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Depuis les dernières décennies, les migrations internationales sont marquées par un phénomène de féminisation. Ce dernier doit être analysé dans une perspective féministe pour comprendre les structures sociales qui favorisent ou limitent la mobilité des femmes. En effet, les rapports sociaux inégalitaires complexifient les parcours migratoires (Freedman 2012) et sont à l’origine de plusieurs formes de violences (Hill Collins 2017). Pour les comprendre, il faut se pencher sur les discriminations, les inégalités et les stéréotypes, notamment genrés, qui incitent souvent à la naturalisation de la violence et à l’assujettissement des femmes dans leur société d’origine, dans leur expérience du passage des frontières, et une fois arrivées en sol étranger. Pour saisir ces dynamiques, dans ma recherche sur les trajectoires migratoires des Colombiennes en situation de refuge en Équateur, j’ai préconisé un cadre théorique alliant les théories féministes (Bilge 2010; Crenshaw 1989; Hill Collins 1991) et le concept de continuum des violences (Kelly 1987 et 1988). L’analyse des récits de vie recueillis auprès des personnes qui ont fait une demande d’asile ou qui sont en situation de refuge met en évidence l’importance des discriminations qu’elles vivent en emploi. Dans le présent article, j’analyserai donc la façon dont l’enchevêtrement des différents systèmes d’oppression participe à l’exacerbation des violences dans le domaine spécifique du travail. Après avoir brièvement présenté le contexte qui mène des personnes originaires de la Colombie à chercher refuge en Équateur de même que les bases théoriques et méthodologiques de mon analyse, j’illustrerai la manière dont les rapports inégalitaires qui se manifestent durant leur migration influent sur l’accès au travail, le cantonnement dans des emplois historiquement féminins, précaires et dévalorisés, sans oublier l’exposition à différentes formes de violences.

Des personnes en situation de refuge : le contexte colombo-équatorien

Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (United Nations High Commissioner for Refugees ou UNHCR), l’Équateur est le pays latino-américain accueillant le plus grand nombre de « personnes en situation de refuge[2] ». Cette expression englobe toutes les personnes qui se trouvent dans une quelconque situation de refuge, qu’elles aient ou non amorcé leur processus de demande d’asile et que celui-ci se soit soldé positivement ou négativement. La catégorie ainsi précisée permet de prendre en considération tous ceux et celles qui ont besoin de protection internationale, indépendamment de la reconnaissance légale qui leur est accordée. Une telle définition s’insère de manière cohérente dans l’approche féministe retenue pour la réalisation de ma recherche qui avait pour objet d’examiner les expériences subjectives des Colombiennes en situation de refuge en Équateur.

De 1989 à 2016, ce sont 233 049 personnes qui ont cherché refuge en sol équatorien (ACNUR Ecuador). La grande majorité de celles-ci viennent du pays voisin, la Colombie, affligé par un conflit politico-militaire interne parmi les plus longs et les plus meurtriers au monde. Officiellement reconnu depuis 1985, ce conflit a des origines qui remontent à plus de six décennies. Quelque six millions de Colombiennes et de Colombiens ont donc été forcés de se déplacer à l’intérieur de leur propre pays ou de chercher refuge dans un autre pays pour fuir les violences perpétrées par les acteurs du conflit (UNHCR 2015 : 9). La complexité du conflit colombien réside notamment dans la diversité de ses protagonistes. Toutefois, chacun des acteurs ‒ les guérillas, les paramilitaires, les narcotrafiquants et l’État ‒ participe à la création d’un contexte violent dont les effets sont différenciés selon les sexes. Dans cette optique,

[l]a logique guerrière, au sein de laquelle la culture patriarcale trouve son expression la plus violente dans le militarisme, ne fait qu’approfondir le contrôle et la domination sur les corps des femmes, limitant leur liberté et leur autonomie. Non seulement dans le cadre du conflit armé, mais dans tous les espaces où les femmes vivent, entrent en relation et se mobilisent.

RPM 2013a : 30

Les chercheuses de la Ruta Pacífica de las Mujeres (RPM 2013a et 2013b) ont dévoilé, en se basant sur plus de 1 000 témoignages, que les pertes matérielles, la torture physique, psychologique et sexuelle, ainsi que les exécutions extrajudiciaires sont différenciées selon l’appartenance ethnique, l’origine géographique et l’âge des femmes. Alors que le harcèlement, les menaces et la destruction ou la perte de biens matériels sont particulièrement mentionnés par les femmes âgées de 30 à 59 ans de toutes appartenances ethniques, ce sont les femmes se désignant comme Métisses et Afrodescendantes qui relatent la majorité des attentats à leur liberté, tels que les détentions forcées, les prises d’otage et les recrutements forcés (RPM 2013b : 28-29). Ces derniers illustrent bien la façon dont l’intersection des rapports sociaux inégalitaires exacerbe les violences dans le contexte conflictuel colombien. Le recrutement, particulièrement par les guérillas et les narcotrafiquants, sera différencié selon l’âge dans la mesure où l’on favorisera la jeunesse des recrues et le genre, alors qu’est reproduite la division sexuelle du travail découlant des stéréotypes machistes[3].

