynamique du travail.
Le sixième et dernier chapitre aborde avec un point d’interrogation dans son titre les convergences éventuelles avec la sociologie dite « classique ». Il s’amorce avec un avertissement indiquant que l’ouvrage souhaite « ouvrir son lecteur à la diversité de la sociologie du travail aujourd’hui et non pas durcir les oppositions ni dresser un courant contre l’autre » (p. 115). Si l’intention est éminemment louable, force est de constater que, dans son souci de promotion de la sociologie de l’activité comme l’alpha et l’oméga des nouvelles sociologies du travail, l’auteur disqualifie systématiquement toutes approches en termes de rapports sociaux de travail en les caricaturant comme des postulats théoriques qui primeraient sur toutes investigations empiriques (p. 121); ce qui revient bien sûr à les disqualifier d’emblée comme des démarches plus idéologiques que scientifiques. Ainsi, en conclusion du chapitre, l’auteur affirme à nouveau que « les nouvelles sociologies du travail ne veulent pas déterminer d’emblée les acteurs par les structures dont ils relèveraient et accordent une importance décisive à ne parler du prescrit, de l’organisé, de l’imposé que lorsque l’enquête permet de le rencontrer dans les pratiques et l’agency des salariés » (p. 128). Il y aurait donc d’un côté les sociologues soucieux d’une sociologie de l’activité qui seraient sensibles aux « données d’observation » et de l’autre les partisans d’une sociologie du travail classique qui ne seraient mus que par des présupposés idéologiques de dénonciation des rapports de domination... ! Difficile alors dans ces conditions d’envisager des articulations possibles entre les problématiques théoriques en question et de « contribuer à la normalisation » de ce courant théorique au sein de la sociologie du travail contemporaine, qui, par ailleurs, est tout à fait à la fois pratiqué et conceptualisé, par exemple dans le très bon manuel de Marie Cartier, Christelle Avril et Delphine Serre paru en 2010[2] — que l’auteur ne cite curieusement pas — et dont on ne peut que recommander la lecture aux personnes intéressées par un manuel ouvert aux nouvelles sociologies du travail.
Appendices
Notes
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[1]
Alexandra Bidet, dir. (2006) Sociologie du travail et activité. Le travail en actes, nouveaux regards, Toulouse : Octarès Éditions, coll. « Le travail en débats », 254 pages.
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[2]
Christelle Avril, Marie Cartier et Delphine Serre (2010) Enquêter sur le travail. Concepts, méthodes, récits, Paris : La Découverte, coll. « Guides », 284 pages.