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Afin de s’adapter au nouveau contexte d’affaires et à la nature différente des emplois, de plus en plus d’organisations adoptent de nouveaux modes de rémunération allant des régimes collectifs de rémunération variable à la rémunération basée sur les compétences (Heneman et Gresham 1998 ; Heneman, Ledford et Gresham 2000 ; Lawler, Mohrman et Ledford 1998). La présente recherche s’intéresse à la rémunération basée sur les compétences, soit aux régimes qui tiennent compte de la nature, de la variété ou de la spécialisation des compétences, des connaissances ou des habiletés que les employés possèdent, démontrent ou appliquent au travail pour déterminer leur rémunération. Plus précisément, cette recherche vise à répondre aux questions suivantes : (1) quelles caractéristiques organisationnelles sont reliées à l’adoption de la rémunération des compétences ? et (2) quelles sont les incidences de l’adoption de la rémunération des compétences sur la performance des organisations ainsi que sur l’efficacité de leur processus de gestion du rendement ? Si bon nombre d’auteurs, tant du Canada, des États-Unis que d’Europe, ont traité des atouts potentiels de la rémunération des compétences (p. ex., Gupta, Jenkins et Currington 1986 ; Jenkins et al. 1992 ; Jenkins et Gupta 1985 ; Klarsfeld 1997, 2000 ; Klarsfeld et St-Onge 2000 ; Lawler 1990 ; St-Onge 1998 ; Thériault et St-Onge 2000 ; Zarifian 1988), les études sur le sujet sont encore peu nombreuses et comportent souvent des limites méthodologiques, telles que la taille restreinte des échantillons, l’absence d’analyses statistiques, des mesures perceptuelles plutôt qu’objectives, des variables souvent colligées auprès des promoteurs de ce mode de rémunération, le nombre très limité de déterminants ou d’impacts pris en compte, l’absence de groupe contrôle (avec et sans régime) et d’approche longitudinale (avant et après l’adoption du régime).

La présente recherche répond donc au besoin exprimé par Gerhart, Trevor et Graham (1996) à l’effet qu’il s’avère important d’étudier les liens entre les régimes de rémunération et des facteurs contextuels, tels que la stratégie d’affaires, les autres pratiques de gestion des ressources humaines, etc. Maints auteurs ont d’ailleurs exprimé qu’étant donné l’importance et la complexité de la rémunération, les chercheurs devraient étudier davantage les effets de pratiques particulières de rémunération sur la performance organisationnelle (p. ex., Becker et Gerhart 1996 ; Becker et Huselid 1998). La présente étude tente aussi de pallier certaines limites méthodologiques que l’on trouve dans des études précédentes en comparant des organisations ayant et n’ayant pas recours à la rémunération en fonction des compétences et en explorant les incidences de ce mode de rémunération sur plusieurs indicateurs de la performance organisationnelle et de l’efficacité du processus de gestion du rendement du personnel.

Revue de la littérature et hypothèses de recherche

La rémunération des compétences : ses contingences

Selon la perspective de la contingence, les organisations qui n’adaptent pas leurs paramètres de gestion aux exigences de leurs environnements internes et externes ont de moindres chances de survie (Burns et Stalker 1961 ; Chandler 1962 ; Donaldson 1996, 2001 ; Lawrence et Lorsch 1967). Aussi, selon les facteurs de contingence internes (p. ex., structure, stratégie d’affaires, activités) ou externes (p. ex., industrie, concurrence, législation) à la firme, on peut s’attendre à voir dominer certaines pratiques de gestion, aucun ensemble de pratiques ou de systèmes n’étant efficace partout. L’application de cette perspective « macro » aux systèmes de rémunération signifie que les dirigeants devraient les ajuster aux changements de structures et de stratégies mis en place pour s’adapter au nouvel environnement (Gerhart et Milkovich 1992) de manière à communiquer aux employés les nouveaux comportements et résultats qui sont dorénavant valorisés (Pfeffer 1994). Par exemple, l’adoption de la rémunération basée sur les compétences communique aux employés que le développement et la flexibilité sont importants.

Découlant de la théorie de la contingence, une gestion dite « stratégique » de la rémunération s’appuie sur certaines prémisses de nature volontariste qui peuvent être résumées par l’énoncé suivant : comme il y a des choix à faire en ce qui a trait à la rémunération des employés et que la cohérence entre la gestion de la rémunération des employés et la stratégie d’affaires influence la performance des firmes, les choix en matière de rémunération devraient être cohérents avec la stratégie d’affaires des firmes. Ainsi, certains auteurs proposent que les dirigeants des organisations poursuivant une stratégie de qualité devraient davantage privilégier la rémunération des compétences (Zarifian 1988, 1999 ; Lawler 1990). D’autres auteurs proposent que les régimes de rémunération plus flexibles, comme la rémunération des compétences, sont plus susceptibles d’être adoptés par des dirigeants poursuivant une stratégie de prospecteur caractérisée par le caractère proactif de leurs actions, l’innovation, les changements dans le marché de produits/services, la variété de leurs produits et services (Gomez-Mejia et Balkin 1992 ; Heneman et Dixon 2001). Certains auteurs estiment aussi que les dirigeants d’entreprise poursuivant une stratégie de réduction des coûts seraient moins tentés de recourir à la rémunération des compétences par crainte qu’elle hausse les coûts directs et indirects de main-d’oeuvre (p. ex., augmentations des salaires, formation) ou encore, parce qu’ils ne sont pas convaincus que les retombées d’une flexibilité accrue surpassent les coûts (American Compensation Association 1996 ; Donnadieu et Denimal 1993 ; Heneman et Gresham 1998 ; Thompson et al. 1997). Du côté empirique, l’étude de Montemayor (1994, 1996) confirme que, comparés aux dirigeants d’entreprise qui poursuivent une stratégie de réduction de coûts, les dirigeants qui privilégient une stratégie d’innovation (a) accordent moins d’importance à la description et à l’évaluation des emplois, (b) privilégient davantage la reconnaissance des contributions individuelles et collectives et (c) recherchent plus la flexibilité que le contrôle en matière de gestion de la rémunération. Par ailleurs, les résultats de Snell et Dean (1994) montrent que l’adoption d’une stratégie de gestion de la qualité totale et l’incertitude dans le travail ont tous deux des effets positifs significatifs sur la présence de la rémunération des compétences des firmes de leur échantillon.

