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Une riche littérature témoigne de la crise actuelle du syndicalisme (Schiavone, 2008; Upchurch, Taylor et Mathers, 2009), notamment des difficultés de la représentation collective dans les secteurs croissants de l’économie (Brody, 1993; Rigby, Smith et Brewster, 2006). Cette faible représentation syndicale se retrouve particulièrement dans les services privés qui regroupent de nombreuses femmes. En 2009, la présence syndicale dans le secteur tertiaire privé au Québec se situait à 20,5 % (13,4 % dans le reste du Canada) comparativement à 82,2 % dans le secteur public[1]. Est-ce bientôt la fin du syndicalisme ou des avenues de renouveau sont-elles plausibles ?

Pour mieux comprendre la nature de la crise syndicale, cette étude se penche sur l’impact des nouvelles identités professionnelles des femmes syndiquées sur leur adhésion syndicale dans le secteur des services privés. Les femmes syndiquées, si elles avaient le choix, demeureraient-elles syndiquées ? Sont-elles fières d’être membres d’un syndicat ? Nous nous attarderons à comprendre ce lien entre les femmes syndiquées et le syndicalisme. Lorsque nous utilisons le concept d’identités professionnelles dans notre texte, nous référons à la nature du rapport de l’individu à son travail. De multiples travaux ont mis en évidence une diversité d’identités collectives au travail dont, entre autres, ceux de Dubar (1996), Francfort et al. (1995) et Sainsaulieu (1977). Récemment, Osty, Sainsaulieu et Uhalde (2007) ont mis de l’avant trois types d’identités au travail traditionnelles : un rapport instrumental au travail, un modèle communautaire en déclin axé sur l’identité de masse et la fierté d’exercer un métier. Au-delà de ces identités traditionnelles, les changements organisationnels dans les entreprises ont engendré trois nouvelles formes d’identités professionnelles centrées sur un engagement professionnel accru (Osty, Sainsaulieu et Uhalde, 2007). Un premier modèle identitaire met l’accent sur la relation de conseil et de service qui procure un sentiment d’utilité sociale. Une deuxième forme de nouvelles identités professionnelles axée sur la mobilité individuelle met le parcours professionnel au centre de la motivation. Un dernier type centré sur des valeurs entrepreneuriales regroupe des individus qui ont une forte implication dans le travail tout en s’identifiant à leur entreprise. Selon Mercure et Vultur (2010), le travail demeure une valeur importante, mais les individus aspirent également de plus en plus à la réalisation de soi et à l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle. Les exigences du monde contemporain contribuent ainsi à une diversité accrue de situations vécues dans les milieux de travail.

Quant à la distinction entre les identités au travail des femmes et celles des hommes, elle provient de la persistance des inégalités entre les hommes et les femmes en termes de salaire, de précarité des emplois, de répartition des tâches domestiques et de ségrégation sexuelle (Dugré, 2007). Toutefois, les femmes, elles-aussi, accèdent de plus en plus à un rapport positif à l’emploi (Gadéa, 2003). Bien que la conciliation travail-famille particularise l’identité féminine (Maruani, 2003; Crompton et Brockmann, 2006 : 103), les femmes aspirent à la fois à la réussite professionnelle et à la réussite familiale. L’engagement professionnel et les activités familiales sont communément au coeur des nouvelles identités professionnelles des femmes.

Ces nouvelles identités professionnelles complexifient le rapport des femmes à l’égard du syndicalisme. Selon Heckscher (1988), les formes traditionnelles du syndicalisme centrées sur le conflit, les règles de travail, l’amélioration des salaires et de la sécurité d’emploi ne conviennent plus aux cols blancs qualifiés. Cette main-d’oeuvre professionnelle souhaite aussi que les syndicats s’impliquent dans le développement de leur carrière (Healy, 1999). De plus, des inégalités croissantes se retrouvent chez les femmes elles-mêmes entre celles qui ont pris la décision d’étudier pour accéder à des emplois qualifiés et celles qui ne l’ont pas fait (Hernstein et Murray, 1994). Les attentes axées sur la carrière (formation, promotions, autonomie, etc.) de la part des professionnelles à l’égard du syndicalisme se distinguent ainsi de celles des travailleuses moins qualifiées pour qui le salaire et la sécurité d’emploi demeurent des enjeux essentiels. Cette diversité d’identités au travail commande une redéfinition du rôle des syndicats afin de représenter les multiples aspirations de la main-d’oeuvre féminine.

Malgré de nombreuses recherches menées sur le renouveau syndical au cours des dernières décennies, encore peu d’intérêt est accordé au lien entre l’engagement professionnel et le syndicalisme (Healy et Kirton, 2002). De plus, selon Yates (2005), les préoccupations des femmes, majoritaires dans le secteur des services, ont longtemps été négligées par les syndicats. Ces constats nous conduisent à poser la question suivante : quel est l’impact des nouvelles identités professionnelles des femmes syndiquées sur leur adhésion syndicale ?

Dans cet article, nous recensons tout d’abord les principaux facteurs associés à l’adhésion syndicale afin d’élaborer le cadre conceptuel de cette étude. Après avoir présenté la méthodologie de la recherche quantitative liée à un sondage auprès de 576 femmes syndiquées dans le Mouvement Desjardins, la principale institution financière au Québec, les résultats sont présentés puis discutés. En conclusion, nous posons les limites de cette étude et les pistes pour la recherche future.

