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Le travail indépendant[1] (ou travail autonome exercé sans employé) est l’une des deux principales formes de travail atypique, c’est-à-dire différentes de l’emploi permanent à temps complet, au Québec et au Canada. Cette forme de travail a connu une forte croissance entre 1976 et 2000, suivie d’une légère diminution depuis. Bien que les données disponibles laissent présumer une grande hétérogénéité des situations de travail recouvertes par cette catégorie juridique et statistique, cette diversité est encore rarement étudiée.

Le présent article s’inscrit dans une série de travaux (D’Amours 2003 ; D’Amours et Crespo 2002) visant à décrire et à expliquer cette hétérogénéité, autour de cinq dimensions, à savoir les caractéristiques du producteur, la nature de sa clientèle, le type de produit, l’organisation du travail (incluant la rémunération) et, finalement, le niveau et le type de couverture contre les risques sociaux et professionnels. Ce faisant, il contribue à dégager six profils de travailleurs indépendants sans employés. Il illustre par ailleurs qu’une partie de cette hétérogénéité est attribuable au brouillage des frontières entre les modèles « purs » de salariat et d’indépendance : ainsi, une portion des indépendants n’a pas la pleine direction de son travail alors qu’une autre, moins nombreuse, n’assume pas en totalité les risques associés au travail.

Cadre théorique, modèle d’analyse, hypothèses et méthodologie

Les études statistiques disponibles se sont surtout attachées à illustrer les différences entre les travailleurs indépendants sans employés (aussi nommés travailleurs indépendants à leur propre compte) et les employeurs, le premier sous-groupe comptant davantage de femmes, de travailleurs à temps partiel et à faible rémunération (DRHC 2002 ; ISQ 2001). Les travaux de Roy (1999) ont de surcroît mis en évidence le profil occupationnel et sectoriel de chacune de ces sous-catégories. L’étude menée par Schetagne (1999), à partir de données sociodémographiques contenues dans différentes enquêtes de Statistique Canada, conclut à l’existence de deux groupes de travailleurs autonomes : les privilégiés et les appauvris. Les privilégiés, souvent des professionnels très scolarisés, travaillent à plein temps dans une entreprise incorporée avec ou sans aide rémunérée, ou alors sans incorporation mais avec un ou des employés et génèrent des revenus moyens supérieurs à ceux des salariés. Les appauvris n’ont ni entreprise incorporée ni employés ; ils recourent généralement à cette activité à défaut de détenir un emploi salarié et travaillent un grand nombre d’heures pour un revenu souvent inférieur au salaire moyen (Schetagne 1999 : 34–35).

Un sondage réalisé pour le Comité d’experts chargé de se pencher sur les besoins de protection sociale des personnes vivant une situation de travail non traditionnelle fournit surtout des clés pour comprendre l’hétérogénéité au sein de la catégorie, beaucoup plus vaste, des travailleurs atypiques. Outre les travailleurs autonomes, cette catégorie comprend les travailleurs à temps partiel, ceux qui ont un travail temporaire à durée déterminée et les travailleurs à domicile. Ce sondage, qui n’établit pas formellement de distinction entre les travailleurs autonomes selon le fait d’embaucher ou non des employés, conclut qu’ils sont, comparativement à l’ensemble des travailleurs atypiques, surtout des hommes comptant plusieurs années d’expérience (entre 6 et 15 ans), disposant d’un revenu personnel élevé (40 000 $ ou plus) et ayant choisi cette forme de travail (Bernier, Vallée et Jobin 2003). Ce profil relativement favorable est sans doute attribuable à la présence parmi eux de travailleurs autonomes employeurs. Au total donc, peu d’études statistiques ont porté spécifiquement sur la diversité des situations qui coexistent au sein du groupe des travailleurs autonomes ou indépendants sans employés, qui est la catégorie ayant connu la plus forte croissance depuis le milieu des années 1970, et présumément celle présentant les plus importants besoins en termes de protection sociale.

De manière générale, la littérature scientifique a analysé le travail indépendant sur le mode dichotomique. D’après Hakim (1988), les travailleurs indépendants se retrouvent dans les deux catégories que sont le marché externe primaire (travail professionnel ou de métier qualifié) et le marché externe secondaire (impliquant des compétences facilement apprises ou abondamment disponibles). Selon Supiot (1999), le recours au travail indépendant peut se présenter soit comme vecteur de la précarisation de l’emploi, soit comme « vue idéale du post-fordisme », le premier correspondant à une stratégie de dévalorisation et le second à une stratégie de valorisation du travail. Gadrey (2000) et McManus (2000) opposent les professionnels qualifiés aux non-professionnels peu qualifiés, les premiers économiquement indépendants de leur clientèle et contrôlant leur procès de travail et les seconds possédant les caractéristiques inverses. Cette approche, qui s’inspire des théories de la segmentation du marché du travail (les travailleurs autonomes peuvent être détenteurs ou non de compétences spécifiques, très ou peu scolarisés, très bien ou très mal payés, embauchés selon une logique de compétence ou, au contraire, selon une logique de réduction des coûts) est loin d’être inintéressante, mais elle semble insuffisante. Que la vaste catégorie des travailleurs indépendants comprenne ces deux sous-groupes aux caractéristiques opposées, cela tombe sous le sens. Mais la question devient : existe-t-il d’autres groupes que ceux-là ? Cet article vise à démontrer et à expliquer l’hétérogénéité (et non pas la dichotomie) des situations de travail indépendant exercées par des non-employeurs, en ajoutant d’autres axes d’analyse à ceux qui structurent les typologies existantes, à savoir le statut professionnel du producteur, l’existence d’un contrôle réel sur le travail et la propriété des moyens de production[2].

Le cadre théorique, tiré de D’Amours (2003), doit beaucoup aux travaux de Dupuy et Larré (1998), repris par Morin (1999), qui ont bien mis en évidence le fait qu’en étudiant les deux formes polaires de travail (salariat et indépendance) sur un mode dichotomique, le travail indépendant sur un marché de biens et services et le travail salarié sur un marché du travail[3], les analyses économiques font « disparaître » la prestation de travail indépendant derrière le bien ou le service. Reprenant leur critique de cette approche, qui revient en quelque sorte à étudier le travail indépendant « hors travail », le cadre théorique le considère au contraire comme une forme d’organisation du travail et de répartition des risques liés au travail. Mais, puisant aux travaux de Salais et Storper (1993), il considère également que la prestation de travail indépendant s’inscrit dans la réalisation de produits différenciés, plus ou moins standardisés ; dans cette approche, la nature ou la « qualité » du produit, qui fait l’objet d’un accord au moins implicite entre le producteur et le client, a un impact déterminant sur l’organisation de la production, ainsi que sur le statut et la rémunération du travail. L’articulation de ces deux approches conduit à considérer le travail indépendant comme l’enchâssement d’une prestation de travail et d’une production de bien/prestation de service et, sur cette base, à concevoir un modèle d’analyse en cinq dimensions, dont trois — l’identité du demandeur ou client, l’identité du producteur, la nature du produit — sont tirées du cadre de Salais et Storper sur la diversité des produits et deux — l’organisation du travail et la répartition du risque lié au travail — sont tirées du modèle de Dupuy et Larré sur la diversité des formes de travail.

