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Une inversion des éléments du titre rendrait davantage justice à l’ouvrage. Son objectif est d’établir dans quelle mesure le droit du travail se montre capable d’affirmer ses valeurs essentielles dans l’univers contemporain : ses défis actuels. C’est à cette fin qu’il explore le contenu significatif et comparé d’un ensemble imposant de droits nationaux et du droit international du travail sans pour autant prétendre à un exposé systématique et plus linéaire de ces droits. Autre attrait de l’ouvrage : son auteur, Arturo Bronstein. À titre de juriste haut fonctionnaire du BIT pendant une trentaine d’années – il y fut notamment chargé de conseiller des gouvernements de plusieurs pays, particulièrement de l’Europe de l’Est, en matière de réforme de leur système de droit du travail – et de secrétaire-général de la Société internationale de droit du travail et de la Sécurité sociale, il est un témoin privilégié de l’évolution des milieux du travail et du droit applicable dans les différents continents. Ajoutons que l’auteur table aussi au besoin sur certaines contributions particulières d’intervenants universitaires – les professeurs Benjamin (Afrique du Sud), Cooney (Australie), Cornish (Canada) et Hepple (Royaume-Uni) –, de même que sur les travaux du dix-septième et dix-huitième congrès mondiaux de la SIDTSS (Montevideo et Paris).
Différentes étapes marquent le cheminement de l’exposé. Son point d’ancrage : un rappel des origines et des raisons d’être du droit du travail et de ses grandes sources formelles (constitutions, lois, autonomie collective, droit international et jurisprudence), de même que de son modèle de l’après-guerre, basé sur l’entreprise de production fordiste et sur le lien d’emploi continu. L’énoncé des facteurs contemporains de transformation suit ce rappel : recherche entrepreneuriale de flexibilité, concurrence internationale accentuée, changements technologiques et fin de la guerre froide. De là, cette crise du droit du travail. Elle tient particulièrement à son besoin de s’étendre aux nouvelles formes de travail, de s’adapter à l’entreprise décentralisée, de rejoindre en particulier le travail économiquement dépendant, de s’adapter aux nouvelles technologies, de même qu’à sa capacité de faire face à l’idéologie néolibérale.
Le corps de l’ouvrage réside ensuite dans une analyse détaillée de quelques grands thèmes significatifs : cette problématique de la couverture personnelle du droit du travail, y compris son appréhension du travail informel; l’évolution de la sécurité d’emploi, y compris l’assouplissement de l’exigence d’une juste cause du licenciement et la propagation du travail à durée déterminée. Le prisme est alors surtout celui du droit comparé, pour passer ensuite de façon plus marquée au droit international avec l’étude du rapport entre le commerce global et le droit du travail : l’apport des instruments de l’OIT, celui du droit supranational, limité à l’Union européenne, des entreprises d’harmonisation du droit, de différentes clauses sociales, dont l’ANACT, de même que de la normativité transnationale privée (accords cadres internationaux, codes de conduite). Enfin, l’auteur se livre à un exposé relativement élaboré de l’encadrement du pouvoir de direction traditionnel de l’employeur résultant de l’affirmation, tant nationale qu’internationale, des droits fondamentaux de la personne (droit à l’égalité, à la vie privée, à la liberté d’expression). Soit dit en passant, la législation et la jurisprudence canadiennes sont ici particulièrement à l’honneur, du moins surtout leur expression fédérale et ontarienne. Au terme de ces développements thématiques, exprimons ce qui nous semblerait un ajout indiqué : une synthèse relative à la vie contemporaine de la liberté syndicale.
Troisième grande étape : la présentation originale de perspectives régionales. Elles portent respectivement sur le droit communautaire européen, y compris la confrontation du droit du travail et du droit de la concurrence dans les affaires récentes Viking, Laval et Rüffert (p. 207 à 212), sur le passage à l’économie de marché dans les pays de l’Europe de l’Est, où l’on notera l’influence du droit de l’OIT et de l’UE. Suit un exposé relativement détaillé de l’évolution des droits du travail des différents pays de l’Amérique latine où, en dépit de disparités, s’observe l’atteinte d’un certain compromis après des années récentes d’apogée des politiques néolibérales, pour passer ensuite à la zone Asie-Pacifique (développement relatifs à l’Australie, à la Nouvelle-Zélande et au Japon), de même qu’au cas tout à fait riche d’enseignements de l’Afrique du Sud, dont l’influence rejaillit sur des pays voisins.
Des observations finales aussi significatives que brèves se veulent d’un optimisme modéré. Elles se fondent en ce début de XXIe siècle sur le retour de la liberté syndicale dans différents pays, notamment de l’Europe de l’Est, sur l’élaboration par différents gouvernements de techniques d’appréhension des nouvelles formes de travail, sur la reconnaissance de la pertinence du droit du travail dans le contexte du commerce international et, peut-être avant tout, sur celle de la primauté des droits fondamentaux de la personne au travail. En finale – et le lecteur ne peut qu’être d’accord en cela avec l’auteur à la suite de son riche et précis cheminement : « In other words, the answer to those who argue that labour law is purely a product of the twentieth century, and is rather dated today, is that the great challenge of labour law now is how to respond to the problems of the twenty-first century in order to avoid a return to the social injustices of the nineteenth » (p. 258).