Selon Von Glinow (1985), la rémunération des compétences serait plus fréquemment adoptée par les dirigeants d’entreprise qui valorisent une culture ou une stratégie d’intégration caractérisée par des attentes et des préoccupations élevées à l’égard du personnel. Heneman et Dixon (2001) estiment aussi que les nouvelles formes de rémunération, comme la rémunération des compétences, sont moins fréquentes au sein des milieux de travail traditionnels marqués par une division claire du travail, des communications verticales, des décisions centralisées et une allégeance à l’employeur. À l’inverse, plusieurs auteurs proposent que l’adoption de nouveaux modes de rémunération comme la rémunération des compétences serait plus fréquente dans les milieux de travail ayant ou désirant une culture d’implication basée sur une division floue du travail, des communications latérales, des prises de décisions collectives et une allégeance à la profession (p. ex., Lawler 1990 ; Lawler et Ledford 1985, 1987 ; Schuster et Zingheim 1992). Ainsi, Lawler et Ledford (1987) suggèrent que la rémunération selon les compétences est plus appropriée dans des situations où la performance dépend d’une bonne coordination et du travail d’équipe. Une enquête des organisations membres du Fortune 1000 montre d’ailleurs que le recours aux innovations comme la rémunération basée sur les compétences, le partage des gains et les régimes de rémunération des équipes est plus élevé au sein des firmes agissant comme des unités d’affaires autonomes où l’on retrouve des équipes de travail autogérées (Ledford, Lawler et Mohrman 1995).

Parallèlement, certains auteurs (Lawler et Ledford 1985 ; Lawler 1990) proposent que les firmes les plus susceptibles d’adopter la rémunération basée sur les compétences sont celles qui sont exposées à des changements environnementaux plus fréquents, qui fabriquent des produits plus sophistiqués et à plus forte valeur ajoutée ou qui utilisent des technologies plus complexes. Puisque les firmes oeuvrant dans les secteurs axés sur les savoirs, comme le secteur des hautes technologies, sont plus susceptibles de se trouver dans un environnement caractérisé par des changements plus rapides, une plus grande ambiguïté et une plus importante compétition (D’Aveni 1994), l’on peut s’attendre à ce que la rémunération en fonction des compétences y soit plus fréquente. En effet, selon la théorie basée sur les ressources, on peut penser que la rémunération selon les compétences est plus susceptible de constituer une source d’avantage concurrentiel (Barney 1991 ; Collins et Clark 2003 ; Snell, Youndt et Wright 1996 ; Wright, Dunford et Snell 2001) et d’être un choix stratégique de rémunération (Gomez-Mejia et Balkin 1992) au sein des firmes des secteurs d’activité axés sur les savoirs. En effet, dans la mesure où une stratégie de rémunération aide une firme à obtenir des ressources rares et importantes d’une manière difficile à imiter, ce choix stratégique devrait contribuer à maintenir son avantage compétitif. L’étude de Risher (2000), menée auprès de 41 entreprises ayant un centre de recherche ou d’ingénierie, confirme d’ailleurs qu’elles rémunèrent fréquemment leur personnel de recherche et développement en fonction de leurs compétences. Nous appuyant sur les précédents écrits, nous proposons de tester les hypothèses suivantes :

Hypothèse 1. Comparées aux autres organisations, les organisations qui rémunèrent leur personnel en fonction de leurs compétences ont plus tendance …

  • À adopter une stratégie de différenciation par l’innovation (hypothèse 1a).

  • À adopter une stratégie de différenciation par la qualité (hypothèse 1b).

  • À adopter une stratégie axée sur le développement des ressources humaines (hypothèse 1c).

  • À ne pas adopter une stratégie de réduction des coûts (hypothèse 1d).

Hypothèse 2. Comparés aux autres répondants, les répondants à l’emploi d’une organisation qui adopte la rémunération basée sur les compétences qualifient leur culture de gestion de manière plus participative.

Hypothèse 3. Comparés aux autres répondants, les répondants à l’emploi d’une organisation qui adopte la rémunération basée sur les compétences sont plus susceptibles de travailler dans un secteur d’activité axé sur les savoirs.

La rémunération des compétences : ses incidences

Murray et Gerhart (1998) ont traité de l’efficacité de la rémunération des compétences à la lumière de deux théories : la théorie des attentes (Vroom 1964) et la théorie des caractéristiques du travail (Hackman et Oldham 1980). La théorie des attentes postule que la motivation des personnes à atteindre un résultat ou à adopter un comportement est supérieure lorsqu’elles perçoivent un lien plus étroit entre leurs efforts et le résultat (ou le comportement), lorsqu’elles perçoivent un lien plus étroit entre ce résultat (ou ce comportement) et les récompenses reçues et lorsqu’elles valorisent ces récompenses. Ainsi, en regard de la rémunération basée sur les compétences, cette théorie prédit que les employés seront plus motivés à développer leurs compétences dans la mesure où une récompense susceptible d’être valorisée, leur rémunération, devient fonction des compétences qu’ils développent. La théorie des caractéristiques du travail met de l’avant que certaines caractéristiques de l’emploi (p. ex., variété, autonomie) ont une incidence sur les attitudes et les comportements des employés (Hackman et Oldham 1980). Comme l’acquisition de compétences transforme la façon dont se réalise le travail et augmente l’autonomie au travail, la rémunération des compétences serait alors susceptible de favoriser l’adoption d’attitudes souhaitables (p. ex., satisfaction, motivation), l’augmentation du rendement individuel et, ultimement, l’amélioration de la performance organisationnelle.