L’exacerbation, la multiplication et l’inévitabilité des violences dans le contexte du conflit colombien poussent les femmes dans une situation de non-choix. Lorsque rester en sol colombien devient trop risqué, entreprendre un processus migratoire et de demande de refuge et d’asile s’impose. La période de déplacement, qui débute par la décision ou l’obligation de migrer et s’étend jusqu’à l’arrivée dans le pays où sera demandé l’asile, est de courte durée, mais chargée en tensions. Durant cette période, en plus des violences physiques, la violence institutionnelle devient systématique au moment où les déplacées entrent dans le processus administratif de demande de légitimation de leur statut de réfugiée. Leur dernière étape migratoire est aussi marquée par une multitude de manifestations violentes, notamment en ce qui a trait au domaine du travail. Ces violences s’inscrivent dans un continuum qui subit l’influence des rapports sociaux inégalitaires.

L’intersectionnalité pour aborder le continuum des violences

Pour comprendre l’incidence des systèmes d’oppression sur les expériences migratoires des Colombiennes en situation de refuge, il importe d’analyser l’imbrication de ceux-ci ainsi que leurs effets sur l’exacerbation des violences genrées. Je propose donc une approche intersectionnelle qui tient compte des différentes dimensions du vécu des personnes en situation de refuge. Chaque rapport social comporte ses particularités et contribue à la configuration des autres systèmes de domination. Dans cette perspective, selon Elsa Galerand et Danièle Kergoat (2014 : 54), « [l]es relations qui les unissent les uns aux autres peuvent ainsi être comprises non plus comme des relations hiérarchiques de surdétermination, mais comme des relations réciproques de co-construction : les rapports sociaux se réorganisent et se recomposent mutuellement ». Conséquemment, la prise en considération de leur consubstantialité (ibid.) est nécessaire à la compréhension des particularités genrées qui participent à l’émergence du continuum des violences.

En remettant en question la hiérarchisation des rapports sociaux, l’intersectionnalité permet d’analyser leurs interrelations. Cette approche opère à deux niveaux (Bilge 2010 : 60) : au niveau microsocial, l’intersectionnalité se penche sur les effets des structures inégalitaires sur la vie des personnes; au niveau macrosocial, elle encourage un questionnement sur la façon dont les systèmes de pouvoir sont impliqués dans la production, l’organisation et le maintien de ces inégalités.

L’analyse féministe des trajectoires migratoires favorise la remise en question des rapports sociaux inégalitaires participant à l’inclusion ou à l’exclusion de certains individus dans les processus migratoires (Mahler et Pessar 2006). Ces inégalités sociales limitent les possibilités de migration et conditionnent les étapes de déplacement et de refuge. À l’instar de Madeline Lamboley et autres (2014 : 132), je considère que

[t]ous ces systèmes d’oppression que sont le patriarcat, l’hétérosexisme, le capitalisme, la suprématie blanche et l’âgisme, dépendamment du positionnement social de la personne […], viennent nécessairement colorer les composantes de son identité. En contexte de migration, la société d’accueil vient renforcer ou confronter ces différents systèmes d’oppression.

Le recours à l’intersectionnalité dans l’analyse des trajectoires migratoires permet de comprendre la complexité inhérente à la coconstruction des rapports de pouvoir. Sont ainsi exposés les effets imprévisibles de leur articulation (Bilge 2010 : 45) sur l’expérience des femmes en situation de refuge, notamment les violences genrées.

Les différentes formes de violence à chacune des étapes migratoires ne sont ni statiques ni exclusives, et elles se combinent, se transforment et se multiplient. Comme le soulève Maryse Jaspard (2005 : 8) en se reportant précisément aux violences contre les femmes, celles-ci « s’exercent dans les contextes privés (famille, couple) ou publics (travail, école, espaces collectifs). De nature verbale, psychologique, physique ou sexuelle, les violences se manifestent au travers de paroles, de comportements, d’actes, de gestes. Elles peuvent être institutionnelles ou interpersonnelles ». La violence, concept polysémique (Héritier 2005), est un objet de recherche qui, dans ses diverses formes complémentaires et compatibles théoriquement, peut « englober une portion indéfiniment extensible du comportement humain » (Beaucage 2008 : 14).

