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L’utilisation des technologies auprès des personnes présentant présentant une déficience intellectuelle

Au Québec, les technologies se taillent une place grandissante dans le domaine de l’intervention en déficience intellectuelle. L’arrivée des téléphones intelligents et des tablettes numériques donnent accès à des modalités d’intervention jusque là inexplorées. Ces technologies personnalisables permettent d’intégrer une série d’applications directement liées aux besoins et capacités des personnes. Plusieurs applications sont actuellement disponibles et peuvent soutenir l’intervention auprès des personnes présentant une déficience intellectuelle (DI) ou un trouble envahissant du développement (TED) (Dumont, Bellemarre et Durand, 2012). Cette popularité s’explique, entre autres, par les résultats de recherche démontrant l’efficacité des technologies lorsqu’utilisées auprès des personnes présentant une DI (Van Laarhoven, Johnson, Van Laarhoven-Myers, Grider et Grider, 2009; Kagohara, Sigafoos, Achmadi, Van der Meer, O'Reilly et Lancioni, 2011; Mechling et Seid, 2011). Plusieurs types de technologies sont alors utilisés afin de réaliser de l’intervention auprès de ces personnes. Parmi celles-ci on retrouve l’Internet (Harrysson, Svensk et Johansson, 2004; Lussier-Desrochers, Dupont, Lachapelle et Leblanc, 2011; Wehmeyer, Smith, Palmer et Davies, 2004; Seale, 2007; Zisimopoulos, Sigafoos et Koutromanos, 2011), l’utilisation du iPod (Van Laarhoven et al., 2009; Cihak, Fahrenkrog, Ayres et Smith, 2010; Hammond, Whatley, Ayres et Gast, 2010; Kagohara, 2011), l’utilisation de l’assistance vidéo (Banda, Dogoe et Matuszny, 2011; Mechling et Hunnicutt, 2011; Van Vonderen, Didden et Beeking, 2012), les assistants pour les déplacements à l’intérieur de la maison, de l’école ou dans la communauté (Lachapelle, Lussier-Desrochers, Caouette et Thérien-Bélec, 2011; Lancioni, Singh, O'Reilly, Sigafoos, Alberti, Scigliuzzo, Signorino, Oliva, Smaldone et La Martine, 2010) et les assistants à la communication (Rosales, Stone et Rehfeldt, 2009).

Au Québec, le changement technologique est amorcé et plusieurs CRDITED utilisent les technologies en soutien à l’intervention auprès des personnes présentant une DI (Laforest, en préparation). En parallèle, certains CRDITED ont établi des liens de collaboration étroits avec le milieu de la recherche afin de développer de nouveaux produits technologiques spécifiquement destinés aux personnes présentant une DI. Par exemple, le CRDITED Chaudière-Appalaches a développé une communauté virtuelle adaptée aux besoins et capacités des personnes présentant une DI (Lussier-Desrochers, Dupont, Lachapelle et Leblanc, 2011). Des partenariats avec l’entreprise privée ont aussi permis de créer de nouveaux produits disponibles sur le marché. Par exemple, le CRDITED de la Mauricie Centre-Du-Québec a développé, en collaboration avec une équipe de recherche et une entreprise privée, le logiciel MARTI (Mon Assistant à la Réalisation de Tâches Interactif), un assistant informatisé soutenant la réalisation des activités de la vie quotidienne (maison, travail, déplacement, routine, etc.) (Lachapelle et Guillemette, 2011). Le CRDITED Normand-Larammé s’est quant à lui associé à la Société de transport de Laval (STL) pour développer un assistant facilitant les déplacements en transport en commun (Canada Newswire, 2012). Ces nombreux éléments illustrent une volonté des milieux de participer activement au développement de nouvelles modalités d’intervention novatrices destinées aux personnes présentant une déficience intellectuelle.

Le défi de l’implantation de la technologie dans un milieu d’intervention

Les données probantes sur les effets de l’utilisation des technologies, l’arrivée de nouveaux produits technologiques de plus en plus accessibles aux personnes présentant des incapacités et les pressions croissantes des proches à utiliser les technologies poussent les milieux à vouloir les intégrer rapidement à l’intervention (Lussier-Desrochers, Caouette et Dupont, 2011). Or, la mise en place de la technologie dans le milieu exige la prise en compte d’un certain nombre de conditions essentielles. En effet, bien que ces technologies puissent créer une véritable révolution en intervention spécialisée, les CRDITED ne disposent que de très peu d’information sur les conditions à mettre en place afin d’assurer un déploiement adéquat et réussi de ces différentes solutions technologiques.