Les promoteurs de la rémunération des compétences lui ont traditionnellement attribué plusieurs effets positifs sur la performance organisationnelle pour diverses raisons, telles qu’une meilleure productivité, une réduction des coûts d’opérations, une amélioration de la qualité des biens et des services, etc. (Gupta, Jenkins et Currington 1986 ; Jenkins et al. 1992 ; Jenkins et Gupta 1985 ; Johnson et Ray 1993 ; Lawler 1981, 1990 ; Lawler et Ledford 1985, 1987 ; Ledford 1995 ; Shenberger 1995). À la fin des années 80 et au début des années 90, plusieurs écrits ont relaté les résultats d’enquêtes menées auprès de divers intervenants (p. ex., responsables des ressources humaines, employés) ou encore, d’études de cas au sein d’entreprises ayant adopté un tel régime (Gupta’ Jenkins et Currington 1986 ; Gupta et al. 1992 ; Jenkins et al. 1992 ; LeBlanc 1991 ; Ledford 1991 ; Ledford et Bergel 1991 ; Ledford, Tyler et Dixey 1991 ; Stark, Luther et Valvano 1996). Globalement, les atouts associés à ce mode de rémunération sont l’amélioration de la polyvalence de la main-d’oeuvre, la réduction des coûts de main-d’oeuvre, l’augmentation de la qualité des produits, l’amélioration de la productivité, l’amélioration de la satisfaction des consommateurs et la réduction du taux de roulement du personnel visé. Par exemple, l’étude de Ledford (1992) confirme que l’implantation d’un régime de rémunération des compétences améliore, sur une période de deux années, les attitudes des salariés vis-à-vis de leur salaire, de leur emploi et de leur organisation. L’enquête de Jenkins et al. (1992), menée auprès de 70 firmes américaines gérant 97 régimes de rémunération des compétences, révèle que 42 % des répondants estiment ce mode de rémunération très efficace alors que presque tous les autres le considèrent comme assez efficace. Une autre étude menée auprès de salariés récemment rémunérés en fonction de leurs compétences (St-Onge et Péronne-Dutour 1998) montre que ces salariés estiment ce mode de rémunération plus juste et comportant des atouts par rapport au mode traditionnel de rémunération : salaires plus élevés que ceux offerts sur le marché, contenu du travail plus varié et enrichi, possibilités de carrière accrues et plus grand contrôle personnel sur les salaires.

Au cours de la dernière décennie, seulement quelques auteurs ont étudié les impacts de la rémunération des compétences sur des indicateurs objectifs de performance organisationnelle. L’étude de Murray et Gerhart (1998), menée au sein d’une entreprise manufacturière américaine, confirme que, sur la période de trois ans analysée, la rémunération des compétences augmente la productivité, réduit les coûts de main-d’oeuvre et améliore la qualité des produits. L’étude longitudinale de Long (1993), menée auprès de 114 firmes canadiennes, montre qu’en comparaison aux firmes qui n’ont pas de régime de rémunération des compétences, la productivité des firmes qui possèdent un tel mode de rémunération s’est améliorée davantage pendant la période étudiée (1985-1990). Pour leur part, Parent et Weber (1994) ont mené une étude au sein de deux unités administratives semblables de la société Ford en Ontario, l’une utilisant la rémunération basée sur les compétences et l’autre, la rémunération basée sur les responsabilités. Leurs résultats montrent qu’en comparaison avec le site ayant adopté la rémunération des compétences, le site ayant conservé le mode traditionnel de rémunération affiche une meilleure productivité, mais obtient des résultats inférieurs en ce qui concerne la qualité des produits, l’absentéisme et les accidents de travail.

Finalement, la rémunération basée sur les compétences requiert une meilleure gestion des performances au travail puisqu’elle implique de rémunérer, et donc d’identifier et de communiquer, non seulement les résultats à atteindre, mais aussi et surtout comment les atteindre (Heneman et Gresham 1998 ; Smither 1998). En effet, la rémunération basée sur les compétences force les dirigeants à identifier les compétences propres à leur propre stratégie d’affaires afin qu’elle constitue la source d’un avantage compétitif (Lawler 1996 ; Zingheim, Ledford et Schuster 1996).

Ideally, an organization-specific competency model is developed from a job analysis and content validation process that considers the firm’s strategic goals. Competencies are defined at the level of observable behaviours and include criteria for distinguishing between different levels of expertise. That is, these competencies do not look merely like a list of traits (“adaptability”, “self-confidence”, “integrity”, “personal maturity”, and so on). The model must guide numerous human resource initiatives, including appraisal, selection, development, promotion, and compensation, thereby creating consistency and mutual reinforcement across the organization’s human resource practice.

Smither 1998 : 540

Aux fins de cette recherche, nous proposons de vérifier les incidences de la rémunération des compétences sur diverses mesures de performance organisationnelle ainsi que sur divers indicateurs de l’efficacité du système de gestion du rendement. À notre connaissance, cette étude est la première à analyser le lien entre la présence de la rémunération des compétences et l’efficacité des systèmes de gestion du rendement.

Hypothèse 4. Comparés aux autres répondants, les répondants à l’emploi des organisations qui ont un régime de rémunération basée sur les compétences sont plus portés à estimer que la performance de leur firme est plus élevée tant sur le plan marketing (hypothèse 4a), sur le plan ressources humaines (hypothèse 4b) que sur le plan financier (hypothèse 4c).

Hypothèse 5. Comparés aux autres répondants, les répondants à l’emploi des organisations qui ont un régime de rémunération basée sur les compétences sont plus portés à estimer que leur système de gestion du rendement est plus efficace pour mobiliser le personnel (hypothèse 5a), réaliser la stratégie d’affaires (hypothèse 5b), appuyer la culture de gestion (hypothèse 5c) et traiter équitablement le personnel (hypothèse 5d).

