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Le titre en anglais de cet ouvrage paru en 2012 est plus explicite pour en décrire le contenu qui éclaire le lectorat sur le journalisme féminin au début du xxe siècle, au Canada. Il faut savoir que le pays ne compte en 1904 que sept provinces et cinq millions de personnes y habitent. Les chemins de fer et les journaux constituent alors deux instruments privilégiés pour attirer la population à l’ouest de Winnipeg. C’est dans ce contexte que se situe cet épisode mémorable.
En 1904, un groupe de femmes journalistes se fait subventionner par le Canadian Pacific pour une visite de l’Exposition universelle de Saint-Louis (Missouri). Deux wagons sont alors mis à leur disposition pour aller de Montréal à Saint-Louis, à la condition qu’elles écrivent des articles sur leur voyage dans leurs journaux respectifs. À la faveur de cet événement haut en couleur, le Canadian Women’s Press Club a été mis sur pied, attestant l’ambition professionnelle des quelques femmes qui pratiquaient le journalisme au Canada, au début du xxe siècle. Linda Kay, professeure au Département de journalisme de l’Université Concordia, propose ici une reconstitution captivante de ce voyage.
Margaret Graham, célèbre journaliste du Halifax Herald, consciente de la discrimination certaine que vivent les femmes journalistes au début du xxe siècle (confinement dans les pages féminines, octroi d’un salaire médiocre, parfois même absence de salaire, mise à l’écart des événements publics), prend rendez-vous avec Georges Ham, responsable des relations publiques au Canadian Pacific à Montréal. Cette entreprise de transport par train invite régulièrement des journalistes masculins à des voyages gratuits, pour promouvoir le développement de l’Ouest canadien. Graham fait valoir que des femmes pourraient être envoyées à l’Exposition universelle de Saint-Louis pour servir la même cause : « Trouvez-moi douze femmes pouvant obtenir une affectation officielle de leur journal et je les amènerai à Saint-Louis », lui propose Ham. Graham demande alors l’aide de Robertine Barry, une des plus célèbres journalistes de son époque, et finalement c’est un groupe de seize journalistes, huit francophones et huit anglophones, qui sont conviées à cette expédition. La plus vieille est née en 1854 et la plus jeune, en 1881.
L’ouvrage décrit dans le détail, en quatorze chapitres, les péripéties du voyage, chaque chapitre relatant un épisode de ce voyage : le départ, les contacts entre les deux groupes de femmes, la traversée de la frontière à Détroit, l’arrivée à Saint-Louis, les principales visites : prouesses technologiques, réalisations éducatives (Antoinette Gérin-Lajoie y trouvera sa future vocation à l’École ménagère provinciale), reconstitutions gigantesques, y compris le célèbre combat de Baardeberg de la guerre des Boers en 1900 pour lequel on réunit plus de 5 000 personnes. Kay utilise, pour ces récits, les articles que les journalistes ont publiés dans leurs journaux respectifs. Elle tient à présenter les opinions et les idées de toutes ces femmes averties et révèle que plusieurs d’entre elles étaient opposées au suffrage féminin. Ce qui permet de comprendre aujourd’hui à quel point cette revendication semblait « extrémiste » pour les femmes à cette époque. On peut supposer que la position de ces femmes était aussi « stratégique », afin de se faire accepter par les responsables des quotidiens de l’époque. Les idées avancées de Robertine Barry n’en ressortent que plus vivement.
Durant le voyage de retour, les seize journalistes ont même pu assister à la convention républicaine à Chicago et visiter la Hull House, d’où malheureusement Jane Adams était absente. La visite de cette institution marque profondément Marie Beaupré, journaliste à La Presse, qui ose traiter, dans ses articles, des conditions de travail des ouvrières à Montréal et Peggy Watt, journaliste au Woodstock Sentinel Review.