Facteurs associés à l’adhésion syndicale

La littérature sur le lien entre les membres et le syndicalisme peut être répertoriée en quatre approches théoriques à la fois distinctes et complémentaires que nous avons regroupées dans le modèle présenté dans la figure 1. Cette figure vise à dégager les principaux éléments du rapport d’emploi qui affaiblissent ou renforcent l’adhésion syndicale des femmes[2].

Figure 1

Modélisation conceptuelle de la recherche

Modélisation conceptuelle de la recherche

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Premièrement, l’apport de l’approche matérialiste résulte de la prise en compte d’une relation d’emploi inégale entre les employés et les employeurs sur laquelle se fonde la légitimité syndicale (Giles et Murray, 1997). Le rapport d’emploi est une relation conflictuelle axée sur la domination des dirigeants. Cependant, la subordination de la classe des travailleurs n’évacue pas complètement les formes de coopération organisées dans le cadre du rapport salarial asymétrique (Edwards, 1986). Le comportement de domination de l’employeur et le climat de travail représentent ainsi les facteurs explicatifs de renforcement du syndicalisme. Dans cette approche, la crise du syndicalisme émane de la perte de référence du rapport de classe entre les travailleurs.

Deuxièmement, une riche littérature sur l’adhésion syndicale (union commitment) repose sur la recherche de l’amélioration des conditions de travail (Gordon et al., 1980). Le membre s’identifie au syndicat en échange d’une bonification des salaires, des avantages sociaux et des conditions générales de travail (Barling, Fullagar et Kelloway, 1992). Cette approche instrumentale basée sur la satisfaction des intérêts individuels réfère à l’étiquette « bread and butter » du syndicalisme d’affaires (Bamberger, Kluger et Suchard, 1999). Selon cette perspective, la crise du syndicalisme relève de l’incapacité pour les syndicats de répondre aux intérêts économiques de leurs membres (Freeman et Rogers, 1999). Ces deux premières approches, bien que distinctes, s’assimilent à des conceptions traditionnelles du syndicalisme (syndicalisme de classe et syndicalisme d’affaires). Bien qu’importantes, elles sont insuffisantes pour comprendre l’adhésion syndicale dans des milieux de travail en mutation.

Proposition A : Les facteurs liés aux approches traditionnelles sont insuffisants dans la société contemporaine pour expliquer l’adhésion syndicale.

Troisièmement, selon la théorie sociologique des identités professionnelles, une multiplicité de nouvelles professionnalités impulsées par l’évolution du travail est en oeuvre actuellement (Dubar et Tripier, 2005). Osty, Sainsaulieu et Uhalde (2007) soutiennent que l’activité au travail, même si elle est investie différemment par les uns et les autres (rapport instrumental, mobilité, service, etc.), procure un sens à l’individu. De plus en plus, les employés deviennent des professionnels incités à gérer leurs carrières et leurs compétences (Dubar et Tripier, 2005). S’éloignant de la figure ouvrière du syndicalisme traditionnel axé sur le conflit, les salaires et la sécurité d’emploi, la réorganisation du travail et des modes de gestion accordent de l’autonomie, des possibilités professionnelles et une plus grande implication personnelle qui remettent en cause la légitimité syndicale, surtout pour les personnes les plus qualifiées (Heckscher, 1988). Cette complexité identitaire est accentuée par la prise en compte d’une spécificité des identités professionnelles des femmes. En effet, la littérature féministe oblige à tenir compte des charges familiales qui incombent encore socialement aux femmes (Barrère-Maurisson, 2003). Cependant, un courant de féminisation du monde professionnel permet aux femmes de redéfinir leurs identités professionnelles en aspirant à un rapport positif à l’emploi (Ferrand, 2004; Gadéa, 2003). L’investissement professionnel et les activités familiales qui représentent l’identité féminine demeurent pauvrement représentés par les syndicats. Ce nouveau rapport au travail des femmes auquel accèdent surtout les travailleuses les plus qualifiées remet en cause l’identification syndicale dans ses formes les plus traditionnelles.

Proposition B : Les nouvelles identités professionnelles des femmes sont une source d’effritement de l’adhésion syndicale.

Finalement, selon une approche « située » axée sur le contexte syndical, malgré les contraintes structurelles, l’acteur syndical a la capacité d’élaborer ses propres stratégies (Lévesque, Murray et Le Queux, 2005). En plus des aspects de socialisation syndicale liés à l’engagement actif dans un syndicat (Snape, Redman et Chan, 2000 : 222), Lévesque et Murray (2003) mettent de l’avant trois ressources de pouvoir que les syndicats sont appelés à mobiliser pour contrer la crise du syndicalisme et se renouveler : la capacité stratégique liée au caractère proactif référant à un syndicalisme de proposition, la solidarité interne pour assurer la démocratie et la cohésion sociale entre les travailleurs ainsi que la solidarité externe pour créer des alliances avec la communauté ou d’autres syndicats. Les syndicats locaux sont au coeur du renouveau des stratégies syndicales et leur avenir dépend de leur capacité à mobiliser leurs ressources de pouvoir. Le lien identitaire entre le membre et le syndicat découle directement de la légitimité des actions syndicales (Lévesque et Murray, 2003) en mesure de répondre aux nouvelles professionnalités. Selon cette thèse, la démocratie syndicale (Lévesque et Murray, 2003; Rigby, Smith et Brewster, 2006; Wood, 2006) s’avère essentielle à la représentation de nouvelles figures professionnelles.