Méthodologie de recherche

La collecte des données s’est faite par l’entremise d’un questionnaire prétesté auprès d’une dizaine de professionnels en gestion du personnel. Le questionnaire a été posté à l’ensemble des organisations localisées au Québec employant plus de 200 employés de la liste des firmes Dun & Bradstreet. Pour identifier les personnes à qui adresser le questionnaire, nous avons demandé à une entreprise de télémarketing de téléphoner à chacune des firmes afin d’obtenir le nom et le titre de la personne responsable de la gestion des ressources humaines. Suite à cette première démarche, le questionnaire a été posté avec une enveloppe-réponse préaffranchie au responsable de la gestion des ressources humaines des 1 586 organisations privées et publiques du Québec ayant plus de 200 employés. Deux semaines après l’envoi, une lettre de rappel a été postée. Une trentaine de questionnaires nous ont été retournés avec mention « adresse non valable ». Au total, 312 questionnaires nous ont été retournés sur les 1 556 questionnaires arrivés à destination. Ceci correspond à un taux de réponse d’environ 20 %, taux courant pour ce type de recherche.

Comme la rémunération des compétences correspond à une réalité particulière dans le secteur public (Gupta 1997 ; Shareef 1994) et que nous nous intéressons aux incidences de ce mode de rémunération sur des mesures de performance organisationnelle comme les ventes et les bénéfices, nous avons décidé de tester nos hypothèses auprès des firmes du secteur privé seulement. Ainsi, l’échantillon de recherche est composé de 189 entreprises du secteur privé du Québec employant plus de 200 employés.

Mesures des variables de recherche

Présence d’un régime de rémunération basée sur les compétences. Cette variable a été mesurée comme suit : d’abord, on demandait aux répondants : « Votre organisation utilise-t-elle un système officiel d’évaluation des compétences pour au moins une catégorie de son personnel ? ». Si la réponse était oui, ils devaient ensuite répondre à une autre question : « Y a-t-il un lien direct entre le résultat de l’évaluation des compétences des employés et leur rémunération ? ». Dans l’affirmative, la variable « adoption de la rémunération des compétences » prenait pour valeur 1, sinon, elle prenait pour valeur 0.

Quatre orientations stratégiques ont été mesurées : innovation, qualité, ressources humaines et coûts. Leur mesure respective, décrite ci-après, s’appuie sur des indicateurs développés ou utilisés par d’autres chercheurs (p. ex., Delery et Doty 1996 ; Ding, Fields et Akhtar 1997 ; Mak et Akhtar 2003).

Stratégie d’innovation. Pour mesurer l’ampleur avec laquelle une organisation adopte une stratégie de différentiation par l’innovation, les répondants devaient indiquer, sur une échelle allant de 1 (très faible importance) à 5 (importance très élevée), l’importance qu’accorde la direction de leur organisation aux quatre priorités d’affaires suivantes : (1) la conception de produits ou de services qui sont perçus comme ayant un attrait unique ; (2) la conception de produits ou de services innovateurs ; (3) l’augmentation des activités de recherche et développement ; (4) le développement de nouveaux produits ou services ; (5) la mise au point de nouvelles technologies de production ou d’exploitation. Le coefficient de cohérence interne (alpha) de cette échelle se situe à 0,81.

Stratégie de qualité. L’ampleur avec laquelle une organisation adopte une stratégie de qualité a été mesurée avec cinq énoncés correspondant tous à une échelle à cinq niveaux. Les répondants devaient indiquer l’importance qu’accorde la direction de leur organisation aux trois priorités d’affaires suivantes : le maintien d’une tradition de qualité, l’amélioration de la coordination avec les clients et avec les fournisseurs et l’amélioration de la qualité des produits ou services. Sur deux échelles à cinq niveaux, les répondants devaient aussi indiquer leur accord eu égard à l’énoncé suivant : « En général, dans mon organisation, les clients sont prioritaires et les employés doivent montrer un effort soutenu pour les satisfaire » et indiquer : « La fréquence avec laquelle la direction de votre organisation aide les employés à comprendre l’influence de leur travail sur la satisfaction des clients ». Le coefficient de cohérence interne (alpha) de cette échelle à cinq indicateurs s’élève à 0,69.

Stratégie de développement des ressources humaines. Pour mesurer l’ampleur avec laquelle une organisation adopte une stratégie orientée vers le développement des ressources humaines, les répondants devaient indiquer, sur une échelle allant de 1 (très faible importance) à 5 (importance très élevée), l’importance qu’accorde la direction de leur organisation aux quatre priorités d’affaires suivantes : (1) l’emploi d’une main-d’oeuvre compétente et motivée ; (2) l’amélioration de la collaboration entre employeurs et employés ; (3) le développement des compétences des employés ; (4) le renforcement de l’engagement et la participation des employés. Le coefficient de cohérence interne (alpha) de cette échelle s’élève à 0,87.

Stratégie de réduction de coûts. Pour mesurer l’ampleur avec laquelle une organisation adopte une stratégie de coût, les répondants devaient indiquer, sur une échelle à cinq points allant de 1 (très faible importance) à 5 (importance très élevée), l’importance qu’accorde la direction de leur organisation aux trois priorités d’affaires suivantes : (1) la réduction des coûts de production ou d’opération ; (2) la réduction des coûts d’exploitation et (3) l’amélioration de la productivité. Le coefficient de cohérence interne (alpha) de cette échelle s’élève à 0,75.

Gestion participative. Pour mesurer l’ampleur avec laquelle une organisation privilégie une culture de gestion participative, les répondants devaient indiquer, sur une échelle allant de 1 (totalement en désaccord) à 5 (totalement en accord), jusqu’à quel point ils étaient en désaccord ou d’accord avec chacun des six énoncés suivants : (1) la direction met en valeur et respecte ses employés ; (2) la direction est près des employés de la base ; (3) les employés reçoivent une formation qui améliore leurs compétences et leur cheminement de carrière ; (4) les employés partagent des valeurs qui favorisent la cohésion ; (5) le personnel échange librement de l’information en utilisant des canaux de communication formels et informels ; (6) l’organisation du travail favorise l’action et la prise de décision. Le coefficient de cohérence interne (alpha) de cette échelle s’élève à 0,84.

