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Différences entre les niveaux de stress de parents d’enfants avec ou sans DI ou autisme

Les niveaux de stress de parents d’enfants ayant une déficience intellectuelle (DI) ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA) sont significativement plus élevés que ceux de parents d’enfants au développement typique (Baker-Ericzén, Brookman-Frazee et Stahmer, 2005; Eisenhower, Baker et Blacher, 2005; Nachshen et Minnes, 2005). Plusieurs facteurs ont été identifiés pour expliquer ce stress accru. Les chercheurs ont démontré que les familles d’enfants ayant un retard de développement doivent composer avec de nombreuses demandes de soins, des restrictions dans leurs activités sociales, des perturbations dans leur plan de vie ainsi qu’avec une augmentation du fardeau financier (Beckman, 1991; Benson, 2006; Fujiura, 1998; Kogan, Strickland, Blumberg, Singh, Perrin et Van Dyck, 2008; Ouyang, Grosse, Raspa et Bailey, 2010; Rodrigue, Morgan et Geffken, 1992; Roach, Orsmond et Barratt, 1999). D’autres ont aussi rapporté que certaines préoccupations affectent la qualité de vie des parents, notamment en ce qui a trait au milieu de vie futur de leur enfant et le rôle de la fratrie (Jokinen et Brown, 2005). Les parents d’enfants ayant une DI ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA) rapportent aussi un sentiment d’exclusion sociale plus élevé ainsi qu’une moins grande satisfaction conjugale (Norlin et Broberg, 2013; Seltzer, Greenberg, Floyd, Pettee et Hong, 2001; Taanila, Kokkonen et Jaervelin, 1996). Ces parents présentent également une prévalence accrue de dépression (Olsson et Hwang, 2001; Singer, 2006).

Les caractéristiques individuelles de l’enfant ayant une déficience intellectuelle (DI) ou un trouble du spectre de l’autisme (TSA), souvent communes du fait que beaucoup d’enfants ayant un TSA ont également une DI ou un trouble du langage associé (American Psychiatric Association, 2013), peuvent avoir une influence directe sur les niveaux de stress rapportés par les parents. Les enfants ayant une DI ont un risque plus élevé de développer des problèmes de santé mentale et des problèmes de comportement que des enfants sans DI (Lecavalier, Leone et Wiltz, 2006; McIntyre, Blacher et Baker, 2002; L’Abbé et Morin, 2001; Rojahn et Tassé, 1996), ce qu’on observe aussi chez les enfants ayant un TSA (Simonoff, Pickles, Charman, Chandler, Loucas et Baird, 2008). Selon Baker, McIntyre, Blacher, Crnic, Eldelbrock et Low (2003), les enfants ayant une DI ont aussi trois fois plus de risque que les enfants sans déficience de présenter des comportements problématiques cliniquement significatifs. Selon l’American Psychiatric Association (2013), les enfants et les adolescents avec un TSA présenteraient plus de comportements stéréotypés et d’automutilation et plus de troubles du comportement que les enfants présentant un autre trouble de santé mentale, incluant les personnes avec une déficience intellectuelle. Les comportements problématiques représentent une des raisons principales invoquées pour le placement dans un milieu de vie plus restrictif et pour les références en vue d’obtenir des mesures de soutien spécialisées (Bromley et Blacher, 1991; Nankervis, Rosewarne et Vassos, 2011). Quelques études suggèrent que les parents d’enfants ayant un TSA vivent des niveaux de stress significativement plus élevés que ceux éprouvés par des parents d’enfants ayant une DI (Dabrowska et Pisula, 2010; Griffith, Hastings, Nash et Hill, 2010; Hayes et Watson, 2012; Pinsula, 2007). Une explication plausible mise de l’avant est le phénotype comportemental associé à l’autisme (par exemple, automutilation, crises de colère, problèmes de sommeil (Koegel, Schreibman, Loos, Dirlich-Wilhelm, Dunlap, Robbins et Plienis, 1992; Kasari et Sigman, 1997).