Or, la plupart d’entre elles exigent l’allocation de ressources humaines et techniques spécialisées. Sans la prise en compte de ces éléments, il est à prévoir que le déploiement technologique dans les CRDITED ne sera pas aussi réussi qu’on pourrait l’espérer et que ces techniques novatrices d’intervention ne donneront par les effets escomptés.

Les caractéristiques des solutions technologiques de soutien à l’intervention

Les technologies offertes peuvent prendre plusieurs formes. Certaines vont radicalement transformer le rapport entre l’utilisateur et la technologie. C’est le cas notamment des tablettes numériques, qui ont troqué la souris et le clavier pour un écran tactile et qui sont en fait un format hybride entre le téléphone intelligent et l’ordinateur portable. Ces tablettes sont des produits électroniques dits à « apprentissages longs », c’est-à-dire que l’utilisateur devra développer de nouvelles compétences pour les utiliser. En effet, il devra laisser de côté ses référents en matière d’utilisation de clavier et de souris pour développer un nouveau mode d’accès aux fonctionnalités de l’appareil par le biais de l’écran tactile. À l’inverse, le téléphone cellulaire[1] est considéré comme une technologie à « apprentissage court », car l’utilisateur ne doit pas développer de nouvelles habiletés pour être en mesure de l’utiliser (Pettigrew, Gauvin et Menvielle, 2007). Ces différentes solutions technologiques ont aussi un cycle de vie, c’est-à-dire le temps séparant l’arrivée de la technologie à son retrait du marché (Schilling et Thérin, 2006). Ce cycle de vie est variable pour les différentes technologies, mais les données récentes démontrent que pour les ordinateurs et les produits électroniques, il est de moins de cinq ans. Le défi des milieux d’intervention et de la recherche est alors de rendre disponibles ces technologies aux intervenants pour qu’ils puissent les utiliser rapidement auprès de la clientèle. Toutefois, les données à ce sujet démontrent que la seule mise en disponibilité n’est pas garante d’une utilisation par les intervenants (Parsons, Daniels, Porter et Robertson, 2006). D’autres conditions doivent aussi être prises en compte par le milieu lors du déploiement de l’innovation technologique.

Les défis associés à la mise en place de la technologie dans les milieux d’intervention

La majorité des recherches s’intéressant au déploiement des technologies dans les organisations se retrouvent dans le domaine scolaire. Dans le domaine de l’intervention en déficience intellectuelle, quelques études ont été réalisées afin d’identifier les conditions assurant une implantation réussie et pérenne des technologies dans l’organisation et auprès des personnes. Les résultats proviennent en grande partie d’Angleterre (Aspinal et Hegarthy, 2001; Parsons et al., 2006; Parsons, Daniels, Porter et Robertson, 2008; Seale, 1998). Au Québec, une seule étude sur le sujet a été réalisée par Dupont (2012). Ces études utilisent l’entrevue et l’observation comme outils de collecte de données. Les participants sollicités sont principalement les gestionnaires et les membres du personnel qui ont été impliqués directement dans l’implantation des technologies. Ces études font ressortir non seulement les conditions à mettre en place pour assurer une implantation réussie des technologies, mais également les obstacles rencontrés par ces milieux lors du déploiement de l’innovation technologique dans le milieu.

Les conditions à mettre en place

Un élément majeur identifié par Aspinal et Hegarty (2001) est le fait que plusieurs milieux d’intervention achètent des technologies sans réaliser une planification de l’implantation de ces dernières au préalable. Cette façon de faire se base sur la prémisse qu’une arrivée massive de technologies dans un milieu sera synonyme d’une utilisation étendue par les intervenants. Or, Parsons et al.,(2006) ont clairement démontré que ce n’était pas le cas. En effet, la mise en disponibilité de la technologie dans un milieu implique une procédure d’implantation particulière. Des conditions essentielles doivent alors être déployées.

