Abstracts
Résumé
L’auteure analyse les stratégies esthétiques utilisées par Camal Pirbhai et Camille Turner dans leur projet Wanted (2017), où ces artistes proposent une réflexion sur le passé esclavagiste du Canada. Ce projet déplace les interprétations traditionnelles de l’histoire de l’esclavage en positionnant les personnes tenues en esclavage comme acteurs et actrices en révolte. Après une mise en contexte de l’histoire et de la représentation de l’esclavage au Canada, l’auteure décortique la mise en image de l’agentivité des personnes asservies dans le projet Wanted. Pirbhai et Turner offrent ainsi une réflexion élargie sur la représentation des personnes afrodescendantes dans le contexte de l’idéologie néolibérale.
Mots-clés :
- art identitaire,
- art et espace public,
- esclavage au Canada,
- Camille Turner,
- Camal Pirbhai
Abstract
The author analyses the esthetic strategies used by artists Camal Pirbhai and Camille Turner in their project Wanted (2017). This project offers a reflection on Canada’s participation in the Atlantic Slave Trade. Wanted shifts traditional narratives on the history of slavery by centering the enslaved men and women as rebellious agents. In this text, the author first contextualizes the history and the representation of slavery. Then, she analyses the agentivity of the enslaved as shown in Wanted. Pirbai and Turner’s project creates new meanings surrounding Black representation in the context of neoliberal ideology.
Resumen
La autora analiza las estrategias estéticas utilizadas por las artistas Camal Pirbhai y Camille Turner en su proyecto Wanted (2017), quienes ofrecen una reflexión sobre el pasado esclavista de Canadá. Este proyecto desplaza las interpretaciones tradicionales de la historia de la esclavitud al posicionar a las personas esclavizadas como actores y actrices en rebeldía. Después de contextualizar la historia y la representación de la esclavitud en Canadá, la autora disecciona el imaginario de la agencia de las personas esclavizadas en el proyecto Wanted. Pirbhai y Turner ofrecen así una amplia reflexión sobre la representación de las personas afrodescendientes en el contexto de la ideología neoliberal.
Palabras clave:
- arte identitario,
- arte y espacio público,
- esclavitud en Canadá,
- Camille Turner,
- Camal Pirbhai
Article body
Lors des célébrations des 150 ans de la signature de la Constitution canadienne en 2017, l’Art Gallery of Ontario (AGO) invite l’artiste caribéenne canadienne Camille Turner à participer à Every. Now. Then: Revising Nationhood, exposition collective dont l’objet consiste à interroger le récit historique canadien. Turner s’associe alors avec l’artiste textile Camal Pirbhai pour créer Wanted, projet proposant une réflexion sur le passé esclavagiste du Canada sans en montrer la violence et l’inhumanité. Ce projet est constitué d’une série de dix portraits photographiques[1] conçus à partir d’annonces publiées dans plusieurs journaux du xviiie siècle qui décrivent des personnes réduites en esclavage[2] recherchées par leur propriétaire après avoir pris la fuite. De manière générale, ces annonces décrivent les caractéristiques physiques et les vêtements des personnes recherchées : on les accompagne parfois de leurs aptitudes particulières et des langues qu’elles parlent. Par exemple, un homme nommé « Lowcanes » est âgé de 25 ans, a un visage mince, de longs cheveux attachés, porte un manteau clair et une cape rouge, parle français, mais pas du tout anglais et joue très bien du violon. Une autre annonce décrit en détail les cicatrices d’un homme nommé « Ishmael » qui porte un chapeau rond et un justaucorps rouge : on mentionne en plus qu’il parle et sait lire l’anglais et comprend un peu le français et le hollandais. Ou encore, Bett, femme de 18 ans, vêtue d’une veste et d’une jupe bleues qui parle français, anglais et allemand, s’est enfuie alors qu’elle était à quelques jours d’accoucher. Toutefois, plutôt que de recréer fidèlement l’apparence que ces personnes auraient pu avoir au moment où elles ont pris leur liberté, Turner et Pirbhai ont choisi de s’inspirer librement des descriptions de leurs vêtements pour concevoir des photographies dont l’esthétique rejoint celle des magazines de mode. Les portraits montrent donc des modèles au style étudié dans des environnements urbains variés avec la description des vêtements inscrite dans un coin de la photographie. Au premier coup d’oeil, il est dès lors impossible de deviner le lien du projet Wanted avec l’histoire de l’esclavage au Canada.