La disponibilité de différents types de soutien à la famille a une influence directe sur les niveaux de stress parental perçus. Une étude de Douma, Dekker et Koot (2006) indique que près de 90 % des parents d’enfants ayant une DI et un trouble émotionnel ou de comportement concomitant ont rapporté avoir besoin de soutien (service de répit, une personne à qui parler, aide professionnelle pour leur enfant). Plus les parents perçoivent recevoir un nombre adéquat de soutiens sociaux, qu’ils proviennent de leur conjoint ou conjointe, de la famille, d’organisations de parents ou de services, plus le niveau de stress rapporté est faible (Hassall, Rose et McDonald 2005; Lunsky et Havercamp, 1999).

Différentes études ont été réalisées sur le stress de parents dont les enfants vivent avec une déficience intellectuelle ou un trouble du spectre de l’autisme en contexte québécois, mais peu d’entre elles ont étudié le stress parental en lien avec les caractéristiques individuelles des enfants. En effet, des chercheurs ont étudié les divers moyens utilisés par les parents, les soutiens reçus pour s’adapter au stress (Richer, Lachance, Tremblay et Côté, 2008) et les stratégies d’ajustement pouvant protéger les parents de la détresse (Lachance, Richer et Côté, 2007). D’autres chercheurs (Tassé, Méthot, Bélanger et Bélanger, 2001) ont évalué l’efficacité d’une formation destinée aux parents visant à faciliter la gestion des comportements agressifs alors que Kennedy, Chrétien et Moxness (2006) ont évalué les effets d’un programme d’intervention précoce pour les enfants ayant un trouble envahissant du développement sur le stress parental. Enfin, Richer, Lachance et Tremblay (2007) ont étudié les liens entre la détresse des mères utilisant les services de centres de réadaptation en déficience intellectuelle, le quotient intellectuel et la psychopathologie de leur enfant. À notre connaissance, aucune recherche n’a été réalisée sur le stress parental en distinguant différents groupes diagnostiques tout en tenant compte des caractéristiques individuelles des parents et des enfants.

Cette étude vise donc à vérifier dans un premier temps s’il existe, comme le suggère la littérature, des différences quant au stress parental entre les quatre groupes suivants : parents d’enfants sans DI ni TSA (Groupe 1); parents d’enfants ayant une DI (Groupe 2); parents d’enfants ayant un TSA (Groupe 3); et parents d’enfants ayant à la fois une DI et un TSA (Groupe 4). On postule ici que le stress parental augmente de façon linéaire, du Groupe 1 au Groupe 4. On veut également vérifier si les comportements problématiques sont plus souvent présents, du Groupe 1 au Groupe 4, les comportements problématiques ayant été associés au stress parental et le phénotype comportemental des enfants ayant un TSA étant généralement reconnu comme étant plus perturbateur que celui des enfants ayant une DI uniquement. Les différences intergroupes sont également examinées concernant les comportements adaptatifs et les compétences sociales des enfants. En raison de l’effet tampon important du soutien social sur le stress parental (Bishop, Richler, Cain et Lord, 2007; Bromley, Hare, Davison et Emerson, 2004; Ekas, Lickenbrock et Whitman, 2010), les différences intergroupes quant au nombre de soutiens à la famille et la perception de l’utilité des soutiens reçus sont aussi examinées.

Méthode

Participants

Cent quarante-quatre (144) parents répartis entre quatre groupes ont participé à l’étude : les parents avec un enfant n’ayant pas de diagnostic de DI ou de TSA (Groupe 1; n = 51); les parents avec un enfant ayant un diagnostic de DI (Groupe 2; n = 32); les parents avec un enfant ayant un diagnostic de TSA (Groupe 3; n = 18); les parents avec un enfant ayant à la fois un diagnostic de DI et de TSA (Groupe 4; n = 43). Parmi ces enfants, 76 (52,8 %) sont des garçons et 68 (47,2 %) sont filles. Ils ont entre 5 et 14 ans, la moyenne d’âge étant 8.6 ans. Le tableau 1 présente les caractéristiques sociodémographiques des enfants des quatre groupes. Parmi les enfants ayant uniquement une DI, 34 % ont une déficience légère, 32 % une déficience moyenne, 30 % une déficience sévère et 4 % une déficience profonde. Parmi les enfants ayant à la fois une DI et un TSA, 40 % ont un retard mental léger, 24 % un retard mental moyen, 34 % un retard mental grave et 3 % un retard mental profond. Les différences entre le groupe DI et le groupe DI-TSA ne sont pas significatives quant à la sévérité de la DI. Les diagnostics ont été rapportés par les parents.