Parmi ces conditions, la mise en place d’un soutien technique et l’offre de formation au personnel (initiale et continue) sont maintes fois soulignées (Aspinal et Hegarthy, 2001; Mumtaz, 2000; Seale, 1998). L’identification d’une personne responsable de la gestion quotidienne du parc informatique est considérée comme une condition importante (Parsons et al., 2006). De plus, l’attitude et les perceptions des intervenants et des gestionnaires en lien avec la place des technologies en intervention influenceront l’utilisation réalisée (Corriveau, 2010; Parsons et al., 2006). Ainsi, il a été démontré que les intervenants croyant aux bienfaits de la technologie seront plus enclins à les utiliser. Au niveau des directions, même phénomène : les gestionnaires croyant aux bienfaits des technologies mettront en place des conditions organisationnelles qui faciliteront l’utilisation des technologies (financement, soutien, formation, etc.) (Parsons et al., 2006). Cette influence des attitudes des acteurs-clés fait écho aux profils des utilisateurs des technologies. En effet, certaines études ont démontré qu’il y avait des profils d’utilisateurs de la technologie et que ce profil était lié à l’attitude des personnes de même qu’aux comportements qu’ils adopteront face à la technologie (Rogers, 2003). Ces profils se dessinent dans toutes les couches d’une organisation (intervenants, gestionnaires, etc.) de même qu’auprès des usagers et de leurs proches. Globalement, on retrouvera des innovateurs qui adopteront rapidement la technologie, une majorité qui y adhérera uniquement s’il a été démontré qu’elle améliora leur pratique et une minorité à l’écart qui ne voudra pas utiliser la technologie (Voir Rogers, 2003 pour plus de détails sur les cinq profils d’utilisateurs de l’innovation technologique). Selon Lussier-Desrochers et Caouette (2012), le succès dans l’implantation des technologies en intervention repose en partie sur l’adéquation entre ces profils et le type de technologies déployées dans le milieu d’intervention. Au Québec, Dupont (2012) a étudié l’implantation d’un site Internet dans un CRDITED. Les résultats obtenus soulignent l’importance de tenir compte simultanément de trois facteurs qui s’inter-influencent, soit l’attitude des acteurs-clés, le financement et le temps.

Selon Dupont (2012), sans la prise en compte de ces trois facteurs, l’implantation de la technologie dans un milieu sera fragilisée et ne donnera pas les résultats escomptés auprès de la clientèle présentant une déficience intellectuelle. Toujours au Québec, Lussier-Desrochers, Dionne et Laforest (2011) ont réalisé une recension des écrits afin de documenter les conditions à considérer lors de l’implantation des technologies en intervention précoce dans les CRDITED. Ces auteurs ont identifié quatre grandes catégories de facteurs, soit : (a) Des facteurs organisationnels et de gestion (objectifs clairement définis, planification), (b) des facteurs liés aux professionnels dans les milieux d’intervention (attitude et formation), (c) des facteurs liés aux technologies (entretient et mise à jour) et (d) des facteurs liés aux utilisateurs (lier la technologie au plan d’intervention). Selon Corriveau (2010), le déploiement des technologies se doit d’être arrimé à une vision claire de la place qu’elles occuperont dans le milieu. Des objectifs doivent également être définis et les ressources nécessaires clairement identifiées. Un mécanisme de communication efficace doit aussi être mis en place afin de soutenir l’ensemble des acteurs-clés lors de l’implantation.

Les obstacles à une implantation pérenne des technologies

Quelques auteurs ont aussi étudié certaines organisations alors qu’elles effectuaient le virage technologique. Parmi les facteurs faisant obstacle à l’implantation, l’allocation d’un financement adéquat est maintes fois identifiée comme un obstacle. Plusieurs organisations sous-estiment en effet les ressources financières nécessaires pour la mise en place de telles initiatives (Dupont, 2012; Parsons et al., 2008; Seale, 1998). L’entretien d’un parc informatique est couteux et nécessite la mise sur pied d’un soutien technique. De plus, du matériel informatique complémentaire doit aussi être acheté pour soutenir les utilisateurs présentant des difficultés aux niveaux moteur et langagier (Lussier-Desrochers, Dionne et Laforest, 2011).

Ces obstacles se conjuguent souvent à un manque criant de ressources humaines soutenant les utilisateurs (Parsons et al., 2008) et l’absence d’activités de formation initiale et continue (Seale, 1998). L’absence d’une structure soutenant l’implantation (ex. un comité de planification) accentue les difficultés rencontrées par l’organisation (Dupont, 2012). Les auteurs ont aussi observé que des milieux refermés sur eux-mêmes et ne faisant pas appel un réseau de soutien externe rencontrent plus de difficultés lors de l’implantation des technologies (Seale, 1998). Enfin, Parsons et ses collaborateurs (2008) ont observé que l’importance accordée à la technologie dans la culture organisationnelle pouvait agir comme un obstacle important à l’implantation des technologies, une faible importance étant associée à une faible utilisation.