Outre qu’elles s’amalgament aux autres axes de différenciation sociale, tels que l’âge, l’ethnie, le capacitisme, l’orientation sexuelle ou la classe sociale, les caractéristiques vulnérabilisantes liées au genre se dévoilent dans le continuum des violences basées sur le genre. La sociologue féministe Liz Kelly insiste, dès la fin des années 80, sur l’importance d’utiliser le concept de continuum afin de comprendre les multiples facettes de la violence. Selon le domaine d’expertise et l’objet d’étude, les recherches intégrant le concept du continuum des violences vont le définir et y avoir recours de façons diverses. Toutefois, elles se rejoignent sur l’idée de ne pas considérer le passage d’une violence à une autre comme un processus linéaire ou hiérarchique. La majorité des spécialistes faisant appel au continuum mettent plutôt l’accent sur la non-hiérarchisation des violences (Cockburn 2004; Kelly 1988; Scheper-Hughes et Bourgois 2004). Dans cette perspective, afin d’aborder la complexité des violences genrées, j’estime nécessaire d’examiner leurs diverses manifestations et l’inscription multiforme de chacune d’elles dans le social. Ainsi, dans le continuum des violences genrées que j’ai élaboré (Auclair 2016), les violences étudiées (notamment les violences directes, physiques, sexuelles, psychologiques, intrafamiliales, symboliques, culturelles, structurelles et institutionnelles, ainsi que le féminicide) ne sont pas hiérarchisées, mais plutôt envisagées comme différents aspects d’une réalité marquée par les rapports sociaux inégalitaires.

Plutôt que d’être axé sur une forme de violence exclusivement, le continuum met en évidence les liens entre les différentes manifestations violentes dans la vie des femmes et leur corrélation avec le pouvoir patriarcal. À noter que le concept de continuum a pour objet d’approfondir l’analyse et de préciser les actions à entreprendre. En outre, son utilisation dans une perspective féministe exige une harmonisation théorique et empirique par la prise en considération de l’opinion et du vécu des femmes elles-mêmes. En plus du fait d’être pertinent théoriquement, le continuum se révèle un outil inestimable pour comprendre les expériences violentes non pas comme des événements qui sont isolés, mais qui s’inscrivent plutôt dans le panorama général de la violence faite aux femmes et des violences de genre (Kelly 1988; Auclair 2016).

Une démarche méthodologique basée sur la théorie de la connaissance située

Le cadre d’analyse féministe préconisé dans ma recherche a été mis en oeuvre dans une démarche méthodologique qui fait appel à la théorie de la connaissance située (Hill Collins 1991; hooks 1984). Cet ancrage m’a permis en effet d’accéder aux manifestations des effets structurels des rapports sociaux de sexe dans les parcours individuels des personnes interrogées. Je me suis servie des outils de collecte de données[4] qui s’appuient particulièrement sur les récits de vie et les entretiens semi-dirigés, et ce, pour documenter des expériences individuelles en les contextualisant. Cela m’a ainsi permis d’aborder les niveaux macrosocial et microsocial (Bilge 2010) et leur interrelation.

Dans leurs écrits, les chercheuses féministes spécifient que la recontextualisation des trajectoires doit faire participer les personnes visées par la recherche et les amener à exprimer leur propre vision des violences qui caractérisent leurs parcours (voir notamment Patricia Hill Collins (1991), Sandra Harding (2009) et bell hooks (1984)). Outre qu’elle donne une voix à celles qui n’en ont généralement pas, la théorie de la connaissance située permet la visibilisation et la reconnaissance de toute personne en tant qu’agent social ou agente sociale dont les points de vue et les expériences s’inscrivent dans un contexte social, culturel et historique donné. La reconnaissance de la dimension construite des savoirs situés correspond ainsi à une posture théorique « politique et non ontologique » (Dorlin 2008 : 19).

Les récits de vie sont ici reconnus comme une forme de savoir qui ne peut être transmise que par les personnes ayant elles-mêmes fait l’expérience des événements racontés; ils constituent la pierre angulaire de la réflexion. J’ai recueilli 22 récits de vie avec autant de personnes en situation de refuge ayant franchi les trois étapes de leur trajectoire migratoire, afin qu’elles racontent, dans leurs mots et depuis leur vision, leur histoire personnelle. Une diversité en fait d’appartenance ethnique, d’identité de genre, d’orientation sexuelle et d’âge était recherchée durant le recrutement. L’échantillon ainsi constitué compte 20 femmes hétérosexuelles, un homme homosexuel et un transgenre. Concernant l’origine et l’appartenance ethnique, 20 personnes sont d’origine colombienne : 2 se disent Blanches, 13 Métisses, 3 Afro-Colombiennes et 2 Autochtones. S’y ajoutent 2 personnes qui viennent d’un pays autre que la Colombie et qui s’identifient à la population blanche. Bien que l’objectif de ma recherche ait porté sur les trajectoires des Colombiennes en situation de refuge, le désir de certaines personnes qui ne correspondaient pas aux critères initiaux de participation de raconter leur parcours migratoire s’est révélé très pertinent dans la mesure où chacun de ces échanges m’a permis d’approfondir ma réflexion sur différents aspects de la recherche, particulièrement dans le cas de l’étape de refuge en Équateur.