De passage de nouveau à Détroit, le groupe de femmes rencontre le Detroit Women’s Press Club, fondé en 1901. Déjà, l’idée avait germé de former un club de femmes journalistes à Winnipeg et le groupe pouvait bénéficier de l’expérience d’Anne-Marie Gleason (Madeleine) qui avait participé à une telle fondation à Montréal, en 1903, pour tous les journalistes, hommes et femmes : l’Association des journalistes canadiens-français (AJCF). Ce groupe, toutefois, avait pour principal objectif le droit d’auteur, car, à l’époque, les textes des journalistes étaient pillés allègrement et les journaux étaient remplis de textes européens. Le voyage s’est terminé dans la bonne humeur et la bonne entente, entre les deux groupes nationaux.
Les responsables du Canadian Women’s Press Club ont associé Ham à leur projet, car elles avaient besoin du soutien du Canadian Pacific, pour se réunir. La première rencontre a eu lieu à Winnipeg en 1906, et c’est de l’ouest du Canada que le dynamisme est venu pour les rencontres triennales. En effet, deux provinces avaient été créées en 1905 : la Saskatchewan et l’Alberta. C’est donc dans la communauté anglophone que le Club s’est surtout développé.
Kay résume à larges traits, dans le dernier chapitre, l’essor et le déclin du Women’s Press Club. En 2004, au moment des célébrations du centenaire de l’organisme, on a procédé à sa dissolution. Les transformations sociales, qui ont permis, à partir de 1970, aux femmes journalistes d’être considérées sur un pied d’égalité avec leurs collègues masculins, ont eu raison de ce regroupement.
Dans un épilogue fort intéressant, l’auteure résume la biographie de chacune des seize femmes qui ont fait partie du voyage. Elles ont ouvert la voie certes, mais chacune a connu une vie difficile. Une seule, semble-t-il, a fait un mariage heureux : Anne-Marie Gleason, fondatrice de La Revue moderne (ancêtre de Châtelaine). Il semble bien que le célibat était presque de rigueur pour les premières femmes journalistes. Sur ce chapitre, le Canada anglais n’est pas plus tolérant que le Canada français.
Cet épisode oublié méritait certainement le détour. Le Dictionnaire biographique du Canada (DBC) n’a retenu, à ce jour que deux de ces femmes, Kit Coleman et Robertine Barry, parmi ses biographies, et encore, leur participation au voyage de Saint-Louis n’est même pas mentionnée (il faut dire, toutefois, que la plupart d’entre elles sont décédées après la date de 1940, limite temporelle actuelle du DBC). Il est passionnant de découvrir les personnalités des journalistes anglophones, assurément moins connues au Québec. Outre les Québécoises déjà mentionnées, Robertine Barry ou « Françoise » (1863-1910), Anne-Marie Gleason, (1875-1943), Marie Beaupré, qui signait ses articles « Hélène Dumont » dans La Presse (1873-1942), Antoinette Gérin-Lajoie, qui a collaboré à L’Événement (1870-1945), on trouve : Amintha Plouffe (1870-1962), qui avait écrit sans doute l’article le plus intéressant sur le voyage de Saint-Louis, mais qui a vu sa carrière de journaliste se terminer avec la fin du quotidien Le Journal en 1905 qui l’avait embauchée; elle a ensuite gagné sa vie comme sténographe. Sa soeur Éva était une pianiste célèbre. Léonise Valois (1868-1936) est mieux connue comme poète. Alice Asselin (1877-1854), épouse d’Olivar Asselin, n’a jamais rédigé d’article sur l’Exposition et n’a jamais été journaliste. Sa présence dans le groupe est surprenante et absolument ignorée de sa descendance. Sans doute Robertine Barry, la grande organisatrice, a-t-elle voulu offrir à l’épouse de son ami, grand tribun montréalais, un petit congé de sa vie conjugale étriquée.
Cet ouvrage s’avère un excellent antidote à l’idée reçue que tout était toujours plus arriéré naguère, dans la société québécoise.