La dimension « identité du demandeur » s’intéresse à la clientèle du travailleur indépendant, notamment au type de cette clientèle (constituée d’individus, d’entreprises ou des deux), à sa relative abondance ou rareté (nombre approximatif de clients durant l’année de référence), ainsi qu’à la possible dépendance ou quasi-dépendance économique du travailleur à l’égard d’un client qui lui fournit la moitié ou plus de ses revenus.

La dimension « identité du producteur » porte sur les caractéristiques du travailleur indépendant que sont le statut professionnel (niveau de compétence selon la Classification nationale des professions de 1997), les ressources financières (niveau de revenu personnel de toutes sources), le capital humain (scolarité et durée de l’expérience comme travailleur indépendant) et le capital social (participation à des réseaux).

La dimension « nature ou qualité du produit[4] » se penche sur le caractère plus ou moins standardisé ou reproductible du bien ou du service produit par le travailleur indépendant, à partir d’une typologie des services réalisée par Gadrey (1996). Selon cet auteur, le critère central servant à classer les principales formes de résultats des activités de services devrait être l’opposition entre « d’une part, des produits (ou prestations) suffisamment standardisés, délimités et reproductibles et, d’autre part, des produits marqués par les aléas de la création, de l’initiative, des relations sociales rétroactives, etc. » (Gadrey 1996 : 76).

La dimension « organisation du travail » s’intéresse à la personne (travailleur indépendant, client[5]) qui détermine l’objectif de la prestation, fixe les délais et établit le budget disponible, ce que nous désignons comme la sous-dimension « encadrement général du travail ». Elle s’intéresse en outre à la personne qui fournit les outils et détermine les méthodes et les processus de travail, ce que nous désignons comme la sous-dimension « encadrement spécifique du travail ». Elle inclut finalement une troisième sous-dimension portant sur la rémunération et les autres modalités contractuelles ; celle-ci permet d’identifier la personne responsable de l’établissement des tarifs, de repérer l’existence d’une entente contractuelle écrite et, le cas échéant, d’identifier la personne qui en détermine le contenu.

La dimension de la répartition du risque s’intéresse à la présence ou à l’absence de protection contre six types de risques sociaux et professionnels et, le cas échéant, à la personne ou à l’instance fournissant cette protection[6]. Ce sont :

  • la protection contre le risque « manque de travail », vue comme l’existence et le type de soutien pouvant pallier au manque de contrats ou de clients ;

  • la protection contre le risque « maladie/accident », conçue comme l’existence et le type de soutien pouvant pallier au manque de revenu lié à l’impossibilité physique ou mentale de fournir la charge de travail habituelle ;

  • la protection en vue de la vieillesse, vue comme l’existence et le type de soutien pouvant pallier à la baisse de capacité de travail ou de revenus issus du travail, à mesure qu’on avance en âge ;

  • la protection liée au fait de devenir parent, soit l’existence et le type de soutien pouvant pallier au manque de revenu lié à la grossesse et aux premiers mois de vie d’un enfant ;

  • la protection contre le risque « faute professionnelle », conçue comme l’existence d’une protection en cas de poursuite pour les fautes graves qui peuvent survenir dans l’exercice du travail ;

  • la protection contre le risque « désuétude des connaissances », soit l’existence de ressources destinées à prévenir la déqualification ou, par la positive, la présence de ressources contribuant à maintenir et à développer les qualifications et les compétences du travailleur.

Les hypothèses guidant la recherche sont les suivantes :

  1. Les situations de travail indépendant sont hétérogènes et cette hétérogénéité devrait apparaître sur chacune des dimensions du modèle. À titre d’hypothèse complémentaire, les diverses modalités possibles sur une dimension auraient des impacts sur les modalités des autres dimensions.

  2. Une partie de cette hétérogénéité provient du fait que certaines formes de travail indépendant se rapprochent du salariat, notamment au chapitre de la dépendance économique à l’égard d’une clientèle restreinte, voire d’un client unique, et d’un faible contrôle sur l’organisation du travail. Cette hypothèse reprend le cadre d’analyse des formes de travail élaboré par Dupuy et Larré (1998). Pour ces auteurs, les formes « pures » de salariat et d’indépendance, la première étant définie par la combinaison d’une organisation de travail et d’une prise en charge collectives des risques associés au travail, et la seconde, par la combinaison d’une organisation du travail et d’une prise en charge individuelles de ces mêmes risques, coexistent maintenant avec différentes formes hybrides qui empruntent des caractéristiques de ces deux pôles. Dans l’une des formes hybrides voisines de l’indépendance, le travailleur n’a pas l’entier contrôle de sa prestation, tout en assumant entièrement le risque ; dans une autre, il détient le plein contrôle de la prestation, tout en partageant le risque avec son client.

  3. Une troisième hypothèse est à l’effet que les dimensions du statut professionnel et du contrôle sur le travail, habituellement associées dans la littérature, sont indépendantes l’une de l’autre. En d’autres termes, il n’y aurait pas d’un côté des professionnels qualifiés, indépendants et en contrôle de leur travail, et de l’autre, des non-professionnels peu qualifiés, dépendants et peu en contrôle de leur travail. Selon cette hypothèse, les situations du travail indépendant relèvent de l’hétérogénéité plutôt que de la dichotomie.

Pour vérifier ces hypothèses, une enquête par sondage[7], avec questionnaire téléphonique administré par intervieweur, a été réalisée auprès d’un échantillon de 293 répondants[8] pour qui le travail indépendant sans employé constituait l’emploi principal en l’an 2000.

La comparaison des distributions de fréquence de certaines variables clés de l’échantillon constitué pour les fins de cette recherche avec celles de l’Enquête sur la population active (EPA) de Statistique Canada pour la même année révèle des distributions assez similaires eu égard au sexe et à l’âge mais des différences significatives apparaissent quand on considère les variables de la scolarité et de la catégorie professionnelle. En effet, les détenteurs d’un diplôme universitaire sont deux fois plus nombreux dans cet échantillon que dans celui de l’EPA et cette distorsion entraîne une surreprésentation des catégories dominées par les professionnels[9]. Cette surreprésentation des professionnels interdira de généraliser l’ensemble des résultats à la population des travailleurs indépendants. Ces résultats sont toutefois fort pertinents pour repérer les dimensions autour desquelles s’organise l’hétérogénéité et pour dégager des profils types de travailleurs indépendants.