Par ailleurs, 17 des 22 personnes interrogées avaient des enfants, 12 d’entre elles étaient des mères monoparentales, alors que les 5 autres étaient en couple au moment des entrevues. De celles-ci, 2 étaient en couple avec le père des enfants, avec qui elles avaient effectué leur trajectoire migratoire, alors que les 3 autres étaient dans une nouvelle relation ayant débuté en Équateur. L’âge des personnes interrogées est également diversifié, allant de 12 à 62 ans au moment de l’entrevue, avec un âge moyen de 37 ans. Finalement, 16 personnes s’étaient vu accorder le statut de « personne réfugiée », après un processus allant de quelques mois à plusieurs années, alors que les 6 autres étaient toujours en attente d’une réponse.

Les données recueillies individuellement constituent le coeur du matériel pour l’analyse. Il est toutefois primordial de considérer ces histoires individuelles dans leur contexte macrosocial (Sokoloff 2008). Les entretiens semi-dirigés auprès de professionnelles et de professionnels travaillant dans le domaine du refuge et des violences faites aux femmes ainsi que les notes de terrain que j’ai prises lors de l’observation participante sont venus alimenter la réflexion amorcée grâce aux récits et m’ont fourni les éléments contextuels complémentaires pour préciser le contexte social.

Après la transcription des entretiens, j’ai procédé à leur codification. Les catégories et les codes de départ ont été constitués à partir des éléments retenus pour l’analyse (rapports sociaux inégalitaires, types de violences et étapes migratoires); les codes ayant émergé dans les discours recueillis ont été ajoutés au fil du processus de codage. J’ai ensuite rétabli les « lignes de vie » en divisant la trajectoire en trois étapes (prédépart, déplacement et insertion dans le pays d’accueil), en repérant les événements critiques susceptibles de coïncider avec la production ou la transformation des manifestations de violence. Cette catégorisation m’a menée à ce que Pierre Paillé (1994) nomme l’« étape de mise en relation », que j’ai combinée avec la méthode comparative proposée par Blandine Veith (2004). La comparaison des récits, catégorie par catégorie, a fait ressortir les récurrences et les différences dans les logiques individuelles et collectives (Eastmond 2007). Comme l’a montré Veith (2004 : 59),

c’est en analysant la cohérence interne à chaque récit, en les comparant, qu’il est véritablement possible de traiter de la complexité du social, d’explorer les dynamiques contradictoires des sociétés contemporaines en essayant de sortir des oppositions dichotomiques, d’articuler reproduction et transformation, déterminismes sociaux et logiques des acteurs, individuation et individualisation.

La mise en relation et l’utilisation des méthodes comparatives m’ont aussi permis une analyse à double niveau : au niveau micro, par l’analyse des trajectoires individuelles; et au niveau macro, donc à l’échelle des structures autant sociales qu’organisationnelles. Cette analyse m’a permis de comprendre dans quelle mesure les violences directes et indirectes ont influé sur la décision de migrer, et de déterminer quelles violences se sont produites durant les étapes de déplacement et d’insertion dans le pays d’accueil.

Les résultats

Avant leur déplacement forcé, le quotidien des personnes interrogées a été marqué par diverses violences. Or, malgré l’espoir d’une vie meilleure, la vie dans le pays d’accueil n’en est pas exempte. Un des éléments ressortant de façon récurrente dans la partie des récits qui s’intéresse à la troisième étape migratoire est sans contredit la discrimination. Cette dernière se décline sous plusieurs formes en engendrant tout autant de violences, notamment dans le domaine de l’emploi. Pour les Colombiennes en situation de refuge en Équateur, les difficultés liées à la recherche d’un travail, et plus encore s’il offre des conditions avantageuses, sont exacerbées par différents facteurs, dont leur statut migratoire, leur appartenance ethnique, leur sexe et leur âge. Tous ces facteurs sont mentionnés comme sources de discrimination à l’embauche et comme motifs d’exploitation une fois l’emploi obtenu.

Les discriminations dans l’accès au travail

En situation de refuge, le statut migratoire détermine le droit ou non de travailler. Les personnes reconnues comme réfugiées ont les mêmes droits, en fait de législation du travail, que les citoyennes et les citoyens équatoriens. Il n’en va pas de même pour les personnes présentant une demande d’asile qui, soumises à une réévaluation de leur dossier tous les trois mois, se trouvent toujours dans une situation incertaine et précaire. Par ailleurs, celles qui demeurent dans le pays à la suite de la négation du statut de « personne réfugiée » sont évidemment dans une situation d’illégalité, ce qui complexifie davantage l’accès à un emploi décent. Néanmoins, bien qu’avoir des documents officiels en règle puisse faciliter l’accès à l’emploi, cela ne garantit pas le respect des droits et la protection contre les violences au travail.

