Comptes rendus

Carla Lonzi, Nous crachons sur Hegel : écrits féministes, Paris, Nous, 2023, 164 p.

  • Élise Gonthier-Gignac

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  • Élise Gonthier-Gignac
    Université Paris 8

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Comment interpréter le rapport homme-femme en dehors du schéma hégélien de la maîtrise et de la servitude? Cette question est le fil rouge du livre Nous crachons sur Hegel : écrits féministes, de Carla Lonzi, première traduction française de l’intégralité de l’ouvrage Sputiamo su Hegel, paru en Italie en 1974. Née en 1931 à Florence, Carla Lonzi est une figure majeure du féminisme radical italien. En 1970, alors reconnue en tant que critique d’art, elle quitte une carrière prometteuse pour se consacrer au féminisme et fonde avec d’autres femmes le groupe Rivolta Femminile (« Révolte féminine »). Rédigés entre le printemps 1970 et le début de l’année 1972, les six « écrits féministes » qui composent le livre inscrivent sa réflexion sur le terrain philosophique, où elle entend régler ses comptes avec Hegel, Marx, Lénine, Freud et, plus largement, avec des « millénaires de pensée philosophique qui ont théorisé l’infériorité de la femme » (p. 17). Qu’ils soient signés de son nom ou collectivement par Rivolta Femminile, comme c’est le cas pour quatre d’entre eux, tous portent la marque du style lapidaire et des thèmes clivants qui ont fait d’elle une « figure emblématique, mais aussi controversée » (Zapperi 2018 : 32) du féminisme italien. L’un des traits marquants de cette pensée est certainement son refus d’envisager la libération des femmes au prisme de la revendication d’égalité, qui tend selon Lonzi à ériger le sujet masculin en modèle et à le confirmer dans « son rôle de protagoniste principal » (p. 61). Cette idée figure parmi les premières affirmations du « Manifeste de Rivolta Femminile », sur lequel s’ouvre le livre et qui condense l’ensemble des thèmes qui y sont traités (p. 12) : La pensée féministe qui se déploie dans l’ouvrage Nous crachons sur Hegel est soutenue par la prise de conscience du fait que le monde social n’est pas neutre, mais façonné par les « objectifs de l’homme » (p. 24). Dès lors, si Lonzi se détourne de la revendication d’égalité, c’est dans la mesure où l’espoir d’intégrer « un monde projeté par d’autres » (p. 22) risque selon elle de barrer aux femmes l’accès à une libération plus profonde, dont les contenus sont encore inconnus. Cette idée est développée dans le célèbre pamphlet « Nous crachons sur Hegel », qui donne son titre au livre. C’est dans ce texte rédigé le même été 1970 qu’apparaît le concept de « différence », qui deviendra plus tard le « terme fondateur d’un nouveau féminisme » (Malabou 2020 : 65) : Précurseur du concept de « différence sexuelle », qui sera notamment porté au cours de la décennie suivante par le collectif de la Librairie des femmes de Milan et la Communauté philosophique de Diotima, le terme différence ne vise jamais chez Lonzi à répondre à la question métaphysique « Qu’est-ce qu’une femme? ». Il ne désigne ni une essence ni aucun contenu a priori de l’expérience des femmes, si ce n’est d’avoir été perpétuellement infériorisées et niées en tant que sujets par le « monologue de la civilisation patriarcale » (p. 15). « La différence de la femme, ce sont des millénaires d’absence de l’histoire » (p. 23), affirme-t-elle, en jetant les bases de la critique qu’elle adresse à la philosophie de Hegel et à sa dialectique maître-esclave. En allant jusqu’à affirmer que la « Phénoménologie de l’Esprit est une phénoménologie de l’esprit patriarcal, incarnation historique de la divinité monothéiste » (p. 30), l’objectif du pamphlet est double. D’une part, à la conception hégélienne de l’histoire comme processus de dépassement des contradictions et de réalisation progressive de …

Appendices