De plus, alors qu’une partie de ces photographies est incluse à l’intérieur des murs de l’AGO, trois d’entre elles sont transformées en panneau publicitaire et sont installées à proximité du musée situé au centre commercial et touristique de la ville de Toronto. Ainsi positionné dans l’espace public, le projet de Turner et Pirbhai est difficilement reconnaissable comme une oeuvre d’art. Par exemple, la courte séquence vidéo Unnamed Woman a été présentée sur un large double écran publicitaire surplombant le Yonge-Dundas Square, importante place publique de Toronto. La vidéo Unnamed Woman se confond avec les autres publicités qui se succèdent en boucle sur cet écran. Lorsqu’elle apparaît, on peut voir sur l’écran de droite une femme noire portant une élégante robe noire, une veste sans manche rouge et des sandales à talons aiguilles qui soulève un haltère de son bras droit avant de se tourner vers la caméra pendant que sur l’écran à gauche les mots « NOT FOR SALE » se dessinent progressivement, suivis d’une invitation à visiter la page Web de l’oeuvre sur le site de l’AGO. La femme sur le panneau est Tracy Moore, journaliste et animatrice télévisuelle torontoise. Cette séquence dure une dizaine de secondes. Sans plus d’information, il est difficile de savoir exactement ce qui n’est pas à vendre dans l’image. En effet, puisque la référence à l’esclavagisme n’est pas explicite et que la description « Black gown and red calimanco petticoat » inscrite au bas de la séquence décrit les vêtements, il pourrait être question d’une critique de l’industrie de la mode. Plus encore, l’affirmation « NOT FOR SALE » entre directement en contradiction avec la fonction habituelle du panneau publicitaire. Toutefois, l’apparition de l’adresse du site Web de l’AGO indique que cela pourrait être une publicité liée à une exposition ou à une oeuvre présentée au musée.
Dans le présent article, je traiterai des diverses stratégies esthétiques mises en oeuvre dans le projet Wanted afin de déplacer les interprétations traditionnelles de l’histoire de l’esclavagisme en positionnant les personnes réduites en esclavage comme acteurs et actrices en révolte. Le passé est ainsi réactualisé dans des représentations branchées et urbaines qui pourraient être une projection des espoirs de ces chercheurs et chercheuses de liberté. J’emploie cette dernière expression plutôt que « fugitifs et fugitives » afin de souligner l’agentivité au coeur de l’oeuvre de Pirbhai et Turner (2017). En effet, Robyn Maynard (2018 : 42-43) remarque ce qui suit à propos de cette nomenclature :
Si les journaux de l’époque ainsi que les historiens les appelaient jusqu’à tout récemment encore des « fugitifs », ces hommes, femmes et enfants fuyant l’esclavage ont ensuite été désignés sous les noms de freedom seekers (« chercheurs de liberté ») et, plus récemment de freedom runners (« ceux qui courent pour être libres »). Alors que le mot « fugitif » sous-entend un comportement criminel, ces termes expriment mieux leur dignité et le courage dont ils ont fait preuve pour échapper à la violence et à la dépossession, au prix de risques personnels considérables.
Ainsi, l’expression « chercheurs et chercheuses de liberté » permet d’enlever toute connotation négative au geste accompli par les personnes tenues en esclavage pour sortir de leur situation. Avant de plonger plus avant dans l’analyse du projet de Pirbhai et Turner, j’estime nécessaire d’examiner brièvement l’histoire et la représentation de l’esclavage au Canada et de son effacement dans la construction de l’histoire et de l’identité canadienne. J’y situerai plus particulièrement la place des annonces publiées par les propriétaires dans cette histoire. Je m’intéresserai ensuite à la mise en image de l’agentivité des personnes tenues en esclavage qui renaissent à travers le projet de Pirbhai et Turner. Je ferai la comparaison entre les annonces d’origine et les photographies pour déterminer la manière dont ces deux artistes mettent en avant l’individualité des chercheurs et des chercheuses de liberté. Je défendrai que l’avenir utopique imaginé par les artistes se confond avec l’idéologie néolibérale promue dans les discours publicitaires. Je me concentrerai particulièrement sur la séquence Unnamed Woman décrite plus haut, puisque celle-ci épouse davantage les valeurs d’une posture féministe néolibérale. Cette oeuvre positionne l’animatrice Tracy Moore comme sujet agissant qui a un plein contrôle sur sa vie en dehors de toutes contraintes économiques, matérielles et sociales. Si le projet Wanted réussit à célébrer le courage des chercheurs et des chercheuses de liberté, cette célébration se fait au profit d’un gommage des discriminations raciales qui persistent dans la société canadienne.
L’esclavage au Canada : une histoire incomplète
Lorsqu’il est question de l’histoire de l’esclavage, le discours officiel du Canada met l’accent sur son rôle dans le chemin de fer clandestin qui a permis à des milliers de personnes asservies aux États-Unis de se libérer. Selon Charmaine Nelson (2020 : S303), cette posture a permis aux Canadiennes et aux Canadiens de dissocier leur nation d’une participation longue de plus de deux siècles à l’esclavagisme transatlantique. Nelson remarque également que les recherches historiques sur l’esclavage au Canada accusent un retard considérable par rapport à leurs pendants américains, caribéens et sud-américains[3]. De plus, il est important de rappeler qu’en 1759, lors de la période française, plus des deux tiers des personnes tenues en esclavage étaient d’origine autochtone (Neeganagwedgin 2012 : 18) et que leur asservissement s’est maintenu bien au-delà de la Conquête anglaise. Ainsi, quoique l’histoire de l’esclavagisme transatlantique évoque avant tout le déplacement forcé de populations du continent africain vers les Amériques et, dans une moindre mesure, l’Europe, les Autochtones ont également subi l’esclavagisme sur leur territoire[4]. Tout comme cela s’est produit pour l’histoire de l’esclavage des personnes d’origine africaine au Canada, qui a été peu investie, Erica Neeganagwedgin (2012 : 24-25) souligne que l’histoire de l’esclavage des autochtones sur le territoire doit être davantage étudiée. Toutefois, c’est sur la population noire que Pirbhai et Turner ont concentré leur attention.