Objectif de la recherche

Dans les CRDITED, l’implantation de technologies en soutien à l’intervention est un domaine encore nouveau. Parmi les acteurs-clés pouvant jouer un rôle important dans le déploiement de ces technologies, les gestionnaires sont identifiés fréquemment dans la littérature (Aspinal et Hegarthy, 2001; Parsons et al., 2008; Seale, 1998). En effet, ces derniers ont un rôle à jouer non seulement dans la planification et l’allocation des ressources, mais aussi dans la mise en place d’un processus qui permettra une implantation réussie et pérenne de ce nouveau mode d’intervention.

L’objectif général de la recherche est de documenter la perception des cadres supérieurs et hors cadres (directeurs généraux) des CRDITED sur les conditions à mettre en place afin d’assurer une implantation adéquate et pérenne des technologies dans les milieux d’intervention.

Deux objectifs spécifiques sont également poursuivis : (a) Décrire la place qu’occupent les technologies dans les CRDITED et (b) Identifier les conditions à mettre en place pour assurer une implantation adéquate de ces technologies dans les CRDITED. Jusqu’à présent aucune recherche n’a encore exploré ces éléments.

Méthode

Participants

Neuf cadres supérieurs et hors cadres provenant de quatre CRDITED ont été rencontrés. Ceux-ci étaient en poste comme directeur général ou occupaient un poste de direction au niveau clinique relevant directement de la direction générale. Ils devaient être en poste depuis au moins un an pour participer à l’étude. En moyenne, ils étaient en fonction depuis deux ans. Toutefois, ils avaient en moyenne 19,5 ans d’expérience dans des fonctions cliniques ou de gestion en CRDITED.

Entretiens

Le canevas d’entretien est une version adaptée du canevas de Dupont (2012). Ce dernier avait été utilisé dans le but d’identifier les conditions de succès liées à l’implantation d’une technologie dans un CRDITED. Il s’agissait alors de la seule étude réalisée sur le sujet. Dupont avait alors développé le canevas d’entretien par le biais d’une recension intégrative des écrits documentant les facteurs influençant les processus d’implantation des technologies auprès des personnes présentant des incapacités. Dupont a utilisé le canevas auprès de neuf participants. Les recommandations issues de cette collecte de données ont été prises en considération lors de l’adaptation du canevas pour la présente étude. Ce canevas d’entretien abordait deux grands thèmes, soit la place des technologies au sein de l’établissement et la perception des conditions à mettre en place pour favoriser l’implantation des technologies. Ces entretiens ont été menés par Dupont et une assistance de recherche qu’elle avait formée. Les entretiens téléphoniques ont été réalisés au cours de l’été 2011 et de l’hiver 2012. Ils ont duré entre 25 et 40 minutes. Ils ont été enregistrés et les propos recueillis ont été retranscrits en format Word à des fins d’analyse.

Analyse

Afin d’explorer en profondeur les perceptions des cadres supérieurs sur l’implantation et la place des technologies de soutien en intervention, une méthode qualitative a été privilégiée. À partir de la transcription des verbatim, une analyse thématique a été réalisée.

Cette forme d’analyse consiste à « procéder systématiquement au repérage, au regroupement et, subsidiairement, à l’examen discursif des thèmes abordés dans un corpus » (Paillé et Mucchielli, 2008, p. 162). L’analyse thématique a donc permis de repérer les thèmes pertinents en lien avec les objectifs de la recherche et de documenter l’importance de certains thèmes au sein de notre corpus de données (Paillé et Mucchielli, 2008). Les analyses ont été réalisées à l’aide du logiciel QSR N’Vivo 7.

Résultats

Perceptions de la place occupée par les technologies de soutien au sein de l’établissement

De façon générale, les cadres supérieurs ont une perception assez positive des technologies en soutien à l’intervention, notamment celles ayant fait partie de projets de recherche au sein de leur établissement. Ils y voient un complément aux outils actuellement disponibles et une façon pour les intervenants d’être plus efficients dans leur pratique et de moderniser leur façon de faire. Toutefois, ils estiment que c’est en regard des personnes desservies que la technologie est la plus prometteuse. Ainsi, ils croient qu’autant les personnes présentant une DI que celles présentant un TED pourraient en bénéficier, et ce, à tous les stades développementaux. Selon eux, les technologies peuvent favoriser la socialisation, l’accès à l’information, l’intégration résidentielle, le développement des habiletés sociales et fonctionnelles, l’autodétermination et l’apprentissage. Les cadres supérieurs rapportent toutefois que les intervenants et professionnels de leur établissement ont, de façon générale, un point de vue mitigé face aux technologies de soutien. Ainsi, elles sont vues comme étant incontournables dans une société où la technologie occupe un espace croissant. De plus, le potentiel qu’elle présente renforce l’idée que les personnes pourraient en tirer des bénéfices. Par contre, les cadres supérieurs constatent chez les intervenants et professionnels certaines résistances à l’idée d’implanter plus largement les technologies au sein de leur établissement. Ainsi, malgré l’intérêt suscité, plusieurs intervenants et professionnels se questionnent sur la façon concrète d’intégrer les technologies à leur pratique.