Tableau 1

Données démographiques des enfants

Données démographiques des enfants

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L’âge moyen des mères et des pères est respectivement 38,4 ans et 41,1 ans. Quatre-vingt-quinze pourcent (95%) sont caucasiens. Les familles participantes ont en moyenne deux enfants. Les participants ont été recrutés dans huit écoles de la grande région de Montréal. Ces écoles ont été sélectionnées parce qu’elles accueillaient des élèves avec une DI ou un TSA, en plus de sa clientèle habituelle. Les mères constituent une large majorité des répondants (87%) ayant complété les questionnaires. Le tableau 2 présente les caractéristiques démographiques des parents des quatre groupes. Il n’y a aucune différence significative entre les quatre groupes en ce qui a trait au revenu familial et au niveau d’éducation des parents.

Tableau 2

Données démographiques des parents

Données démographiques des parents

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Mesures

Cinq instruments ont été utilisés. Un bref questionnaire démographique a permis d’obtenir de l’information sur les enfants (âge, sexe, diagnostics, médication) et les parents participant à l’étude (âge, sexe, niveau d’éducation, situation socio-économique).

Mesures pour les enfants

La version québécoise (Tassé, Morin et Girouard, 2000) du Nisonger Child Behavior Rating Form for parents (NCBRF; Aman, Tassé, Rojahn et Hammer, 1995), soit la Grille d’évaluation comportementale pour enfants Nisonger version parents (GÉCEN-parent), a été utilisée pour mesurer les compétences sociales des enfants (10 items) et les comportements problématiques (66 items). Le NCBRF est un outil dont la validité a été bien démontrée pour les enfants ayant une DI (Tassé, Aman, Hammer et Rojahn, 1996; Norris et Lecavalier, 2011). De plus, les indices de fidélité interjuges du GÉCEN estimés par le coefficient de corrélation de Pearson se sont tous avérés significatifs, variant de 0.69 à 0.93 (Girouard, Morin et Tassé, 1998). Par ailleurs, des coefficients alpha de Cronbach de 0.70 à 0.92 ont été mesurés pour estimer la cohérence interne des échelles du GÉCEN-parent (Tassé et al., 2000). Des normes québécoises sont disponibles (Tassé et al., 2000). Les comportements adaptatifs des enfants ont été mesurés à l’aide de l’Échelle québécoise de comportements adaptatifs (ÉQCA : Maurice, Morin et Tassé, 1997). Cette échelle comporte deux parties : les comportements adaptatifs (225 items) et les comportements inadéquats (99 items). Seule la première section a été administrée lors de cette étude. Les comportements adaptatifs sont constitués de compétences couvrant sept sphères : l’autonomie, les habiletés domestiques, la santé et les habiletés sensorimotrices, la communication, les habiletés préscolaires et scolaires, la socialisation et les habiletés de travail. La fidélité test-retest par sphère évalués par des coefficients de corrélation Pearson varie entre 0,90 (sphère communication) et 0,97 (sphère autonomie) et est jugée très satisfaisante ainsi que la fidélité test-retest pour le score global qui est de 0,99. (Maurice, Morin, Tassé, Garcin et Vaillant, 1997). En ce qui concerne la fidélité inter-juges, les coefficients ce corrélation Pearson varient entre 0,74 (sphère habileté de travail) et de 0,94 (sphère autonomie) (Maurice et al., 1997). La cohérence interne est aussi jugée très satisfaisante, les coefficients alpha de Cronbach se situant entre 0,95 (habiletés pré-scolaires et scolaires) et 0.98 (Autonomie).