Proposition C : Les syndicats ont la capacité de susciter l’adhésion syndicale de leurs membres en mobilisant leurs propres ressources de pouvoir.

Tout en tenant compte des caractéristiques socioprofessionnelles des membres, ces approches contribuent à prédire l’adhésion des membres au syndicalisme. En particulier, notre recherche intègre la théorie des identités professionnelles à l’approche « située » sur l’acteur syndical alors que la littérature sur les professions mentionne rarement le syndicalisme (MacDonald, 1995). Cette jonction vise à dégager les impacts des nouvelles identités professionnelles des femmes et des stratégies syndicales sur l’adhésion syndicale.

Méthodologie

Contexte de la recherche

Notre recherche a été réalisée auprès des employées syndiquées du Mouvement Desjardins, la principale institution financière au Québec. Trois raisons expliquent ce choix. Premièrement, selon Jackson (2005), les emplois professionnels dans le secteur tertiaire privé se retrouvent principalement dans les services financiers et les services aux entreprises. Deuxièmement, la couverture syndicale dans le secteur financier québécois en 2009 atteint 20,3 %[3], comparativement à 11,3 % dans le reste du Canada en raison d’une présence syndicale plus élevée dans les établissements du Mouvement Desjardins que dans les banques[4]. Troisièmement, le Mouvement Desjardins comprend principalement des emplois à prédominance féminine.

Faisant partie du secteur coopératif, le Mouvement Desjardins, qui comprend 481 caisses populaires et 903 centres de services, regroupe 42 273 employés desservant plus de 5,8 millions de membres en 2009 au Québec et en Ontario[5]. Le contexte de déréglementation et de décloisonnement des activités financières dans les dernières décennies ont remis en question les façons de faire du Mouvement Desjardins (Tremblay et Poulin, 2003). En vue d’accroître sa rentabilité, le Mouvement Desjardins a procédé à la réingénierie de ses milieux de travail dans les années 1990 et à une refonte de ses structures au début des années 2000. De nombreuses études sur le Mouvement Desjardins (Bernier, Filion et L’Heureux, 1994; Lévesque et Mager, 1997; Tremblay et Poulin, 2003) ont déjà été menées durant cette période. Cependant, peu d’entre elles ont mis de l’avant les conséquences de ces changements sur le rapport au syndicalisme des employées.

Lors d’une phase exploratoire de la recherche, nous avons participé à une vingtaine de journées de réflexion du Groupe de travail créé par la Confédération des syndicats nationaux (CSN) sur l’avenir du Mouvement Desjardins[6]. Ce comité a été mis sur pied dès 2003 afin de comprendre les conséquences de l’implantation d’une forte culture de vente sur les diverses catégories d’emploi[7] et ses implications sur le plan syndical. Cette culture de vente a fait en sorte que les employées les moins qualifiées (des commis et des caissières de niveau 2 et 3) ont vu leurs tâches traditionnelles s’informatiser au profit d’une orientation vers la vente de produits et de services. L’élargissement des tâches exige de nouvelles qualités relationnelles et une requalification de ces travailleuses, une situation qu’elles n’ont pas choisie. Celles qui refusent de se former se trouvent exclues du Mouvement Desjardins. Quant aux postes de conseillers (niveau 4 et plus), ils ont été valorisés et enrichis. Par exemple, les conseillères peuvent accorder des prêts de plus en plus élevés sans les faire approuver par la direction. Plus on accède à des postes professionnels qui requièrent un diplôme universitaire (niveau 6 et plus), plus les employées bénéficient d’autonomie dans leur fonction liée au conseil auprès des clients et d’assistance d’autres employées pour le soutien administratif. Cette culture de vente s’accompagne de modes individualisés de gestion axés sur le recrutement par compétences, la formation, l’évaluation de la performance et l’implantation de la rémunération incitative sur le plan collectif (régime d’intéressement des caisses) et individuel. Cette professionnalisation des ressources humaines et la recherche de l’engagement professionnel ont ainsi des conséquences différenciées sur les catégories professionnelles, les plus qualifiées étant les plus valorisées.

Sur le plan des relations du travail, la fusion de caisses populaires syndiquées avec des établissements non syndiqués au début des années 2000 engendre une vague importante de désyndicalisation. Une gestion plus centralisée du Mouvement Desjardins vise à réduire la spécificité de chaque milieu de travail et les différences entre les établissements syndiqués et non syndiqués. Exclus des décisions stratégiques, les syndicats locaux sont plus affaiblis. Ils ont moins d’emprise sur certains enjeux de négociation collective qui ne relèvent plus du niveau local. Notamment, le repositionnement salarial qui permet une classification uniforme des salaires de base dans les établissements du Mouvement Desjardins limite le pouvoir des syndicats en matière de négociation salariale. Le rôle des syndicats locaux se restreint davantage à un niveau défensif considérant la plus grande centralisation des décisions stratégiques.