Le traitement[10] des données repose sur une combinaison de deux méthodes complémentaires — l’analyse factorielle de correspondances multiples (AFCM) et la classification ascendante hiérarchique (CAH) — qui permettent de traiter des échantillons relativement petits, tout en offrant la possibilité d’associer un grand nombre de variables simultanément. L’AFCM résume les associations entre des variables à partir de variables synthétiques, ou « facteurs », alors que la CAH regroupe les répondants en classes ; ce regroupement est effectué de manière à garantir, à l’intérieur de chaque classe, un maximum d’homogénéité (i.e. un maximum d’identité) entre les profils des répondants sur les facteurs, et donc sur les différentes caractéristiques que ces facteurs résument.

Principaux résultats

Toutes les variables des cinq dimensions ont été considérées comme des variables actives, c’est-à-dire contribuant à la configuration du plan factoriel. Nous avons retenu les deux premiers facteurs[11], construits respectivement principalement à partir des modalités de la dimension 1 (identité de la clientèle et, en particulier, l’opposition entre les détenteurs d’une clientèle abondante et ceux qui n’ont que quelques clients, voire un seul) et à partir de celles de la dimension 2 (identité du producteur et, en particulier, l’opposition entre les professionnels, dont le travail requiert habituellement de posséder un diplôme universitaire, et les autres travailleurs). Les variables sont caractérisées sur ces facteurs au moyen de deux types de statistiques : les coordonnées factorielles et les contributions partielles à l’inertie. Les tableaux 1 à 5 contiennent les coordonnées factorielles (positives ou négatives) prises par les variables de chacune des cinq dimensions sur chacun des facteurs, alors que le tableau 7 indique la contribution de chacune des cinq dimensions à la définition de chacun des facteurs. Les faits saillants de ces tableaux sont exposés dans l’analyse qui suit.

Identité de la clientèle

Tableau 1

Coordonnées factorielles des modalités actives de la dimension 1 : « Identité du demandeur »

Coordonnées factorielles des modalités actives de la dimension 1 : « Identité du demandeur »

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Prises comme un tout, les modalités des variables relatives à l’identité de la clientèle expriment 28,68 % de l’inertie du facteur 1 (voir tableau 7). Ce sont donc les coordonnées factorielles de ces modalités sur l’axe 1 qui sont ici les plus significatives pour l’analyse. L’étude du tableau 1 révèle une forte opposition entre la modalité clientèle supérieure à 20 clients (dont la valeur est relativement négative) aux modalités témoignant d’une clientèle rare, à la limite constituée d’un seul client (dont les valeurs sont fortement positives). À cette opposition première, s’en greffent d’autres : clientèle constituée d’individus vs clientèle composée d’entreprises, producteurs économiquement indépendants vs producteurs en situation de dépendance ou de quasi-dépendance face à un client qui leur fournit la moitié ou plus de leur revenu. Les modalités mitoyennes (5 à 9 clients, 10 à 19 clients), associées à la clientèle formée d’individus et d’entreprises, se retrouvent près du zéro, et sont donc plutôt neutres par rapport au facteur 1. Par ailleurs, les modalités des variables relatives à l’identité de la clientèle contribuent de façon beaucoup plus marginale (de l’ordre de 8,87 %) à l’inertie et donc à la définition du facteur 2. On peut tout de même noter que la modalité « client unique », fortement négative, est davantage associée aux niveaux de compétence autres que A.

Identité du producteur

Dans leur ensemble, les modalités relatives à l’identité du producteur contribuent fortement à la définition du facteur 2, comptant pour 40,1 % de son inertie (voir tableau 7). Comme l’illustre le tableau 2, le facteur 2 oppose le niveau de compétence A (valeur positive) à tous les autres niveaux de compétence (valeurs négatives). Quand on suit le continuum allant des valeurs négatives aux valeurs positives, on voit progressivement augmenter le niveau de revenu, de scolarité, de même que l’expérience comme travailleur indépendant. Également, les modalités relatives à la participation à une association professionnelle ou syndicale ont des valeurs positives, alors que la participation à une coopérative de producteurs (qu’on peut supposer de producteurs agricoles) a une valeur négative. Ici encore, les modalités mitoyennes (revenus entre 20 et 40 000 $, expérience entre 5 et 10 ans) se rapprochent du zéro, donc sont relativement neutres par rapport à ce facteur. Par ailleurs, les variables de la dimension « identité du producteur » expliquent aussi une part relativement importante (18,01 %) de l’inertie du facteur 1. Cela est probablement attribuable à la modalité « niveau de compétence A », qui, tests de chi-deux à l’appui, s’est révélée associée positivement aux modalités « 2 à 4 clients » (mais pas à la modalité « client unique »), « clientèle composée d’entreprises seulement » et « présence d’un client fournissant la moitié ou plus du revenu ». Remarquons aussi que la participation à une organisation syndicale, l’expérience inférieure à un an et le fait de détenir une maîtrise ou un doctorat sont également associées à une clientèle rare.

Tableau 2

Coordonnées factorielles des modalités actives de la dimension 2 : « Identité du producteur »

Coordonnées factorielles des modalités actives de la dimension 2 : « Identité du producteur »

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Nature du produit

Tableau 3

Coordonnées factorielles des modalités actives de la dimension 3 : « Nature ou qualité du produit »

Coordonnées factorielles des modalités actives de la dimension 3 : « Nature ou qualité du produit »

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Prises comme un tout, les modalités relatives à la nature du produit contribuent presque également à la définition des deux facteurs, dans des proportions respectives de 10,28 et de 11,25 %. Le tableau 3 met en évidence le fait que les services de santé, ceux relatifs aux loisirs et aux divertissements, ainsi qu’à l’hygiène corporelle et à l’entretien des personnes, affichent des valeurs négatives sur le facteur 1, ce qui témoigne de leur association avec une clientèle abondante ; inversement, les services liés aux communications et à la culture, à l’expertise conseil auprès des entreprises ainsi qu’à l’éducation et à la formation sont associés à la clientèle rare. Sur le facteur 2, les services affichant les valeurs les plus fortement positives (services financiers et d’assurances, services de santé) sont clairement associés au niveau de compétence A, alors que la production de biens matériels (essentiellement, produits agricoles et artisanaux), le secrétariat et la comptabilité, la vente, l’entretien, la réparation et le transport de biens sont le plus fortement associés aux autres niveaux de compétence.

