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Il s’agit d’un exposé comparatif de l’étendue de la reconnaissance et de la protection du droit de grève offertes par le droit international du travail et celui qui a cours sur le plan régional européen. Dans le premier cas, les instruments et les institutions de l’Organisation internationale du travail sont au premier plan, bien que le regard se tourne également sur l’apport des deux pactes de 1966 des Nations Unies portant sur les droits humains fondamentaux; dans le second, il en va de même pour ce qui est du système du Conseil de l’Europe – la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 et la Charte sociale européenne de 1961 – par rapport au droit de l’Union européenne, dont le droit « dur » laisse libre cours à l’intervention étatique nationale en la matière. À ce titre, l’ouvrage apporte la synthèse de l’évolution historique des modes d’élaboration de la normativité touchant à la grève dans chacun des systèmes en présence (chapitre 5, OIT; chapitre 6, Conseil de l’Europe et chapitre 7, Union européenne), de même que celle des diverses formes de contrôle de ce droit substantiel qui s’y pratiquent (chapitre 8, OIT; chapitre 9, Conseil de l’Europe et chapitre 10, pour ce qui est de l’intervention naturellement exceptionnelle de la Cour européenne).
L’ouvrage dépasse toutefois largement l’exposé de tout ce droit positif; il se propose en effet de rechercher méthodiquement les raisons des disparités constatées entre les différents systèmes en cause pour ce qui est de leur ouverture respective au droit de grève. Ces explications se veulent à la fois théoriques, structurelles et contextuelles. Ainsi, pour ce qui est des premières, la qualification du droit de grève en tant que droit civil et politique, plutôt que son rattachement à la catégorie des droits socio-économiques, conduira généralement à un mode de protection plus ferme, à moins de le faire participer à la fois à ces deux univers, en réalité indissociables, comme le conçoivent les institutions de l’OIT. Plus profondément en effet se profilent diverses conceptions possibles de l’ordre démocratique : le droit de grève en est un corollaire, qu’il s’agisse d’une conception « représentative » ou « participative » de la démocratie, peut-on démontrer (p. 32). Les explications structurelles conduisent pour leur part à la considération de la composition des organes d’élaboration et de contrôle de l’application des normes. Ainsi en est-il de l’apport du tripartisme dans le cas de l’OIT et de la prédominance gouvernementale au sein du Conseil de l’Europe. Enfin, dans une perspective conjoncturelle, la répartition du pouvoir entre les États, le capital et le travail a joué différemment à divers moments de l’histoire, notamment avant et durant la période de la Guerre froide (voir en particulier p. 334).
Cette approche théorique permet de bien comprendre le traitement jurisprudentiel du droit de grève dans les systèmes considérés, qu’il s’agisse de son existence et de son exercice (chapitre 11), de la licéité des fins d’une grève (chapitre 12), de la prise en compte de l’intérêt public en sa présence (chapitre 13), de même que de la nature des sanctions d’un mouvement de grève illicite (chapitre 14). On constatera ainsi que les instances de l’OIT voient dans la grève un moyen de défense des intérêts économiques et sociaux des travailleurs, largement entendus; pour sa part, la Cour européenne des droits de l’homme tend à subordonner sa légalité à la poursuite d’une convention collective (p. 287). La première approche est notamment manifestement favorable à la grève de solidarité, y compris celle de portée transnationale (p. 292).
L’auteure, qui avait d’entrée de jeu démontré l’importance sociale du droit de grève, souhaiterait en finale que le droit du Conseil de l’Europe en vienne graduellement à se rapprocher de la protection plus ample du droit de grève entretenue par les instances de l’OIT, pour qui, a-t-on vu, le droit de grève participe à des droits fondamentaux à la fois d’ordre politique et d’ordre économique. Ceci supposerait notamment la fusion de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte sociale européenne, ce qui ne se ferait pas sans résistance de milieux étatiques et patronaux (p. 367).
Quant au Canada, que le présent ouvrage n’avait pas dans sa mire, il y est toutefois fait deux mentions, pas tellement à son avantage, il faut l’avouer : l’absence de protection constitutionnelle du droit de grève selon l’arrêt de la Cour suprême Re Public Service Employee Relations Act de 1987 (p. 208) et les reproches répétés du Comité de la liberté syndicale relatifs à certaines lois d’exception (p. 314 et 315). À l’heure où la Cour suprême elle-même vient de renverser sa position pour enfin reconnaître la protection constitutionnelle du droit à la négociation collective, – l’arrêt Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique de 2007, dans lequel le droit international du travail fait amplement partie de l’argumentaire –, la présente étude, qui traite de bien d’autres aspects du sujet, alimente d’une façon relevée et méthodique la réflexion.