La forme la plus courante de représentations des personnes asservies qui existe au Canada est constituée des annonces décrivant l’apparence de chercheurs et de chercheuses de liberté qui ont servi de sources au projet de Pirbhai et Turner. En effet, il existe très peu de représentations ou de traces connues à l’heure actuelle d’une culture produite par les personnes asservies d’origine africaine sur le territoire. Nelson (2020 : S205) remarque que ces annonces, contrairement aux actes de vente, donnent une certaine individualité aux personnes décrites : « Each example was about the recapture of an individual or individuals who had fled, and as such required that their owners share details that illuminated what made the runaways unique, both in manner and appearance. » La nécessité de devoir les identifier pour les retrouver oblige ainsi les propriétaires à leur accorder une part de subjectivité. Dans cette optique, ces annonces sont des documents d’archives qui peuvent donner des informations importantes sur les personnes tenues en esclavage. Toutefois, Nelson souligne également dans l’essai accompagnant le projet Wanted de Pirbhai et Turner (2017), que ces annonces restent néanmoins des représentations incomplètes, voire mensongères :
[S]ince a fugitive’s likeness was published against their will, these portraits were « stolen » and unauthorized. Yet they were also « fugitive » in the sense that they were elusive and often highly false images. They were false in the sense that slave owners deliberately vilified the character of the enslaved in the advertisements they placed, and could often not comprehend or accurately describe the African cultural practices of the enslaved.
En plus du reflet d’une vision raciste de l’apparence et de la culture des personnes asservies, ces annonces mettent en évidence que le seul moyen pour les personnes tenues en esclavage d’apparaître est de se rebeller contre leur assujettissement. Malgré leur révolte, ces chercheurs et ces chercheuses de liberté n’ont néanmoins pas de contrôle sur la manière dont la majorité blanche les perçoit. En effet, Maynard (2018 : 57-58) soulève que ces annonces marquent l’apparition de l’association entre les personnes noires et la criminalité dans l’opinion publique. La quête d’indépendance devient dès lors un crime pour celles et ceux qui ont osé se voler personnellement. Ces représentations sont dès lors à comprendre à travers le concept d’hyperinvisibilité telle que la définit Amber Johnson (2020 : 16) :
When the single story renders bodies both hypervisible (we see the body all the time in its stereotyped form) and invisible (we fail to see the complex human standing before us), it creates a space of hyperinvisibility where the stereotyped body is so visible that we fail to see complexity. The real is replaced with fiction, and the fiction is so powerful it does not allow the real to exist.
Selon Johnson, l’hyperinvisibilité contribue à maintenir les nombreux stéréotypes qui déshumanisent les personnes noires aujourd’hui encore. En regard de l’histoire effacée de la participation du Canada au système esclavagiste et des représentations racistes qui demeurent les seuls documents attestant néanmoins l’individualité des chercheurs et des chercheuses de liberté, est-il possible de représenter autrement les personnes ayant subi cet asservissement? Peut-on illustrer la subjectivité d’individus réduits à une image de servilité, d’un côté, et de criminalité, de l’autre? C’est le pari que Pirbhai et Turner font avec leur projet Wanted.
Le fait de rendre visibles autrement les chercheurs et chercheuses de liberté
Depuis le début de sa carrière au tournant des années 2000, Turner remet en question l’absence des personnes noires dans l’imaginaire canadien. Née en Jamaïque, elle immigre au Canada avec ses parents à l’âge de 9 ans et grandit à Hamilton en Ontario. Elle réalise rapidement qu’une personne comme elle n’est jamais acceptée comme Canadienne. Elle crée alors le personnage de Miss Canadiana, reine de beauté vêtue d’une robe de soirée rouge, couronnée de sa tiare. Au fil des ans, Turner a mis en scène son personnage dans une multitude d’environnements à travers des oeuvres photographiques et performatives afin de faire ressortir l’illusion du Canada multiculturel vanté par les gouvernements successifs. Turner (2012 : 55-56) explique la démarche derrière le personnage :
By embodying the contradictions of the Canadian nation, [Miss Canadiana] at once centralizes blackness, and points to its absence within constructions of Canadian national identity […] I am confronting Canada’s institutionalized multiculturalism and its declaration of equality by claiming the title Miss Canadiana instead of Miss Black Canada or Miss Afro-Carribean Canada. I am resisting the hyphen, the unstated but expected signifier that categorizes and sorts who is a Real Canadian and who is Diverse Other. Miss Canadiana’s image disrupts what and who’s expected to occupy the space of Real Canadian to insert a new mythology into normative constructions of the Canadian nation.
À travers diverses actions, Turner se réapproprie l’espace public canadien et met en lumière des lieux et des évènements de l’histoire noire du Canada. Grâce au personnage de Miss Canadiana, cette réappropriation se fait par sa présence explicite, magnifiée par son habillement qui ne passe pas inaperçu. Délaissant son habit de reine de beauté pour le projet Wanted, l’artiste continue à rendre visible l’histoire noire, mais en se concentrant cette fois-ci exclusivement sur le passé esclavagiste du Canada. Turner collabore avec Pirbhai, artiste textile et designer, afin d’imaginer l’apparence des chercheuses et des chercheurs de liberté décrits dans les annonces du xviiie et du xixe siècle. Le travail artistique de Pirbhai utilise l’opulence des tissus, de la broderie et du métal pour attirer le regard sur des enjeux sociaux et politiques. L’intérêt pour la richesse des matériaux, le fait main et l’attention aux détails donnent à ses oeuvres un caractère luxueux. Son expertise technique lui a valu d’être sollicitée pour de nombreuses collaborations artistiques, dont Wanted, Family Matter (2017) et Tableaux (2014) avec Turner.