Secteur d’activité économique axé sur les savoirs. Les répondants devaient cocher le secteur d’activité de leur organisation parmi une liste proposée (p. ex., biens de consommation, haute technologie, pharmaceutique, produits industriels, autre industrie manufacturière, services conseils, services financiers-assurances-immobiliers, communication et télécommunication, construction). Cette variable a été mesurée de manière dichotomique (0 ou 1). Pour constituer notre sous-groupe d’entreprises du secteur d’activité économique axé sur les savoirs (codées 1), nous avons regroupé celles oeuvrant dans les quatre secteurs suivants : haute technologie, pharmaceutique, services conseils et communication et télécommunication. Près de 17 % des firmes de notre échantillon de recherche opèrent dans un secteur axé sur les savoirs.

Performance organisationnelle. La performance organisationnelle perçue des firmes de notre échantillon de recherche a été mesurée – tant sur le plan de la finance, du marketing que des ressources humaines – en s’appuyant sur des indicateurs inspirés de Delaney et Huselid (1996). Plus précisément, trois énoncés ont été utilisés pour évaluer la performance sur le plan marketing (qualité des produits ou services ; développement de produits, services ou programmes ; satisfaction des clients ; alpha = 0,68), quatre énoncés pour évaluer la performance en termes de gestion des ressources humaines (capacité à attirer des employés compétents, capacité à retenir les meilleurs employés ; qualité de la relation entre la direction et les employés, qualité du climat de travail ; alpha = 0,82) et trois énoncés pour évaluer la performance financière (croissance des ventes, bénéfices, parts de marché ; alpha = 0,75). Pour chacun de ces énoncés, le répondant devait indiquer comment leur organisation se compare avec les autres organisations de leur secteur d’activité sur une échelle de type Likert à cinq points allant de 1 (vraiment moins bien) à 5 (bien meilleure).

Efficacité du système de gestion du rendement. L’efficacité du système de gestion du rendement des employés a été mesuré à l’égard de quatre facettes : l’efficacité à mobiliser le personnel (11 items, alpha = 0,82), l’efficacité à faciliter la réalisation de la stratégie d’affaires (5 énoncés, alpha = 0,84), l’efficacité pour appuyer la culture de gestion (3 énoncés, alpha = 0,79) et l’efficacité pour assurer un traitement équitable du personnel (2 énoncés, alpha = 0,69). Les répondants devaient indiquer, sur une échelle allant de 1 (totalement en désaccord) à 5 (totalement en accord), jusqu’à quel point ils étaient en désaccord ou en accord avec chacun des énoncés.

Finalement, les variables de contrôle retenues dans cette étude sont mesurées de la manière suivante :

Taille des organisations. Cette variable a été mesurée de manière ordinale, les répondants devant choisir la catégorie correspondant au nombre d’employés à l’emploi de leur organisation parmi les suivantes : (1) 200 à 399 employés ; (2) 400 à 599 employés ; (3) 600 à 799 employés ; (4) 800 à 999 employés ; (5) de 1000 à 1199 employés ; (6) 1200 à 1399 employés ; (7) 1400 à 1999 employés ; (8) 2000 à 2999 employés ; (9) 3000 employés et plus. La rémunération par les compétences étant relativement complexe et coûteuse à implanter, on peut s’attendre à ce qu’elle soit plus fréquente dans les organisations comptant plus d’employés.

Présence syndicale. Les répondants devaient répondre à la question : « Dans votre organisation, quelle(s) catégorie(s) de personnel sont syndiquées parmi les suivantes (en cochant lorsque c’est le cas) : (a) dirigeants, (b) cadres, (c) professionnels, (d) personnel de bureau, (e) personnel de production et d’entretien, (f) personnel de vente, (g) personnel de recherche et développement, (h) autre ». Une variable dichotomique « présence syndicale » a été créée et codée 1 si au moins une des catégories de personnel était syndiquée. Comme la rémunération des compétences remet en cause des modes de rémunération traditionnels reposant sur les exigences du poste et la progression selon l’ancienneté, on peut s’attendre à ce que la présence syndicale soit négativement liée à la présence de ce mode de rémunération.

Profil des organisations et des répondants

Le siège social de près de 70 % des organisations de notre échantillon est localisé au Québec, 11 % dans une autre province canadienne et 13 % aux États-Unis. Près de 40 % des firmes pour lesquelles travaillent les répondants comptent entre 200 et 399 employés, 18 % entre 400 et 599 employés, 9 % entre 600 et 799, 6 % entre 800 et 999, 30 % plus de 1 000 employés. En termes de chiffre d’affaires, 5 % des organisations de l’échantillon de recherche réalisent moins de 10 millions de dollars, 23 % entre 10 et 50 millions, 16 % entre 50 et 100 millions, 18 % entre 100 et 250 millions, 9 % entre 250 et 500 millions, 8 % entre 500 millions et un milliard et 13 % font plus de 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires. Près de 17 % (n = 32) des firmes de l’échantillon opèrent dans le secteur d’activité axé sur les savoirs. On retrouve une présence syndicale dans 140 des 189 organisations de notre échantillon. Finalement, l’âge moyen des organisations de notre échantillon est de 49 ans alors que l’âge médian s’élève à 32 ans.

Les répondants occupent des postes aux titres variés, tous ayant cependant en commun d’assumer des responsabilités liées à la fonction ressources humaines : responsables de la gestion des ressources humaines, directeurs des ressources humaines, vice-présidents ressources humaines, conseillers ressources humaines, etc. Par ailleurs, près de 54 % des répondants sont des hommes et cumulent en moyenne près de six années d’expérience dans leur poste actuel.

Résultats

Le tableau 1 permet d’observer les relations entre les variables de la recherche. On y observe une seule relation significative entre les cinq variables indépendantes et l’adoption de la rémunération selon les compétences. Toutefois, on peut aussi y remarquer plusieurs liens significatifs entre la présence de la rémunération selon les compétences et divers indicateurs de succès étudiés.

