Abstracts
Résumé
Cet article interroge la notion d’emprise, issue de la psychologie et largement mobilisée en France par les structures de lutte contre les violences conjugales, y compris les associations féministes, depuis les années 2000. Le recours à cette notion a pu être critiqué, considéré comme révélateur d’une tendance à la psychologisation de la compréhension du phénomène, mais nous proposons d’aller plus loin. L’analyse d’un corpus de 19 clavardages recueillis auprès d’une association féministe qui accompagne des victimes, permet de cibler différents usages de la notion d’emprise, et d’étudier leur efficacité relativement au contexte dans lequel ils se déploient (dans le cadre de l’accompagnement en situation d’urgence ou après la rupture). Au regard des objectifs féministes, la mobilisation de la notion peut participer d’un processus de déresponsabilisation des victimes de violences, utile et déculpabilisant pour elles quand elles sont dans la relation, mais elle devient contre-productive hors de ce cadre.
Mots-clés :
- violence conjugale,
- travail social,
- stratégies et résistances féministes,
- agentivité
Abstract
This article questions the notion of control, stemming from psychology and widely mobilized in France by structures fighting domestic violence, including feminist associations, since the 2000s. The use of this notion could be criticized, considered as a revealer of a tendency to psychologization of the understanding of the phenomenon. We offer to go further. The analysis of a corpus of 19 chats, collected from a feminist association that supports victims, helps to identify different uses of the notion of control, and their efficiency, relative to the context in which they are being deployed (as part of the accompaniment in emergency situation or after the breakup). In light of feminist goals, the use of the notion can participate in a process of disempowerment of victims of violence, useful and guilt-free for them when they are in the relationship but becoming counterproductive outside this context.
Resumen
Este artículo cuestiona la noción de control, derivada de la psicología y ampliamente movilizada en Francia por las estructuras que luchan contra las violencias domésticas, incluidas las asociaciones feministas, desde los años 2000. El uso de esta noción ha sido criticado, considerado como revelador de una tendencia a la psicologización de la comprensión del fenómeno, pero nos proponemos ir más allá. El análisis de un corpus de 19 chats recogidos en una asociación feminista de apoyo a las víctimas permite abordar diferentes usos de la noción de control y estudiar su eficacia en relación con el contexto en el que se despliegan (en el marco del acompañamiento en situaciones de emergencia o tras la ruptura). Respecto a los objetivos feministas, la movilización de la noción puede participar en un proceso de desempoderamiento de las víctimas de violencias, útil y liberador del sentimiento de culpabilidad cuando están en la relación, pero se vuelve contraproducente fuera de este marco.
Appendices
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