Ils se disent intéressés, mais dans l’application ils ne voient pas comment ils vont [faire].

Ces résistances sont alimentées par plusieurs facteurs, dont la méconnaissance des technologies et de leur utilisation et certains enjeux générationnels. Dans certains cas, il semble également subsister un doute quant à la capacité des personnes présentant une DI ou un TED de tirer réellement profit de ces technologies et même d’y avoir accès.

Tous les intervenants sont sensibilisés [aux technologies], mais ne sont pas nécessairement outillés pour [les utiliser]. Maintenant, il faut les avoir ces outils-là (…) Évidemment, la jeune génération d’intervenants et d’intervenantes est assez outillée sur ce thème-là

Et ma principale surprise a été la réaction partagée des intervenants sur la pertinence d’introduire ces outils-là. Pour un certain nombre de gens, ça correspond à quelque chose qui n’est pas adapté à la clientèle, autant pour certaines personnes (…) c’est trop compliqué et pour d’autres, ce n’est pas applicable

La façon dont les technologies sont actuellement utilisées est une préoccupation importante au sein des établissements. L’ensemble des cadres supérieurs rencontrés constate que l’intégration des technologies dans les pratiques professionnelles au sein de leur établissement s’effectue très lentement. Un premier élément qui semble nuire à leur utilisation est le manque de temps des ressources professionnelles pour en faire l’implantation. Pour certains CRDITED, leur arrivée est récente et leur nombre est restreint.

Il y a un manque de professionnels pour explorer des avenues possibles des technologies.

Conséquemment, plusieurs cadres supérieurs constatent que le déploiement des technologies ne se réalise pas de façon uniforme et qu’il s’agit d’un élément de frustration chez les intervenants et professionnels.

L’implantation se fait donc actuellement sur la base d’initiatives personnelles, sans véritable plan d’action structurée. Cette situation s’explique entre autres par le manque de moyens financiers.

Mais il reste qu’ils se rendent compte que jusqu’à maintenant la façon dont on l’a intégré cette technologie-là ou cette approche, on ne l’a pas rendue disponible à tout le monde, [dans tous les points de service]. Il n’y a pas de fonds comme je vous dis.

Le premier constat (…) c’est que c’est surtout fait par des équipes qui ont déjà été sensibilisées sur le bénéfice de cette technologie-là. Il n’y a pas eu un plan de valorisation formelle de l’utilisation [des technologies]. Je ne crois pas.

Les formations offertes sur les technologies témoignent bien de cette disparité. Dans certains cas, on remarque qu’aucune demande des intervenants n’est faite pour développer des compétences sur ce thème. Dans d’autres cas, c’est la participation à certains projets de recherche impliquant l’utilisation de technologies qui a eu un effet formateur. On constate également qu’un transfert de connaissances s’effectue de façon informelle suite à des initiatives individuelles de certains intervenants. Bien que des formations sur le thème des technologies soient envisageables au cours des prochaines années, elles ne font pas partie pour le moment d’un plan structuré.

Par ailleurs, certains cadres supérieurs rapportent ne pas avoir un portrait précis des technologies actuellement utilisées dans leur établissement et de la place qu’elles occupent dans les pratiques. Certains intervenants et professionnels (agent de programmation, de planification et de recherche, conseillers aux programmes, ergothérapeutes, spécialistes en activités cliniques, orthophonistes, intervenants) seraient de meilleurs informateurs à ce sujet, notamment parce qu’ils ont, sur une base individuelle, expérimenté différentes technologies dans leur pratique.

Perceptions des obstacles à l’implantation des technologies

Les cadres supérieurs identifient plusieurs difficultés à résoudre afin de mettre en place des conditions optimales pour l’implantation des technologies.

Une première problématique est la capacité technique des systèmes à permettre l’utilisation de certaines technologies et la protection des actifs informationnels. Ces éléments qui découlent de la gestion des systèmes informatiques apparaissent comme des questions prioritaires.