Devant ces constats, quelle est la perception des employées à l’égard du syndicalisme ? Selon les membres du Groupe de travail, un nombre accru de professionnelles dans le Mouvement Desjardins, ne se reconnaissant pas dans les conventions collectives traditionnelles, sont moins favorables aux syndicats. Ce type de main-d’oeuvre, comme les planificateurs financiers qui sont régis par un ordre professionnel comptable, revendique de nouvelles protections et des clauses particulières dans la convention collective liées à leur propre situation professionnelle, notamment en matière d’autonomie, de code de déontologie et de flexibilité des horaires. Par exemple, une employée peut être contrainte par la pression de l’employeur de vendre un produit à un client qui ne lui est pas nécessairement adapté afin d’atteindre ses objectifs de vente, ce qui est contraire au code déontologique. De plus, la perte du pouvoir de négociation sur les salaires (compte tenu du repositionnement salarial qui uniformise la rémunération dans les caisses populaires) et sur l’ancienneté (valorisation des compétences) font en sorte que les employées s’interrogent sur la pertinence d’être syndiquées.

Malgré cette faible adhésion syndicale, l’expérience novatrice de certains syndicats locaux est mise de l’avant. La possibilité d’aménager son temps de travail, l’existence de congés de maladie pour les enfants, la protection contre le harcèlement et les préoccupations en matière d’ergonomie au travail sont autant d’exemples qui visent l’amélioration de la qualité de vie au travail ainsi qu’une plus grande conciliation entre le travail, la famille et les études pour les mères présentes sur le marché du travail. En somme, ces données exploratoires mettent en évidence plusieurs difficultés en matière d’adhésion syndicale, notamment pour les professionnelles, mais également certaines initiatives qui redéfinissent l’action syndicale dans ces milieux de travail. Ces réflexions ont contribué à l’élaboration de la phase quantitative de la recherche.

Données et échantillon

Les données de cette étude quantitative proviennent d’un sondage téléphonique mené auprès d’un échantillon représentatif d’employés du Mouvement Desjardins au Québec, membres de syndicats affiliés CSN. À partir des coordonnées de 1889 membres, le recours à un échantillonnage stratifié selon les catégories professionnelles visait à rejoindre 600 personnes. Le taux de réponse de cette recherche s’élève à 54,3 %. Pour les fins de cette recherche, seules les réponses des 576 femmes ont été prises en compte. Nous disposons de 279 entretiens effectués auprès de personnes occupant un statut professionnel peu qualifié (N2 et N3), 159 entretiens issus de personnes qualifiées (N4 et N5) et 138 réponses de professionnelles (N6 et plus).

Mesure des variables

Variable dépendante

La variable dépendante sur l’adhésion syndicale, construite qualitativement, se mesure à partir de deux aspects : le choix d’être syndiqué et la fierté d’être membre d’un syndicat. Le choix d’être syndiqué est le principal indicateur de l’identification des individus à l’égard du syndicat (Bamberger, Kluger et Suchard, 1999) et se retrouve dans la plupart des recherches sur l’adhésion syndicale (Lévesque, Murray et Le Queux, 2005). Ainsi, nous avons posé la question suivante : « Si vous aviez le choix, préféreriez-vous être syndiquée ou de ne pas l’être ? ». Les répondantes avaient trois choix de réponses : « ne pas être syndiquée », « indifférente » ou « être syndiquée ». De plus, les études de Gordon et al. (1980) considèrent le sentiment de fierté d’être membre d’un syndicat. Nous avons donc demandé aux répondantes de nous préciser leur degré d’accord sur l’énoncé suivant : « Je suis fière d’être membre d’un syndicat » (peu ou pas du tout en accord, assez en accord, très en accord). En nous appuyant sur l’idée que l’adhésion syndicale requiert minimalement le choix d’être syndiquée (Lévesque, Murray et Le Queux, 2005), le premier énoncé sur la préférence d’être syndiquée prévaut sur la fierté d’être membre d’un syndicat. Cette variable qualitative ordinale différencie trois niveaux d’adhésion syndicale : faible, moyen et fort (tableau 1).

Tableau 1

Statistiques descriptives

Statistiques descriptives

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La faible adhésion syndicale regroupe les femmes qui préfèreraient ne pas être syndiquées et les personnes indifférentes à la syndicalisation qui sont peu ou assez fières d’être membres d’un syndicat. Une forte adhésion considère les personnes préférant être syndiquées et très fières d’être membres d’un syndicat. Les autres possibilités caractérisent une adhésion syndicale moyenne.

Variables explicatives

Afin d’alléger le texte, nous présentons seulement les variables explicatives de l’adhésion syndicale retenues après la vérification de la multi-colinéarité[8]. Il est important de noter que les seules mesures disponibles lors du sondage téléphonique sont celles présentées ci-dessous. Compte tenu du recours au sondage téléphonique, les questions posées devaient être brèves et faciles à comprendre. Même si la simplification des indicateurs pour expliquer plusieurs variables constitue une limite de notre recherche, la phase qualitative de la recherche a permis la sélection des indicateurs les plus pertinents.