Organisation du travail

Tableau 4

Coordonnées factorielles des modalités actives de la dimension 4 : « Organisation du travail »

Coordonnées factorielles des modalités actives de la dimension 4 : « Organisation du travail »

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Dans leur ensemble, les modalités propres à l’organisation du travail contribuent davantage à la définition du facteur 1 (comptant pour 32,33 % de son inertie) qu’à celui du facteur 2 (comptant pour 13,72 % de son inertie). Comme l’illustre le tableau 4, les modalités d’organisation du travail contrôlées par le travailleur indépendant (TI), de même que certains éléments de négociation ou de mixité sur des modalités habituellement contrôlées par le client (les objectifs, les délais, les budgets), ont des valeurs négatives sur le facteur 1 ; elles sont donc associées à la clientèle abondante, sans dépendance du producteur. À l’inverse, les modalités d’organisation du travail contrôlées par le client, ainsi que certains éléments de négociation ou de mixité sur des modalités habituellement contrôlées par le travailleur indépendant (les outils, les méthodes, les tarifs) ont des valeurs positives sur ce même facteur, donc associées à la clientèle rare, dont le travailleur indépendant est susceptible de dépendre économiquement. En d’autres termes, plus la clientèle est abondante et plus le producteur a tendance à contrôler totalement ou partiellement les éléments de l’organisation du travail ; inversement, une clientèle rare, et à fortiori la dépendance à l’égard d’un client unique, sont associées à un contrôle total ou partiel du client sur ces mêmes éléments.

Si on examine ce même tableau par la lorgnette du facteur 2, on peut constater que plusieurs modalités propres à l’organisation du travail s’approchent du zéro, donc qu’elles sont peu affectées par le statut professionnel du producteur. Cependant, les modalités qui font intervenir une instance extérieure dans le tarif et le contrat ont des coordonnées fortement positives, donc associées au niveau de compétence A, alors que les modalités relatives aux contrats et surtout aux tarifs contrôlés par le client ont des coordonnées fortement négatives, donc reliées aux niveaux de compétence autres que professionnel. En d’autres termes, le statut professionnel joue tout de même un rôle, certes moins important que l’identité de la clientèle, dans l’instance qui contrôle les éléments de l’organisation du travail ; certains non-professionnels ont tendance à voir le client contrôler les modalités contractuelles, alors que certains professionnels doivent composer avec l’intervention d’instances extérieures dans la détermination de ces mêmes modalités.

Protection contre le risque

Prises comme un tout, les modalités relatives à la protection contre les risques sociaux et professionnels sont davantage redevables au facteur 2 (contribuant pour 26,04 % à son inertie) qu’au facteur 1 (contribuant pour 10,68 % à son inertie). L’examen du tableau 5 révèle que la vaste majorité des modalités indiquant la présence de protection contre l’un ou l’autre type de risque et ce, quelle que soit l’instance qui paye pour cette protection, affichent des valeurs positives sur l’axe 2, en association avec le statut de professionnel. C’est particulièrement le cas pour les modalités relatives aux assurances invalidité ou médicaments, à l’assurance responsabilité professionnelle, à la formation professionnelle et à la protection en vue de la retraite. Des valeurs négatives sur ce facteur, donc associées aux statuts autres que A, sont attribuées aux modalités indiquant l’absence de protection contre le risque, ainsi qu’aux modalités (concernant une très faible partie de l’échantillon) où des programmes publics (assurance-emploi ou sécurité du revenu) interviennent en cas de manque de travail et où de nouveaux parents reçoivent le soutien de l’État ou d’un employeur. On touche ici au cas particulier des répondants qui cumulent le travail indépendant avec un emploi salarié atypique, c’est-à-dire soit à temps partiel, temporaire ou contractuel, par lequel ils peuvent avoir accès à certaines protections. En résumé, le statut de professionnel (niveau de compétence A) donne accès à certains types de protection, notamment les assurances invalidité et professionnelle, la formation professionnelle et la constitution de fonds en vue de la retraite, qui sont plus souvent absentes chez les travailleurs des autres niveaux de compétence. Par ailleurs, en cas de manque de travail ou lors de l’arrivée d’un enfant, la vaste majorité des répondants n’ont aucune couverture et seuls quelques semi-professionnels et non-professionnels ont alors accès aux programmes publics.

Tableau 5

Coordonnées factorielles des modalités actives de la dimension 5 : « Répartition du risque »

Coordonnées factorielles des modalités actives de la dimension 5 : « Répartition du risque »

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Si on examine maintenant les coordonnées des modalités relatives à la protection sociale sur le facteur 1, on constate que plusieurs se rapprochent de zéro, et donc sont neutres par rapport à ce facteur. Toutefois, il faut remarquer que les modalités, s’appliquant à un petit nombre de répondants, par lesquelles le client assume le coût de la protection ou le partage avec le travailleur, affichent des valeurs positives, donc associées à une clientèle rare. En d’autres termes, dans la majorité des cas, les travailleurs indépendants soit n’ont pas de protection contre les risques sociaux et professionnels, soit assument les frais d’une couverture ; par ailleurs, dans un petit nombre de cas, des travailleurs indépendants à clientèle rare voient ce ou ces clients défrayer en partie ou en totalité le coût de certaines protections.

L’étude, résumée dans le tableau 6, de certaines variables illustratives (c’est-à-dire ne contribuant pas à la définition des facteurs), notamment le genre et l’âge, révèle que ces variables ne sont pas fortement associées aux dimensions clés du modèle, puisque la majorité de leurs modalités se retrouvent près de zéro. Sur la facteur 1, l’opposition entre hommes (davantage associés à la clientèle rare) et femmes (davantage associées à la clientèle abondante) est faible et leur différence relative au statut professionnel (facteur 2) l’est encore davantage. De même, les modalités relatives à l’âge présentent peu de différenciation, sauf pour les très jeunes (15–24 ans), peu nombreux dans l’échantillon, qui sont retrouvent davantage dans les statuts professionnels autre que A et avec une clientèle abondante, alors que les 65 ans et plus sont davantage associés à une clientèle rare.

Tableau 6

Coordonnées des modalités illustratives du genre et de l’âge

Coordonnées des modalités illustratives du genre et de l’âge

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Tableau 7

Contribution à l’inertie des facteurs, pour chaque dimension

Contribution à l’inertie des facteurs, pour chaque dimension

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Dernière étape du traitement, la classification ascendante hiérarchique[12] a fourni une partition en six classes, dont cinq sont statistiquement différenciées. Les pages qui suivent présentent chacune des classes par ses caractéristiques typiques[13]. Une caractéristique est typique d’une classe lorsque, test d’inférence à l’appui[14], elle est significativement surreprésentée chez les individus de cette classe, comparativement à l’ensemble de l’échantillon[15].