Au plan informatique, (…), nous sommes dans un système super sécurisé et il y a des incompatibilités (…) je n’ai pas accès à des cartes de son ou des cartes de vidéo comme je pourrais avoir à la maison, par exemple. Donc, j’ai quand même certaines limites qui ne sont pas liées à la capacité possible du réseau, mais au fait que le réseau a fait des choix très restrictifs de certaines acquisitions de périphériques qui pourraient aider. Donc, je suis limitée.

Un deuxième obstacle apparaît en regard des coûts associés à l’acquisition des technologies. Les établissements doivent faire des choix en matière d’achat et de formation compte tenu des budgets restreints dont ils disposent. Des questions émergent également sur la capacité réelle des personnes à se procurer certaines technologies dans la mesure où plusieurs sont prestataires du programme de solidarité sociale. De même, la possibilité d’engendrer une spirale des coûts étant donné le renouvellement fréquent des technologies inquiète.

Actuellement, on n’a pas de budget comme tel. On a un budget d’aide matérielle, (…), dans lequel on pourrait utiliser une partie de ce budget-là pour acheter une partie de l’équipement. Mais ce n’est pas des sommes très énormes.

Une troisième difficulté concerne les compétences des intervenants et professionnels en matière technologique. En plus d’un écart qui se dessine au niveau générationnel sur les compétences technologiques, la capacité d’être à jour étant donné le rythme d’apparition de nouvelles technologies constitue un défi important.

Perceptions des conditions à mettre en place pour favoriser l’implantation des technologies

Structurer l’implantation des technologies apparaît être une condition sine qua none pour une implantation réussie. Pour y parvenir, la concertation des différentes directions et des professionnels et intervenants semble être l’avenue que privilégient les cadres supérieurs. Selon les réalités particulières de chacun des CRDITED, une direction clinique dans l’établissement devrait être ciblée pour assumer le leadership de l’implantation.

Une deuxième condition est la nécessité de définir des guides pour la sélection et l’achat des technologies. Selon les cadres supérieurs, ces guides devraient découler de la mission de l’établissement, de la pertinence et de la rentabilité de la technologie, des besoins en intervention, des demandes des parents et des données probantes produits par la recherche. Ces choix devraient se faire en concertation avec les différentes directions de l’établissement de même qu’avec les professionnels et intervenants.

La mise en place d’un soutien du personnel clinique en matière technologique est une troisième condition indispensable. Les cadres supérieurs considèrent que le personnel clinique ne possède pas les compétences nécessaires dans ce domaine et qu’un soutien adéquat est nécessaire pour tirer profit au maximum des technologies disponibles.

Une quatrième condition est la nécessité de faire une évaluation continue du processus d’implantation des différentes technologies. Sans cette rigueur, il est difficile d’évaluer la portée réelle des technologies.

Je ne suis pas sûr qu’on assure le suivi pour vraiment faire les ajustements nécessaires. Dans le cas des iPod, je sais qu’il y a eu des iPod qui ont été distribués maintenant, est-ce qu’on a fait le suivi pour s’assurer que ça répondait aux objectifs qu’on poursuivait? Est-ce qu’on a amené les ajustements requis pour que… je ne le sais pas. Je ne suis pas sûr qu’on les utilise efficacement.

Les cadres supérieurs considèrent qu’ils ont un rôle important à jouer dans l’implantation des technologies et qu’il s’agit d’une condition importante. Ce rôle se décline en quatre principales fonctions, soit développer une vision, planifier les opérations d’implantation, soutenir le personnel et influencer les pratiques. Il se dégage un consensus sur la nécessité de mettre en place des mécanismes d’implantation des technologies qui permettent de dégager les budgets nécessaires, d’allouer du temps à l’implantation, d’offrir un soutien individualisé aux intervenants, de réaliser certaines expérimentations de technologies et de développer des liens avec les milieux de la recherche.

Discussion

Le déploiement des technologies de soutien à l’intervention dans le CRDITED est amorcé depuis quelques années. La présente recherche a permis de documenter la perception des gestionnaires sur ce phénomène. Ainsi, elle a non seulement permis d’identifier les perceptions des gestionnaires sur la place de la technologie dans le milieu, mais aussi de connaître leur avis sur les conditions à mettre en place pour soutenir leur implantation.