Variables liées aux approches traditionnelles

Selon les études de Lévesque, Murray et Le Queux (2005 : 417), un employeur qui cherche à contourner la convention collective renforce la pertinence du syndicalisme pour les membres. Pour capter le comportement de l’employeur, nous avons demandé aux travailleuses interrogées si la direction de leur établissement prenait des décisions arbitraires. Quant au climat de travail, deux questions ont permis d’évaluer le degré de coopération patronale-syndicale : « Selon vous, votre syndicat considère-t-il la direction de l’établissement comme un partenaire ou un adversaire ? » et « La direction de l’établissement considère-t-elle le syndicat comme un partenaire ou un adversaire ? ». La coopération entre le patronat et le syndicat concerne les cas où nous retrouvons une relation réciproque de partenariat entre le syndicat et la direction.

L’insatisfaction envers le salaire peut tendre à une plus grande propension à vouloir se syndiquer (Barling, Fullagar et Kelloway, 1992). De plus, plusieurs études ont mis de l’avant l’importance de considérer les pressions sur la performance (O’Toole et Lawler III, 2006 : 111), le problème de l’épuisement professionnel dans les milieux de travail (Harley, Allen et Sargent, 2007 : 613) et l’augmentation de la charge de travail (Lévesque, Murray et Le Queux, 2005). La variable sur l’évaluation des conditions générales de travail vise à combiner ces trois indices (conditions de travail très défavorables = les personnes touchées par les trois aspects; assez défavorables = les personnes touchées par deux aspects; plus favorables = les autres réponses).

Variables liées aux nouvelles identités professionnelles

En tenant compte des études de Walsworth et Verma (2007), cinq indicateurs de transformations dans les milieux de travail ont été retenus. Le premier est l’ampleur des changements. Il réfère à la fois aux changements technologiques et aux modifications dans les tâches. Les autres indicateurs réfèrent à la présence d’une équipe de travail, de formation liée au travail, aux horaires flexibles et à l’évaluation du rendement.

Le nouveau rapport au travail considère huit caractéristiques. Le secteur des services étant segmenté en termes de qualification de la main-d’oeuvre (Appelbaum et al., 2000), le niveau professionnel des femmes est une composante importante à considérer. De plus, la littérature féministe sur le rapport positif des femmes à l’emploi (Gadéa, 2003) et les études sur les identités au travail (Osty, Sainsaulieu et Uhalde, 2007) justifient de considérer le caractère affectif du travail de la part des employées : « En général, diriez-vous que vous avez envie d’aller travailler ou que vous préféreriez ne pas y aller ? », l’influence au travail et les finalités du travail. De même, les promotions offertes peuvent devenir une alternative pour améliorer les conditions de travail au détriment de l’approche collective offerte par les syndicats (Snape, Redman et Chan, 2000 : 212). Une faible satisfaction du travail favorise la mobilité externe (Shields et Ward, 2001) : « Si vous pouviez obtenir de meilleures conditions de travail ailleurs, est-ce que vous changeriez d’emploi ? ». Les relations entre les collègues de travail sont aussi identifiées par Osty, Sainsaulieu et Uhalde (2007) pour mesurer les identités au travail. Ce degré de sociabilités au travail se base sur la possibilité de conflits entre les collègues de travail et la préférence de régler un problème en milieu de travail seul ou en groupe (faibles sociabilités = personnes touchées par les deux aspects; sociabilités moyennes = l’un ou l’autre des aspects; fortes sociabilités = aucun de ces aspects). Finalement, la présence d’enfants à la maison est peu considérée dans les études sur le rapport identitaire entre le membre et son syndicat (Snape, Redman et Chan, 2000). Nous distinguons entre les femmes qui ont des responsabilités familiales et celles qui n’ont pas d’enfant tout en tenant compte de l’âge (suite aux tests de multi-colinéarité).

Variables liées à une approche « située »

Les actions syndicales proactives et démocratiques combinent deux résultats (V de Cramer = 0,459***). D’une part, tout comme Lévesque, Murray et Le Queux (2005), nous avons demandé le degré d’accord sur l’énoncé suivant : « Mon syndicat tient compte de l’opinion des employés avant de prendre une décision ». La perception d’avoir été bien accueilli dans le syndicat en tant que membre favorise également l’adhésion syndicale (Barling, Fullagar et Kelloway, 1992). Les actions démocratiques du syndicat se construisent à partir des réponses tout à fait en accord avec ces deux types de fonctionnement du syndicat. D’autre part, les actions proactives mises de l’avant par Lévesque et Murray (2003) se définissent dans notre recherche par le degré d’accord à l’énoncé suivant : « Mon syndicat prend des initiatives pour améliorer la qualité de vie dans mon milieu de travail ». Même si la capacité d’action des syndicats consiste également à créer des alliances avec la communauté ou avec d’autres syndicats (Lévesque et Murray, 2003), il est très difficile de demander aux membres d’un syndicat d’évaluer ces pratiques. Afin de ne pas exclure complètement cet aspect, l’exemple du regroupement régional entre certains syndicats du Mouvement Desjardins a été ajouté dans la base de données.

En matière de socialisation, nous tenons compte des fonctions syndicales des employées compte tenu de la relation positive mise de l’avant par Barling, Kelloway et Bremermann (1991) entre le fait d’occuper un poste dans le syndicat et l’identification syndicale ainsi que de la socialisation de l’entourage (Fullagar et al. 1994) en posant la question suivante : « Diriez-vous que votre entourage immédiat (conjoint, amis, famille) est tout à fait, assez, peu ou pas du tout favorable aux syndicats ? ».