Le non-respect des dispositions protégeant les personnes réfugiées est mentionné tant par les professionnelles et les professionnels que par les personnes en situation de refuge rencontrées dans ma recherche. Bien que certaines d’entre elles dénoncent les attitudes discriminatoires intentionnelles de la part de fonctionnaires, de spécialistes ou de personnes-ressources ou encore d’employeurs ou d’employeuses, d’autres soulignent plutôt la méconnaissance des politiques, des lois et de la procédure par ceux et celles qui devraient les appliquer. Les propos de Cecilia[5] sont révélateurs de cette problématique lorsqu’elle mentionne qu’il est difficile, en situation de demande d’asile ou de refuge, de bien comprendre les étapes procédurales alors que « les fonctionnaires mêmes sont mélangés. Les uns disent qu’avec ce papier tu peux travailler, tu viens pour travailler et on te dit que non… »

L’accès au travail se voit limité en raison des hésitations des employeurs ou des employeuses qui ne veulent pas investir dans une personne dont le statut est incertain. Par exemple, même avec un document attestant son statut de demandeuse d’asile, Rita est toujours dans une situation précaire. Comme elle le mentionne, les personnes dans cette situation peinent à trouver un emploi : « C’est déjà difficile avec le carnet officiel. Avec cette petite feuille [qui mentionne que ton dossier est en révision], personne ne t’engage. »

La peur d’un jugement négatif ou de la discrimination au moment de chercher du travail est indiquée par l’ensemble des participantes et des participants. Katia mentionne à propos des entretiens d’embauche : « J’y vais automatiquement avec la peur de la façon dont ils vont me recevoir. Je me demande comment vont être les gens, s’ils aiment les Colombiens, quelle idée ils ont de nous. Tu dois te rendre là prédisposée parce que c’est toujours tendu. » Cette tension, selon elle, est attribuable en partie à la discrimination inhérente à la xénophobie qui touche les personnes d’origine colombienne en Équateur. Discrimination qui sera exacerbée par le fait d’être une femme, plus encore une demandeuse d’asile.

Additionné au racisme et au sexisme, l’âgisme rend particulièrement difficile la recherche d’un emploi. Norma explique ceci :

Ici, quand on cherche du travail, on se fait beaucoup discriminer… La première chose, c’est dommage, mais quand ils voient que tu es Colombien, ils pensent que tu voles, que tu vends de la drogue. Mais c’est encore plus difficile pour une femme. Une fois, je suis allée offrir mes services comme gardienne d’enfants. Quand la dame m’a vue, elle m’a dit qu’elle avait besoin d’une jeune personne pour s’occuper de la petite.

Pour cette femme de 62 ans qui a pris soin de ses enfants et de ses petits-enfants avant de devoir fuir son pays, il est difficile de voir la logique derrière cet argument. En raison de son âge, Norma se voit refuser des emplois peu qualifiés, dans des domaines où elle a pourtant gagné sa vie dans son pays d’origine. Avec un certain fatalisme, Norma précise ce qui suit :

« La plupart du temps, à l’âge que j’ai, ils ne veulent pas m’engager. Ils ne me donneront jamais de travail. »

Les femmes en situation de refuge ayant passé le cap de la mi-trentaine font état de ce problème. Amanda éprouve beaucoup de difficultés à trouver un emploi, ce qu’elle associe à son âge :

L’autre jour, une amie m’a dit d’aller donner mon nom comme couturière. Je sais quand même coudre, alors j’y suis allée. La première chose que l’homme m’a demandée, c’est mon âge. Quand je lui ai dit que j’ai 43 ans, il m’a dit de partir parce qu’ils engagent seulement des jeunes filles de 17 ou 18 ans. Je sais que j’ai plus de 40 ans, mais est-ce que ça veut dire que je ne vaux plus rien?

Ce refus d’embauche et cette dévalorisation en raison de son âge, Amanda a dû y faire face à plusieurs reprises. Elle insiste sur le fait que c’est un critère majeur de discrimination et qu’il est sexospécifique. Elle spécifie que, dans toute demande d’emploi, l’âge de la candidate est le premier critère évalué. À ses yeux, c’est « une question d’apparence physique parce que ce qu’ils veulent vendre, c’est l’image. Maintenant, à partir de 35 ans, c’est comme si les femmes sont inutiles. » La discrimination repousse donc les femmes dans des secteurs d’emplois précaires et informels, et les oblige également à se soumettre à de mauvaises conditions. Amanda s’est d’ailleurs vue dans l’obligation d’accepter un emploi où elle reçoit « moins de la moitié du salaire minimum… Mais j’ai dû accepter. Ce n’est pas que je cherche un travail facile, c’est que je dois travailler pour soutenir mes filles. On fait donc ce qu’on peut pour s’en sortir. »

S’il est vrai que les personnes en situation de refuge qui intègrent le marché du travail sont souvent aux prises avec des obstacles liés à la dévalorisation de leurs expériences professionnelles et à certains niveaux de discrimination, celles qui n’y accèdent pas sont encore plus susceptibles d’être isolées et de souffrir en silence. L’isolement revient d’ailleurs de façon récurrente dans les propos. Le fait de perdre leurs repères et leurs réseaux de soutien ainsi que de ne pas maîtriser les codes sociaux du pays où elles s’installent place ces personnes dans une situation de vulnérabilité à la violence. Toutes les femmes m’ayant fait part de leur récit de vie dans le contexte de ma recherche parlent de la solitude qu’elles vivent comme une forme de violence difficile à accepter, une violence sournoise qui imprègne le quotidien.