D’abord, les résultats de l’analyse qualitative démontrent que les cadres supérieurs ont une attitude positive en lien avec l’utilisation des technologies en intervention et qu’ils considèrent qu’elles peuvent soutenir la mission de leur établissement. Selon eux, un large spectre d’usagers peut bénéficier des retombées positives de ce mode d’intervention. De plus, elles favoriseraient le développement d’habiletés, l’intégration et l’autodétermination. Selon Parsons et ses collaborateurs (2006), cette perception de l’utilité des technologies devrait encourager les gestionnaires à mettre en place des conditions favorables à l’implantation des technologies (financement, formation, soutien, etc.) Par contre, lorsque les gestionnaires sont questionnés sur l’aspect financier, ils mentionnent qu’actuellement aucun budget n’est alloué pour l’achat de technologies destinées à l’intervention auprès des usagers. Plusieurs se questionnent également sur les coûts pour l’entretien d’un parc informatique destiné à l’intervention et considèrent qu’il sera difficile pour le milieu d’assumer de telles responsabilités financières. Or, dans la littérature, plusieurs mentionnent que le sous-financement constitue un obstacle majeur au déploiement des technologies dans une organisation (Dupont, 2012; Parsons, Daniels, Porter et Robertson, 2008; Seale, 1998). Par contre, les participants de l’étude ont identifié des sources de financement complémentaires, comme la sollicitation des Fondations des établissements ou les demandes de subventions gouvernementales. Soulignons qu’un financement inadéquat et insuffisant fragilise le processus d’implantation de la technologie. De plus, l’analyse des données d’entrevues montre que l’aspect financier peut être à la source de tensions entre les différents points de service.

Pour les gestionnaires rencontrés, la recherche constitue également un catalyseur qui favorise l’accès à des solutions technologiques novatrices. En effet, plusieurs participants ont mentionné que leurs établissements avaient établi des liens de collaboration avec le milieu de la recherche pour le développement ou l’expérimentation de nouvelles technologies. Ces expériences ont eu pour conséquence de donner accès à des technologies aux usagers et d’avoir une implantation soutenue par des données probantes. Comme le mentionne Dupont (2012), la collaboration avec le milieu de la recherche peut être profitable, mais le « transfert technologique » entre le milieu de la recherche et celui de l’intervention doit être planifié et soutenu par les deux partenaires.

Les cadres rencontrés mentionnent que les intervenants ont un point de vue mitigé par rapport à la technologie. Bien que cette dernière soit considérée comme un incontournable, les intervenants se questionnent sur l’applicabilité auprès de la clientèle et sur les mécanismes qui seront mis en place pour les soutenir dans leurs interventions. Ces préoccupations illustrent l’importance d’une approche planifiée et sont directement en lien avec les résultats de Parsons et ses collaborateurs (2006). Ces derniers mentionnent en effet que la seule mise en disponibilité de la technologie est insuffisante pour assurer une utilisation optimale par les intervenants. Sans un plan d’action structuré, les technologies de soutien à l’intervention s’implanteront sur la base d’initiatives personnelles. Les approches préconisées se rapprocheront alors d’une procédure essais-erreurs. Cette approche n’est malheureusement pas viable pour un déploiement à grande échelle des technologies dans un CRDITED. De plus, les cadres interviewés mentionnent que cette façon de faire engendre un certain nombre de frustrations. Pour les gestionnaires, cette approche complexifie également la planification et la gestion des ressources. Ainsi, les données recueillies démontrent que ce plan d’action devrait avoir pour assises une évaluation précise des technologies actuellement disponibles dans chacun des milieux d’intervention et une identification des acteurs-clés pouvant soutenir l’implantation. Lussier-Desrochers et Caouette (2012) ajoutent l’importance de réaliser une adéquation entre le profil des utilisateurs et le type de technologies utilisées. Ces éléments assureront non seulement le succès de l’implantation, mais contribueront également au développement d’une attitude positive auprès des utilisateurs. Ces derniers agiront ensuite comme des agents multiplicateurs dans le milieu.

Les cadres interviewés se questionnent également sur la formation à dispenser aux intervenants sur le terrain et sur l’écart intergénérationnel. De plus, il semble que les intervenants connaissent peu les solutions technologiques disponibles et disposent de peu de temps pour explorer le matériel mis à leur disposition et imaginer une application adaptée aux besoins des usagers présentant une DI. Les coupures budgétaires dans les CRDITED restreignent également les activités de formation pouvant être dispensées aux intervenants. Or, les recherches démontrent que la formation initiale et continue des intervenants est essentielle (Aspinal et Hegarthy, 2001; Mumtaz, 2000; Seale, 1998).