Tableau 1

Corrélations entre les variables de la recherche

Corrélations entre les variables de la recherche

* p < 0,05; ** p < 0,01; *** p < 0,001

Rcomp : présence de la rémunération basée sur les compétences; Strinnov : stratégie axée sur l’innovation; Strqual : stratégie axée sur la qualité; Strrh : stratégie axée sur le développement des ressources humaines; Culpart : culture de gestion participative; Secsavoi : secteur d’activités axées sur les savoirs.

Performance sur les plans marketing (Pmark), ressources humaines (Prh) et financier (Pfin).

Efficacité du système de gestion du rendement à mobiliser (Grmob), à réaliser la stratégie d’affaires (Grstrat), à appuyer la culture de gestion (Grcult) et à traiter équitablement le personnel (Grequit).

Taille : taille de l’organisation. Syndic : présence syndicale.

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Le tableau 2 montre les résultats de l’analyse de régression multiple de type logistique visant à analyser l’influence relative des variables de contrôle (taille de l’organisation et présence syndicale) et des variables indépendantes étudiées – soit les types de stratégies d’affaires (hypothèses 1a, 1b, 1c, 1d), la culture de gestion participative (hypothèse 2) et le secteur d’activité axé sur les savoirs (hypothèse 3) – sur la présence d’un régime de rémunération basée sur les compétences. Comme le modèle de régression logistique n’est pas significatif, il apparaît que les résultats n’appuient pas globalement les effets des variables de contrôle et des variables indépendantes sur l’adoption de la rémunération des compétences. De fait, cette analyse de régression appuie seulement l’hypothèse 2 : les résultats confirment que, comparés aux autres répondants, les répondants à l’emploi d’une organisation qui possède un régime de rémunération des compétences tendent à qualifier davantage leur culture de gestion de manière plus participative.

Tableau 2

L’influence relative de diverses caractéristiques organisationnelles sur l’adoption de la rémunération des compétences (régression logistique)

L’influence relative de diverses caractéristiques organisationnelles sur l’adoption de la rémunération des compétences (régression logistique)

* p < 0,05

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Le tableau 3 montre les résultats des analyses de régression linéaire visant à étudier l’incidence de la présence de la rémunération des compétences sur trois dimensions de la performance organisationnelle : marketing, ressources humaines et finance. Les résultats confirment les hypothèses 4b et 4c (ressources humaines et finance) mais ne confirme pas l’hypothèse 4a (marketing). Plus précisément, après avoir contrôlé pour la taille des firmes et la présence syndicale, les résultats confirment que, comparés aux autres répondants, les répondants à l’emploi d’une organisation qui gère un régime de rémunération basée sur les compétences sont significativement plus portés à estimer que la performance de leur firme est plus élevée sur le plan ressources humaines (hypothèse 4b) et sur le plan financier (hypothèse 4c).

Tableau 3

L’influence de la présence d’un système de rémunération selon les compétences sur trois dimensions de la performance des organisations : marketing, ressources humaines et financière (régressions linéaires contrôlant pour les effets de la taille et de la présence syndicale)

L’influence de la présence d’un système de rémunération selon les compétences sur trois dimensions de la performance des organisations : marketing, ressources humaines et financière (régressions linéaires contrôlant pour les effets de la taille et de la présence syndicale)

* p < 0,05

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Finalement, le tableau 4 montre les résultats des analyses de régression visant à analyser l’influence de la présence d’un régime de rémunération des compétences sur quatre dimensions de l’efficacité de la gestion du rendement, soit jusqu’à quel point le système de gestion du rendement permet de mobiliser le personnel (hypothèse 5a), de réaliser la stratégie d’affaires (hypothèse 5b), d’appuyer la culture (hypothèse 5c) et de traiter équitablement le personnel (hypothèse 5d). Après avoir contrôlé pour la taille des firmes et la présence syndicale, les résultats confirment que, comparés aux autres répondants, les répondants à l’emploi des organisations qui ont un régime de rémunération basée sur les compétences sont plus portés à estimer que leur système de gestion du rendement est plus efficace tant pour réaliser la stratégie d’affaires (hypothèse 5b) que pour traiter équitablement le personnel (hypothèse 5d).

Discussion et conclusion

Cette étude a permis de vérifier certaines propositions couramment avancées dans la littérature à prépondérance professionnelle sur les déterminants et les incidences de la rémunération basée sur les compétences.

Les déterminants de la présence de la rémunération selon les compétences

Les résultats de cette étude montrent que l’adoption de la rémunération basée sur les compétences n’est pas fonction de facteurs de contingence souvent perçus comme importants en rémunération comme la taille de l’organisation et la présence syndicale, deux variables dont nous avons contrôlé l’effet dans cette étude. Globalement, l’effet des variables indépendantes – stratégies d’affaires, culture de gestion participative et appartenance au secteur axé sur les savoirs – sur la présence de la rémunération des compétences apparaît aussi restreint.

De fait, seule une culture de gestion participative s’avère statistiquement liée de manière positive à l’adoption d’un système de rémunération basée sur les compétences. En d’autres termes, plus la culture de gestion est estimée être de nature participative par le responsable des ressources humaines d’une organisation, plus on est susceptible d’y retrouver un régime de rémunération basée sur les compétences. Ce résultat est cohérent avec celui de Mericle et Kim (1999) qui, après avoir analysé l’adoption d’un régime de rémunération des compétences au sein de trois établissements syndiqués, ont trouvé qu’une implantation réussie de ce mode de rémunération repose non seulement sur un processus de développement efficace, mais aussi sur une coopération continue entre le syndicat et les gestionnaires pour résoudre les problèmes et pour obtenir les bénéfices attendus. Rappelons toutefois que les analyses statistiques ne permettent pas de confirmer la causalité des liens vérifiés. Ainsi, il est possible que ce soit l’orientation participative de la culture de gestion qui détermine la présence de la rémunération des compétences, comme il est possible que la culture participative de gestion soit une incidence de la présence d’un tel mode de rémunération. Certains auteurs estiment d’ailleurs que l’introduction de la rémunération en fonction des compétences s’avère un moyen de changer ou de renforcer une culture de gestion pour la rendre plus participative (p. ex., Lawler 1990 ; Lawler et Ledford 1992 ; Schuster et Zingheim 1992). Une étude longitudinale pourrait permettre de préciser le sens de cette relation.

