Article body
Dans un contexte de mondialisation économique, savoir composer avec les différents systèmes juridiques nationaux, régionaux et mondiaux qui encadrent la gestion des ressources humaines est un élément essentiel de l’avantage compétitif des entreprises multinationales. Ceci constitue la prémisse de l’ouvrage de Gary W. Florkowski qui s’inscrit dans la collection Global Human Resource Management de la maison d’édition Routledge, qui vise à offrir aux étudiants et praticiens des volumes à la fois détaillés et accessibles sur la gestion internationale et comparée des ressources humaines. Suivant cette perspective, le livre examine les différentes sources juridiques et les institutions qui concernent les relations du travail, tant au plan transnational que domestique, et analyse l’influence que peuvent exercer les entreprises sur ces sources et institutions.
Le premier chapitre expose diverses considérations générales relatives aux relations industrielles et à la gestion des ressources humaines. L’auteur y examine tout d’abord différentes théories sur le rôle de l’État dans la gestion des ressources humaines et présente certains arrangements structurels entourant les relations du travail qui ont cours dans divers pays, entre autres le corporatisme étatique, le pluralisme industriel, la concertation et le corporatisme sociétal. Il expose ensuite l’importance pour les entreprises multinationales non seulement de comprendre leur environnement juridique, mais également d’être en mesure de correctement identifier les systèmes de droit qui gouvernent leurs relations avec certaines parties prenantes (stakeholders), dont les syndicats, les gouvernements et les ONG, à des moments précis dans le temps. À cette fin, l’auteur dessine les grandes lignes des deux principaux types de systèmes juridiques : ceux de common law et ceux de droit civil en donnant quelques exemples concrets tirés de la tradition de certains pays.
Le deuxième chapitre traite des institutions internationales et de leur rôle dans l’évolution de la régulation du travail. L’auteur se concentre essentiellement sur les activités de l’Organisation internationale du travail (OIT), de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). La section sur l’OIT explique le mode d’adoption des normes au sein de cette organisation, les moyens de mise en oeuvre de ces normes dans l’ordre juridique interne des pays membres et les différentes procédures de contrôle de leur application, notamment les rapports périodiques et les mécanismes de plainte. L’auteur réussit ici à résumer de façon claire et rigoureuse le fonctionnement de l’activité normative, pourtant fort complexe, de cette institution. Son propos est illustré par différents tableaux et figures, incluant un résumé du contenu des conventions fondamentales de l’OIT et une table de ratification de ces conventions pour certains pays sélectionnés. On peut toutefois regretter que l’auteur n’ait pas jugé bon de traiter de la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’OIT qui s’adresse pourtant aux entreprises de façon spécifique.
L’OMC ne possède pas de compétence en matière de relations du travail. L’auteur passe donc en revue les différentes tentatives – infructueuses jusqu’à présent – visant à intégrer les préoccupations relatives au travail dans le cadre des activités de cette organisation, de la Conférence ministérielle de Singapour en 1996 jusqu’à celle de Doha plus récemment. Il rappelle certaines suggestions pratiques mises de l’avant pour établir des liens concrets entre l’activité normative de l’OIT et les mécanismes de règlement des différends de l’OMC. Il mentionne en outre la possibilité d’utiliser certaines clauses existantes de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) dans le but de promouvoir les droits fondamentaux au travail. Sur ce sujet, la notion de dumping, les mesures de sauvegarde et la clause d’exceptions générales sont étudiées. L’auteur signale ensuite les travaux accomplis par l’OCDE en matière d’investissements directs étrangers. Le contenu et les mécanismes de mise en oeuvre des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, un instrument de régulation volontaire à l’intention des entreprises multinationales, sont également abordés.
Le rôle des institutions régionales dans l’évolution de la régulation du travail est le sujet du troisième chapitre. L’auteur entreprend son étude en distinguant différentes formes d’accords commerciaux régionaux : les zones de libre-échange, les unions douanières, les marchés communs et finalement les unions économiques. Il examine ensuite la place et le traitement accordés à la régulation du travail dans divers espaces économiques régionaux. L’originalité de son propos à cet égard réside dans le fait qu’il ne se limite pas aux initiatives régionales les plus connues telles que l’Union Européenne et l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), mais qu’il traite également des divers blocs économiques existants en Amérique latine, en Afrique et en Asie. L’auteur conclut son analyse par le constat que la capacité des zones économiques à agir comme agents de changement des systèmes nationaux de droit du travail est déterminée par deux facteurs : l’autorité que possèdent les institutions régionales sur le développement des politiques des États membres et le degré d’intégration que les pays en cause désirent atteindre.
