Comptes rendus

Julia Serano, Manifeste d’une femme trans et autres essais, Paris, Éditions Cambourakis, 2020, coll. « Sorcières », 198 p. (traduction de l’anglais par Noémie Grunenwald)

  • Freya Dogger

…more information

  • Freya Dogger
    Cégep de Victoriaville

Access to this article is restricted to subscribers. Only the first 600 words of this article will be displayed.

Access options:

  • Institutional access. If you are a member of one of Érudit's 1,200 library subscribers or partners (university and college libraries, public libraries, research centers, etc.), you can log in through your library's digital resource portal. If your institution is not a subscriber, you can let them know that you are interested in Érudit and this journal by clicking on the "Access options" button.

  • Individual access. Some journals offer individual digital subscriptions. Log in if you already have a subscription or click on the “Access options” button for details about individual subscriptions.

As part of Érudit's commitment to open access, only the most recent issues of this journal are restricted. All of its archives can be freely consulted on the platform.

Access options

Cette traduction récente de Whipping Girl (2007) tombe à point : non seulement les enjeux d’identité et de fluidité de genre viennent de prendre l’avant de la scène idéologique et politique des dernières années, mais de plus, les idées et les observations de Serano sont des clés d’interprétation puissantes pour comprendre ces enjeux encore trop mal discutés. Nous avons ici une théorie nourrie de féminisme qui nous aide à comprendre les existences et les expériences des femmes transgenres. Bien que la théorie féministe soit mobilisée pour enrichir l’analyse, le mouvement inverse est tout aussi vrai : la perspective trans de l’autrice permet d’approfondir le corpus féministe. Une des idées principales du livre, à savoir que, « […] si nous devons reconnaître aux mouvements féministes d’avoir permis la création d’une société où la plupart des personnes sensées sont d’accord avec l’idée que “ les hommes et les femmes sont égales ”, nous restons toutefois à des années-lumière de pouvoir dire que la plupart des gens considèrent que la féminité est égale à la masculinité » (p. 29-30). Cette idée peut résonner profondément en nous, étant donné les sentiments que nous ressentons quotidiennement en étant femmes et féministes. En ce qui a trait à la structure du livre de Serano, la traduction ne reprend pas tous les chapitres de l’original, ce qui est dommage pour des raisons expliquées plus loin. Serano fait deux grandes choses avec cet ouvrage. D’une part, elle fait valoir, grâce au récit de son expérience, qu’il faut réévaluer la féminité : celle que nous partageons, chacune à notre manière; celle pour laquelle les femmes trans sont prêtes à faire d’énormes sacrifices, celle qu’il faut s’autoriser à aimer, celle qu’il faut subvertir tout en y étant profondément attachées. Le Manifeste d’une femme trans, le chapitre « Le genre expérientiel » et la – si belle – « Déclaration d’amour » nourrissent cet aspect du livre. D’autre part, l’autrice articule des critiques puissantes et sans concession, toutes très documentées, à l’égard de plusieurs personnes et institutions qui discutent des femmes transgenres, les représentent en film ou en exploitent l’image de manières illégitimes et frauduleuses. Ces critiques déconstruisent tous ces films dans lesquels les femmes trans sont soit des « transsexuelles usurpatrices » ou des « transsexuelles pathétiques » (p. 34); celles qui mobilisent les concepts des féminismes pour promouvoir leurs idées transphobes (« Au final, cela conduit les femmes trans dans une impasse : si elles agissent de manière féminine, elles seront considérées comme des parodies caricaturales, mais si elles agissent de manière masculine, cela sera perçu comme un indice révélateur de leur “ vraie ” identité d’homme » (p. 49)). Les critiques de Serano interrogent la médecine, la psychologie et la sexologie qui pathologisent la transsexualité et qui poussent à l’invisibilité les personnes trans; aussi les sciences sociales, que leurs tendances socioconstructivistes rendent aveugles au vécu subjectif et profond de la transitude; et finalement la société cisgenre, dont Serano analyse le « privilège cissexuel ». L’autrice propose plusieurs concepts novateurs pour comprendre les expériences transgenres et le fonctionnement du genre en général. Parmi ceux-ci, le « genrement », qui désigne le « […] procédé actif que nous réalisons de manière compulsive » (p. 111), qu’est l’attribution de certaines personnes au genre masculin, et d’autres au genre féminin. Le « sentiment de surlégitimité cissexuelle » nomme la tendance que nous avons à penser que le genre des personnes cissexuelles est plus légitime que celui des personnes transsexuelles. Le « disgenrement » « […] est caractérisé par la tentative de briser le genre d’une personne trans en privilégiant des détails …

Appendices