Pour le projet Wanted, les deux artistes interprètent des annonces en vue de permettre la capture des chercheurs et des chercheuses de liberté afin de redonner vie aux personnes que Pirbhai et Turner décrivent en les transposant dans un contexte actuel. Toutefois, alors que les annonces elles-mêmes s’attachent aux caractéristiques physiques, les modèles de Pirbhai et Turner n’y correspondent pas nécessairement. En effet, ces annonces présentent parfois de manière détaillée les marques physiques – cicatrices, complexion, taille, chevelure – qui permettraient d’identifier plus facilement ces personnes. Nelson (2017) souligne ceci :
Besides the height, weight, and clothing of the fugitive, such notices regularly recounted bodily marks […] The legalization of corporal punishment within colonial law meant that the bodies of the enslaved were commonly riddled with signs of violence.
De ce point de vue, prendre en considération les marques physiques distinctives relevées dans ces écrits revient à réinscrire ces adeptes de la liberté dans leur condition d’esclave.
Par exemple, Pirbhai et Turner font deux portraits de l’homme nommé « Ishmael » à partir de deux annonces différentes, une parue le 11 mars 1784 et l’autre, le 7 juin 1788. Chacun des portraits met en scène un modèle différent malgré leur titre, Ishmael 1 et Ishmael 2. La consultation des annonces sur lesquelles sont basés ces deux portraits permet de constater que c’est la même personne étant donné les détails fournis à propos des nombreuses cicatrices de l’homme. En effet, les deux annonces mentionnent qu’Ishmael a des marques sur son visage laissé par la variole, qu’il lui manque des dents et l’extrémité d’un doigt à sa main gauche. De plus, l’annonce de 1784 sur laquelle s’appuie Ishmael 2 indique également qu’il a été récemment blessé à la cuisse par une ruade et qu’il a un air remarquablement abattu. Ces caractéristiques témoignent des conditions difficiles avec lesquelles cet homme a dû composer. De ces annonces, les artistes n’ont toutefois retenu que les brèves descriptions des vêtements qu’il portait la dernière fois qu’il a été aperçu, puisque ceux-ci font partie des rares possessions que pouvaient avoir les personnes asservies et qu’ils représentent donc peut-être leur goût personnel.
En effet, Monica L. Miller (2009 : 5) observe que de nombreux témoignages décrivent l’attachement des personnes asservies envers des accessoires et des pièces de vêtements qui leur permettent de retenir et de faire valoir leur subjectivité. De plus, l’accumulation d’accessoires et de vêtements pouvait s’avérer un outil précieux pour les chercheurs et les chercheuses de liberté afin d’incarner ce à quoi leurs aspirations les menaient. Porter et avoir en leur possession des parures ressemblant à celles des classes aisées leur permettaient de passer plus facilement comme une personne noire libre et d’ainsi parvenir à garder leur liberté. Dans cette optique, Ishmael 1 conserve le chapeau, le veston bleu marine et le gilet blanc de l’annonce d’origine et y ajoute une chemise grise, une chaînette de poche dorée ainsi qu’une cravate et un mouchoir aux motifs colorés assorti. L’homme fixe l’objectif et apparaît comme un dandy au style étudié. Dans Ishmael 2, la description reproduite sur l’oeuvre (Pirbhai et Turner 2017) mentionne « a round Hat cocked up behind and a blue silk Band, a red plush Waistcoat, a pair of blue Bath coating Leggings and Breeches in one, and a Pair of Shoes and Metal Buckles ». Dans la photographie, les hauts-de-chausses et les bas ont été remplacés par des pantalons de sport en coton. Il porte également une chemise blanche, une ample écharpe de laine grise jetée sur ses épaules, un foulard de soie de couleur lavande noué autour de son cou, deux grands colliers et une montre. Il marche sur une rive enneigée, apparaissant tel un flâneur ou un explorateur. L’air abattu remarquable a complètement disparu, tout comme les traces de cicatrices. Quoique les annonces décrivent la même personne, la réinterprétation qu’en font Pirbhai et Turner montre deux individus dont l’apparence, l’attitude et le style vestimentaire sont entièrement distincts. La mise en relation de ces deux portraits fictifs met d’autant plus en évidence que ces annonces, même si elles sont les seules sources représentant les chercheurs et les chercheuses de liberté, demeurent fondamentalement incomplètes et échouent à rendre l’individualité des personnes qu’elles décrivent. Au final, les artistes créent deux subjectivités fictives pour à la fois signaler et pallier ce manque.