Les résultats de la présente étude permettent de formuler un certain nombre de recommandations en lien avec le déploiement des technologies de soutien à l’intervention. Premièrement, les intervenants doivent bénéficier d’un accompagnement individualisé dans ce processus. Deuxièmement, les activités de formation qui leur sont dispensées doivent être adaptées à leurs profils de compétences en matière technologique. L’offre d’activités de formation uniformes pour l’ensemble du personnel (qui ne sont pas adaptées aux compétences du personnel formé) devrait à tout prix être évitée (Caouette et Lussier-Desrochers, 2012). Troisièmement, les milieux doivent se doter d’une vigie technologique qui les tiendra informés des nouvelles technologies disponibles sur le marché. L’ensemble de ces éléments expliquerait, en partie, pourquoi les technologies s’implantent aussi lentement dans les milieux (Lussier-Desrochers et Caouette, 2012).

Les cadres supérieurs interviewés sont conscients des obstacles qu’ils rencontreront lors de l’implantation des technologies en soutien à l’intervention. Les obstacles identifiés ressemblent à ceux présentés dans la littérature. À ceux-ci s’ajoutent plus spécifiquement dans les CRDITED les capacités techniques des systèmes informatiques. En effet les milieux d’intervention sont régis par les règles de protection des actifs informationnels (les milieux de réadaptation partageant un accès Internet avec l’ensemble du réseau de la santé), éliminant ainsi les possibilités d’accès à l’Internet sans fil (indispensable au fonctionnement des nouvelles technologies, comme le iPad, reconnu comme une technologie prometteuse en intervention) et confrontant les intervenants à l’impossibilité de télécharger et d’installer des logiciels informatiques soutenant l’intervention. Des solutions alternatives devront être identifiées afin de contourner cette limite technique majeure qui aura des répercussions directes sur les possibilités d’utilisation des technologies auprès de la clientèle cible.

Enfin, les cadres supérieurs considèrent qu’ils ont un rôle central à jouer pour structurer le déploiement de la technologie dans leur milieu. Ces derniers reconnaissent ainsi l’importance d’avoir une action concertée impliquant l’ensemble des directions et la nécessité d’impliquer les professionnels et les intervenants. À cet effet, Corriveau (2010) souligne l’importance de mobiliser rapidement les acteurs-clés pouvant jouer un rôle dans la réalisation du projet. Lussier-Desrochers, Caouette et Dupont (2011) ajoutent qu’il ne faut pas oublier les personnes présentant une DI et les proches lors de cette étape. La concertation de l’ensemble de ces acteurs assurera alors une réelle prise en compte des besoins et préoccupations de chacun. Les gestionnaires devront également s’approprier les compétences associées à la gestion de l’innovation technologique. Ces connaissances leur permettront de choisir les bonnes technologies, de faire des achats rentables et d’évaluer les risques. Ils assureront alors l’optimisation de ces produits ayant un cycle de vie relativement court. Pour réaliser ces fonctions, ils devront développer leur vocabulaire technologique et établir une communication efficace avec les informateurs-clés présents dans leur milieu (spécialistes en activités cliniques, orthophonistes, intervenants, etc.). Des outils sont actuellement disponibles afin de soutenir le milieu dans l’acquisition de ce vocabulaire. Par exemple, un dictionnaire sur les termes technologiques a été développé spécifiquement pour l’ensemble du personnel des milieux d’intervention (Lussier-Desrochers, 2011; Lussier-Desrochers, 2012). La mise en commun de procédés efficaces et de modalités d’accompagnement assurera la réussite de l’implantation de la technologie dans les CRDITED.

Limites de la présente étude

Enfin, il faut reconnaître que la présente recherche comporte certaines limites, dont notamment la taille de l’échantillon, le caractère exploratoire de l’étude et l’outil de collecte de données utilisé. Ces éléments limitent grandement les possibilités de généralisation. Il est non seulement recommandé de réaliser les entretiens dans un plus grand nombre de CRDITED, mais aussi de solliciter une plus grande variété d’acteurs-clés impliqués dans le processus (ex. agents de planification de programmation et de recherche, coordonnateurs, techniciens spécialisés en informatique, etc.)

Conclusion

En conclusion, les technologies se taillent une place grandissante dans le milieu d’intervention depuis quelques années. Pour les gestionnaires il est alors essentiel de passer à l’action et de mettre en place un processus soutenant l’arrivée de la technologie en intervention. À la lumière des résultats obtenus et de la discussion, ce processus doit tenir compte de trois dimensions essentielles associées à l’implantation de l’innovation technologique, soit la dimension clinique (profils des utilisateurs, le type et le cycle de vie de la technologie), la dimension technologique (soutien et mise à jour du parc informatique) et la dimension de gestion (évaluation, planification, gestion du risque, optimisation). La prise en compte de l’ensemble de ces éléments assurera alors une implantation réussie et pérenne des technologies dans les CRDITED.