Mesures pour les parents

La traduction française (Bigras, Lafrenière et Abidin, 1996) du Parenting Stress Index (PSI : Abidin, 1995), soit l’Indice de Stress Parental (ISP), a été utilisée en tant que mesure générale du stress parental, ce dernier étant ici défini comme le stress vécu par le parent lors de l’éducation de son enfant. Le PSI présente de bonnes qualités psychométriques concernant la fidélité, la validité de construit et la validité discriminante (Abidin, 1995; Bigras et al., 1996). En effet, les coefficients de fidélité varient de 0.70 à 0.83 pour les sous-échelles des stresseurs reliés à l’enfant et de 0.70 à 0.84 pour les sous-échelles des stresseurs reliés au parent (Abidin, 1995). De plus, le coefficient de fidélité pour l’indice global de stress est 0,95. La version française du PSI a été validée par Lacharité, Éthier et Piché (1992) et Bigras et al. (1996). L’ISP, lorsque comparé au Questionnaire d’évaluation des comportements au préscolaire (QECP) (Rutter, 1987 ; Tremblay et Desmarais-Gervais, 1985), tend à confirmer sa validité concomitante (Lacharité et al., 1992). La validité discriminante a aussi été confirmée pour les stresseurs reliés à l'enfant (domaine de l’enfant) et ceux reliés au parent (domaine du parent) (Bigras et al., 1996). Des analyses de régression démontrent que les critères mesurant des construits similaires sur l'attachement sont fortement associés au domaine de l'enfant (Bigras et al., 1996). On remarque aussi que les construits tels que la dépression du parent et l'ajustement conjugal y sont peu corrélés après avoir tenu compte de l'apport du domaine de l'enfant. Conséquemment, il est possible de discriminer différentes sources de stress avec l’ISP (Bigras et al., 1996).

L’ISP est constitué de 101 items mesurant des stresseurs associés à l’enfant et au parent. Le domaine des stresseurs reliés à l’enfant contient six sous-échelles : hyperactivité, capacité de l’enfant à s’adapter au changement (adaptabilité), capacité de l’enfant à gratifier et renforcer son parent (renforcement), degré d’exigence de l’enfant vis-à-vis son parent (exigence), humeur, et acceptation des caractéristiques de l’enfant par le parent (acceptabilité). Des scores élevés à ces sous-échelles indiquent une évaluation négative des qualités de l’enfant par son parent. Le domaine des stresseurs associés au parent contient quant à lui sept sous-échelles : sentiment de compétence, isolement social, attachement envers l’enfant, santé du parent, restrictions engendrées par la fonction parentale, dépression et relation conjugale. Des scores élevés à cette sous-échelle reflètent une reconnaissance de problèmes autres que ceux attribués aux qualités de l’enfant. L’indice global de stress parental se calcule à partir de la somme des scores obtenus à chacun des deux domaines. Selon Bigras et al. (1996), les parents obtenant un score plus élevé que 260 à l’ISP sont à haut risque de développer de mauvaises pratiques parentales, compromettant ainsi le bien-être de leur enfant. Les parents obtenant un score de plus de 267 devraient être référés pour recevoir les services de professionnels. Finalement, lorsque le score à l’ISP excède 284, on observe un risque accru de détérioration des relations familiales. Les scores sont dans des paramètres normaux lorsqu’ils se situent entre 180 et 250. Pour les fins de l’étude, on utilisera les termes suivants pour chacun des niveaux de stress cliniquement significatif : stress parental élevé (260 < ISP≤ 267); stress parental très élevé (267 < ISP≤ 284) et stress parental sévère (ISP<284).