Par ailleurs, quoique les deux annonces identifient Ishmael comme un homme noir, l’annonce de 1784 tente de caractériser plus précisément la couleur de son teint, le décrivant comme un mélange de noir et de cuivre. En choisissant deux hommes dont le teint est différent, les artistes soulignent à quel point cette catégorisation du teint est imposée par les Blancs. En effet, Donald L. Horowitz (1973) décrit en détail les systèmes hiérarchiques qui régnaient dans les différentes colonies des Amériques pour qualifier le degré de blancheur et des privilèges que celui-ci pouvait donner[5]. Cette hiérarchisation historique est à la base du colorisme, soit la discrimination fondée sur le teint. Comme le mentionne Margaret Hunter (2007 : 238), le colorisme se révèle indissociable du racisme :
Although all blacks experience discrimination as blacks, the intensity of that discrimination, the frequency, and the outcomes of that discrimination will differ dramatically by skin tone. Darker-skinned African Americans may earn less money that lighter-skinned African Americans, although both earn less than whites. These two systems of discrimination (race and color) work in concert. The two systems are distinct, but inextricably connected [...] Racism is a larger, systemic, social process and colorism is one manifestation of it.
Si le teint de peau a une influence sur la discrimination que les personnes noires peuvent subir et, par extension, sur leur qualité de vie, chaque sujet du projet Wanted apparaît en dehors de toutes contraintes matérielles. Peu importe leur environnement, ces chercheurs et chercheuses de liberté portent des vêtements luxueux n’ayant aucune marque d’usure, sans compter leur coiffure soignée et les nombreux bijoux qui complètent leur tenue étudiée.
Plus qu’une simple réinterprétation du passé, le projet Wanted de Pirbhai et Turner est une projection dans l’avenir de ce qui s’est produit dans le passé. Dans cette optique, ce projet s’inscrit dans la mouvance de l’afrofuturisme. Ce terme a d’abord été décrit étroitement par Marc Dery (1994 : 136) comme une tendance de la science-fiction qui s’intéresse précisément à la manière dont les personnes de couleur négocient un monde où les technologies dominent. Toutefois, le sens du terme s’est élargi pour s’inscrire dans la continuité du projet de recouvrement historique du commerce transatlantique des esclaves et de ses effets dévastateurs. Ainsi, Johnson (2020 : 18) écrit ceci :
Designed to project the mind and body into a future free from colonialism, Afrofuturistic artists, activists, and scholars look toward the critical embodiment of Afrocentric imagination in art forms such as film, music, visual art, fashion, and literature as a means of replacing presumed whiteness as authority.
Si l’aspect technologique est peu présent dans le projet Wanted, la mise en relation du passé, du présent et de l’avenir est indéniable. Pirbhai et Turner utilisent des sources historiques décrivant des individus directement victimes du système esclavagiste, mais les représentations qui en résultent font fi de tout ce qui pourrait rappeler leur état d’asservissement. Non seulement les cicatrices et les blessures issues de leur condition ont disparu, mais leur apparence générale fait état d’un confort matériel certain. Ainsi, ces personnes apparaissent libres, et les modèles sont représentés dans des moments de loisir ou d’oisiveté. Au premier regard, il est difficile de percevoir les liens entre les modèles sur les photographies et des descriptions historiques de chercheurs et de chercheuses de liberté que leur propriétaire veut retracer.
Toutefois, si l’on y regarde plus attentivement, certains éléments des photographies suggèrent la coexistence de différentes époques. Par exemple, dans la photographie Bell, une femme est debout à côté d’un téléphone public et elle fixe l’objectif. Son regard semble signifier que la prise photographique vient interrompre sa conversation téléphonique. Elle ne se sert pas du téléphone public : elle tient à son oreille un téléphone cellulaire. Quoique la photo soit datée de 2017, le téléphone qu’elle a dans les mains est beaucoup plus vieux. C’est un modèle Motorola MicroTAC commercialisé entre 1989 et 1998, alors que le modèle du téléphone public, quant à lui, est actuel. Les vêtements de Bell pourraient pareillement émuler la mode du tournant des années 1990, mais semblent également inspirés par le type de robe portée par les femmes au xviiie siècle. En effet, le corsage ajusté et les plis irréguliers de la jupe et du foulard de soie que Bell tient sur sa hanche gauche peuvent rappeler le style de la robe à la polonaise populaire dans le dernier quart du xviiie siècle (Van Cleave et Welborn 2013 : 2). Ce type de robe a par ailleurs inspiré la robe « pouf » popularisée par le designer de mode Christian Lacroix à la fin des années 1980 (Bernstein 2013). Quoique l’ensemble porté par Bell dans la photographie soit contemporain, il rappelle à la fois la mode de l’époque où l’annonce d’origine a été publiée et la période où le modèle du téléphone portable qu’elle utilise a été commercialisé. De cette manière, la photographie Bell représente une chercheuse de liberté dont l’habillement est marqué par les époques qu’elle aurait traversées.