Les institutions nationales sont au coeur de la régulation du travail et le chapitre suivant de l’ouvrage leur est dédié. Le rôle des chefs d’État, des ministères et des organismes administratifs dans l’élaboration de la législation est abordé en premier lieu. L’auteur distingue ici l’adoption d’instruments de régulation au sein des institutions internationales et l’adoption de la législation nationale. Rappelons que les chefs d’État de certains pays, notamment les États-Unis, ont un pouvoir législatif distinct de celui de leur législature. Le rôle des législatures et parlements ainsi que celui du pouvoir judiciaire dans la création de règles de droit est également invoqué. L’intérêt de ce chapitre réside dans les différents liens entre les trois branches de l’État effectués par l’auteur au regard de l’adoption de la législation dans le domaine de l’emploi.
Le cinquième chapitre est consacré à l’encadrement législatif des relations industrielles. L’une des questions qui sous-tend cette analyse consiste à déterminer, dans un contexte de production transnationale, comment évaluer l’importance et la force relative des associations de salariés d’un pays à l’autre. L’auteur présente certaines données sur trois aspects essentiels des systèmes nationaux des relations industrielles permettant d’effectuer une comparaison entre un nombre de pays sélectionnés : la présence syndicale, la centralisation de la négociation collective et la propension au conflit industriel. L’auteur souligne toutefois que ces facteurs, notamment la présence syndicale, peuvent être trompeurs. Une comparaison des choix législatifs faits dans différents pays quant à trois facettes des relations collectives de travail – la formation et l’administration des associations de salariés, la négociation des conventions collectives de travail et le règlement des différends – est ensuite effectuée. L’auteur conclut que ces facteurs sont hautement pertinents dans les décisions que peuvent prendre les entreprises. À titre d’exemple, il mentionne que le bon déroulement des opérations dans les filiales étrangères est moins prévisible dans les pays qui sont sujets à des conflits de travail fréquents et à grande échelle.
Le sixième chapitre considère comment les entreprises peuvent tenter d’influencer le contenu de la régulation du travail d’une façon qui les avantage. À cet égard, l’auteur recommande aux entreprises d’inclure des analyses politiques des ressources humaines dans leur planification stratégique et d’établir des liens plus étroits entre les départements responsables de la gestion des ressources humaines et des communications. Comme le reconnaît l’auteur, certains problèmes d’éthique peuvent toutefois survenir lorsque les firmes tentent de reconfigurer la législation du travail en fonction des pressions du marché. Les principes directeurs de l’OCDE sont proposés à titre de balises pour éviter que les entreprises n’abdiquent leurs responsabilités sociales.
L’analyse se termine, au dernier chapitre, par un rappel de l’importance, pour les praticiens de la gestion des ressources humaines, de maîtriser les cadres législatifs et régulatoires encadrant les relations du travail au plan national, régional et international. Pour les entreprises dont les activités sont concentrées dans un pays donné et qui n’ont pas de projet immédiat de les étendre à l’étranger, ces connaissances sont néanmoins importantes puisqu’elles peuvent être en concurrence avec certaines entreprises multinationales qui sont à même de bénéficier des variations de contenu et d’effectivité entre les législations nationales du travail. Pour les entreprises qui ont des établissements ou qui font affaire avec des sous-traitants à l’étranger, la connaissance de la législation du travail est essentielle pour être en mesure d’assurer une bonne gestion des ressources humaines et d’éviter les crises éventuelles qui pourraient avoir un effet négatif sur la production.
L’auteur suggère certaines pratiques permettant de mieux maîtriser l’impact de la régulation du travail sur l’avantage compétitif des entreprises internationales. Il mentionne notamment l’utilisation de mécanismes de vérification et d’audit qui permettent d’évaluer la vulnérabilité éventuelle des firmes relativement au respect de la législation du travail. Il propose également d’intégrer aux contrats de travail des salariés expatriés des clauses de choix de la législation applicable et d’élection de for afin de bien circonscrire la loi applicable et les tribunaux compétents en cas de litige. L’auteur identifie finalement certains besoins pour des recherches futures dans le domaine.
Ce volume offre une vue d’ensemble relativement complète et fort bien vulgarisée des différents niveaux de régulation du travail en interaction dans une économie mondialisée. Compte tenu de la complexité et de l’étendue des sujets couverts, la capacité de synthèse de l’auteur mérite d’être soulignée. Ce qui fait la force de cet ouvrage, c’est dans une large mesure l’usage, dans tous les chapitres, de graphiques et de tableaux qui illustrent le propos de l’auteur et fournissent de nombreuses données sur la législation en matière de relations du travail au sein de différents pays sélectionnés. Cette liste comprend des pays à différents niveaux de développement ce qui permet une analyse comparative intéressante pour ceux qui s’intéressent aux chaînes de production globales. Ces graphiques et tableaux sont complétés par des exemples concrets d’application de la régulation du travail dans des situations données. Si la généralité du propos est susceptible de laisser les juristes spécialistes du droit du travail sur leur faim, le livre remplit sans aucun doute son objectif premier qui est d’offrir une information complète et accessible pour les étudiants et praticiens concernant les différents systèmes juridiques globaux entourant la gestion des ressources humaines.