Classe 1 : les non-professionnels indépendants

La classe 1, la plus populeuse, regroupe 44,2 %[16] de l’échantillon. Elle se distingue par l’indépendance économique de ses producteurs à l’égard de leur clientèle et par le fait que ces travailleurs n’appartiennent pas au niveau de compétence A. Au contraire, cette classe compte en surnombre des travailleurs de niveau de compétence B (49,2 % dans cette classe contre 37,8 % dans l’ensemble de l’échantillon), D (7,6 % contre 3,4 %) et C (23,7 % contre 18,7 %), ainsi que des propriétaires d’établissements (11 % contre 6 %).

Ces producteurs sont plus nombreux qu’en moyenne à détenir une scolarité de niveau secondaire ou moins (50 % contre 33,3 %), de même qu’une formation de niveau collégial (28 % contre 21,7 %). Ils sont en outre plus susceptibles que la moyenne d’avoir un revenu personnel entre 10 000 $ et 19 999 $ (37,3 % contre 24,3 %) et même inférieur à 10 000 $ (17,8 % contre 11,2 %). Ils ne participent pas à une association professionnelle (83,1 % contre 68,2 %) ou syndicale (98,3 % contre 89,5 %).

Typiquement, les travailleurs de cette classe ne dépendent pas d’un client pour la moitié ou plus de leur revenu (70,3 % contre 59,9 %). Leur clientèle a tendance à être composée exclusivement d’individus (30,5 % contre 23,9 %), donc le plus souvent d’une clientèle de 20 clients et plus (55,1 % contre 46,4 %), quoique 43,2 % (contre 37,1 % dans l’échantillon total) ont aussi une clientèle mixte, c’est à dire composée d’entreprises et d’individus.

Les produits typiques de cette classe sont l’hygiène corporelle et l’entretien des personnes (21,2 % contre 10,9 %), la vente, l’entretien, la réparation de biens (39 % contre 25,1 %) et le secrétariat, la comptabilité et le traitement de données (6,8 % contre 3 %).

Les travailleurs appartenant à cette classe ont tendance, plus que la moyenne, à contrôler les modalités de l’organisation du travail. Ils fixent les tarifs (82,2 % contre 67,4 %), fournissent les outils (84,7 % contre 77,2 %) et déterminent les objectifs (27,1 % contre 21,7 %). Ils contrôlent aussi les méthodes de travail, mais dans une proportion légèrement supérieure à la moyenne (89,8 % contre 85,4 %). Ils ont finalement tendance à ne pas avoir de contrat écrit avec leurs clients (71,2 % contre 54,7 %).

Côté protection contre les risques, il en sont dépourvus plus que la moyenne : ils sont plus nombreux à ne rien avoir en vue de la retraite (66,1 % contre 45,3 %), à ne pas avoir d’assurances invalidité ou médicaments (55,9 % contre 45,3 %) et à ne pas recevoir de formation professionnelle (62,7 % contre 54,3 %). Ils reçoivent le soutien du milieu (conjoint, famille, amis) lorsqu’ils deviennent parents (8,5 % contre 3,7 %).

Classe 2 : les petits producteurs dépendants

La classe 2 regroupe 11,2 % de l’échantillon. Elle se démarque des autres classes par une situation de dépendance ou de quasi-dépendance du producteur à l’égard de sa clientèle, et, fait important, ne se distingue pas eu égard aux niveaux de compétence, de scolarité ou de revenus. En d’autres termes, cette classe compte proportionnellement presque autant de professionnels que de semi-professionnels et de non-professionnels, ce qui peut expliquer qu’on n’y trouve pas un profil particulier de revenus ou de scolarité.

La classe 2 contient en surnombre des producteurs détenant moins d’un an d’expérience (20 % contre 2,2 %) ainsi que des membres d’organisations syndicales (30 % contre 10,5 %) et de coopératives de producteurs ou de travailleurs (13,3 % contre 3 %). La participation à des associations professionnelles y est toutefois sous-représentée (13,3 % contre 31,8 %).

La vaste majorité des travailleurs de la classe 2 reçoivent la moitié ou plus de leur revenu d’un seul client (90 % contre 40,1 %) et ont une clientèle composée d’entreprises seulement (76,7 % contre 39 %). En outre, ils sont quatre fois plus nombreux qu’en moyenne à ne travailler que pour un seul client (46,7 % contre 10,9 %) et deux fois plus nombreux qu’en moyenne à en avoir entre 2 et 4 (30 % contre 15,7 %). Les produits surreprésentés dans cette classe sont les biens matériels (36,7 % contre 8,6 %) et les communications et la culture (20 % contre 8,6 %).

Les clients de ces travailleurs ont tendance à contrôler les modalités de l’organisation du travail, notamment et très fortement les tarifs (40 % contre 7,5 %) et le contrat (40 % contre 8,6 %), mais aussi les délais (80 % contre 47,2 %), les méthodes (33,3 contre 12 %) et les objectifs (86,7 % contre 67.4 %). Dans une moindre mesure, les méthodes et les tarifs peuvent être négociés ou mixtes, dans des proportions respectives de 13,3 % contre 2,6 % et de 20 % contre 9 %. Tout comme sur les niveaux de compétence, de scolarité ou de revenus, cette classe ne se distingue pas de la moyenne de l’échantillon eu égard aux modalités de la protection sociale.

Classe 3 : les professionnels libéraux

La classe 3 représente 12,7 % de l’échantillon. Les membres de cette classe se distinguent par les caractéristiques propres aux professions libérales : ils sont beaucoup plus nombreux qu’en moyenne à être membres d’une association professionnelle (70,6 % contre 31,8 %) et à appartenir au niveau de compétence A (64,7 % contre 34,1 %). Typiquement, ils offrent des services de santé (44,1 % contre 5,6 %) ou encore des services financiers et d’assurances (32,4 % contre 6,4 %).

Leur revenu personnel tend vers les sommets : ces producteurs sont trois fois plus nombreux que la moyenne des répondants à afficher un revenu supérieur à 100 000 $ (17,6 % contre 6 %). On trouve dans cette classe une surreprésentation des détenteurs d’une maîtrise ou d’un doctorat (32,4 % contre 16,9 %) et des membres d’une Chambre de commerce (11,8 % contre 3 %).

Ils sont beaucoup plus nombreux qu’en moyenne à avoir 20 clients et plus (82,4 % contre 46,4 %) et aucun ne leur fournit la moitié ou plus du revenu (91,2 % contre 59,9 %). Leur clientèle est le plus souvent composée exclusivement d’individus (58,8 % contre 24 %).

Au plan de l’organisation du travail, les membres de cette classe se distinguent par l’intervention d’une instance extérieure qui fixe les tarifs (41,2 % contre 16,1 %). Ils sont aussi plus nombreux qu’en moyenne à ne pas signer de contrat avec leur client (70,6 contre 54,7 %). Pour les autres modalités, ils se démarquent peu de la moyenne de l’échantillon, sauf pour le fait de contrôler les délais (61,8 % contre 38,6 %) et de négocier les limites budgétaires ou alors de les établir sur un mode mixte (17,6 contre 7,9 %).