De plus, les deux styles – la robe à la polonaise et la robe « pouf » – font référence à des vêtements luxueux portés par les femmes des classes aisées. Pourtant, l’annonce d’origine reproduite sur le site Web de l’oeuvre (Pirbhai et Turner 2017) décrit des vêtements moins coûteux, soit « a Callico Gown and Petticoat, a dress’d Cap, and a Black silk Handkerchief ». Le calicot est une étoffe de coton d’origine indienne très commune au xviiie siècle. Seul le mouchoir de soie noire pourrait être un accessoire plus luxueux. La mention de ce mouchoir dans la description de Bell laisse penser que cela pourrait être non seulement un objet important à ses yeux, et qu’elle ne s’en départirait pas, mais également que c’est le seul élément remarquable dans son habillement. En effet, une robe de calicot et un bonnet décrivent une tenue générique pour les femmes à l’époque. Dans la photo de Pirbhai et Turner, le mouchoir devient un foulard, et sa texture est analogue à celle de la robe. Le calicot se trouve ainsi remplacé par ce qui pourrait être de la soie, du satin, de la mousseline ou du taffetas, des tissus plus brillants et somptueux. Le style étudié du modèle qui incarne Bell, doublé de l’esthétique de la photographie de mode, suggère par ailleurs une réflexion sur l’industrie de la mode actuelle.
En effet, sur le site Web de l’oeuvre les deux artistes font un parallèle entre l’histoire de l’esclave et l’exploitation des travailleuses et des travailleurs de l’industrie de la mode (Pirbhai et Turner 2017) : « There are also ironies in the current hidden stories of our time paralleled in the fashion industry. Our models adorned in fashion possibility [sic] fabricated through a type of slavery. The hidden history of our times perhaps. » Le phénomène de la mode éphémère (fast fashion), stratégie ayant pour objet d’offrir des vêtements à faible prix, suivant des tendances qui changent rapidement, pour encourager les consommatrices et les consommateurs à acheter plus, ne peut exister qu’aux dépens de pratiques dommageables pour l’environnement et de la force de travail de ceux et celles qui doivent s’exécuter dans des conditions souvent inhumaines pour des salaires dérisoires (Pookulangara et Shephard 2013 : 200). Quoique le coût humain et environnemental de cette industrie soit largement connu, le secteur de la mode éphémère fait de plus en plus de profit année après année (Stringer, Mortimer et Payne 2019 : 99). Alors que les photographies sont basées sur des descriptions de personnes tenues en esclavage dans le passé, les vêtements à la mode d’aujourd’hui qu’elles ont inspirés font écho à l’exploitation humaine toujours actuelle du capitalisme néolibéral. Comme quoi bénéficier du luxe et de l’oisiveté se fait souvent en favorisant, consciemment ou non, l’exploitation. Toutefois, cette critique n’est perceptible qu’à condition de connaître le lien de cette série avec l’histoire de l’esclavagisme – soit parce que l’on voit l’oeuvre dans un contexte muséal accompagnée d’un cartel, soit parce que l’on prend le temps de visiter le site Web de l’oeuvre et de lire les informations fournies par les artistes. Dans l’optique où le projet Wanted peut être exposé sur un panneau publicitaire, il peut facilement se confondre avec la publicité dont il reprend les codes.
Les chercheuses et les chercheurs de liberté comme sujet néolibéral : le cas de la vidéo Unnamed Woman
Pour terminer, je veux examiner plus en détail la représentation de la vidéo Unnamed Woman – présentée en introduction – puisqu’elle permet d’explorer plus avant l’idéologie néolibérale dont l’industrie de la mode fait partie et dans laquelle les modèles des photographies semblent dès lors s’inscrire. Plus particulièrement, la mise en image de la vidéo Unnamed Women s’inscrit dans le discours féministe néolibéral. Catherine Rottenberg (2014 : 221-222) donne une définition de cette forme de féminisme :
Using key liberal terms, such as equality, opportunity, and free choice, while displacing and replacing their content, this recuperated feminism forges a feminist subject who is not only individualized but entrepreneurial in the sense that she is oriented towards optimizing her resources through incessant calculation, personal initiative and innovation.
De ce point de vue, le féminisme néolibéral est fondamentalement individualiste dans la mesure où chaque femme détient le pouvoir lui permettant de réussir ce qu’elle entreprend. Tout est à la portée de la femme qui y met les efforts nécessaires. En quoi la vidéo Unnamed Woman met-elle en scène une posture féministe néolibérale? Contrairement aux autres photographies du projet Wanted, l’habillement dans la vidéo Unnamed Woman apparaît en opposition avec l’endroit et l’activité qu’elle performe. Cette incongruïté est significative puisque, en surplombant le Yonge-Dundas Square, cette oeuvre occupait la place la plus visible lors de l’exposition hors les murs du projet Wanted au cours de l’été 2017. Alors que les autres oeuvres du projet sont des photographies, Unnamed Woman se présente sous la forme d’une courte séquence filmée d’une dizaine de secondes. Le regard de la femme maquillée et élégamment vêtue se porte sur l’exercice qu’elle effectue. Lorsque son mouvement est achevé, elle lève les yeux et fixe fièrement la caméra. Dans les faits, il serait difficile de terminer une séance d’entraînement en portant des sandales à talons aiguilles. Ce n’est pas un cliché pris sur le vif, mais une mise en scène étudiée. Alors que les personnes tenues en esclavage étaient contraintes d’utiliser leur force physique afin d’effectuer des tâches éreintantes et pour lesquelles les risques de blessures pouvaient être importants, cette femme choisit délibérément d’augmenter sa musculature, non par le travail, mais par une forme d’entraînement ciblée et spécialisée. À l’heure actuelle, l’entraînement est vu avant tout comme une méthode permettant de sculpter le corps plutôt que d’acquérir la force physique nécessaire à l’exécution de certaines tâches de travail. La capacité d’une personne à développer et à maintenir un corps mince perçu comme en forme et en santé amène des avantages dans la société néolibérale. Voici ce que mentionne Outi Sarpila (2014 : 304) :
The message is that we are our bodies: all appearance-related commodities are there for us so that we can be and become ourselves. In the consumer culture, how the body looks becomes even more important than how the body works or even how healthy the body is.