Tests de régression ordinale

Le traitement des données a été réalisé avec SPSS. Nous avons procédé à des régressions logistiques ordinales en raison de la nature ordinale et qualitative de la variable dépendante sur le degré d’adhésion syndicale, sachant que ce sont les catégories ordonnées qui prescrivent le recours à la régression logistique ordinale (Afifi, Clark et May, 2004 : 309). De plus, tous les facteurs explicatifs sont de nature nominale ou ordinale. Le recours à ce type de test est également justifié par le respect des critères de validité des modèles de régression ordinale tant du point de vue du test des lignes parallèles (non significatif) que de l’adéquation générale du modèle (significatif).

Résultats

Résultats descriptifs

Le tableau 2 résume les statistiques descriptives de la variable dépendante et des facteurs liés à l’adhésion syndicale.

Tableau 2

Statistiques descriptives

Statistiques descriptives

*Le nombre N de réponses varie entre 558 et 576.

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Résultats multi-variés

Le tableau 3 reproduit les résultats des modèles de régression logistique ordinale. Tout d’abord, la présentation des trois modèles séparés (approches traditionnelles, identités professionnelles et approche « située ») permet un éclairage sur leur contribution respective vis-à-vis de l’adhésion syndicale. Nous nous attardons ensuite sur la présentation du modèle global sur l’adhésion syndicale qui considère l’ensemble des facteurs simultanément.

Tableau 3

Résultats des tests de régression logistique ordinale

Résultats des tests de régression logistique ordinale

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Tableau 3

suite

suite

*** p < 0,001 ** p < 0,05 * p < 0,1

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Modèle sur les approches traditionnelles

D’après le modèle sur les approches traditionnelles de l’adhésion syndicale, le comportement arbitraire, la coopération patronale-syndicale et les conditions de travail très ou assez défavorables ont une relation significative avec le degré d’adhésion syndicale des employées du Mouvement Desjardins. Globalement, ces facteurs traditionnels, à l’exception de l’insatisfaction envers le salaire, renforcent l’adhésion syndicale. Toutefois, le test des lignes parallèles légèrement significatif (p = 0,084) nous incite à faire preuve de prudence dans les résultats de ce seul modèle.

Modèle sur les identités professionnelles

Ce modèle prend en compte les caractéristiques du point de vue des transformations dans les milieux du travail et du nouveau rapport au travail des femmes. Le test des lignes parallèles non significatif (p = 0,330) indique l’inexistence de différences entre les rangs. De même, l’ajustement global du modèle (X² = 47,588***) permet de souligner la contribution supérieure de ce modèle à l’explication de l’adhésion syndicale par rapport au modèle sur les approches traditionnelles. En particulier, le niveau professionnel très qualifié, les faibles sociabilités au travail et les femmes de 39 ans et moins avec enfant(s) sont les principales sources d’affaiblissement de l’adhésion syndicale. À l’inverse, les femmes de 40 ans et plus avec enfant(s) adhèrent plus fortement au syndicalisme que les femmes sans enfant. Parmi les pratiques des ressources humaines, seul le salaire au rendement est associé à un renforcement de l’adhésion syndicale.

Modèle sur l’approche « située »

Ce troisième modèle sur le contexte syndical présente la valeur la plus élevée du X² (186,703***) par rapport aux modèles de régression précédents tout en s’assurant d’un test de lignes parallèles non significatif (p = 0,132). Tous les facteurs de l’approche « située » sont liés à un renforcement de l’adhésion syndicale des employées du Mouvement Desjardins interrogées, que ce soit la perception des actions syndicales proactives et/ou démocratiques, le fait d’occuper un poste au sein de leur syndicat ou de l’avoir déjà fait dans le passé, la perception tout à fait favorable du syndicalisme par l’entourage des membres et le fait de faire partie de syndicats régionaux.

Modèle global

Qu’advient-il de ces facteurs lorsqu’on les considère simultanément dans un modèle global ? Une nouvelle fois, le recours à la régression ordinale est justifié pour l’élaboration de ce modèle global du point de vue du test des lignes parallèles (p = 0,312) et de l’ajustement général du modèle (X² = 239,851***). Cette valeur élevée de X² montre la nécessité d’insérer toutes les approches au sein d’un même modèle.

Les résultats multi-variés de ce modèle global permettent de dégager cinq principaux constats. Premièrement, l’apport des approches traditionnelles dans la thèse du renforcement du syndicalisme est appauvri en présence des facteurs liés aux nouvelles identités professionnelles des femmes et à l’approche « située » (proposition A soutenue). Le comportement arbitraire de l’employeur et la coopération patronale-syndicale ne sont plus associés au degré d’adhésion syndicale des femmes interrogées. Plus encore, ce modèle global permet de rendre compte de l’existence significative d’un lien entre l’insatisfaction envers le salaire et l’adhésion au syndicalisme. Toutefois, ce mécontentement en termes de salaire est associé à une plus faible adhésion syndicale. À cet égard, une plus forte identification envers le syndicat en présence du salaire au rendement mise en évidence dans le modèle sur les identités professionnelles s’est également estompée. En présence d’autres facteurs, les employées ne perçoivent pas l’idée que les syndicats peuvent améliorer leur sort en termes de rémunération.