Le cantonnement dans des emplois précaires et dévalorisés

Indépendamment des diplômes obtenus en Colombie, la majorité des personnes en situation de refuge en Équateur se trouvent cantonnées dans les secteurs de la vente, notamment ambulante, la restauration et les emplois journaliers[6]. Les Colombiennes et les Colombiens sont reconnus pour leur entregent et leurs compétences en matière de service à la clientèle. Si cela peut donner l’impression que de tels atouts leur permettront d’accéder au marché du travail, la réalité se traduit plutôt en discriminations qui viennent nourrir l’exploitation. En ce sens, Carlos Ernesto García Ortega et Óscar Raúl Ospina (2012 : 130) présentent des statistiques montrant la précarité à laquelle les personnes en situation de refuge font face, alors que 90 % de celles qui occupent un emploi sont uniquement liées à la personne qui les engage par un accord verbal. Les difficultés à obtenir un emploi les poussent souvent à accepter cette absence de protection contractuelle, situation dont profitent plusieurs employeurs et employeuses. L’informalité et l’absence de contrat ouvrent ainsi la porte à nombre d’abus.

En outre, les pratiques qui découlent de la socialisation genrée et de la division sexuelle du travail renforcent la naturalisation des compétences dites féminines en matière de soin. De telles pratiques ont comme effet à la fois de cantonner les femmes dans certains secteurs et de dévaloriser les tâches traditionnellement féminines. Ces pratiques inscrites dans le système patriarcal se manifestent dans toutes les sphères de la vie, mais sont particulièrement à l’oeuvre dans le monde du travail. La socialisation genrée, y compris la responsabilisation et l’abnégation maternelles, fait que les femmes seront plus enclines à accepter des emplois sous-valorisés et moins rémunérés, qui ne correspondent pas à leur formation et à leurs aspirations professionnelles (Camacho 2009). C’est avec regret que Paola précise que, malgré ses études et son expérience, elle peine à trouver un emploi en raison de son statut : « J’ai toujours étudié… mais pour rien. À quoi ça me sert? En Colombie, j’avais beaucoup de possibilités d’emploi, mais ici non. C’est parce que je suis réfugiée et ils te font toujours des problèmes pour ça. » Pour sa part, Martha, dont le travail et la carrière étaient prioritaires en Colombie, raconte :

Ça a été difficile pour moi de passer d’être une secrétaire à travailler dans un restaurant… à travailler fort, comme femme de ménage. Les premières années, j’ai beaucoup pleuré parce que je sentais que j’avais perdu mon temps, que j’avais étudié pour rien. Être si mal rémunérée. Je sentais que j’avais échoué.

Celles qui accèdent au marché du travail sont généralement reléguées à des emplois dits féminins, dont les conditions sont précaires et où elles souffrent de discriminations. Cette situation est aggravée en raison de leur statut migratoire, de leur âge, de leur appartenance ethnique ou de leur identité de genre. Accéder au marché du travail peut signifier, pour certaines, une double ou une triple exploitation. Des intervenantes que j’ai interrogées observent l’exacerbation des cas de violences intrafamiliales chez plusieurs couples en situation de refuge pour lesquels la trajectoire migratoire a signifié un déclassement économique du conjoint. Dans les cas où les offres de travail pour les domaines traditionnellement féminins sont plus nombreuses, l’accès à l’emploi des femmes génère un bouleversement des rôles genrés au sein du couple, surtout lorsque la femme devient la seule pourvoyeuse de la famille. Cette situation s’inscrit en opposition aux diktats patriarcaux et, dans la situation de refuge déjà tendue, peut venir exacerber les tensions et générer des violences. Gloria raconte : « Mon partenaire, il a toujours fait tout ce qu’il pouvait pour nous. Il a toujours travaillé. Depuis qu’on est ici, il est entré dans une dépression et il a de la difficulté à trouver un emploi. Il est devenu agressif, je ne l’avais jamais vu comme ça. » Martha vit une situation similaire : « Mon conjoint a vécu beaucoup de discriminations et il a décidé de quitter son travail parce qu’il était fâché avec eux. Il a été violent… j’ai eu peur. » Ces attitudes agressives et violentes chez leur conjoint sont attribuées, par les participantes, à la difficulté qu’ont certains hommes à s’adapter au nouveau contexte et à accepter la dévalorisation sociale qui le caractérise.

Dans une construction culturelle genrée où les femmes sont prêtes à se sacrifier pour subvenir aux besoins des leurs, celles qui se trouvent en situation de refuge sont plus souvent enclines à accepter quelque emploi que ce soit dans le pays d’accueil. Malheureusement pour elles, cela les place en situation de vulnérabilité par rapport aux violences et à l’exploitation.