L’apparence physique est ainsi perçue non seulement comme le reflet des valeurs personnelles, mais également de qualités importantes du point de vue de la réussite néolibérale : contrôle de soi, persévérance, moralité. Cet aspect est particulièrement important pour les femmes qui subissent plus de conséquences négatives si elles refusent de se plier aux normes de beauté (Chollet 2015; Kuipers 2015; Kwan et Trautner 2009). Dès lors, la chercheuse de liberté sans nom s’incarne pleinement dans l’idéologie agentive néolibérale telle qu’elle se manifeste dans les discours médiatiques populaires et dans la publicité.
De plus, alors que le titre – et l’annonce sur laquelle se fonde la vidéo – ne nomme pas la personne représentée, contrairement à toutes les autres photographies du projet Wanted, les passantes et les passants peuvent reconnaître aisément Tracy Moore, animatrice de CityLine, émission « style de vie » diffusée quotidiennement sur les ondes de la chaîne torontoise CityTV. Grâce à la notoriété du modèle dans la sphère culturelle torontoise, la chercheuse de liberté anonyme s’incarne désormais véritablement dans le monde actuel. Dans un segment de l’émission du 19 juillet 2017, Moore (2017) décrit l’importance du projet et explique sa participation. Elle y révèle également que c’est elle qui a choisi de se mettre en scène dans une salle d’entraînement en plein exercice musculaire :
The reason I wanted to be in the gym is because I felt there was something very empowering about taking the message of slavery and turning it on its head and reimagining these slaves as being freed and empowered. And for me, one of the biggest signs of empowerment is strength, and that could be strength in spirit or that could be physical strength. And we all know, I absolutely love a strong body. So here I am, pumping metal, pumping iron at the gym in the clothing description of this fugitive slave and it has a lot of impact.
Ainsi, pour Moore, il est primordial d’accentuer la prise de pouvoir des chercheuses et des chercheurs de liberté qui se sont rebellés contre leur statut d’asservissement. Elle interprète et intègre cette prise de pouvoir à travers son expérience de femme noire contemporaine ayant une place de choix dans le paysage culturel torontois.
Non seulement Moore est une figure accomplie issue de la communauté noire canadienne, mais son apparence correspond aux impératifs de la beauté féminine normative. En effet, à titre de femme noire, Moore serait exclue des normes de la beauté normative traditionnelle qui mettent la blancheur, les cheveux lisses, les traits européens et la minceur à l’avant-plan. Toutefois, il est possible d’argumenter que les normes de beauté ont été élargies dans une certaine mesure, notamment grâce à l’immense popularité de figures noires et latinas défendant leur différence par rapport au canon occidental. De plus, certaines auteures remarquent que l’insistance de la critique féministe des normes de beauté à la définir uniquement sur le plan de la blancheur contribue à perpétuer les normes en ces termes et à exclure certaines représentations médiatiques et populaires non blanches (Butler 2013; Weidhase 2015).
Plus encore, les mots « NOT FOR SALE » qui apparaissent à côté de Moore contribuent à mettre en avant une interprétation féministe néolibérale, dans la mesure où elle soigne son apparence pour elle-même et non « pour se vendre ». Cette posture, largement relayée dans les publicités, reprend les discours féministes de l’agentivité. Michelle M. Lazar (2006 : 508) souligne que « part of popular postfeminist beauty empowerment is the giving of pleasure to oneself. Make-up, from this perspective, is not about looking good for men, but is about pleasure derived by women wearing it. » De ce point de vue, adhérer aux normes de beauté est présenté comme un choix individuel que Moore peut prendre en toute liberté. L’animatrice est à la fois cette chercheuse de liberté sans nom et sa digne descendante. Cette courte séquence sert à rendre visible la présence des chercheuses et des chercheurs de liberté dans l’histoire canadienne et à inscrire la féminité noire dans les représentations des normes de beauté telles qu’elles sont exposées dans la publicité. Dans ce contexte, la vidéo Unnamed Women semble embrasser les valeurs néolibérales en faisant fi des contraintes économiques, géographiques, politiques et sociales qui empêchent certaines personnes de jouir pleinement de la liberté que cette idéologie promet. En ce sens, le succès des chercheuses et des chercheurs de liberté mis en scène dans cette oeuvre et dans les autres photographies du projet Wanted apparaît également comme un succès néolibéral. Cet aspect me semble constituer une limite importante dans la critique de l’histoire contenue dans le projet de Pirbhai et Turner. En effet, le fait d’inscrire les chercheuses et les chercheurs de liberté dans une esthétique néolibérale rend complètement invisible les contraintes matérielles que ces personnes ont dû surmonter pour se dégager de leur asservissement forcé. Du même coup, les discriminations systémiques que subissent les personnes noires au Canada sont évacuées au profit d’une représentation idéalisée. Ainsi, les sujets de Pirbhai et Turner s’intègrent peut-être trop bien dans leur avenir rêvé.