Ils se démarquent surtout par le fait de défrayer le coût de mesures de protection contre la plupart des risques sociaux et professionnels. Nombreux parmi eux sont ceux qui assument seuls les frais d’une formation professionnelle (76,5 % contre 39 %) ou d’une assurance responsabilité professionnelle (64,7 % contre 46,4 %), de même que ceux qui se payent une protection en vue de la retraite (88,2 % contre 48,3 %) et des assurances invalidité, médicaments, etc. (73,5 % contre 49,8 %).

Classe 4 : les conseillers et consultants

La classe 4 compte pour 21,7 % de l’échantillon. Ses membres se distinguent par le fait de contrôler le contrat de travail (51,7 % contre 24 %), d’avoir une clientèle composée exclusivement d’entreprises (67,2 % contre 39 %) et d’être de niveau de compétence A (58,6 % contre 34,1 %).

Ces producteurs sont plus nombreux qu’en moyenne à détenir une maîtrise ou un doctorat (34,5 % contre 16,9 %), ou alors un certificat ou un baccalauréat (37,9 % contre 28,1 %). Ils sont surreprésentés dans les tranches de revenus moyens et élevés, allant de 40 000 à 59 999 $ (32,8 % contre 15,4 %), de 60 000 $ à 99 999 $ (20,7 % contre 12 %) et finalement supérieures à 100 000 $ (12,1 % contre 6 %). Ils sont aussi surreprésentés parmi les participants à une association professionnelle (44,8 % contre 31,8 %).

Ils ont tendance, quoique dans des proportions moindres que les producteurs de la classe 2, à avoir un client qui leur fournit la moitié ou plus de leur revenu (55,2 % contre 40,1 %) mais leur profil relativement à l’abondance ou à la rareté de la clientèle n’est pas clair : 25,9 % (contre 12,7 % dans l’échantillon total) ont entre 10 et 19 clients, alors que 29,3 % (contre 15,7 % dans l’échantillon) en ont entre 2 et 4.

Dans cette classe, l’offre typique concerne les services d’expertise-conseil aux entreprises (31 % contre 9,4 %), les services d’éducation, de formation ou d’évaluation de programmes (17,2 % contre 4,9 %) et les autres services professionnels (20,7 % contre 8,6 %).

Il a déjà été mentionné que les producteurs de cette classe se démarquent fortement par leur contrôle sur les modalités du contrat, mais ils sont aussi plus nombreux qu’en moyenne à le négocier (15,5 % contre 6,7 %). Au plan de l’organisation du travail, ces travailleurs se rapprochent des moyennes, sauf pour les outils qui peuvent être fournis par le client (25,9 % contre 14,6 %). Leur tarif est parfois négocié ou mixte (15,5 % contre 9 %), mais il s’agit de la modalité la moins significative de cette classe.

Au plan de la protection contre les risques, ils sont plus nombreux qu’en moyenne à se payer une protection en vue de la retraite (67,2 % contre 48,3 %) et des assurances invalidité, médicaments, etc. (62,1 % contre 49,8 %).

Classe 5 : les autres indépendants et ceux cumulant travail indépendant et salariat atypique

Cette classe représente à peine 3,4 % de l’échantillon. Comme l’illustre le tableau 8, alors que les valeurs-tests[17] associées à chacune des autres classes sont supérieures à 1,65 ou inférieures à –1,65, ce qui signifie que chaque classe est suffisamment différenciée, celles de la classe 5 se situent à l’intérieur de ces seuils. Mis à part ses caractéristiques propres, qui sont peu nombreuses, la classe 5 se rapproche de la classe 1[18]. Ses modalités spécifiques concernent les services de loisirs et de divertissements (55,6 % contre 1,9 %), une scolarité de niveau certificat ou baccalauréat (66,7 contre 28,1 %), ainsi que la présence de certaines modalités de protection sociale (chômage, maternité) défrayées par un employeur ou par l’État (respectivement dans des rapports de 55,6 % à 6,7 % et de 55,6 % à 1,9 %), ce qui peut s’expliquer par la surreprésentation dans cette classe de ceux qui cumulent le travail indépendant comme emploi principal avec un emploi salarié atypique. Comme cette classe n’est pas véritablement « typique », il semble plus approprié de considérer, pour les fins de l’analyse, que les six classes révèlent cinq (et non pas six) profils-types de travail indépendant.

Tableau 8

Valeurs-tests des centres de classe

Valeurs-tests des centres de classe

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Classe 6 : les professionnels bénéficiant d’ententes collectives de travail

Cette dernière classe compte pour 6,7 % de l’échantillon. Peu importe le nombre de classes de la partition, cette classe demeure irréductible, parce qu’elle regroupe les travailleurs indépendants qui reçoivent de la protection sociale par le biais de leur clientèle. Ceci s’explique par le fait que le secteur des communications et de la culture, où ils sont fortement surreprésentés (44,4 % contre 8,6 %) est le seul à posséder un cadre juridique permettant la négociation d’ententes collectives de travail. En effet, la Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma (L.R.Q., c. S-32.1) institue dans ce secteur une obligation légale de négocier des ententes collectives fixant des conditions minimales de travail et de rémunération, incluant des cotisations à diverses modalités de protection contre les risques sociaux et professionnels (Blanchette 2000).

Ces producteurs sont, plus qu’en moyenne, de niveau de compétence A (72,2 % contre 34,1 %) et membres d’une association syndicale (38,9 % contre 10,5 %). Ce dernier taux reflète un double phénomène : la forte présence des travailleurs indépendants du secteur des communications et de la culture et la surreprésentation dans cette classe de ceux qui cumulent le travail indépendant avec un emploi salarié atypique. Ils sont aussi beaucoup plus nombreux à posséder 20 ans ou plus d’expérience comme travailleurs indépendants (50 % contre 12,7 %) et à générer des revenus oscillant entre 40 et 59 999 $ (33,3 % contre 15,4 %).

Ils ne se distinguent guère de la moyenne quant au contrôle de l’organisation du travail, sauf pour l’intervention d’une instance extérieure dans les tarifs (38,9 % contre 16,1 %) et pour le contrôle du travailleur sur le contrat (44,4 % contre 24 %).