Les violences et l’exploitation : la réalité du travail en situation de refuge

Les citoyennes et les citoyens équatoriennes peuvent souffrir d’injustices au travail, qui se manifestent dans la réduction des salaires, les abus, les renvois injustifiés, mais les personnes en situation de refuge, particulièrement celles dont la situation est irrégulière, sont encore plus vulnérables devant la précarité. Certaines ont vécu des violences verbales, physiques, sexuelles et de l’exploitation. Toutes associent ces violences au fait de venir de la Colombie. Les propos de Rita rejoignent ceux de plusieurs de ses compatriotes qui ignoraient, avant leur arrivée en Équateur, la portée de ces stéréotypes : « J’ignorais que les Colombiens avaient une si mauvaise réputation à l’étranger. Une réputation de narcos et de prostituées. Je n’aurais jamais pensé qu’il y avait autant de discrimination. Ici, on a la même langue, on est presque des pays… frères. » La stigmatisation liée au conflit de même que les stéréotypes sexualisant les Colombiennes sont généralisés. À ces éléments viennent s’ajouter les facteurs rattachés à l’appartenance ethnique, à l’âge, à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre.

Avec l’accumulation des violences, l’impunité soutenue par les stéréotypes genrés et transphobes a marqué le point de non-retour pour Leo. Après un déplacement complexifié par le fait que ses papiers d’identité ne correspondent pas à l’image qu’il projette, Leo arrive apeuré à Quito. Il entreprend le processus de demande de refuge et tente de trouver un emploi lui permettant de refaire sa vie, dans un endroit où il espère pouvoir être lui-même, sans être discriminé ni violenté. Lors de l’entrevue pour l’obtention du statut de réfugié, Leo indique la discrimination sexuelle comme motif de persécution pour justifier le besoin de protection internationale. Plusieurs mois plus tard, il a toujours le statut de demandeur et est en attente d’une réponse positive. Durant ces mois, Leo cherche assidûment du travail, mais il déplore le fait que, « de petits emplois en petits emplois, on t’exploite ». Après de longues recherches, Leo trouve un emploi dans un hôtel. Le gérant lui offre de travailler contre le gîte et la nourriture. Si cette proposition semble intéressante de prime abord, elle se révèle rapidement malhonnête. Leo doit être disponible 21 heures par jour, ce qui l’empêche de trouver un autre emploi rémunéré, perpétuant le cercle vicieux de l’exploitation et des violences.

Pour sa part, Martha raconte un épisode de discrimination vécu dans le contexte de son premier emploi en sol équatorien. Alors qu’elle travaillait comme gardienne d’enfants dans une maison privée, des enfants du voisinage étaient souvent présents et leur soin s’ajoutait à sa tâche. Martha n’ayant que peu ou pas de contact avec les parents, outre ceux qui l’avaient engagée, plusieurs ne la connaissaient pas. Au terme d’une journée de travail, une voisine venue chercher sa fille rencontre Martha et s’exclame devant elle : « Les Colombiens nous envahissent! Je ne les supporte plus! Une Noire en plus! » Sous le choc, Martha lui demande comment le fait d’être Colombienne et Afrodescendante pourrait avoir une influence sur sa capacité à faire son travail. La voisine en question lui coupe la parole en la menaçant de la dénoncer aux autorités migratoires. Peu de temps après cette agression verbale, Martha se voit dans l’obligation de chercher un nouveau travail.

En plus de l’identité de genre et de l’appartenance ethnique, l’âge de la personne à la recherche d’un emploi aura une influence certaine sur ses chances de succès. Le fait d’être considérée comme jeune est un facteur positif d’employabilité, particulièrement si la personne correspond aux critères de beauté associés à la féminité. Toutefois, trouver un travail ne signifie pas que les conditions en seront enviables. Amanda raconte comment sa fille, âgée de 20 ans, était initialement heureuse d’avoir obtenu un emploi comme serveuse dans un restaurant. Cet emploi lui permettrait non seulement d’appuyer sa mère financièrement, mais aussi de poursuivre ses études. Peu de temps après son entrée en poste, les avances de son supérieur ont commencé de façon subtile, pour graduellement devenir insistantes. Le refus de ces avances a été lourd de conséquences. Amanda raconte ce qui suit à propos de sa fille :

[Le gérant] a commencé à l’inviter à sortir avec lui. Il a commencé à la harceler. Comme elle refusait […], il a commencé à la maltraiter, à lui dire des choses déplacées, à essayer de la forcer. Et elle restait parce qu’elle disait avoir besoin de travailler. Mais il la traitait tellement mal qu’elle a dû partir.

Sans recours, la jeune femme a été forcée d’accepter un nouvel emploi, dans lequel les abus prennent une autre forme. Après un mois de travail, alors qu’elle devait recevoir son premier salaire, sa supérieure lui a annoncé qu’elle n’était pas en mesure de la payer tout de suite, en déclarant de façon évasive : « Je vais vous payer, je vais vous payer. » Toutefois, elle ne l’a jamais fait : « [Ma fille] a donc dû quitter cet emploi aussi. Des fois, on sait qu’on est exploitée, tu sais que ce n’est pas ce que tu mérites, mais tu n’as pas d’autres choix » (Amanda). Ce cas de figure est plutôt répandu. Claudia, comme la majorité des participantes et des participants, a travaillé pour ensuite se voir refuser son salaire. Elle raconte :

La propriétaire avait l’habitude de prendre des Colombiens dans le besoin et de ne pas les payer. Des personnes avec des papiers, en plus! Mais il n’y avait aucune mesure pour réclamer. C’est qu’ici les Colombiens font plus d’heures que les Équatoriens et ils ne nous payent pas… ils nous discriminent. C’est vrai qu’il y a beaucoup de Colombiens qui ont fait des mauvais coups… mais à cause d’eux on paie tous, on est tous maltraités.