Le Family Support Scale (FSS; Dunst, Jenkins et Trivette, 1984; Dunst, Jenkins et Hamby, 1994) est une échelle de soutien à la famille qui a été spécialement conçue pour être complétée par des personnes prodiguant des soins à l’enfant ayant des incapacités. Le FSS mesure le nombre total de sources disponibles de soutiens sociaux incluant : conjoint/conjointe, parenté proche, parenté éloignée, organisations sociales et services professionnels. Le nombre total de soutiens disponibles, le niveau d’utilité perçue de chacune des cinq catégories de soutien ainsi qu’un niveau global d’utilité perçue sont calculés. Le parent répond aux questions sur une échelle de type Likert variant de 1 (aucune utilité) à 5 (extrêmement utile). Le répondant a également la possibilité d’indiquer que la source de soutien n’est pas disponible. Pour les fins de cette étude, le premier auteur a effectué une traduction duFamily Support Scale en français. Quant à la version originale en anglais, on rapporte un coefficient alpha de Cronbach de 0.77 pour le score total, une fidélité fractionnée de 0.75 et une fidélité test-retest variant entre 0.41 à 0.75 d’une sous-échelle à l’autre (Dunst et al., 1984).

Procédure

Après avoir reçu l’approbation du comité institutionnel d’éthique de la recherche avec des êtres humains de l’Université du Québec à Montréal, les directions d’écoles ont été rejointes pour participer à la recherche. Dans les écoles où la direction a accepté de participer, les enseignants ont reçu la consigne de mettre dans le sac à dos de leurs élèves une enveloppe contenant une lettre résumant la présente étude et ses procédures, ainsi qu’un formulaire de consentement à faire signer par les parents. Après avoir reçu le formulaire de consentement dûment signé, les enseignants ont remis aux parents cinq questionnaires à compléter, accompagnés de consignes et d’une enveloppe de retour préaffranchie et pré-adressée au chercheur principal à l’Université du Québec à Montréal. Les parents ayant retourné les questionnaires complétés recevaient un certificat cadeau de 10$ d’une chaîne de magasins en guise de remerciement pour leur participation à la recherche. Il a été impossible d’établir un taux de participation car nous ne savons pas combien d’enveloppes ont vraiment été données aux élèves.

Analyses statistiques

Des analyses de variance univariée à un facteur et des contrastes linéaires polynomiaux ont été réalisés pour déterminer s’il existe des différences parmi les quatre groupes selon plusieurs variables dépendantes dont le stress parental, les comportements problématiques, les comportements adaptatifs et la compétence sociale de l’enfant ainsi que selon le soutien social des parents. Pour chacune des analyses de variance à un facteur, nous avons rapporté les η² (êta au carré) en tant qu’index de taille d’effet ainsi que les proportions des η² en composante linéaire. Des analyses croisées et des tests de khi-carré ont été effectués pour étudier le lien entre le diagnostic de l’enfant et les niveaux de stress parental. Les données ont été analysées avec le logiciel Statistical Package for Social Science, version 12 (SPSS, 2004). Des analyses préliminaires ont été effectuées pour vérifier si les variables dépendantes respectent les postulats de statistiques paramétriques et pour repérer les valeurs aberrantes.

Résultats

Les analyses de variance à un facteur présentées au tableau 3 indiquent que les groupes obtiennent des scores qui diffèrent de façon significative à l’indice de stress total, au sous-indice se rapportant aux domaines de l’enfant et à celui se rapportant aux domaines du parent. Des différences significatives sont observées pour les six indicateurs relevant des domaines de l’enfant. Par contre, les différences entre les groupes sont significatives uniquement pour trois des sept indicateurs des domaines du parent (santé du parent, restrictions, relation conjugale). Les contrastes linéaires polynomiaux ont par ailleurs révélé que l’appartenance à l’un ou l’autre de ces groupes explique 24% de la variance du stress total et que la composante linéaire représente 100% de la variance expliquée. C’est donc dire que les parents d’enfants à développement typique sont ceux qui vivent le moins de stress, et que ce stress augmente progressivement et de façon significative pour chacun des groupes suivants (DI; TSA; DI et TSA). Les parents d’enfants ayant un TSA rapportent donc vivre plus de stress que les parents dont les enfants ont une DI seulement. De plus, les parents dont les enfants ont une DI et un TSA obtiennent les scores les plus élevés et diffèrent significativement des parents dont l’enfant a uniquement un TSA ou uniquement une DI. La première hypothèse avancée est donc confirmée. Toujours en consultant le tableau 3, on constate que de façon plus spécifique, les groupes diagnostiques expliquent 34% de la variance (97% en composante linéaire) du stress parental se rapportant aux domaines de l’enfant tandis qu’ils expliquent 10% (88% en composante linéaire) de la variance du stress parental se rapportant aux domaines du parent. Les groupes se différencient donc davantage en fonction des caractéristiques individuelles des enfants qu’en fonction de celles des parents. De plus, les différences sont significatives entre chacun des groupes lorsqu’il s’agit du stress relié aux domaines de l’enfant. Concernant le stress relié aux domaines du parent, ces différences sont significatives entre chacun des groupes, sauf entre le groupe de parents d’enfants à développement typique et le groupe de parents d’enfants ayant une DI, les scores obtenus étant similaires.