Tel que mentionné, une certaine forme de protection contre le risque est ici assurée soit conjointement par le travailleur indépendant et le client (33,3 % contre 2,2 % pour les assurances invalidité et médicaments ; 38,9 % contre 4,5 % pour la protection en vue de la retraite), soit par le client seulement (38,9 % contre 2,6 % pour les assurances invalidité et médicaments ; 27,8 % contre 1,9 % pour la protection en vue de la retraite et 11,1 % contre 1,5 % pour la formation professionnelle). Ces modalités sont rares dans l’échantillon mais elles sont concentrées dans cette classe. Par ailleurs, ces travailleurs sont plus nombreux qu’en moyenne à ne pas détenir d’assurance responsabilité professionnelle (72,2 % contre 48,7 %).

Discussion

La première hypothèse postulait l’hétérogénéité des situations de travail indépendant sur chacune des dimensions du modèle, à savoir l’identité du demandeur, l’identité du producteur, la nature du produit, l’organisation du travail et la répartition du risque social et professionnel. Une hypothèse complémentaire supposait l’existence d’un lien entre l’hétérogénéité relative aux dimensions du produit-service et celle relative aux dimensions du travail.

De manière générale, les résultats qui viennent d’être exposés vont dans le sens de cette hypothèse : d’une part, l’hétérogénéité est présente dans chacune des dimensions du modèle, prise individuellement ; d’autre part, on observe une congruence entre des dimensions propres au produit (respectivement l’identité du producteur et l’identité de la clientèle) et des dimensions propres au travail (respectivement la protection contre le risque et le contrôle de l’organisation du travail).

L’hétérogénéité de la dimension 1 (identité du demandeur) est manifeste. La clientèle des travailleurs indépendants est diversifiée, tant par sa nature (individus ou entreprises) que par sa relative rareté ou abondance. La nature et l’ampleur de la clientèle sont fortement associées au degré d’indépendance économique des producteurs : ceux qui ont une clientèle abondante sont en général en situation d’indépendance économique, alors que ceux dont la clientèle est égale ou inférieure à quatre ont tendance à dépendre d’un client pour la majeure partie, ou même pour la totalité, de leur revenu.

L’hétérogénéité de la dimension 2 (identité du producteur) est également omniprésente : diversité des catégories professionnelles, des niveaux de compétence et des niveaux de scolarité, diversité des revenus, de l’expérience acquise comme travailleur indépendant et de la participation aux réseaux. Les deux premières variables sont étroitement associées (puisqu’elles découlent du même système de classification) et les quatre autres sont fortement reliées aux premières.

La dimension 3 (nature du produit/service) révèle la diversité des produits, et plus précisément la diversité de leur degré de matérialité, de standardisation et de reproductibilité. Cette dimension recoupe en partie les caractéristiques du producteur (notamment le niveau de compétence) et en partie celles de la clientèle (type de clientèle et dépendance ou quasi-dépendance à l’égard d’un client unique).

L’hétérogénéité est aussi repérable dans les modalités de contrôle des différents éléments de l’organisation du travail, ce qui confirme l’hypothèse voulant que « tous les indépendants ne soient pas autonomes ». Premièrement, le niveau de contrôle du producteur varie selon les modalités de l’organisation du travail : de manière générale, le client définit l’encadrement général (les objectifs de la prestation, les budgets et les délais) alors que le travailleur indépendant détermine l’encadrement spécifique (les outils, les méthodes et processus), ainsi que la tarification et le contenu du contrat écrit, le cas échéant. Deuxièmement, le niveau de contrôle exercé par le travailleur diffère considérablement selon le nombre et le type de clients, et selon l’indépendance ou la relative dépendance économique à l’égard d’un client unique ou principal. Troisièmement, mais dans une mesure beaucoup moindre, le niveau de contrôle varie selon le niveau de compétence. Ainsi, ce sont les caractéristiques de la clientèle qui, beaucoup plus que le niveau de compétence du producteur, expliquent la diversité des niveaux réels d’autonomie des travailleurs indépendants, bien que l’élément de la compétence ne soit pas à écarter complètement.

Finalement, la dimension 5 (protection contre le risque social et professionnel) recèle aussi une large part de diversité. D’abord, les risques professionnels (formation professionnelle, assurance responsabilité professionnelle), médicaux et la protection en vue de la retraite sont davantage couverts que les autres risques (manque de contrats, parentalité). Par ailleurs, quand ils sont couverts, c’est le plus souvent par le travailleur lui-même, ou par le biais de son conjoint dans le cas de l’assurance santé complémentaire. L’hétérogénéité apparaît alors entre ceux qui ont les moyens de se payer ces protections ou qui sont susceptibles d’y avoir accès par le biais des associations, et ceux qui n’ont pas les moyens de se les payer. En effet, l’analyse factorielle de correspondances multiples a révélé une forte association entre le statut de professionnel (niveau de compétence A) et ses modalités caractéristiques (niveaux de revenus et de scolarité élevés, participation à des associations) et le fait d’être protégé contre quatre des six types de risques sociaux et professionnels. Finalement, une minorité de répondants a accès à certains types de protection (notamment un fonds de pension, des assurances et de la formation professionnelle) dont les coûts sont assumés en partie ou en totalité par un ou des clients.

La deuxième hypothèse attribuait une partie de cette hétérogénéité au fait que certaines formes de travail indépendant se rapprochent du salariat, notamment au plan de la dépendance économique à l’égard d’une clientèle restreinte, voire d’un client unique, et d’un faible contrôle sur l’organisation du travail. En corollaire, et pour reprendre le cadre d’analyse de Dupuy et Larré (1998), il était postulé que la catégorie juridique et statistique de travail indépendant recouvrait à la fois la forme « pure » d’indépendance et l’une ou plusieurs de ses « formes hybrides ».

Cette deuxième hypothèse est aussi en bonne partie corroborée par les résultats. Ainsi, les répondants appartenant au profil des classes 1, 3, 4 et 5 correspondent à la forme pure d’indépendance : ils contrôlent autant ou davantage que la moyenne les modalités de l’organisation du travail, et ont tendance à assumer seuls le risque social et professionnel, soit en payant pour des protections, soit en comptant sur leurs ressources personnelles ou familiales. Les répondants cumulant travail indépendant et emploi salarié atypique, qui se retrouvent en surnombre dans la classe 5, sont un cas d’exception, puisqu’ils bénéficient de certaines formes de protection grâce à leur statut partiel de salarié, et non par le biais d’un partage du risque avec leurs clients. Par contre, les répondants des classes 2 et 6 s’éloignent de la forme pure d’indépendance, soit en raison de l’ampleur du contrôle exercé par leurs clients, soit parce qu’une partie du coût de la protection contre le risque social et professionnel est assumé par la clientèle.

La classe 6 correspond à une forme hybride dans laquelle le travailleur détient autant ou plus qu’en moyenne le contrôle sur la prestation de travail, tout en partageant le risque avec son client, qui contribue notamment à défrayer le coût de programmes d’assurance invalidité ou médicaments, d’un régime de retraite ou de la formation professionnelle. Il faut y voir la trace de deux phénomènes marginaux d’un point de vue statistique mais significatifs d’un point de vue sociologique : le cumul du travail indépendant avec un ou des emplois salariés atypiques, et le développement de rapports collectifs de travail entre des associations d’artistes et des associations de producteurs.