Deuxièmement, il n’en demeure pas moins que le pilier en termes d’approche traditionnelle sur l’adhésion au syndicalisme est lié aux conditions de travail très défavorables ou assez défavorables. Plus les employées perçoivent des pressions sur la performance, de la surcharge de travail et de l’épuisement professionnel dans leur milieu de travail, plus elles s’identifient au syndicalisme.

Troisièmement, ce modèle général ne fait ressortir aucun lien entre les transformations dans les milieux de travail et l’adhésion syndicale. Les changements dans l’organisation du travail et les pratiques individualisées en gestion des ressources humaines mis en place par la direction du Mouvement Desjardins ne conduisent pas à l’affaiblissement de l’adhésion syndicale des personnes interrogées.

Quatrièmement, le niveau professionnel très qualifié, les faibles sociabilités au travail et la perspective de très bonnes promotions sont les seules explications d’une plus faible adhésion syndicale de la part des employées du Mouvement Desjardins en matière d’un nouveau rapport au travail. Parmi ces facteurs, le niveau professionnel très qualifié, une composante essentielle des nouvelles identités professionnelles des femmes, obtient le plus haut coefficient de régression. Il s’agit ici du principal facteur d’affaiblissement du syndicalisme parmi les nouvelles valeurs au travail des femmes. Ces résultats soutiennent partiellement notre proposition B sur l’affaiblissement du syndicalisme par de nouvelles identités professionnelles.

Cinquièmement, les actions syndicales proactives et/ou démocratiques, la socialisation tout à fait favorable des membres pour le syndicat et l’activité syndicale actuelle ou dans le passé représentent les principales sources de renforcement de l’adhésion syndicale. Ces aspects de l’approche « située », à l’exception des regroupements syndicaux, forgent l’identification au syndicalisme (proposition C majoritairement soutenue). Lorsque l’ensemble des éléments explicatifs sont introduits dans le modèle, le regroupement entre les syndicats perd de son importance dans l’explication d’un renforcement de l’adhésion syndicale. Il faut noter ici que l’exemple du syndicalisme regroupé est seulement une illustration de l’éventail des alliances externes à la portée des syndicats, ce qui constitue une limite de notre étude. Il serait intéressant dans des analyses futures de tester d’autres types d’alliances.

Discussion des résultats

Cette recherche visait à mieux comprendre l’adhésion syndicale des femmes : préfèrent-elles demeurer syndiquées et sont-elles fières d’être membres d’un syndicat ? La figure 2 présente les facteurs associés à l’adhésion syndicale de notre étude.

Figure 2

Facteurs explicatifs de l'adhésion syndicale

Facteurs explicatifs de l'adhésion syndicale

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Notre recherche met de l’avant l’importance d’une perspective globale sur la compréhension du lien entre le membre et son adhésion syndicale. Premièrement, les résultats liés aux approches traditionnelles en milieu de travail ne peuvent expliquer à eux-seuls l’identification des membres à l’égard du syndicalisme dans le monde du travail contemporain. Contrairement à plusieurs études (Gordon et al., 1980; Barling, Fullagar et Kelloway, 1992), notre recherche montre que l’insatisfaction liée au salaire peut être une source d’affaiblissement du syndicalisme. Dans un contexte de nouvelles pratiques organisationnelles, les syndicats ont perdu la capacité de négocier les intérêts économiques des travailleurs (Freeman et Rogers, 1999). L’implantation de la rémunération incitative et le repositionnement salarial des emplois au sein du Mouvement Desjardins réduisent le pouvoir traditionnel des syndicats locaux d’améliorer les conditions économiques de leurs membres. Cependant, les conditions de travail défavorables (pressions sur la performance, épuisement professionnel, augmentation de la charge de travail) suscitent une appartenance syndicale accrue. Autrement dit, les possibilités offertes en termes de carrière se réalisent au détriment de la qualité de vie au travail. Dans ces circonstances, ces femmes ne comptent plus autant sur le syndicat pour améliorer leurs conditions salariales mais espèrent que ce dernier pourra remédier à la dégradation de la qualité de vie qu’elles subissent sur des enjeux liés à un engagement professionnel accru comme l’épuisement professionnel, les pressions sur la performance et la surcharge de travail. Le nouveau rapport au travail des femmes dépassant, pour la majorité d’entre elles, le strict lien instrumental, donne l’opportunité aux syndicats de se renouveler en intégrant de nouvelles préoccupations liées à la qualité de vie des femmes. Tel est l’un des principaux résultats de cette recherche.

