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Alors qu’une panique morale au sujet de la transitude bat son plein dans le monde anglo-saxon et menace de se propager à ses voisins, l’ouvrage Transidentités et transitudes : se défaire des idées reçues, de Karine Espineira et de Maud-Yeuse Thomas, arrive à point nommé dans un contexte francophone où les textes d’introduction détaillés sur la transitude se font rares. Au fil des pages, les deux chercheuses réfutent avec rigueur les plus communes idées reçues sur les réalités des personnes trans en plus d’offrir nombre de nuances et éclairages pertinents, aidées des savoirs actuels sur la transitude et sur son histoire. Si l’ouvrage peut sembler aux premiers abords s’adresser à l’extrême néophyte avec une définition d’une page de la transidentité, une rapide lecture de celle-ci montre que ces premières lignes sont en fait un aveu de la complexité de l’objet de l’ouvrage. Cela révèle d’entrée de jeu un point fort du texte : sa rigueur épistémologique, qui reconnaît l’exercice complexe auquel il se prête, c’est-à-dire « démystifier les expériences de vie trans et […] les rendre accessibles au plus grand nombre » (p. 20).

Cet exercice de vulgarisation se poursuit dans l’introduction de l’ouvrage, qui est un nécessaire et incontournable historique du vocabulaire employé pour désigner la transitude en recherche francophone. Il s’agit aussi d’une introduction au positionnement épistémologique des autrices, qui affichent fortement et fièrement leur transitude/transidentité et le point de vue scientifique privilégié qui en découle pour parler de celle-ci : « Nos existences témoignent de la complexité de la condition humaine et en tant que sujets actants, nous revendiquons notre capacité à penser notre condition » (p. 14). À partir de cette perspective, elles remettent en question différentes affirmations convenues sur les réalités trans et fournissent de solides outils élémentaires à leur sujet.

L’ouvrage se divise en trois sections, fractionnées en chapitres de tout au plus dix pages qui abordent diverses idées reçues au sujet des personnes trans. La première section, « Imaginaires et réalités », s’attaque aux idées reçues les plus simples, voire qui pourraient paraître d’une grande ignorance pour toute personne le moindrement familière avec une personne trans : « Des hommes qui deviennent des femmes, des femmes qui deviennent des hommes, on n’y comprend rien », « C’est une minorité sexuelle », « Ce sont des malades mentaux », « Les trans sont des travestis, des homos invertis » et « Pour être trans, il faut être opéré·e ». Cependant, loin de balayer ces stéréotypes avec négligence, les autrices puisent dans leur vaste savoir de l’histoire et des réalités trans pour créer un argumentaire consistant, agrémenté d’un historique qui aura même le mérite de pouvoir servir d’aide-mémoire aux spécialistes des études trans. Par exemple, la sous-section « Ce sont des malades mentaux » offre un portait des plus intéressants et complets de la pathologisation de la transitude. Rien d’étonnant pour un ouvrage français, mais une partie de cet historique concerne l’évolution de la médicalisation entourant la non-conformité de genre en France. Soulignons que, dans le paradigme actuel des études trans, qui est plutôt centré sur l’histoire trans aux États-Unis et en Angleterre, de tels passages sur le contexte français sont toujours les bienvenus. À noter que cette section, comme plusieurs autres, se conclut sur un encadré explicatif. Ceux-ci, au fil du livre, servent de parenthèses en approfondissant certains concepts centraux. Celui de la sous-section sur la psychopathologisation de la transitude aborde le concept de dysphorie de genre et décrit ce sentiment de malaise de manière sommaire et efficace. On trouve aussi des encadrés au sujet de l’« hétérosexualité posttransition », du « passing », du pronom « iel », par exemple.

On peut attribuer la même rigueur à la deuxième partie de l’ouvrage « Du sexe au genre », qui s’attarde à des questions légèrement plus pointues, bien que toujours élémentaires : « Transgenres et transsexuel·les, c’est pas la même chose », « Le transsexualisme apparaît avec les progrès de la médecine », « Il n’y a que deux sexes », « Les thérapies de conversion appartiennent au passé » et « On ne peut pas être trans et neuroatypique ». La troisième section « Trans* et sociétés » apparaîtrait davantage comme une réfutation de la désinformation anti-trans qui a cours aujourd’hui et s’attaque à nombre de vices qui sont prêtés à tort aux personnes trans : « Les trans renforcent les normes de genre », « La transphobie est partout », « Les trans dévoient le féminisme », « Les trans n’ont rien à voir et à faire avec la Pride », « C’est un effet de mode, c’est une épidémie », « Les parents et l’école rejettent les enfants et ados trans » et « Les études sur les trans sont des études trans ». Cette dernière sous-section sur les études trans est d’ailleurs l’une des plus importantes de l’ouvrage. Elle présente avec limpidité cette discipline tout en la situant avec précision dans son contexte social et épistémologique, où « le sujet trans, objectivé durant des décennies et réduit au silence, s’est affirmé comme sujet des savoirs, actif, et en capacité de penser sa propre condition » (p. 163). Avec cette sous-section placée juste avant une conclusion qui s’achève sur l’importance de la solidarité et de l’écoute chez les personnes alliées dans les luttes trans, le livre explicite que l’expertise des personnes concernées et la vigilance des individus bienveillants doivent aller de pair dans la lutte pour le respect des personnes trans, tout particulièrement dans le combat contre les idées reçues dommageables à leur dignité.

Au-delà d’un exercice de démystification, Transidentités et transitudes est un exemple de mise en pratique des savoirs trans qui illustre leur vitalité et leur pertinence. Pour les spécialistes, l’ouvrage a le potentiel d’être un solide récapitulatif de l’histoire et des principaux courants de pensée en études trans. Pour les néophytes ou celleux qui désirent de solides bases dans ce domaine, il s’agit d’un essentiel. Sa principale qualité, contrairement à un certain nombre d’ouvrages d’introduction, est de ne pas se limiter à la curiosité des personnes cisgenres, mais plutôt de mettre en lumière la vaste étendue et le potentiel des connaissances trans. C’est un ouvrage d’introduction qui nous invite à voir toujours plus loin, à réfléchir et à nous informer davantage. Après sa conclusion et son glossaire, une section « Pour aller plus loin » met en lumière le nécessaire travail de plusieurs intellectuel·les trans. Preuve que Transidentités et transitudes est plus qu’un ouvrage de vulgarisation, il s’agit d’un tremplin pour se lancer dans la vastitude des études trans.