Tableau 3

Comparaison des moyennes (écarts types) des différentes variables parmi les quatre groupes

Comparaison des moyennes (écarts types) des différentes variables parmi les quatre groupes

Note :

a) * p ≤, 05

b)** p ≤, 01

c)*** p ≤, 001

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Une analyse croisée et des tests de khi-carré ont été réalisés pour déterminer s’il y avait une association entre le diagnostic de l’enfant et la signification clinique des niveaux de stress à l’ISP (voir figure 1). Pour déterminer le seuil de signification clinique des niveaux de stress, les critères établis par les auteurs de l’ISP (Bigras et al., 1996) ont été utilisés.

Figure 1

Analyse croisée des résultats pour le stress total clinique à l’ISP

Analyse croisée des résultats pour le stress total clinique à l’ISP

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Une association significative a été observée entre le diagnostic de l’enfant et le fait d’atteindre ou non le premier seuil clinique de stress parental (χ² (3) = 25.41, p< 001). En effet, seulement 18 % (Z = -4.0, p< 0.01) des parents d’enfants n’ayant pas de DI ou de TSA ont atteint ou dépassé le premier niveau de stress cliniquement significatif, comparativement à 65 % des parents d’enfants ayant une DI et un TSA (Z = 4.1, p< 0.01). De plus, seulement 10 % (Z = 4.7, p<0.01) des parents d’enfants n’ayant aucune DI ou TSA ont atteint ou dépassé le deuxième niveau de signification clinique comparativement à 56 % (Z = 2.0, p< 0.01) des parents d’enfants ayant un TSA et 63 % (Z = 4.6, p< 0.01) des parents d’enfants ayant une DI ainsi qu’un TSA (χ² (3) = 33.70, p< 0.001). La présente étude a également démontré que 47 % (Z = 4.4, p< 0.01) des parents d’enfants ayant à la fois une DI et un TSA ont atteint les niveaux les plus élevés de signification clinique en comparaison à 4 % (Z = -4.0, p< 0.01) des parents n’ayant aucune DI ou TSA, χ² (3) = 28.53, p< 0.001.

L’analyse de variance à un facteur en fonction des comportements problématiques (GECEN), des habiletés sociales (GECEN) et des comportements adaptatifs révèle dans chacun des cas des différences significatives entre les groupes. Les trois groupes avec enfants diagnostiqués ont significativement plus de comportements problématiques, moins d’habiletés sociales et moins de comportements adaptatifs. Les comportements adaptatifs expliquent 52 % de la variance entre les groupes, suivi des habiletés sociales (39 % de la variance expliquée) puis des comportements problématiques (23 % de la variance expliquée). La composante linéaire de cette relation est cependant plus élevée pour les comportements problématiques (85 %) que pour les habiletés sociales (75 %) et les comportements adaptatifs (71 %). Les scores obtenus à l’échelle de comportements problématiques augmentent progressivement du premier groupe (sans DI ni TSA) au troisième groupe (TSA) pour ensuite demeurer stables au quatrième groupe (DI-TSA).