Pour Daniela, l’exploitation, facilitée par sa situation d’illégalité, a duré huit mois. Chaque semaine où elle devait recevoir son salaire, la propriétaire du restaurant où elle était employée lui répondait ne pas avoir d’argent : « Et pourtant, elle vendait bien. Mais elle me disait que, comme j’étais là en tant que touriste et que je n’avais pas de papiers, pas de visa de travail ni rien… elle faisait ce qu’elle voulait avec nous. » Daniela se sentait prisonnière. En plus de la précarité financière, les menaces de sa patronne nourrissaient sa peur d’être déportée. Elle restait donc enfermée durant des mois, jusqu’à ce qu’elle n’en puisse plus : « Un jour, je me suis dit que je ne devais pas me laisser exploiter comme ça… mes mains étaient tellement enflées, enflées et pleines de coupures à cause du travail. Je devais partir de là. »

Pour celles qui sont mères, surtout à la tête d’une famille monoparentale, l’exploitation s’appuie également sur la nécessité de disposer d’un horaire flexible leur permettant d’assurer le soin à leurs enfants. En ce sens, Claudia mentionne que, bien qu’il soit difficile, son travail informel lui convient pour le moment, car il lui permet de donner le nécessaire à ses enfants, à qui elle consacre tout le reste de son temps et de son énergie. « Je vends des sacs de poubelles, c’est un horaire flexible. Je n’ai personne pour m’aider à prendre soin de mes filles, les envoyer à l’école… Et comme j’en ai quatre, c’est comme un travail en soi. Prendre soin des filles, leur faire à manger, nettoyer la maison. » Les limites imposées par la multiplication des responsabilités, notamment maternelles, ainsi que les différentes formes de discrimination à l’embauche obligent les femmes à accepter des conditions de travail les maintenant dans la précarité.

Il est possible d’établir des liens entre les différentes formes de discrimination qui se nourrissent et génèrent un cercle vicieux de violences. Éprouvant des difficultés à trouver un emploi, encore plus rare un emploi stable et bien rémunéré, les personnes en situation de refuge peinent à réunir les preuves de leur capacité à payer mensuellement la location d’un logement. Le manque de ressources pour couvrir les besoins quotidiens implique l’incapacité à économiser le montant de garantie demandé au moment de la signature du bail. D’autre part, notamment en raison des stéréotypes basés sur l’âge, l’appartenance ethnique et l’identité de genre, l’isolement dans lequel se trouve une grande partie des Colombiennes en situation de refuge freine la création de liens et de réseaux de soutien. Cela participe à la reproduction du continuum des violences qui caractérise leur trajectoire migratoire.

Conclusion

La division sexuelle de l’espace et du travail, inhérente aux rapports sociaux inégalitaires, se manifeste de façon spécifique en situation de refuge par le truchement de pratiques discriminantes et violentes. Les discriminations vécues par les personnes originaires de la Colombie en situation de refuge en Équateur sont multiples et surviennent dans tous les espaces occupés par celles-ci. Cependant, les discriminations auxquelles elles doivent faire face en emploi constituent une forme de violence qui contribue de manière très marquée à les maintenir dans des situations inégalitaires et dans une position de subordination. Les difficultés liées à la recherche et au maintien d’un emploi sont exacerbées par différents facteurs, notamment le statut migratoire, l’appartenance ethnique, le sexe, le genre et l’âge. L’imbrication de ces rapports inégalitaires, outre qu’elle cantonne les femmes dans des emplois historiquement féminins et sous-valorisés, complexifie l’accès à un emploi décent et à un milieu de travail exempt de violences. L’analyse des trajectoires migratoires à l’aune de l’intersectionnalité et du continuum des violences permet justement de saisir la façon dont l’enchevêtrement des différents systèmes d’oppression participe à l’exacerbation de ces violences. En contextualisant les violences et en favorisant une compréhension de leurs dynamiques de transformation, ma recherche a permis de pousser plus loin les connaissances actuelles en proposant une réflexion globale sur les violences genrées dans les trajectoires migratoires. L’application du continuum des violences à d’autres contextes pourrait révéler de multiples dimensions de l’interaction entre les divers systèmes d’oppression vécus par les personnes en situation de refuge, et ainsi appuyer la pertinence de l’analyse intersectionnelle en vue de comprendre ces phénomènes complexes, que ce soit pour pousser plus loin la réflexion sur le plan théorique ou pour appréhender le vécu à l’échelle individuelle.