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Il y a peu d’écrits sur les relations du travail dans l’industrie de la construction et encore moins sur l’expérience des femmes dans cette industrie très majoritairement masculine. Ainsi, par exemple, les chantiers québécois accueillaient 1 552 femmes en 2006, soit 1,2 % de la main-d’oeuvre totale dans la construction au Québec (133 490 travailleurs), alors qu’aux États-Unis, cette proportion avoisine les 2 %.

Cet ouvrage est un témoignage saisissant et percutant, d’approche ethnographique et sociologique, de l’expérience personnelle de travail de presque trois ans de l’auteure Paap comme apprentie-menuisière syndiquée dans le secteur commercial du midwest américain. Le style de Paap est ici cru, dur et direct, reflétant très bien la culture, le langage, les stéréotypes, le machisme et le conservatisme propres à la réalité quotidienne des chantiers de construction dominés par la masculinité extravertie de « gars » de race blanche souvent sans gêne et truffés de gestes discriminatoires.

Cette étude présente essentiellement la problématique de l’accès des femmes aux métiers non traditionnels. Son objectif est de tracer un portrait de la culture et des pratiques des travailleuses syndiquées de la construction qui « transpirent » des tensions sexistes, raciales et de classes sociales au quotidien des choses sur les chantiers où l’auteure a travaillé.

Le livre comprend sept chapitres. D’entrée de jeu (chapitre 1), l’auteure décrit les contextes économique et politique du travail de construction syndiqué, les perceptions externes de la façon dont le travail s’accomplit et les différences entre les réalités de l’industrie et les mythes populaires les caricaturant. Elle insiste en outre sur la nature inusitée de l’embauche et de la débauche sur les chantiers et sur la manière dont ces réalités façonnent les options disponibles aux travailleurs.

Le chapitre 2 explore les relations sociales de production sur les chantiers et la manière dont les travailleurs et les groupes de travailleurs sont étiquetés « bons » ou « mauvais » par leurs pairs. Le chapitre suivant examine les idéologies à l’égard des étrangers sur les chantiers, surtout les femmes et les hommes de couleur, ces idéologies servant non seulement à justifier la discrimination et le harcèlement mais aussi à les rendre invisibles.

Le chapitre 4 étudie les expériences et les conditions physiques du travail de construction et expose les relations entre la façon dont ces expériences sont vécues et les notions de masculinité et de sexualité hétérosexuelle. L’auteure examine alors comment le travail de construction comporte un salaire physiologique, y compris au détriment de la santé et de la sécurité, et psychologique faisant qu’un travailleur ait l’air d’un homme et se sente comme tel. Cela importe, tant individuellement que collectivement, parce qu’en découle une validation de la culture au travail. Et ces sentiments de masculinité définissent qui appartient et qui n’appartient pas à l’industrie.

Au chapitre 5, l’auteure examine la façon dont les travailleurs et les cadres parlent des travailleurs de construction de race blanche et démontre comment leurs idéologies maintiennent et même accroissent les inégalités de classe, tout en protégeant les privilèges des mâles de race blanche. Les vrais coûts de ces inégalités sont présentés au chapitre 6 qui étudie les règles formelles et informelles eu égard aux pratiques de santé et de sécurité. Finalement, le chapitre 7 examine les rétributions psychologiques, sociales et économiques consécutives aux privilèges attribués selon la race et le sexe.

L’auteure conclut, de façon trop courte, à l’isolement des travailleurs de la construction de race blanche des autres groupes de travailleurs de cette industrie et de ses syndicats. Et ce n’est pas pour demain que les changements surviendront. Les conséquences en sont négatives pour l’industrie, pour les syndicats et pour l’ensemble des travailleuses et travailleurs de la construction.

Une annexe méthodologique, une excellente bibliographie et un index complètent cette étude.

Working Construction est un excellent ouvrage, de grand intérêt pour qui s’intéresse à l’industrie de la construction et à son avenir. Il s’agit certes d’une étude surtout ethnologique, avec ses avantages et ses inconvénients. Cette expérience de près de trois ans de l’auteure sur des chantiers de construction est riche d’enseignements et reflète très bien le contenu de l’émission « 60 minutes » présentée par Barbara Walters au tournant du présent siècle.

Cependant, il s’agit d’un témoignage détaillé d’une personne sur certains chantiers de construction du secteur commercial. Les généralisations sont difficiles dans une industrie aussi com- plexe mais il y a fort à parier que les gens étant ce qu’ils sont, les enseignements de Paap sont beaucoup plus larges que ne le suggèrent les limites habituelles des règles de l’art. Certes, le style de l’auteure est dur et direct. Il est le reflet fidèle de la réalité sur les chantiers. L’auteure s’en est d’ailleurs excusée d’entrée de jeu. Elle n’avait pas à le faire, sinon par devoir de réserve.

Au total, Working Construction est une excellente étude où transpire une profonde connaissance du fonctionnement du secteur de la construction. Ce livre ajoute de façon positive à la trop maigre littérature sur le sujet et a le mérite de se pencher sur un problème caché dans cette industrie, celui du sort qu’on y réserve souvent, directement ou indirectement, aux femmes.