Pour les habiletés sociales et les comportements adaptatifs (score global), on observe les scores les plus élevés parmi les enfants du premier groupe (sans DI ni TSA) et les scores les plus faibles parmi les enfants du quatrième groupe (avec DI et TSA). Par contre, les résultats n’ont pas diminué de façon linéaire puisque les scores obtenus par les enfants appartenant au troisième groupe (TSA) sont plus élevés que ceux obtenus par les enfants du deuxième groupe (DI). Une analyse de variance à un facteur et des contrastes polynomiaux ont été réalisés sur le score total de soutien social au Family Support Scale et sur la perception parentale de l’utilité des soutiens disponibles. Des différences linéaires significatives ont été observées entre les quatre groupes. Les parents d’enfants ayant à la fois une DI et un TSA ont rapporté avoir reçu le plus de sources de soutien avec une moyenne de 12 personnes ou services, mais ont cependant aussi rapporté les scores les plus faibles pour la perception de l’utilité de ces soutiens (M = 2.50, ÉT = 0.10).

Discussion

Tel que formulé dans notre hypothèse, les parents dont les enfants se développent normalement sont ceux qui vivent le moins de stress parental. Le niveau de stress parental augmente par la suite de façon linéaire et les différences entre chacun des groupes (sans DI ni TSA; DI; TSA; DI et TSA) sont significatives puisque la variance expliquée s’exprime entièrement par sa composante linéaire. Ces résultats sont conformes aux études antérieures ayant elles aussi démontré que les parents d’enfants ayant un TSA éprouvent davantage de stress que les parents d’enfants ayant une DI (Dabrowska et Pisula, 2010).

Il convient de mentionner que des différences significatives n’ont pu être observées entre les groupes concernant quatre sous-tests de l’ISP et que ces quatre sous-tests sont tous issus du domaine des stresseurs associés au parent. Les groupes diagnostiques expliquent une proportion plus importante de la variance du stress parental associé aux caractéristiques de l’enfant qu’à celui relié aux caractéristiques du parent. Un score cliniquement significatif à la sous-échelle « capacité de l’enfant à s’adapter au changement » de l’ISP indique, par exemple, que l’enfant rend le rôle du parent plus difficile du fait qu’il a plus de difficulté à s’adapter aux changements qui surviennent dans son environnement (Breen et Barkley, 1988). Ceci est un résultat particulièrement important puisqu’il permet de mieux cibler les interventions si on vise à diminuer le stress parental. Ainsi, les actions à privilégier devraient être dirigées pour diminuer l’impact des stresseurs reliées aux variables de l’enfant (hyperactivité, capacité de l’enfant à s’adapter au changement, capacité de l’enfant à gratifier et renforcer son parent, degré d’exigence de l’enfant vis-à-vis son parent, humeur, et acceptation des caractéristiques de l’enfant par le parent).

Selon Bigras et al. (1996), les parents obtenant des scores dépassant 260 à l’ISP sont à plus haut risque de développer de mauvaises pratiques parentales compromettant le bien-être de leur enfant. Ceci est inquiétant du fait que 65 % des parents d’enfants ayant à la fois une DI et un TSA, ont atteint ce niveau au score total de l’ISP. De plus, toujours selon Bigras et al. (1996), les parents dont le score est plus grand que 267 à l’ISP devraient être référés pour obtenir des services professionnels. Dans notre étude, 56 % des parents d’enfants ayant un TSA et 63 % des parents d’enfants ayant une DI et un TSA ont atteint ce seuil. Finalement, près de la moitié (47 %) des parents d’enfants présentant à la fois une DI et un TSA ont obtenu des scores à l’ISP excédant le seuil clinique le plus élevé pour l’outil, soit un score dépassant 284, ce qui, rappelons-le, les place à risque accru de détérioration des relations familiales (Bigras et al., 1996). D’autres études seront requises afin de déterminer les types de soutiens et les situations pour lesquelles ils sont nécessaires afin d’améliorer le bien-être familial et prévenir la détérioration des liens familiaux.