Tableau 4

L’influence de la présence d’un système de rémunération basée sur les compétences sur quatre dimensions de l’efficacité d’un système de gestion du rendement : mobiliser le personnel, réaliser la stratégie d’affaires, appuyer la culture et traiter équitablement le personnel (régressions linéaires)

L’influence de la présence d’un système de rémunération basée sur les compétences sur quatre dimensions de l’efficacité d’un système de gestion du rendement : mobiliser le personnel, réaliser la stratégie d’affaires, appuyer la culture et traiter équitablement le personnel (régressions linéaires)

* p < 0,05; ** p < 0,01

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Les résultats de cette étude n’appuient pas le discours des tenants de la perspective stratégique qui présentent la rémunération des compétences comme une pratique rationnellement déterminée par les orientations stratégiques des firmes. En effet, aucune des orientations stratégiques étudiées (soit la qualité, l’innovation, les coûts et les ressources humaines) ne semble expliquer la présence de la rémunération basée sur les compétences. Ce résultat non concluant n’est toutefois pas incohérent avec les recherches antérieures qui se sont surtout intéressées à comprendre la rémunération des dirigeants d’entreprise. Si certaines études montrent que la stratégie des organisations peut influencer le salaire de tous les employés et non seulement celui des dirigeants (Boyd et Salamin 2001), une revue réalisée par Gerhart et Rynes (2003) les amène à conclure que l’effet de la stratégie d’affaires sur la rémunération semble être plus faible à des niveaux hiérarchiques inférieurs, soit la clientèle cible des régimes de rémunération basée sur les compétences. En somme, l’hypothèse d’alignement stratégique, quoique intuitivement attrayante pour plusieurs chercheurs, n’a reçu qu’un appui empirique mitigé dans le cadre d’études intéressées par la rémunération des employés.

Les incidences de la présence de la rémunération basée sur les compétences

En ce qui concerne les incidences de la rémunération selon les compétences, nos résultats montrent que son adoption a un effet positif significatif sur deux facettes de la performance organisationnelle, soit la performance financière et la performance en matière de ressources humaines. Le fait que les répondants à l’emploi des organisations rémunérant selon les compétences perçoivent la performance financière (estimée selon la croissance des ventes et l’ampleur des bénéfices comptables) de leur firme de manière significativement supérieure aux répondants qui travaillent dans des organisations n’ayant pas recours à ce mode de rémunération corrobore ce qu’ont toujours défendu les tenants de la rémunération des compétences ou de la gestion par les compétences (Lawler et Ledford 1985 ; Zarifian 1988, 1999) ainsi que les études antérieures (Murray et Gerhart 1998 ; Parent et Weber 1994) précédemment citées. Même si ces résultats sont favorables à l’approche selon les compétences, la question de la causalité reste encore à éclaircir. Comme telle, une meilleure performance organisationnelle peut libérer des ressources financières qui facilitent l’élaboration et l’implantation de pratiques de gestion innovatrices. Ensuite, ces pratiques de gestion peuvent contribuer à améliorer la performance organisationnelle engageant ainsi l’entreprise dans un cercle vertueux de succès (Schneider et al. 2003).

Cette étude confirme également l’incidence significative de la présence de la rémunération en fonction des compétences sur l’estimé que les répondants font de la performance de leur organisation en termes de gestion des ressources humaines, c’est-à-dire la capacité à attirer et à retenir des employés compétents et la qualité des relations du travail et du climat de travail. L’impact positif de la rémunération des compétences sur la capacité à attirer et à retenir les salariés les plus compétents peut s’expliquer par une meilleure prise en compte des compétences dans les processus d’embauche à l’aide de tests appropriés en cohérence avec ce mode de rémunération. Ce résultat peut aussi être expliqué par la théorie basée sur les ressources (Barney 1991) par laquelle la rémunération des compétences agirait comme symbole de l’importance que les dirigeants d’entreprise accordent aux ressources humaines (Pfeffer 1981). Pour les candidats, la rémunération des compétences serait ainsi perçue comme un avantage compétitif sur le marché de l’emploi faisant d’eux des « employés de choix » (p. ex., meilleures perspectives de carrière).

En ce qui concerne les incidences de la rémunération des compétences, nos résultats montrent que son adoption a un effet positif significatif sur deux mesures de l’efficacité du processus de gestion du rendement des employés : celle visant à traiter équitablement le personnel et celle visant à réaliser la stratégie d’affaires. En d’autres mots, comparés aux répondants des autres firmes, ceux travaillant au sein d’organisations où l’on retrouve la rémunération des compétences ont plus tendance à estimer leur processus de gestion du rendement comme étant plus aligné sur la stratégie d’affaires et plus équitable. Ces résultats doivent être étudiés par d’autres chercheurs compte tenu de l’importance, du point de vue de la pratique, de mieux comprendre les déterminants de l’efficacité des processus de gestion du rendement telle que perçue par les employés et les cadres (Cardy et Dobbins 1994 ; Wexley 1987).

Limites de l’étude et avenues de recherche

Cette étude n’est pas sans limites. D’abord, la subjectivité de l’unique répondant interrogé par entreprise ainsi que les échelles de mesures retenues pour évaluer des concepts complexes (p. ex., les orientations stratégiques) influencent la qualité des réponses obtenues et la validité des résultats. En outre, si à ce jour, la définition et la mesure du concept de rémunération des compétences varient d’une étude à l’autre, l’interprétation des résultats de la présente recherche doit tenir compte du fait que notre mesure couvre diverses formes de rémunération des compétences (p. ex., primes, augmentations de salaire) offertes à diverses catégories de personnel (p. ex., employés de production, cadres, professionnels, employés de bureau) sans égard à la proportion relative des employés rémunérés pour leurs compétences dans la main-d’oeuvre de l’organisation. Ensuite, même si le recours à une mesure perceptuelle de performance organisationnelle a été validé dans d’autres études (p. ex., Delaney et Huselid 1996), il serait intéressant de recourir à des mesures objectives pour analyser les incidences de la rémunération des compétences.