Deuxièmement, nos résultats ne valident pas la thèse bien connue du processus de substitution des syndicats par les pratiques de ressources humaines. La présence de formation ou du salaire au rendement n’ont pas d’effet sur l’adhésion syndicale. La professionnalisation des fonctions (statut très qualifié et accès à de très bonnes promotions) et les faibles sociabilités au travail représentent les seules sources d’affaiblissement du syndicalisme liées aux approches sur les identités professionnelles. Tout comme le souligne Heckscher (1988), les diverses trajectoires professionnelles engendrent des tensions émergentes défavorables au syndicalisme. Nos résultats sont similaires à ceux de Snape, Redman et Chan (2000) sur le fait que les chances de promotion s’accompagnent d’une plus faible appartenance syndicale. Cependant, les multiples autres caractéristiques liées aux nouvelles identités professionnelles (autonomie, attachement au travail, etc.) permettant aux femmes de se réaliser dans leur travail n’ont pas d’impact sur leur adhésion syndicale. Il est alors possible d’établir un rapport positif à l’égard du travail sans nécessairement acquérir une perception négative à l’égard du syndicalisme d’autant plus les changements dans les milieux de travail s’accompagnent de conditions de travail plus difficiles, un facteur de renforcement du syndicalisme. Ce résultat de recherche est des plus intéressants pour le futur du syndicalisme car il signifie que les nouvelles identités professionnelles des femmes ne conduisent pas systématiquement à une distanciation à l’égard des syndicats.

Troisièmement, les syndicats disposent de moyens pour renforcer leurs liens avec la main-d’oeuvre professionnelle. La démocratie syndicale, un thème soulevé par plusieurs autres auteurs (Lévesque et Murray, 2003; Wood, 2006), est essentielle pour la revitalisation du syndicalisme. La société contemporaine offre de nouvelles perspectives d’avenir pour les syndicats, voire imposent un renouvellement du syndicalisme pour assurer la survie de ce dernier. Même si les facteurs d’affaiblissement du syndicalisme sont bien réels dans notre recherche, il existe en contrepartie des facteurs de renforcement qui dépendent majoritairement des actions syndicales proactives et démocratiques. Tel qu’avancé par Brody (1993 : 253), le mouvement syndical est l’agent de son propre renouveau. Ces résultats sont encourageants pour l’avenir du mouvement syndical car ils démontrent que l’acteur syndical, malgré le contexte contemporain en pleine mouvance, peut accroître sa capacité d’action en s’adaptant à une diversité d’identités professionnelles qui se retrouve parmi les femmes elles-mêmes. Les milieux de travail contemporains offrent de nouvelles perspectives de carrière pour les femmes les plus qualifiées mais les conditions de travail plus défavorables et les exigences de formation qui y sont associées incitent les syndicats à innover dans leurs pratiques, tout en poursuivant la défense des personnes moins qualifiées. En bref, la démocratisation de la qualité de vie, au travail mais aussi hors du travail puisque la majorité de ces femmes combinent travail, famille et formation, est essentielle pour l’avenir du mouvement syndical.

Conclusion

Cette étude sur le lien entre le membre et le syndicat s’est attardée à la compréhension de l’interface entre les nouvelles identités professionnelles des femmes, sources d’affaiblissement de l’adhésion syndicale et les actions syndicales, sources de renforcement du syndicalisme. Le lien identitaire entre le membre et le syndicat découle de la légitimité des actions syndicales démocratiques et proactives en mesure de répondre à ces nouvelles professionnalités, notamment sur le plan d’une meilleure qualité de vie au travail et hors du travail. Tel est le défi pour les syndicats. Malgré l’intérêt de cette étude, elle comporte plusieurs limites. En nous limitant à la compréhension des femmes dans le monde du travail, cette recherche ne rend pas compte de la complexité du caractère sexué des identités professionnelles. De plus, la prise en compte des actions syndicales proactives et démocratiques repose sur la seule perception des employées. Il convient aussi de reconnaître que la démocratie syndicale est plus complexe puisqu’elle est aussi liée à la nature du leadership des représentants syndicaux (Hammer, Bayazit et Wazeter, 2009), un aspect absent de notre étude. Finalement, dans la mesure où l’échantillon de notre étude concerne uniquement les employées du Mouvement Desjardins au Québec, il n’est pas possible de généraliser les résultats à la grandeur du secteur financier québécois.

À la lumière des résultats, aborder le renouveau syndical par les nouvelles identités professionnelles des femmes est une avenue à considérer. Ces résultats incitent à poursuivre d’autres études sur l’adhésion syndicale qui prennent en compte les nouvelles identités professionnelles, encore peu mobilisées dans les études sur le syndicalisme. Il sera intéressant de réaliser une étude similaire auprès d’une population d’hommes et de femmes pour mieux saisir le caractère sexué des identités professionnelles et les conséquences sur le syndicalisme. Plus encore, la réalisation d’études multi-niveaux entre les employés syndiqués et les syndicats est essentielle dans les recherches futures pour remédier aux principales limites de cette étude, notamment la difficulté de recueillir les perceptions des employées à l’égard des actions syndicales; ces dernières étant mieux cernées par les représentants syndicaux.

En somme, la poursuite des recherches sur le lien entre la main-d’oeuvre professionnelle et le syndicalisme est importante car l’engagement professionnel, au coeur des nouveaux modèles productifs actuels, définit un nouveau rapport au travail pouvant affaiblir les syndicats. Cependant, la représentation collective des préoccupations des femmes, de nombreuses mères travailleuses qui aspirent à un équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale, est porteuse de renouvellement pour les syndicats. Dans une perspective d’adaptation à la main-d’oeuvre contemporaine, le renouveau syndical auprès des femmes repose sur cette prise en compte des nouvelles identités professionnelles plus diversifiées qu’autrefois.