Les résultats de la présente étude ont révélé une différence entre les groupes selon la sévérité des comportements problématiques. Ce résultat a été rapporté de façon robuste dans des études antérieures (Abbeduto, Seltzer, Shattuck, Wyngaargen Krauss, Orsmond et Murphy, 2004; Baker, Blacher, Crnic et Eldelbrock, 2002; White et Hastings, 2004). Bien que les différences quant aux niveaux de stress entre les parents d’enfants ayant un TSA et les parents d’enfants ayant une DI aient été bien documentées, cette étude est l’une des premières à utiliser quatre groupes de participants pour tenter de distinguer l’effet de la DI, de l’autisme, ou encore de l’autisme combiné à la DI sur le stress parental, en disposant d’un groupe d’enfants au développement typique.

Nous avons également constaté que comparativement aux enfants du groupe ayant un TSA seulement, les enfants ayant une DI obtiennent des scores moins élevés dans plusieurs domaines (autonomie, comportements adaptatifs, vie quotidienne, communication, habiletés scolaires). En effet, les habiletés scolaires forment la variable qui discrimine le mieux les groupes, 57 % de la variance totale des habiletés scolaires étant expliquée par l’appartenance à l’un ou l’autre des 4 groupes. Ce résultat était attendu puisque le diagnostic de DI implique un déficit des comportements adaptatifs (Schalock, Borthwick-Duffy, Bradley, Buntinx, Coulter, Craig, Gomez, Lachapelle, Luckasson, Reeve, Shogren, Snell, Spreat, Tassé, Thompson, Verdugo-Alonso, Wehmeyer et Yeager, 2010/2011).

Par ailleurs, les parents d’enfants ayant un TSA ont rapporté des niveaux de compétence sociale plus élevés chez leurs enfants que les parents d’enfants ayant une DI. Ceci est un résultat inattendu, considérant les déficits sociaux bien reconnus qui caractérisent les troubles du spectre de l’autisme (APA, 2000).

Un dernier point qu’il importe de souligner concerne le nombre de soutiens disponibles et la perception parentale de l’utilité de ces soutiens. Les parents dont les enfants présentent une DI et un TSA sont ceux qui vivent le plus de stress parental et qui bénéficient du plus grand nombre de soutiens tout en étant ceux qui en sont les moins satisfaits. Ces résultats semblent contraires aux études antérieures (Hassall, Rose et McDonald 2005; Lunsky et Havercamp, 1999) qui démontrent que plus les parents ont la perception d’avoir du soutien et ce, quel que soit la source, moins ils rapportent des niveaux de stress élevés. Les résultats d’une enquête sur les besoins de soutien des parents québécois ayant un enfant présentant une déficience intellectuelle (Picard, Morin et DeMondehare, soumis : juin 2013) démontrent que les soutiens informels (e.g., famille, amis ou autres parents d’enfants ayant une déficience intellectuelle) sont considérés comme étant les plus aidants mais que les autres sources de soutien (Centres de réadaptation en déficience intellectuelle ou troubles envahissants du développement ; CRDITED, transport adapté, aide financière, etc.) sont aussi aidants mais à un degré moindre. De plus, les besoins seraient plus grands chez les parents de jeunes enfants et d’adolescents.

Il est possible que les parents ayant le plus besoin de soutien social soient également ceux qui éprouvent le plus de difficultés avec leur enfant. Une autre interprétation possible serait que les parents recevant des niveaux intensifs de soutien sont débordés, indépendamment des soutiens dont ils bénéficient. Il pourrait également y avoir un seuil d’intensité des besoins de soutien au-delà duquel le fardeau dépasse les avantages que les soutiens peuvent fournir.

D’autres travaux de recherche sont nécessaires pour améliorer la compréhension des besoins de soutien des parents et leur interaction avec les systèmes de soutien.

Ces résultats doivent être interprétés avec prudence en raison de certaines limites inhérentes à cette étude. En effet, la taille de l’échantillon pour certains groupes était relativement petite. Toutefois, ces résultats, s’il est possible de les reproduire au moyen de nouveaux projets de recherche, peuvent avoir des implications cliniques importantes pour l’intervention auprès d’enfants ayant des limitations intellectuelles et développementales ainsi que pour le soutien aux familles.