Conclusion
En regard du passé trouble du Canada par rapport à l’esclavagisme, la proposition de Pirbhai et Turner constitue une réinterprétation de cette histoire en imaginant un avenir utopique à des chercheuses et à des chercheurs de liberté dont le destin demeure ultimement inconnu. Cette posture permet de les concevoir non plus comme des victimes anonymes des atrocités de l’esclavage, mais comme des individus singuliers qui ont pu mener une existence sans contrainte. De cette manière, le projet Wanted donne une part de subjectivité à des personnes que les discours de la majorité blanche a tenté d’effacer. Néanmoins, il demeure pertinent de se demander si infiltrer l’espace publicitaire de cette manière contribue véritablement à faire connaître l’histoire de l’esclavage au Canada. La récupération et la mise en image des annonces décrivant les chercheuses et les chercheurs de liberté dans le contexte du projet Wanted par Pirbhai et Turner ne s’inscrivent pas dans une visée éducative claire. Les photographies peuvent être confondues au premier coup d’oeil avec des publicités de mode. Ce n’est que par l’examen des détails ou la consultation de la page Web de l’oeuvre que l’histoire se révèle. Dans cette optique, le projet Wanted constitue une invitation à interroger le discours historique dominant par soi-même, comme quoi le rôle d’éducateur ou d’éducatrice ne doit pas incomber seulement aux personnes noires qui ont travaillé à produire l’oeuvre, artistes ou modèles. Par leur présence qui se fond plus ou moins dans la ville, ces images témoignent que cette histoire fait déjà partie du tissu social qui constitue le Canada. Il appartient à tous et à toutes de s’y intéresser.
Appendices
Note biographique
Audrey Laurin est doctorante en histoire de l’art avec concentration en études féministes à l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Sa thèse se concentre sur les discours critiques, éthiques et esthétiques élaborés autour d’oeuvres qui interrogent les représentations de la beauté féminine produites par des femmes artistes depuis 1990.
Notes
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[1]
Pour voir l’ensemble des photographies accompagnées des reproductions des annonces d’origine, consulter le site Web suivant : ago.ca/RewardWanted.
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[2]
J’emploie l’expression « personnes réduites en esclavage » afin de mettre en évidence l’aspect contraint de l’esclavagisme et de recentrer l’humanité des individus ayant subi ce statut. C’est l’une des traductions de l’expression anglaise « enslaved persons » fort courante dans la littérature anglo-saxonne sur l’histoire de l’esclavage. Dans la traduction française de l’ouvrage Policing Black Lives: State Violence in Canada from Slavery to the Present de Robyn Maynard (2018), la traductrice Catherine Ego a recours aux expressions « réduit.es en esclavage », « tenu.es en esclavage », « asservi.es » et « assujetti.es » pour rendre le terme « enslaved ». Je reprends cette traduction dans le présent article. De plus, l’emploi des termes « asservies » et « assujetties », bien que ceux-ci puissent être appliqués à d’autres contextes, suppose ici que les personnes le sont par rapport à l’esclavage. Par ailleurs, l’auteure – ou la traductrice – emploie ces expressions en faisant également usage du terme « esclave ». Étant donné que l’oeuvre de Turner et Pirbhai met en avant des individus se révoltant contre leur statut de servitude forcée, il est d’autant plus nécessaire de faire ressortir leur agentivité. Néanmoins, cette expression ne fait pas l’objet d’un consensus clair. Certaines personnes considèrent qu’elle atténue la violence de l’esclavagisme et de la dépossession qui en découle en attribuant une plus grande autonomie aux personnes tenues en esclavage que leur condition permettait en réalité. Pour un résumé des arguments autour de l’usage de ces expressions, voir Nell Irving Painter (2019) et Katy Waldman (2015).
-
[3]
Pour une histoire générale des personnes noires au Canada, se référer à Robin W. Winks (1997). Pour l’histoire de l’esclavage selon les régions, voir Frank Mackey (2010), Charmaine Nelson (2020), Marcel Trudel (1960) et Harvey Amani Whitfield (2018).
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[4]
Sur l’histoire de l’esclavage des peuples autochtones sur le territoire appelé Canada, voir Erica Neeganagwedgin (2012) et Brett Rushforth (2012).
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[5]
Nelson (2020) fait valoir que cette catégorisation n’est pas aussi précise dans les annonces publiées sur le territoire québécois : « Whereas the practice of identifying the enslaved by ethnicity persisted in Jamaica until the abolition of the slave trade in 1807, the use of the term “ Negro ” as a generic term for people of African ancestry seems to have pervaded racial discourse in Nova Scotia and Quebec. Significantly, the frequent use of the term “ Negro ” implies that White slave owners did feel it necessary to name race in such advertisements, perhaps in part to differentiate between enslaved Indigenous people (“ panis ” or “ panise ”) or Africans in Quebec. » Alors qu’en Jamaïque le terme « noir » servait à qualifier des personnes non métissées, dans le contexte canadien, le même terme aurait plutôt été employé pour distinguer les classes de personnes asservies – africaines ou autochtones. Les recherches de Nelson ayant été publiées après la création du projet Wanted, les particularités du contexte canadien peuvent toutefois difficilement entrer dans l’interprétation du projet de Pirbhai et Turner.
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