De plus, en ce qui concerne le devis de la recherche, il aurait été souhaitable d’adopter un devis longitudinal afin de comparer les changements survenus en deux temps, soit avant l’implantation et juste après celle-ci parmi des organisations ayant ou n’ayant pas de régime de rémunération basée sur les compétences. Par ailleurs, si tel que mis de l’avant par Lawler (1996), l’expérience montre que la rémunération des compétences est plus efficace au cours des premières années de son implantation que dans les années suivantes, le design de cette étude ne permet pas de tenir compte de cette dimension. Finalement, cette étude porte sur un échantillon d’organisations du Québec, ses résultats ne sont pas nécessairement généralisables à d’autres contextes nationaux.

Plusieurs voies de recherche sur la rémunération des compétences semblent intéressantes. D’abord, comme la présence d’une culture participative de gestion et l’appartenance au secteur axé sur les savoirs sont les seuls déterminants étudiés dans cette recherche qui apparaissent positivement liés à l’adoption de la rémunération des compétences, les chercheurs peuvent analyser de manière plus approfondie ces liens en explorant l’effet de pratiques particulières liées à une culture participative (p. ex., cercles de qualité) et au secteur axé sur les savoirs (p. ex., types d’organisation du travail ou de technologie). Par ailleurs, comme la rémunération est souvent un moyen que l’on introduit en parallèle avec d’autres innovations comme les équipes autogérées, l’enrichissement des emplois, la gestion des communications, etc. (Lawler 1990 ; Lawler et Ledford 1992 ; Schuster et Zingheim 1992), les études futures devraient analyser l’efficacité relative de ces divers programmes à créer de la valeur, ou encore les systèmes complémentaires de gestion qui s’adaptent le mieux avec la rémunération des compétences pour influencer son efficacité.

Des études futures devraient donc continuer d’explorer les caractéristiques organisationnelles influençant l’adoption de la rémunération basée sur les compétences et ses incidences sur divers indicateurs attitudinaux (p. ex., satisfaction, motivation, perceptions de justice ou d’équité, créativité), comportementaux (p. ex., comportements de bons citoyens organisationnels) et les résultats de gestion des ressources humaines (p. ex., assiduité, attraction et rétention du personnel, performance). De plus, puisqu’à ce jour les chercheurs ont surtout analysé les régimes de rémunération des compétences couvrant les employés de production (cols bleus) au sein de firmes du secteur privé, il serait intéressant d’analyser l’adoption de la rémunération des compétences auprès des populations de cadres et professionnels et d’analyser aussi le secteur public. Étant donné le peu d’appui offert à la perspective stratégique, les chercheurs pourraient aussi analyser l’influence des pressions compétitives et institutionnelles (p. ex., DiMaggio et Powell 1983 ; Meyer et Rowan 1997 ; Scott 1995 ; Zucker 1987) sur l’adoption de la rémunération des compétences.

Par ailleurs, comme toutes autres pratiques de rémunération, il est probable que l’efficacité de la rémunération des compétences soit fonction de diverses variables. Toutefois, force est de reconnaître que très peu d’études ont analysé les facteurs influençant le succès de la rémunération des compétences (p. ex., Gupta et al. 1992 ; Lee, Law et Bobko 1999 ; Mericle et Kim 1999). Tel que récemment mis de l’avant, les chercheurs doivent développer de nouvelles bases théoriques (p. ex., midrange theories, termes d’interaction) pour mieux comprendre pourquoi ce nouveau mode de rémunération fonctionne et sous quelles conditions donne-t-il les résultats escomptés (Heneman 2000). À cet égard, les chercheurs peuvent s’appuyer sur le récent modèle de Murray et Gerhart (2000) proposant que la volonté d’acquérir des compétences repose sur trois grands déterminants : attitudes, normes subjectives et contrôle comportemental perçu. Tel qu’exprimé par Lawler (2000), il importe peu de trouver la présence d’un « alignement » (d’un fit), ce qu’il faut c’est d’identifier des alignements efficaces ou productifs. Par exemple, l’étude de Shaw, Gupta et Delery (2001) montre que la rémunération des compétences est plus efficace lorsqu’elle est adoptée dans un contexte de production intégrée prônant l’interdépendance et la qualité totale.

Des recherches futures devraient aussi tenter de répondre à la question posée par Bartol et Locke (2000), à savoir : comment la rémunération des compétences va-t-elle se traduire en de meilleures performances individuelle et collective ? En effet, si les compétences sont des caractéristiques personnelles qui facilitent la performance (Ledford 1995), il y a une différence entre « être capable de performer » et « performer ». Les chercheurs devraient analyser le processus par lequel la rémunération des compétences améliore divers indicateurs de performance tant au niveau individuel que collectif en s’appuyant sur des concepts d’investissement mutuel (Tsui et al. 1997), de comportements de bons citoyens organisationnels (Organ 1988 ; Podsakoff, Scott et Chun 1993 ; Schnake 1991), de justice organisationnelle (Folger et Konovsky 1989), etc.

Finalement, à ce jour, la quasi-totalité des écrits sur la rémunération des compétences adoptent une perspective rationnelle en la considérant comme un mode de rémunération qui repose sur des standards rationnels menant à des résultats rationnels. Toutefois, il serait également utile d’analyser le contexte social lié à l’adoption de ce mode de rémunération en adoptant une perspective interprétative. Par exemple, les chercheurs peuvent explorer jusqu’à quel point la rémunération des compétences permet de construire une nouvelle réalité organisationnelle (Berger et Luckmann 1966) en symbolisant l’importance que l’organisation accorde au développement des compétences (Pfeffer 1981). Déjà en 1969, Trice, Belasco et Alutto montraient comment les activités de gestion du personnel possèdent un caractère symbolique et de légitimité fort important.