La classe 2 correspond à une forme hybride dans laquelle le travailleur n’a pas l’entier contrôle de sa prestation, tout en assumant seul le risque. En effet, dans cette classe, un grand nombre de modalités de l’organisation du travail, et au premier chef les tarifs, sont déterminées par le client, sans que celui-ci ne soit impliqué dans le partage du risque social et professionnel. Fait intéressant à noter : cette zone hybride dans laquelle le travailleur indépendant est inséré dans une organisation de travail qu’il ne contrôle pas, sans contrepartie en termes de partage du risque, est le lot non seulement de semi-professionnels et de non-professionnels mais également, quoique dans une moindre mesure, de professionnels. Un échantillon représentatif de la population des travailleurs indépendants, avec une proportion accrue de semi-professionnels et de non-professionnels, aurait sans doute augmenté le poids de la classe 2, ce qui donne à penser que cette zone hybride est la plus importante des deux étudiées ici.

La troisième hypothèse visait à dépasser les analyses qui traitent le travail indépendant comme une dichotomie ou comme une superposition de dichotomies. Elle était à l’effet que les dimensions du statut professionnel et du contrôle sur le travail, habituellement associées dans la littérature, sont indépendantes l’une de l’autre. En d’autres termes, il s’agissait d’une tentative de dépasser la vision réductrice qui oppose des professionnels qualifiés, indépendants et en contrôle de leur travail à des non-professionnels peu qualifiés, dépendants et peu en contrôle de leur travail.

La classification ascendante hiérarchique fournit six classes, mais il serait plus juste de parler de cinq profils différenciés et cohérents. Les différentes partitions examinées au cours de la phase d’analyse (allant de quatre à sept classes) ont toutes révélé l’existence d’une classe de non-professionnels indépendants (classe 1), d’une classe de professionnels libéraux (classe 3), d’une classe de professionnels dont les clients interviennent dans la protection sociale (classe 6) et d’une classe, mixte du point de vue du niveau de compétence, regroupant les producteurs faisant affaire avec un petit nombre de clients. La partition retenue a toutefois permis de scinder ce dernier groupe en deux, révélant les différences existant entre, d’une part, les consultants des services aux entreprises qui, bien qu’à 55 % dépendants d’un client principal, sont en contrôle de leur travail mais surtout des modalités contractuelles (classe 4) et, d’autre part, les autres producteurs, à 90 % dépendants d’un client unique ou principal et dont la clientèle, également composée d’entreprises, a tendance à contrôler tant l’organisation du travail que les modalités contractuelles (classe 2).

L’explication la plus simple consisterait à attribuer cette différence au fait que la classe 4, contrairement à la classe 2, est surtout composée de professionnels, et donc à associer autonomie dans le travail et niveau de compétence du producteur. Or, la classe 2 présente une configuration plus nuancée : ses petits producteurs dépendants et peu en contrôle de leur travail sont des semi-professionnels et techniciens, des non-professionnels mais aussi, dans une proportion légèrement moindre, des professionnels. Toutefois, un échantillon représentatif de la population des travailleurs indépendants aurait sans nul doute accru la proportion de semi-professionnels et de non-professionnels au sein de la classe 2, ce qui aurait eu pour effet de fragiliser cette hypothèse. Il faut donc reconnaître que l’absence de contrôle observable dans un certain profil de travailleurs indépendants est plus souvent le lot des semi-professionnels et des non-professionnels que celui des professionnels et donc que les dimensions du statut professionnel et du contrôle sur le travail ne sont pas pleinement indépendantes l’une de l’autre.

Par ailleurs, la classification ascendante hiérarchique a permis d’étudier l’hétérogénéité au sein des professionnels, en révélant les différences entre les trois groupes où ils sont surreprésentés. La classe 3 est celle des professionnels « libéraux » ou assimilés, qui possèdent un grand contrôle mais doivent composer avec des instances extérieures (par exemple des lois et des ordres professionnels, des législations sur la vente de produits financiers, des règles déontologiques) qui interviennent pour protéger le client. La classe 4 regroupe des professionnels « marchands », ayant une compétence pointue à offrir à des entreprises ou institutions clientes ; ils imposent leurs tarifs et leurs contrats, mais pour le reste, la répartition du pouvoir entre travailleur indépendant et client est comparable à celle de la moyenne de l’échantillon. La classe 6 rassemble les professionnels qui se distinguent par le fait de pouvoir négocier certaines conditions (notamment au chapitre de la protection sociale), avec leurs clients ; elle met en lumière l’impact d’un cadre juridique qui impose la négociation collective dans certaines portions d’un secteur d’activité.

Conclusion

Les résultats de cette enquête sont une contribution à l’étude de la diversité des situations de travail indépendant sur l’ensemble des dimensions du modèle d’analyse et ils tendent à confirmer qu’une partie de cette hétérogénéité, mais une partie seulement, peut s’expliquer par l’existence de formes de travail hybrides, différentes de l’indépendance pure. Par ailleurs, elle a permis de dégager six profils types de travailleurs indépendants, dont cinq sont statistiquement différenciés, sur lesquels il est possible de s’appuyer pour dépasser les analyses qui présentent le travail indépendant sur le mode dichotomique.

Par rapport aux typologies existantes (structurées à partir des critères du statut professionnel du producteur, de la propriété des moyens de production et de la direction du travail), cette étude a raffiné la manière d’appréhender l’hétérogénéité des situations de travail indépendant, en ajoutant des dimensions ignorées jusqu’ici, ou alors traitées sans lien les unes avec les autres. L’introduction du client dans l’analyse a notamment pour effet d’alimenter la réflexion sur la diversité des situations eu égard à la dépendance économique et au contrôle sur le travail et ce, de manière passablement (mais non pas totalement) indépendante des caractéristiques du producteur.

Toutefois, l’aire de généralisation des résultats est limitée par la composition de l’échantillon, caractérisé par une surreprésentation de répondants professionnels et scolarisés. Les travaux exposés ici permettent certes d’affirmer que l’association des variables au sein de profils correspond à des réalités présentes chez les indépendants mais ils ne permettent pas de dire quelle proportion de la population des travailleurs indépendants est représentée par chacun des profils identifiés. Il y aurait vraisemblablement un intérêt à réaliser une étude du même type mais avec un échantillon plus vaste (de nature à refléter l’hétérogénéité de manière plus forte) et surtout représentatif de la population des travailleurs indépendants non-employeurs (de manière à pouvoir quantifier les profils).